Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à Europe 1 le 18 juillet 2006, sur son livre "Témoignages", sa personnalité, sa candidature à l'élection présidentielle 2007, la situation au Liban et les relations internationales, et les critères de régularisation des parents sans-papiers d'enfants scolarisés.

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Circonstance : Publication du livre "Témoignages" de Nicolas Sarkozy le 17 juillet 2006

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach - Vous voulez qu'on parle d'abord du Liban et de la situation internationale ? Ce matin, Israël continue de bombarder le Liban et annonce une offensive terrestre. Vous avez demandé récemment, et vous répétez, que « Israël devrait proportionner sa réplique », vous n'êtes pas entendu. Qui peut être, aujourd'hui, entendu par Israël ?
R - Il faut que les amis de tous les protagonistes fassent pression pour que chacun comprenne qu'il n'y a pas d'autre solution qu'un cessez-le-feu, qu'une trêve humanitaire. Il y a des civils qui meurent aujourd'hui, au Liban, en grand nombre, en Israël, et il faut que le calme revienne dans la région parce que le risque d'escalade est extrêmement grand. Le Liban doit voir son intégrité territoriale préservée, le Liban a le droit à l'indépendance, le Liban a le droit à la paix. Et c'est un peu dramatique de voir ce petit pays, qui fait tant d'efforts pour se reconstruire, que tout soit mis parterre ainsi. Mais il faut rappeler aussi, la responsabilité du Hezbollah...

Q - Oui, pour vous, c'est l'agresseur le Hezbollah ?
R - Il n'y a pas que pour moi ! Pour toute personne raisonnable et de bon sens, on voit...

Q - ...C'est vrai qu'il a provoqué le drame et qu'il est à l'origine de l'escalade, qu'il a pris les prisonniers israéliens. Mais à partir de quel niveau ?
R - [On voit]... qu'il a frappé à l'intérieur du territoire israélien...

Q - Qu'il continue de le faire...
R - Maintenant, il faut parler clair. Les relations internationales, il faut que les choses soient dites, qu'elles soient dites avec calme et qu'elles soient dites franchement. La langue de bois n'est pas plus supportable, dans le cadre des relations internationales que dans le cadre du débat national. Le Hezbollah s'est, me semble-t-il, comporté de façon parfaitement irresponsable. On sait très bien également qui est derrière le Hezbollah, quelles sont les puissances qui arment le Hezbollah...

Q - C'est-à-dire, la Syrie et l'Iran.
R - Oui. Quand on voit le comportement de l'Iran avec l'arme nucléaire, et la façon dont l'Iran se moque des recommandations de la communauté internationale, il y a de quoi être inquiet. Et c'est en ami d'Israël, que je dis aux responsables israéliens : ne tombez pas dans le piège, proportionnez la réponse, épargnez les civils.

Q - C'est trop tard !
R - Mais ce n'est jamais trop tard ! Ce n'est jamais trop tard pour éviter des catastrophes.

Q - Mais à partir de quel niveau de riposte et de destruction du Liban l'agresseur aura changé de camp ?
R - Aujourd'hui, l'agresseur c'est clairement le Hezbollah, et il n'y a pas d'autre solution, me semble-il, que de sécuriser le Sud du Liban en y mettant l'armée libanaise débarrassée des milices, qui minent la souveraineté du Liban, ou en mettant une force internationale qui ait la confiance des deux côtés.

Q - Donc, c'est à Israël de désarmer le Hezbollah puisque personne ne le fait ?
R - A partir du moment où Israël se retrouve seul face à cette agression, Israël se défend. Je dis donc à Israël : proportionnez la réponse. C'est un sujet extrêmement difficile, il faut aussi se mettre à la place des Israéliens. Nous sommes là sur une bombe qui peut désagréger, non seulement la région, mais une partie du monde.

Q - Pourquoi l'administration Bush et l'Amérique ne s'engagent-elles pas pour imposer un cessez-le-feu aujourd'hui ?
R - Moi, je ne suis pas représentant de l'administration américaine.

Q - Vous avez peut-être un jugement.
R - Oui, mais d'un autre côté, il faut, là aussi, être logique. On demande à ce que le monde ne soit pas dominé par une seule puissance, on demande à ce que le monde soit multipolaire, on demande à ce que les organisations internationales prennent leurs responsabilités, et on ne veut pas que le monde marche au pas cadencé de quelque puissance que cela soit, et que, dès qu'il y a un problème on se tourne vers eux. Il me semble que l'Europe et la France peuvent jouer un rôle.

Q - La France se bat, on l'a vu au G8 avec J. Chirac - ce matin, sans doute, au Conseil des ministres, vous allez l'entendre et vous allez peut-être en parler, tous - pour un cessez-le-feu, pour la libération des prisonniers israéliens, pour sauver le Liban. Et hier, à Beyrouth, sur place, il y avait D. de Villepin et P. Douste-Blazy. Est-ce que vous êtes fier de ce que fait la France ?
R - Ils ont parfaitement bien fait de se rendre au Liban ; le Liban est un allié traditionnel de la France, le Liban est un pays francophone, le Liban doit être défendu.

Q - En France, est-ce qu'il y a des risques que vous avez perçus de tension et d'insécurité entre communautés à cause de ce qui se passe au Proche-Orient ?
R - Très franchement, je ne le pense pas. Et le déchaînement de violence auquel nous avons assisté dans notre pays au moment des émeutes de novembre n'était pas un déclenchement de violence fondé sur des considérants idéologiques ou en rapport avec une crise internationale, c'était de la violence gratuite, du fait d'individus totalement déracinés, ayant perdu tous repères familiaux.

Q - On parle de votre livre : il paraît qu'il se vend très, très bien, et qu'il y a une édition supplémentaire : aux 130.000, il y en a 15.000 de plus. Le livre s'appelle « Témoignage », au singulier. Quel besoin, N. Sarkozy, avez-vous, de parler en témoin, alors que pour tous, aujourd'hui, demain et après-demain, vous êtes l'un des principaux acteurs ?
R - Deux choses. D'abord, « Témoignage », c'était une façon de dire ma part de vérité, je dis « ma part de vérité », parce que je suis persuadé qu'il y a plusieurs vérités, selon l'époque où l'on se trouve, selon la personne et la perspective où l'on se présente. Et donc, par conséquent « Témoignage », c'était une façon de dire : voilà, c'est la mienne, c'est ma part de vérité, avec le droit à l'erreur, dont chacun peut reconnaître qu'il en est responsable. Et puis, et deuxième chose : cela fait quatre ans que je suis au front, que je dois prendre des décisions, assumer des crises, et c'est sûr qu'il y a un certain nombre de choses sur lesquelles je ne m'étais pas expliqué, ou je n'avais pas expliquées. J'ai éprouvé le besoin de le faire plus longuement dans le cadre d'un livre.

Q - Est-ce que cela veut dire qu'il y a « un Sarkozy » qui agit et « un Sarkozy » témoin, qui observe l'autre, et qui, quelquefois, doute ?
R - « Douter » vous savez, heureusement que je doute et heureusement que je réfléchis. Parce que l'action sans la réflexion n'a pas beaucoup de sens. Mais c'était une façon aussi de remettre en cohérence tout ceci.

Q - Vous avez pris la plume, vous-même, apparemment pour rassurer. Et c'est vrai, que vous reconnaissez, vous le dites...
R - Je ne suis pas sûr que ce soit pour rassurer, en tout cas pour expliquer.

Q - Et bien montrer qu'il y avait une cohérence, vous l'avez dit. Et vous reconnaissez qu'on vous a reproché d' « en faire trop, d'être trop pressé, trop boulimique, trop ambitieux », dites-vous. Ce ne serait plus vrai ?
R - Vous savez, j'en vois tellement qui ont dit que « j'en faisais trop », et dont je pensais moi-même à la fin de ma journée que je n'en avais pas fait assez. Je ne pense pas, pour dire les chose que, le problème des responsables politiques soit d'en faire trop. Le problème, c'est sans doute qu'ils n'en font pas assez.

Q - Est-ce que vous savez quels sont les mots qui reviennent le plus dans votre livre ? Vous voulez que je vous les lise ? « Agir », bien sûr, « énergie », « authenticité », « rompre », « volonté », « construire », « aimer ». « Aimer », le mot revient souvent, pour un politique, c'est plutôt rare.
R - Je ne sais pas. Quand on fait de la politique il vaut mieux aimer les autres, aimer les gens, s'intéresser à la vie des autres. Parce que sinon, il vaut mieux faire un métier qui ne soit pas public. La politique, c'est quoi ? C'est la rencontre, c'est donner de la cohérence à des sentiments forcément contradictoires d'un peuple. Si on n'aime pas le public, si on n'aime pas la rencontre, si on n'aime pas l'échange, si on n'aime pas dialoguer, si on n'aime pas parler et convaincre, encore une fois, il faut choisir un autre métier.

Q - Vous avez dit et raconté que vous avez été saisi dès l'âge de 15 ans par la politique, qui n'était pas dans votre tradition familiale.
R - Je pense que le problème pour moi, de la politique, ce n'était pas un choix, c'était une identité.

Q - La politique permet d'agir, mais l'action, pour quelle finalité ? Et est-ce qu'elle est collective ou personnelle ?
R - D'abord, l'action, elle ne peut être que collective, parce que seul, on ne peut pas changer les choses.

Q - Et la finalité ?
R - Pour quelle finalité ? La question, me semble-t-il, est assez simple. Si vous prenez deux pays comme la Grande-Bretagne et l'Espagne sur les 30 dernières années, vous voyez qu'ils ont fait des progrès spectaculaires en termes de modernité. La question pour la France est clairement posée : pourquoi les meilleurs de nos jeunes, pourquoi la partie de la population la plus dynamique éprouve le besoin de partir pour réussir ? Je voudrais réconcilier les Français avec la réussite. Je voudrais que chacun comprenne que l'avenir, c'est une espérance, ce n'est pas une menace. Je voudrais que chacun puisse se mobiliser sur la promotion sociale de sa famille. Je voudrais qu'on réconcilie la France avec toutes ses valeurs, celle du travail, de l'effort, du mérite, de la récompense. On ne va pas s'excuser de vouloir travailler plus que les autres et d'espérer de gagner davantage plus que les autres.

Q - Nous sommes donc dans la pré-campagne de 2007... Le projet va venir dans pas longtemps ?
R - Je pense qu'on est surtout dans une situation, où des mots comme « le nivellement », comme « l'assistanat », comme « l'égalitarisme », ont fait des ravages. Alors que le monde bouge à une vitesse formidable, la France ne peut pas rester immobile.

Q - F. Hollande a ironisé sur le livre ; il dit que « c'est le livre miroir de Narcisse, qui voudrait tous nous convaincre de l'aimer ». Est-ce que c'est faux ?
R - Je suis très heureux que F. Hollande s'intéresse tant à mon livre, je dois dire que je n'avais pas mis la même attention au sien.

Q - Je lui ai dit - il était l'invité dimanche - qu'il assurait la promotion de votre livre...
R - Ce n'est pas la première fois.

Q - Mais tout de même : est-ce qu'il n'y a pas ce besoin d'être aimé, de le demander aux Français... ?
R - Non, franchement, si j'avais besoin d'être aimé, là aussi, j'aurais choisi un autre engagement. Car le moins qu'on puisse dire, depuis des années, c'est que j'ai participé à beaucoup de batailles, suscité beaucoup de polémiques, été l'acteur de beaucoup de débats. Donc, de ce côté-là, je ne crois pas avoir beaucoup de leçons à recevoir. En revanche, je suis très étonné de cela : on devrait prendre le livre pour ce qu'il est, pour une contribution au débat. Que tout le monde ne soit pas d'accord, mais c'est parfaitement nécessaire, et c'est parfaitement évident, et c'est parfaitement naturel. Mais est-ce que la démocratie française n'a pas besoin de vrais débats ? Est-ce que le premier secrétaire du PS n'a pas autre chose à dire que ça ? Est-ce qu'il n'a donc pas de convictions, d'idées, d'idéal, d'engagements ? Est-ce qu'il...

Q - Il les exprime et il vous demandait même l'autre soir un débat direct à la rentrée. Voyez...
R - Mais je serais très heureux de faire un débat direct le jour où je saurais qui sera le candidat du PS. Parce que franchement, si je devais débattre avec tous les hiérarques du PS, je passerais ma semaine à cela.

Q - Cet été, avec votre livre et votre tournée des plages, est-ce que vous entrez dans une nouvelle phase ?
R - Non. Le déclenchement de la campagne présidentielle se fera au moment où il doit se faire, c'est-à-dire, quelque part, d'ici à la fin de l'année 2006, au début de l'année 2007. Et j'ai voulu livrer ce témoignage, m'expliquer sur un certain nombre d'événements, donner ma part de vérité, essayer de susciter une espérance, montrer qu'il n'y a pas de fatalité, participer au débat politique. Pour autant, je suis ministre de l'Intérieur, président de l'UMP, cela suffit bien à ma tâche pour l'instant.

Q - Vous irez en Corse aussi, pour parler de votre livre et peut-être mais pas pour parler de violence, pas pour parler des institutions en Corse ?
R - Mais j'ai été 22 fois en Corse ; la situation en Corse fort heureusement s'améliore, il y a plus de croissance sur l'île que sur le Continent ; un certain nombre de mafieux ont été mis en prison, Colonna a été arrêté, Pieri est sous les verrous, d'autres iront. Je dois dire que j'ai été un peu étonné du voyage de Madame Royal en Corse, où elle n'a rien trouvé à dire sur rien. D'ailleurs, de la même façon que pour le contexte international, on ne peut pas dire que l'on soit ennuyé par ses déclarations.

Q - Mais qu'est-ce que vous auriez voulu ? Qu'elle n'aille pas en Corse ou qu'elle aille en Corse et qu'elle dise...
R - A partir du moment où on va en Corse, on exprime sa vision pour la Corse, on dit ce qu'on fera contre les mafieux, qu'est-ce qu'on peut faire pour le développement, quelle est sa réflexion sur les institutions. Bref, il y avait des sujets à évoquer.

Q - Vous venez d'entendre l'appel que vous a lancé le maire de Lens. Dans quelques jours, 20.000 témoins de Jéhovah vont se rassembler, légalement sur le stade de Lens qui leur a été loué. Il vous demande d'intervenir. Est-ce que c'est à vous d'intervenir en tant que ministre des Cultes ?
R - Ca, c'est formidable, Heureusement que je suis là, parce que, dès qu'il y a un problème, voilà qu'on se retourne vers moi. La location du stade ne m'appartient pas, je ne suis pas maire de Lens, je ne suis pas propriétaire du stade de Lens, et j'ai appris, comme vous, que les témoins de Jéhovah se réunissaient dans le stade. Mais alors, je dis au maire de Lens que, les témoins de Jéhovah sont une association cultuelle, reconnue expressément par le Conseil d'Etat, et qui bénéficie, à ce titre, de la liberté de réunion. Je voudrais comprendre la position des socialistes...

Q - Donc, vous voulez dire qu'il n'y a rien à faire ? Vous avez rien à faire ?
R - ... Lorsqu'il s'agit d'étrangers, clandestinement en France et sans-papiers, ils appellent à ne pas respecter la loi, et lorsqu'il s'agit d'associations cultuelles reconnues par le Conseil d'Etat, ils me demandent d'interdire la réunion. La liberté de réunion est un droit constitutionnel, on ne peut pas décider parce qu'on est ministre de l'Intérieur qu'Untel ou Untel n'a pas le droit de se réunir.

Q - Donc, les 20.000 témoins de Jéhovah se réuniront au stade Lens ?
R - A partir du moment où c'est une association cultuelle reconnue par le Conseil d'Etat, vous imaginez la responsabilité que prendrait un ministre de l'Intérieur que d'interdire une telle réunion ! Il faut savoir si le PS défend les libertés ou pas ! Je n'ai rien à voir avec les témoins de Jéhovah, je peux avoir d'ailleurs, à titre de citoyen, à titre personnel beaucoup de réserve sur les témoins de Jéhovah...

Q - Mais c'est une secte ou pas ?
R - A partir du moment où elle est reconnue par le Conseil d'Etat, avec le droit de se réunir, sauf à troubler l'ordre public, ce droit est un droit constitutionnel.

Q - Vous allez réunir dans six jours les préfets pour juger les résultats de votre politique de régularisation au cas par cas des parents sans-papiers d'enfants scolarisés. Est-ce qu'il y a déjà beaucoup d'expulsions ?
R - Tous les jours il y a des dizaines d'expulsions.

Q - Comptez-vous régler ce problème avant la rentrée scolaire ?
R - L'essentiel sera réglé avant la rentrée scolaire mais il faut que les Français le comprennent : quand on n'a pas de papiers, qu'on est en France en situation irrégulière on n'a pas vocation à y rester. Alors tous les étrangers qui dépendent de la Convention de Dublin, je vais m'en expliquer, seront raccompagnés chez eux. La Convention de Dublin c'est quoi ? C'est une Convention européenne au terme de laquelle lorsqu'une famille d'étrangers dépose un dossier de réfugié politique dans un pays, elle doit attendre dans ce pays la réponse à sa demande. Or, il y a un certain nombre de familles qui ont déposé un dossier dans un pays et qui viennent en France attendre. Tous ceux-là n'ont pas vocation à rester en France. Seront également expulsés tous ceux qui n'ont pas de lien avec notre pays.

Q - Combien de milliers de personnes ?
R - Je ferai le point à la fin du mois en essayant d'établir....

Q - Mais votre avis là, comme cela, d'après ce que vous savez ?
R - Quelques milliers. Mais là encore, je voudrais juste dire un mot, la loi que j'applique et qu'un certain nombre de responsables socialistes demandent de ne pas appliquer, c'est la loi que le Gouvernement socialiste m'a laissée, ce n'est pas celle que je viens de faire voter puisque les décrets d'application n'ont pas encore été pris. Et qui sont ces familles, en tous cas celles que l'on va régulariser ? Ce sont les familles qui ont profité de la période 1998-2002 où le Gouvernement socialiste était en place et où le laxisme a permis à tout le monde de s'installer pensant qu'ils allaient être régularisés. A quatre reprises sur les vingt dernières années, les Gouvernements socialistes ont régularisé tout le monde. Alors je pose une question : est-ce que ça a réglé le problème ? Cela n'a réglé aucun problème.

Q - Et vous pensez vous le régler en les écartant ?
R - Mieux, à chaque fois...Qu'est-ce que l'on attend du ministre de l'Intérieur ? Le ministre de l'Intérieur doit appliquer la loi : quand on a des papiers, on reste en France ; quand on n'a pas de papiers, on ne reste pas en France. Alors il y a à l'intérieur des cas qui nécessitent de l'humanité et c'est tout à fait naturel : des enfants et des familles qui n'ont plus aucun lien avec leurs pays d'origine, qui sont en France depuis longtemps et que nous régulariserons. Mais qu'est-ce que l'on propose, quelle est l'autre solution que la régularisation au cas par cas, que l'examen, de chaque dossier ? Pourquoi l'examen de chaque dossier ? Parce que derrière chaque dossier il y a une famille, il y a un destin et on ne peut pas faire comme si cela n'existait pas.

Q - On voit que cela vous touche mais comme vous dites, vous appliquez la loi...
R - On voit que cela me touche... Attendez, qu'est-ce que l'on me propose ? Entre J.-M. Le Pen et P. de Villiers qui disent « il n'y a qu'à mettre tout le monde dehors » - cela n'a aucun sens - et le Parti socialiste qui dit : « il n'y a qu'à régulariser tout le monde », on voit bien que ces deux solutions extrêmes ne correspondent pas à la raison et au bon sens. Vous vous rendez compte que si je régularisais tout le monde, cela voudrait dire qu'il suffit d'inscrire son enfant dans une école ? Or l'inscription est de droit pour devenir Français. Autant dire que l'on crée une nouvelle filière d'immigration. On ne pourra plus contrôler la situation. Il y a 900 millions d'Africains dont 450 millions ont moins de 17 ans. Qui peut prétendre que l'on peut accueillir tout le monde ? En tout cas moi je ne l'accepterai pas.

Q - Vous écrivez vous-même que vous êtes enfant d'immigré. N'avez-vous pas le devoir de prendre la précaution de ne pas renvoyer hors de France des « petits Sarkozy » ?
R - Je ne personnalise pas les choses comme ça !

Q - Eh bien oui, il faut aussi y penser !
R - D'abord je voudrais dire que la France n'a pas de leçons à recevoir. Sur 65 % des 160.000 visas que nous délivrons chaque année, il y en a 65 % qui viennent de l'Afrique. La France fait plus que la plupart des autres démocraties. Et la deuxième remarque que je voudrais faire : c'est attention à la montée de sentiments xénophobes racistes ou extrémistes. L'immigration doit être maîtrisée, elle sera maîtrisée, l'immigration doit être choisie, elle sera choisie et nous payons aujourd'hui dans les difficultés de notre système d'intégration et dans la crise que nous avons connue dans un certain nombre de nos quartiers, le fait que pendant tant d'années l'immigration n'a pas été régulée. Je suis là pour la réguler et pour la maîtriser. Je conduirai cette tâche et cette politique sans faiblesse.

Q - Vous en parlez dans le livre mais on revient au livre. Vous parlez de J. Chirac avec des accents de sincérité qui ont été remarqués. Vous dites, sans forcer le trait « j'éprouve de l'admiration pour les qualités de J. Chirac ». Au-delà de sa longévité politique et sa ténacité, quelles qualités appréciez-vous chez lui ?
R - La capacité à surmonter les épreuves et l'énergie dont il a fait preuve aux moments les plus difficiles de son existence. Enfin écoutez, il faut être raisonnable, la vie politique, j'en fais depuis 25 ans, je sais ce que c'est. Et vous avez dit tout à l'heure que j'en étais un acteur. J'ai vu de près comment il s'est comporté à des moments difficiles de son existence. Si je n'ai pas de la considération pour cela, comme j'en ai eu d'ailleurs à l'époque lorsque F. Mitterrand a eu à affronter la maladie où j'ai trouvé que F. Mitterrand n'avait jamais été si grand que lorsqu'il a était le plus faible physiquement, alors pour qui aurais-je de la considération ? J'ajoute qu'il a été élu deux fois président de la République, ce qui n'est pas mon cas. Il y aurait peut-être de l'arrogance à ne pas avoir de la considération pour quelqu'un qui a si bien réussi.

Q - Cela fait rêver ça ?
R - Je ne suis pas sûr que cela fasse rêver puisque cela fait bien longtemps...

Q - Non mais un destin politique de cette ampleur ?
R - J.-P. Elkabbach, cela fait bien longtemps, vu l'âge qui est le mien, 51 ans, que j'ai ôté cette espèce de forme de naïveté que vous pourriez me prêter en disant que j'en rêve.

Q - A-t-il ou peut-il avoir confiance en vous ?
R - C'est une lourde responsabilité, très grande.

Q - Est-ce qu'il peut avoir confiance en vous ?
R - Je crois qu'il a confiance en moi parce que sinon il ne m'aurait pas confié pendant trois ans le ministère de l'Intérieur et pendant un an le ministère de des Finances. Comme preuve de confiance, ce n'est pas si mal. Alors, cela ne veut pas dire que l'on n'a pas de désaccords. Nous avons des désaccords...

Q - Oui, vous le racontez...
R - Alors tout le monde est parti là-dessus. Nous avons des désaccords que j'assume pleinement.

Q - Oui, vous en parlez et vous les montrez, mais on vous prête des tempéraments voisins. En fait ? est-ce que vous n'admirez pas en lui les qualités que vous voudriez avoir ou vos propres qualités ?
R - Non ? je ne m'admire pas ? si c'est la question que vous voulez me poser de façon détournée. Je suis très lucide et croyez bien, c'est l'avantage de la vie politique, on y est tant critiqué, si critiqué que si parfois on avait tendance à s'envoler, vous êtes vite ramené sur terre. Vous savez, j'ai connu aussi beaucoup d'épreuves, cela m'a calmé définitivement. J'ai maintenant un âge qui permet d'assumer tout cela sans prendre la grosse tête.

Q - Dans le livre, vous reconnaissez et vous admettez ne pas être inscrit sur la liste des amis de J. Chirac. Mais vous le dites avec une pointe de regrets...
R - Parfois, il m'est arrivé de me demander ce qu'il faut bien faire pour être un ami de J. Chirac. Sans doute ne lui ai-je pas fais assez d'ennuis pour cela.

Q - Et vous dites « il faudrait payer le prix de la docilité ». Ça, vous ne savez pas. La docilité non. Comme a dit quelqu'un, plutôt ?? héritier rebelle » ?
R - Non, pas du tout héritier, je n'aime pas cette notion et la notion de docilité, je ne m'y reconnais pas. Je n'aime pas la compromission et je n'aime pas faire des compromis avec mes convictions. J'essaye de me présenter en vérité, je ne dis pas que j'ai raison bien sûr sur tout, en tout cas, ce que j'ai écrit, j'en revendique l'authenticité. Et je crois que l'un des premiers problèmes de la vie politique, c'est un déficit formidable d'authenticité. Il y a tant de gens, quand il entendent parler des responsables politiques, qui se disent : celui-là ce qu'il dit, est-ce qu'au moins il le pense ? En tout cas avec moi, il n'y a pas de doute.

Q - Justement, on continue. J. Chirac parle de vous aujourd'hui comment dire, avec du miel, et vous, vous maniez l'éloge. Lequel de vous deux cherche le plus à amadouer ou à embobiner l'autre ?
R - Non, ce n'est pas du tout cela, c'est beaucoup plus simple que cela. J'avais une grande expérience. Je vais essayer d'expliquer une chose : si jamais j'étais candidat, il faudrait que je rassemble tout le monde. Cela sera difficile en rassemblant tout le monde mais cela sera impossible si l'on ne rassemble pas tout le monde. Alors je n'ai pas d'adversaire dans ma famille politique, j'ai des convictions et je ne veux pas que les cinq prochaines années, la France recommence avec les socialistes, avec les 35 heures obligatoires, à prendre du retard. L'enjeu, il est là. Est-ce que je serai capable de rassembler tout le monde pour proposer une stratégie de modernité à notre pays ? Voilà la question qui est posée, ou est-ce que l'on va retomber dans les histoires où l'on vous explique que la France au contraire du monde entier peut travailler moins. Pour cela, je suis prêt à rassembler bien au-delà de ma famille politique. Mais si je la divisais, alors il n'y aurait aucune chance que [inaudible].

Q - Cela serait bien alors d'avoir l'adoubement ou la bénédiction de votre aîné ?
R - Ni adoubement ni bénédiction, ni agenouillement, simplement...

Q - Soutien, compréhension ?
R - Non, non. Le respect suffit et la compréhension d'une situation politique, où pour gagner, il faut s'additionner pas soustraire, pour tourner le dos aux erreurs de la droite qui a si souvent permis à la gauche de gagner, non pas parce que la gauche avait convaincu mais parce que la droite avait désespéré.

Q - L'UMP va désigner son candidat le 14 janvier, cela sera probablement quelqu'un que vous connaissez bien : N. Sarkozy ?
R - Enfin en tout état de cause, cela sera quelqu'un que je connais bien.

Q - Voilà. J. Chirac va dire son intention ou son choix en février ou en mars, c'est-à-dire deux mois après. Est-ce que c'est la meilleure manière de faire gagner le candidat UMP ?
R - Non. Vous convenez qu'il vaut mieux désigner le candidat soutenu par l'UMP avant le premier tour.

Q - Oui, non mais d'abord le président de la République qui peut...
R - Vous avez beaucoup d'informations puisque vous dites qu'il fera connaître sa décision au mois de mars...

Q - C'est lui qui le dit, moi je l'ai écouté le 14 juillet.
R - Non, il fera connaître sa décision dans le courant du premier trimestre. Le mois de janvier, c'est le courant du premier trimestre.

Q - Donc, il y a deux mois pendant lesquels vous ne saurez pas ?
R - Tout le monde était parfaitement d'accord sur cette date. Quant au président de la République, nous nous voyons deux fois par semaine et croyez-moi, nous parlons de ces sujets et de bien d'autres.

Q - Deux fois par semaine en 4 ans, cela fait à peu près 200 discussions, ce n'est pas mal...
R - Non parce qu'il y a des semaines où il n'était pas là.

Q - Quel regret ! Si vous appreniez la candidature aujourd'hui, improbable, de J. Chirac pour un troisième mandat, est-ce que vous diriez : « je lui laisse la place et je me retire » ?
R - Non, cela ne se passerait pas comme cela. D'abord, je ne dis pas qu'elle est improbable et je ne dis pas que la mienne est certaine. Je dis simplement qu'à un moment donné, il faudra que chacun dise ce qu'il veut faire. La famille politique que je préside choisira qui elle soutient et on se rassemblera tous derrière ce candidat.

Q - Donc, quand on entend parler de troisième mandat, est-ce que c'est un leurre, une fiction, ou une possibilité ?
R - Mais moi je ne peux pas empêcher que l'on parle dans la démocratie.

Q - Vous écrivez que les Français imaginent que vous serez candidat en 2007, qu'il serait bien hypocrite de protester du contraire et vous ajoutez : « je sais d'expérience que rien n'est sûr en politique, au moins je veux rester libre de pouvoir le faire ». Qui pourrait vous en empêcher ? Qui pourrait vous priver de votre liberté ?
R - Comme j'ai beaucoup d'expérience de la vie politique, je sais très bien que dans la vie politique, il y a des hauts, des bas, des rebonds, des surprises, et je n'aime pas l'idée de « candidat obligatoire ». Et j'ai dit à ma famille politique qu'ils n'étaient pas obligés de voter pour moi ou de se rassembler pour moi. Si je veux y aller, c'est à moi de démontrer que j'ai le meilleur projet et le meilleur tempérament et la meilleure candidature. Je crois à la concurrence, J.-P. Elkabbach, je crois au mérite et je crois au travail. A moi de le mériter.

Q - Mais vous voyez ce que vous faites naître. Par exemple, ailleurs dans le livre, vous dites que la perspective de commencer un autre métier vous déplaît moins que l'on ne pourrait le croire et vous savez aussi que quoi qu'il arrive, vous ne terminerez pas votre vie professionnelle en faisant de la politique. Alors, ici le doute paraît l'emporter sur la volonté ou alors est-ce que c'est un jeu pour faire peur aux électeurs ?
R - Vous savez malheureusement ce n'est pas un jeu la vie. Et la vie politique encore moins. C'est une lourde responsabilité. Mais disons que depuis quelques années, je me rends compte que je fais de la politique de façon plus grave et moins légère parce que lorsque l'on est à la première place, en tout cas dans sa famille politique, pèsent sur ses épaules d'autres responsabilités. Il y a un prix à payer pour soi et pour sa famille qui est extrêmement lourd et je ne rêve pas de ces responsabilités, j'assume une responsabilité, je porte un projet et peut-être même qu'un jour je porterai une espérance. Mais on ne peut pas le faire de façon naïve, un peu dégagé de toute réalité. C'est d'abord un devoir, c'est d'abord une charge et partant, je garde toujours cette liberté de savoir qu'un jour cela se terminera. Vous savez, l'autre jour, j'ai été au musée Grévin. Alors ils étaient tous très contents, ils montraient ma poupée, ma statue... Mais ils ne savaient pas, moi je savais que dans les coulisses du musée Grévin, il y a plus de statues qui sont remisées que de statues qui sont exposées. Il y en a 2000 qui sont remisées et il y en a 300 qui sont exposées.

Q - Mais rassurez-vous, il y en a quelques unes qui reviennent.... On les désarticule et elles reviennent...
R - Oui je sais d'expérience que l'on vous fait beaucoup de manières au moment où on vous expose et que l'on vous retire dans le silence. Je suis très conscient de cela, je suis plus lucide qu'on ne l'imagine.

Q - Vous montrez bien aussi que 2007 va se jouer dans un mouchoir à 50/50. La droite peut gagner, disait hier F. Hollande. Vous lui répondez « la gauche peut gagner ». Autrement dit, il y a une certitude, ce sera dur et il ne faudra pas faire d'erreurs de part et d'autre.
R - Je ne pense pas qu'il y aura un meilleur candidat socialiste qu'un autre. Souvenez-vous de 1995 ! La gauche est pulvérisée et pourtant L. Jospin vient finir à près de 48 %. Et donc quel que soit le candidat socialiste, il aura surmonté toutes les épreuves et forcément ce sera un candidat ou une candidate de qualité. Surtout, moi si je faisais campagne, je ne le ferais pas pour démolir. J'aimerais que pour une fois, les Français votent pour quelqu'un et non pas contre quelque chose. Et j'aimerais que chacun des responsables politiques mette son talent à expliquer ce que l'on peut faire pour la France et pour les Français plutôt que d'expliquer combien l'autre est misérable.

Q - D'ailleurs vous le direz probablement dans un livre-projet plus tard non ?
R - Je ne sais pas.

Q - Ah bon ? Vous n'avez pas commencé à l'écrire ?
R - Non. Pour une raison simple : c'est que si j'écris un livre, je l'écris moi-même et je ne l'écris que parce que j'avais besoin de dire quelque chose, parce que vous savez, faire un livre quand on n'a rien à dire, il vaut mieux s'abstenir.

Q - Il y a beaucoup de choses dans le livre, vous voulez réformer les institutions, la politique européenne avec d'autres alliés que le couple franco-allemand, sans la Turquie, vous voulez une mondialisation maîtrisée, un libéralisme...
R - Sans la Turquie... Je persiste à dire que la Turquie est en Asie mineure et qu'elle n'a pas sa place en Europe.

Q - Un « libéralisme régulé » ! Autrement dit, vous n'êtes pas aussi libéral que cela, vous êtes libéral mais avec des règles !
R - Je ne comprends pas ce débat. Lorsque j'étais ministre des Finances, j'ai fais acheter par l'Etat français 22 % d'Alsthom. Je les ai fais acheter à 700 millions, 2 ans et demi plus tard, le Gouvernement les a revendus à 2,1 milliards. A ce moment-là, je n'ai pas hésité à renationalier partiellement Alsthom pour sauver cette entreprise. Moi, j'essaie d'être pragmatique, pas d'être un idéologue.

Q - Il y a donc beaucoup de choses, aussi le fait que s'il y a des ruptures, ce sera des ruptures de méthode et de pratiques. Par exemple, un président de la République moins monarque, plus simple, plus démocrate. Un président de la République pour dix ans, c'est-à-dire deux mandats, pas plus ?
R - Moi, je considère que l'énergie que l'on met à durer, on ne la met plus à faire. Or le problème de la France, c'est de faire, pas de durer.

Q - Vous consacrez près de quatre pages à "C." Pourquoi "C." pour parler de Cécilia ? Parce que depuis un an, tellement de gens en parlent, et moi je n'en avais jamais parlé. J'ai voulu lui consacrer un chapitre de mon livre pour clore un chapitre de notre vie.
Q - C'est-à-dire ? « Clore » ce qui est devenu le mauvais chapitre ?
R - C'est-à-dire que ce n'était pas absurde que l'un des acteurs dise son opinion, d'autant plus que c'est Cécilia qui m'a demandé d'écrire également en son nom, alors qu'on avait tellement parlé de nous, et qu'on s'était si peu reconnus dans ce qu'on avait dit.

Q - Vous vous confiez, là aussi, avec une franchise, on peut reconnaître, et une sincérité qui surprennent...
R - Je pense qu'il y a aussi beaucoup de pudeur, simplement, à dire que ce n'est pas parce qu'on est un responsable politique qu'on n'est pas un homme ou une femme.

Q - Qu'est-ce qui oblige à ouvrir ainsi son coeur et sa vie personnelle au public, et en public ?
R - D'abord, qu'est-ce qui oblige à ouvrir son coeur ? Quand on veut postuler à des responsabilités, il n'est pas anormal que les gens vous connaissent. Ce n'est pas un théâtre d'ombre, ce n'est pas une comédie. Et par conséquent, que les gens vous connaissent, c'est important. Deuxièmement, j'y ai consacré quelques pages, je crois qu'elles sont pudiques, même si elles sont sincères, en tout cas elles sont importantes, pour Cécilia comme pour moi. Et depuis un an, il y a eu un tel déchaînement sur notre vie, c'est la première fois et la dernière que j'en parle. Mais j'ai voulu mettre un point final et aussi j'ai pensé à nos enfants, qui ont beaucoup souffert de tout cela.

Q - Vous pensez vous débarrasser, ou vous libérer, des attaques privées, des curiosités ?
R - Quand je pense qu'un journal avait fait à la Une « Sarkozy est-il fou ? », en demandant l'avis d'une dizaine de psychiatres ! Je pense qu'on n'a pas toujours été respectés. Et par ailleurs, j'avais été très heureux de voir que le diagnostic des psychiatres en question était réservé.

Q - Donc, vous l'avez lu pour essayer de savoir si les psychiatres...
R - J'avais lu les conclusions en tout cas. Je pense qu'aucun métier ne mérite qu'on soit traité comme cela.

Q - « Notre vie était faite l'un avec l'autre, l'un pour l'autre », dites-vous. Vous avez souffert, l'un et l'autre, d'être exposés, mais la règle devait être le secret. Est-ce qu'elle ne l'est plus ?
R - Non, ce n'est pas cela. La règle, elle est très simple : c'est que je n'ai ni à m'exhiber ni à m'excuser.

Q - Et vous dites « Le passé nous servira de leçon pour toujours ».
R - Oui. C'est écrit, c'est important.

Q - Mais c'est pensé surtout...
R - Surtout, pourquoi écrire un livre si l'on ne dit pas ce qu'on pense ? Et pourquoi ne dire que ce que l'on pense que sur des choses qui sont anecdotiques ? Dans un précédent ouvrage, j'avais parlé de la religion, de la question spirituelle, de la vie et de la mort. On m'avait dit « mais comment parler d'un tel sujet dans la vie politique » ? Mais pourquoi ? Dans « vie politique », pour moi, ce qui est important, c'est « vie », ce n'est pas « politique ». Et ces sentiments-là, l'amour entre un homme et une femme, je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas le droit d'en parler. Je pense qu'on peut en parler en vérité, je pense qu'on peut en parler de façon pudique.

Q - Donc, il faut beaucoup de souffrance, de faiblesse et peut-être de blessures pour donner une part d'humanité un peu cachée, à un politique, quel qu'il soit ?
R - Je pense qu'une vie politique, tant d'années, c'est beaucoup de cicatrices et que la France est un pays suffisamment sage pour ne confier de grandes responsabilités qu'à celui qui a su assumer ses cicatrices.

Q - Il faudrait un peu de temps pour dire cette hymne à la France que vous faites, comment vous la voyez, etc. Ce sera peut-être pour un autre moment.
R - En tout cas, je ne peux pas me résoudre à ce que la France ne soit qu'une nostalgie, qu'elle ne soit qu'un passé.

Q - Au fond, c'est la France de toujours qui aurait tourné le dos à cette France qui désespère, à cette France qui divise, à cette France qui piétine, à cette France qui recule, à cette France qui ne parle plus au monde, parce qu'elle ne le comprend plus, qu'elle n'a plus rien à lui dire ?
R - Mais ce qui est le plus important pour moi, c'est les trois derniers mots : « tout est possible ». Je crois profondément ça, et je voudrais en convaincre les Français. Tout est possible pour notre pays, pour peu qu'on comprenne une chose : c'est que le salut, l'espérance, l'avenir c'est au bout du travail. Il ne faut pas se débarrasser du travail. Le travail, c'est une valeur de civilisation et d'émancipation.

Q - Allez, allez, vous sortez, vous allez au boulot !
R - Merci de me parler comme ça. Je vous félicite pour votre autorité.

Q - Et la franchise !
R - Oui, c'est comme ça, parce qu'on a senti que quand vous m'avez dit « Sortez ! », c'était du fond du coeur, monsieur Elkabbach.

Q - Voilà pour votre témoignage d'action, votre témoignage promesse, en attendant peut-être le projet Sarkozy pour 2007. Vous pensez que vous pourriez être dans dix mois, un an, à l'Elysée ?
R - Vous ne voulez pas être ministre de l'Intérieur, J.-P. Elkabbach ?

Q - Non, pas du tout. Vous avez assez d'amis qui ont envie de l'être.
R - Si je pense que je peux l'être ?

Q - Oui.
R - C'est une possibilité, monsieur Elkabbach. Mais pas dans dix mois, dans neuf mois.

Q - Et pressé ou patient ? Qu'est ce que chaque jour compte !
R - Non. Il n'y a aucune impatience, parce que vous savez, plus on se rapproche de l'échéance, plus ma détermination est grande.

Source: Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 juillet 2006