Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France 2 à l'émission "Les Quatre Vérités" le 18 juillet 2006, sur le soutien de la France au Liban dans le conflit avec Israël, l'appel à la retenue et au cessez-le-feu entre Israël et le Liban, l'évacuation des Français et des étrangers du Liban et la proposition française de déploiement d'une force internationale de surveillance avec des "moyens de coercition" à la frontière israélo-libanaise.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy et Dominique de Villepin à Beyrouth (Liban) le 17 juillet 2006

Média : France 2

Texte intégral

Q - Vous étiez donc - on l'a vu dans les images - avec Dominique de Villepin, hier, à Beyrouth. Vous avez fait cette visite, vous êtes rentré il y a quelques heures à peine, merci d'être là, ce matin. Est-ce que vous avez le sentiment de vous être rendu dans un pays engagé dans une longue guerre ?
R - Aujourd'hui, le Liban est dans un état de guerre. On observe 80 raids israéliens par jour, 200 morts, 433 blessés et vous avez aujourd'hui une spirale catastrophique de la violence. Le président de la République a demandé au Premier ministre et à moi-même de nous rendre au Liban pour donner un geste de solidarité, pour dire aux Libanais, "oui, vous existez, oui nous souhaitons que vous existiez, vous êtes souverains, vous êtes libres, vous êtes indépendant". Pour la France, c'est une priorité absolue.

Q - Alors justement, l'un des temps forts de cette visite, c'est votre rencontre avec le Premier ministre libanais Fouad Siniora, qu'est-ce qu'il vous a dit exactement ?
R - Vous savez, Fouad Siniora est de ces chefs de gouvernement qui ont envie, aujourd'hui, d'étendre leur souveraineté, sur l'ensemble de leur pays. Il est souhaitable - et nous l'avons dit -, qu'il puisse étendre sur l'ensemble du pays, leur souveraineté. Il faut que l'Etat libanais puisse être fort, puisse montrer à quel point il a besoin, certes de la communauté internationale, mais qu'il est indépendant et souverain. C'est la raison pour laquelle nous appelons, nous, au cessez-le-feu. Nous appelons, comme tous les pays du G8, à la définition de toutes les conditions nécessaires à un cessez-le-feu : que ce soit les soldats israéliens enlevés qui doivent être retournés en Israël, que ce soit le démantèlement des milices, que ce soit l'arrêt des tirs de roquettes, parce que Beyrouth aujourd'hui et l'ensemble du Liban subissent des dégâts de plus en plus importants. Vous avez aussi le Hezbollah, qui pilonne le Nord d'Israël de manière terrible.

Q - Vous parlez du Hezbollah, mais la principale cible du Premier ministre libanais, c'est Israël, puisque monsieur Siniora parle d' "un Etat terroriste". Est-ce qu'il vous a dit ça aujourd'hui et quel est votre avis là-dessus justement ?
R - D'abord, nous avons condamné tout de suite les actes inqualifiables du Hezbollah.

Q - Mais sur Israël ?
R - Nous avons appelé Israël à avoir une réaction proportionnée, et, en particulier, à ne pas frapper l'ensemble du Liban. Car aujourd'hui, c'est l'ensemble du territoire libanais qui est frappé : les infrastructures, l'aéroport, les routes, les autoroutes, les centrales électriques, et puis, depuis quelques heures, des usines alimentaires. Nous savons que dans les jours qui viennent, le grand problème sera la question humanitaire. C'est la raison pour laquelle nous demandons une trêve humanitaire. Nous appelons à la définition de la mise en place d'un cessez-le-feu le plus rapidement possible. Je crois que la seule solution, c'est de reprendre un processus politique et d'arrêter cette spirale de la violence. D'ailleurs, je crois que dans cet endroit du monde, comme ailleurs, il est impossible d'obtenir quelque chose de durable avec la violence ou la force.

Q - Mais est-ce que vous partagez l'analyse du gouvernement libanais qui semble en vouloir plus, aujourd'hui, à Israël qu'au Hezbollah ?
R - Qu'il s'agisse des chrétiens ou des sunnites ils ont carrément dit qu'ils condamnaient le Hezbollah. D'autre part, nous condamnons tout ce qui est radical. Et je pense qu'il y a une course contre la montre aujourd'hui, dans cet endroit du monde. Est-ce que ce sont les forces radicales qui vont gagner, qui vont l'emporter, qui vont, en définitive, se souder les unes aux autres, y compris dans les pays voisins ? Ou alors est-ce que c'est ceux qui veulent parler, ceux qui veulent avoir un processus politique, un dialogue politique ? La France n'a fait que ça hier, encourager le dialogue...

Q - Mais en étant libre, est-ce que la France lance un appel à l'Etat hébreu d'arrêter aujourd'hui ces frappes contre ce pays ?
R - Nous avons, bien évidemment demandé la retenue. Nous demandons un cessez-le-feu. Nous pensons qu'il est absolument fondamental d'arrêter cette spirale folle, qui ne conduit nulle part. D'un côté, vous avez Israël qui effectue des frappes sur l'ensemble du Liban - je viens de le rappeler, je le constate - et de l'autre, vous avez le Hezbollah qui est en train de répondre coup pour coup, qui est en train de frapper le Nord d'Israël, de manière de plus en plus large. C'était Haïfa, durant cette fin de semaine, qui n'a jamais reçu autant de tirs de roquettes que depuis 1973, lors de la guerre de Kippour. Il y a eu Tibériade aussi. Donc nous devons appeler, de part et d'autre à l'arrêt de la violence.

Q - Qu'en est-il de l'évacuation, aujourd'hui, des Français qui se trouvent au Liban ? 800 ont pu être, ont pu partir à bord d'un premier bateau, combien sont-ils au Liban ? Et quel est votre plan de bataille pour les faire évacuer le plus vite possible ?
R - Nous avons mis en place, et nous sommes le premier pays à l'avoir fait - non pas une évacuation, parce que nous n'organisons pas une évacuation du Liban - nous aimons trop le Liban pour ça- mais un dispositif pour ceux qui le souhaitent, pour ceux qui veulent partir, en particulier pour ces Français de passage, qui sont 4.000 à 6.000. Nous avons mis en place un ferry. Il est parti, hier soir, et il est arrivé ce matin à Larnaca à Chypre.

Q - Il y en aura d'autres ? Ce sera le seul ?
R - Deux avions partiront de la France vers Larnaca, puis iront de Larnaca à Paris, pour les ramener. Il y aura une rotation et il y aura ainsi un pont maritime. Nous sommes aujourd'hui, évidemment, en pourparlers avec les autorités israéliennes pour que ce bateau puisse faire l'aller et retour. Il y a eu 900 passagers et nous allons encore en embarquer plus de 1.000 demain.

Q - On a entendu des voix libanaises, hier, dénoncer le fait qu'on met tous les moyens pour sauver des vies européennes, des vies occidentales, pour les faire quitter ce pays en guerre et que, pour la population libanaise, qui est prise au piège, on ne fait pas grand-chose. Qu'est-ce que vous avez à répondre à cela ?
R - D'abord, parmi les personnes qui étaient dans le ferry, une centaine n'était pas française, je tiens à vous le dire. Nous sommes à la disposition des différents pays, évidemment, pour les aider à aller à Chypre. Vous savez, aujourd'hui, en raison de l'impossibilité de se servir du port, la seule solution, c'est la route vers la Syrie, essentiellement. Donc, aujourd'hui, en effet, il y a beaucoup de Libanais qui ont peur. C'est la raison pour laquelle nous sommes venus avec Dominique de Villepin à la demande du Président, pour dire notre attachement au Liban, ce pays avec lequel nous avons énormément de relations historiques, culturelles, des relations de coeur aussi. Ce pays, qui est un pays martyr, qui est pris entre ses voisins, ne mérite pas ce qui lui arrive. Donc oui, nous sommes derrière le Liban, plus que jamais derrière les Libanais.

Q - Le président de la République, le président Chirac a parlé hier de son souhait, de voir se déployer une force internationale avec des moyens, a-t-il dit, "des moyens de coercition", cela veut dire quoi concrètement des "moyens de coercition" ?
R - C'est une mission internationale de surveillance qui serait à la frontière entre Israël et le Liban, dans le Sud du Liban, qui permettrait ainsi de constituer une sorte de cordon sanitaire entre les deux pays. Je crois que cela est tout à fait nécessaire ; j'ai vu que le Secrétaire général des Nations unies le demande aussi. Il est absolument nécessaire de demander aux uns et aux autres de diminuer l'intensité de la violence. Parce que, on l'a vu en Irak, on l'a vu dans d'autres pays dans la région, il ne sert à rien d'imposer par la force quoi que ce soit. Et d'ailleurs, on n'y arrive pas.

Q - Est-ce que vous êtes aujourd'hui pessimiste sur l'issue de ce conflit ? Israël parle d'encore une semaine de frappes. Est-ce que vous, vous voyez un conflit qui s'installe dans le temps ou vous gardez des raisons d'espérer ?
R - En tout cas, le temps est plus que jamais à la diplomatie. Même quand c'est dur, même quand c'est difficile, il ne faut jamais lâcher. C'est ce qu'a fait la France, par la voix de Dominique de Villepin et la mienne. Nous devons saisir toutes les options, regarder, parler avec les uns et avec les autres. Essayer, évidemment, d'organiser les conditions d'un cessez-le-feu et surtout trouver les moyens de se parler, politiquement, dans une négociation et non pas en ayant recours à la force. Parce qu'encore une fois, on n'arrivera à rien comme cela.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2006