Déclaration de M. Julien Dray, porte-parole du PS, sur le projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, Assemblée nationale le 3 mai 2006.

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Circonstance : Séance à l'Assemblée nationale le 3 mai 2006

Texte intégral

Je voudrais prendre notre assemblée à témoin : nous examinons un texte jugé essentiel par ce Gouvernement, présenté par celui qui s'est lui-même défini comme le numéro deux de ce gouvernement. Or, après l'avoir défendu sur les plateaux de télévision, voici que ce n° 2 s'abstient de venir débattre avec la représentation nationale.
- Mais peut-être sommes-nous face à un gouvernement quasi virtuel, pris dans une tourmente dont il ne sait plus comment sortir... Quoi qu'il en soit, nous demandons au ministre d'État, ministre de l'intérieur de venir nous consacrer quelques minutes, afin de répondre aux questions que nous sommes dans l'obligation de lui poser.
Depuis quinze ans, les textes destinés à juguler l'immigration clandestine ne cessent de s'accumuler. Gouvernement après gouvernement - ma famille politique assume sa part de responsabilité dans ce diagnostic -, notre législation ne cesse de se durcir, sans que l'immigration irrégulière se tarisse : les sans-papiers sont toujours plus nombreux, leur ghettoïsation toujours plus grande, et les tensions sociales toujours plus importantes.
Les barrières érigées par les gouvernements successifs ont toutes été contournées. C'est la grande leçon de ces quinze dernières années, que vous ne pouvez ignorer. Le ministre de l'intérieur est lui-même aux premières loges pour constater que l'immigration clandestine a continué de progresser après l'entrée en vigueur de la loi de 2003. Quel constat d'échec !
Et quel aveu d'échec que de déclarer nécessaire un nouveau dispositif, moins de trois ans après une première loi, vendue comme l'arme absolue d'une politique d'immigration raisonnée et « pérenne ». Le plus prosélyte des journalistes, le plus converti des citoyens de ce pays ne peuvent que constater les faits. Et ils sont têtus.
J'admets la nécessité de remettre à plat tout le système, nous sommes d'ailleurs un certain nombre de parlementaires à avoir dit qu'il aurait fallu le faire plus tôt. Mais notre méthode diffère.
Nos règles administratives floues et complexes constituent une machine à fabriquer de l'immigration irrégulière. Il est d'ailleurs paradoxal que des parlementaires réclament à la tribune de cette assemblée le durcissement des lois, tout en étant les premiers à intervenir auprès des préfets afin d'obtenir la régularisation de telle ou telle personne, pour des raisons humanitaires.
- Beaucoup de migrants restent dans la clandestinité, la précarité, la peur et l'incertitude en espérant trouver une faille, un alinéa dans ces articles de loi qui se superposent, afin de prolonger leur séjour. Votre projet ajoute encore à la confusion en multipliant les complexités administratives.
En durcissant les conditions d'immigration, vous encouragerez l'immigration irrégulière. Ainsi, limiter le droit au regroupement familial pour certaines catégories de migrants est injuste et irresponsable : ces personnes continueront légitimement à vouloir vivre en famille et s'en donneront les moyens, légaux ou non. Après les travailleurs clandestins, les familles clandestines ! De même, en supprimant la régularisation après dix ans de présence sur le territoire, vous créerez une nouvelle catégorie de sous-hommes : des clandestins à vie, et peut-être même des clandestins de génération en génération !
Tant que nous appréhenderons l'immigration de manière autocentrée, nous ne sortirons pas de la spirale infernale : durcissement, contournement, clandestinité. Tant que nous ne travaillerons pas à la source, nous n'aurons aucune chance de voir les flux se réguler. Dans les pays d'origine, les filières ont pignon sur rue et les offres de départ se font sur la place publique ! Les forces de police ne font rien, elles sont même parfois complices ! Si nous ne travaillons pas avec les autorités locales, nous continuerons à vivre dans le leurre des quelques arrestations que réalisent nos forces de l'ordre : lorsqu'elles appréhendent dix clandestins à la frontière, cent passent ailleurs. Sauf à se satisfaire d'apparences, il n'existe d'autre solution que la contractualisation, outil d'une régulation efficace de l'immigration clandestine, et d'une véritable intégration.
Cette politique doit être fonction de nos possibilités économiques, certes, mais elle doit aussi être inspirée par la solidarité et viser au co-développement. Si la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, elle doit prendre sa part de responsabilité, y compris en accueillant et en formant des cadres qui seront utiles à leur pays.
- C'est cette contractualisation qui permettra d'organiser l'accueil des migrants, notamment par l'apprentissage de la langue, par l'éducation aux règles du pays, par la préparation des lieux d'hébergement et de possibilités d'emploi. Sans cela, les migrants, fragilisés à l'extrême dans un pays qu'ils ne connaissent pas, se tournent naturellement vers leur communauté, à même de leur offrir un peu de sécurité. Or, ce n'est pas l'immigration qui est la source des tensions, des peurs et des angoisses, mais la ghettoïsation quasi systématique, résultat inévitable des politiques migratoires autocentrées, telles que celle que vous nous proposez aujourd'hui.
Mais tenir un tel discours aux Français, leur expliquer le long travail de contractualisation et de partenariat qui s'annonce, exige une communication sérieuse et responsable, à l'opposé des utilisations qui sont faites, comme ces derniers jours, des fantasmes et des craintes.
Monsieur le ministre, l'opposition à laquelle vous allez devoir faire face au cours de ce débat ne se contentera pas de s'offusquer de telle ou telle posture outrancière prise dans tel ou tel meeting. Elle ne se limitera pas à agiter la morale ou l'humanisme de la même manière que vous agitez les peurs. Elle sait que derrière ce débat, sont en cause des centaines de milliers de personnes qui connaissent des conditions terribles de clandestinité et de misère. Voilà pourquoi nous vous demanderons de nous expliquer, article par article, en quoi ces dispositifs favoriseront l'intégration. Exemple après exemple, comme le font les associations humanitaires, nous démontrerons l'inanité de vos lois, nous prouverons que vous prenez la responsabilité de plonger dans la précarité des populations qui ont vocation à s'intégrer, ce qui obligera vos successeurs à régulariser.
Vous-même l'avez déjà fait en 1997. Le président de l'Assemblée nationale, alors ministre de l'intérieur, a présenté une loi de régularisation massive, obligé d'admettre devant l'hémicycle les conditions terribles d'application des anciennes lois Pasqua, qui avaient créé la catégorie des « ni expulsables, ni régularisables ». L'identité républicaine de la France finit en effet par s'imposer à tous !
D'ores et déjà, nous prenons date de l' échec de votre politique. Il faudra une autre politique de gestion des flux migratoires afin de dire aux pays du continent africain que nous avons un avenir commun source http://www.deputessocialistes.fr, le 4 mai 2006