Texte intégral
Q - Vous êtes venue en Turquie, accompagnée d'une importante délégation d'hommes d'affaires français. Quels sont les secteurs qui intéressent le plus les entreprises françaises ? Quels sont les projets concrets que vous avez défendus au cours de cette visite ?
R - Le premier résultat concret obtenu à l'issue des entretiens fut la signature d'un accord visant à la protection et la promotion réciproques des investissements. C'est un accord qui était négocié depuis longtemps et nous l'avons signé avec M. Babacan. Cet accord revêt vraiment une grande importance car il donne un cadre légal aux entreprises souhaitant investir en Turquie. Les investisseurs cherchent toujours dans le pays où ils veulent investir, un environnement sûr, un cadre légal. Cet accord fournit une garantie sur toutes ces questions. Les investisseurs français s'intéressent plus spécifiquement aux secteurs des transports et de l'énergie et ils ont naturellement aussi un oeil sur les projets de privatisations. Dans ce contexte, les entreprises françaises telles qu'Alstom, Gaz de France, Suez, Areva ont été particulièrement intéressées par les entretiens que nous avons eus avec les ministres de l'Energie et des Transports. Elles s'intéressent de près aux grands projets comme Marmaray ou celui sur les trains à grande vitesse. Nous avons à côté de cela, les représentants du secteur des finances comme BNP Paribas, la Société Générale, Calyon qui envisagent de renforcer leurs activités en Turquie. Il y avait, par ailleurs, dans la délégation des représentants de CGM-CMA. Cette société projette de réaliser d'importants investissements dans le domaine de la gestion des infrastructures portuaires. Un autre point important, c'est que nous avons évoqué d'autres projets d'investissements importants dans le domaine de l'énergie, que ce soit pour la construction de raffineries de pétrole ou pour la distribution du gaz naturel. Avec l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, la Turquie est en passe de devenir un important terminal. La compagnie française Total s'intéresse de près aux investissements qui seront réalisés dans ce contexte. Le ministre de l'Energie m'a présenté une carte montrant que le gaz venant des pays voisins sera distribué vers les marchés depuis la Turquie. C'était très impressionnant. La Turquie pourrait devenir un corridor énergétique très important.
Q - L'importance de l'énergie nucléaire comme une alternative au pétrole et gaz naturel s'accroît de jour en jour. Dans ce contexte, la France projette-t-elle de faire des investissements en Turquie ?
R - Concernant le nucléaire, la France mène depuis près de 20 ans une politique qui avait été lancée par le général de Gaulle. La France a acquis, avec la production d'énergie nucléaire, une vraie indépendance. Nous disposons d'une importance expérience dans ce domaine. C'est une politique à long terme et la France a, sans interruption, construit des centrales nucléaires. La centrale EPR est aujourd'hui la plus avancée en termes de technologie nucléaire. Areva, Alstom et EDF s'intéressent de près aux investissements relatifs à l'énergie nucléaire en Turquie.
La Turquie a pour objectif de réduire, à l'instar des autres pays européens, sa dépendance en matière énergétique et de créer des ressources alternatives au gaz naturel et pétrole. Dans ce contexte, les ressources énergétiques renouvelables comme l'énergie solaire et éolienne gagnent aussi chaque jour autant d'importance que l'énergie nucléaire. A cet égard, nous avons décidé avec votre ministre de l'énergie de réactiver le club franco-turc de l'énergie qui existe depuis trois ou quatre ans mais qui n'était pas très actif. Ce club a pour objectif de réunir les ministères français et turc de l'Energie et d'intensifier les échanges d'informations entre les deux parties.
Q - Les exportations françaises vers la Turquie ont augmenté de 11 % l'an dernier. Comment voyez-vous l'avenir des échanges commerciaux entre les deux pays ?
R - Le rythme de développement des échanges commerciaux entre la France et la Turquie est plus rapide que celui des relations commerciales mondiales, voire des exportations françaises dans leur ensemble. La Turquie est vraiment un partenaire commercial très important pour la France.
Q - Quelles sont les principales difficultés auxquelles font face les investisseurs français en Turquie ?
R - Ce dont se plaignent surtout les investisseurs étrangers, c'est que la réglementation économique soit parfois trop lourde, qu'elle soit constamment modifiée, qu'elle ne soit pas optimale et qu'il y ait beaucoup de tracasseries administratives. Tout cela crée beaucoup de difficultés pour les investisseurs.
La sécurité alimentaire est un autre point important. La France est un pays qui accorde une très grande importance à la sécurité alimentaire. Les producteurs d'alcools et d'aliments affirment qu'il est très difficile d'exporter des produits en Turquie, en raison notamment de la réglementation sur les produits alimentaires et du taux élevé des taxes sur les vins et autres alcools. Il s'agit là d'un problème vraiment très important car plus les taxes sont élevées, plus les produits de consommation coûtent chers. Ce qui occasionne l'augmentation du nombre des contrefaçons de produit de marque. Il y a beaucoup trop de contrefaçon dans le secteur de l'alcool en particulier en Turquie - boissons alcoolisées frelatées. Tant que les taxes resteront élevées, les gens ne pourront pas acheter des produits de qualité.
Q - Comment évaluez-vous la situation économique de la Turquie ?
R - Je voudrais vous dire que j'ai été très impressionnée par les réformes économiques effectuées en Turquie. Il y a dix ans, l'inflation était environ de 60 %. Aujourd'hui, les taux d'inflation et d'intérêt sont sous contrôle. Le taux d'endettement a lui aussi diminué. Le taux de croissance s'est établi à 7,4 % en 2005. C'est vraiment une croissance importante. La politique monétaire mise en oeuvre par la Turquie est un très grand succès. Les spécialistes interprètent la dépréciation récente de la livre turque plutôt comme un rééquilibrage, car la livre s'était effectivement trop appréciée.
Q - Quels sont les impacts sur les relations économiques des tensions politiques (Chypre, question arménienne) ?
R - Je suis convaincue que les relations entre deux pays s'établissent dans la durée. La Turquie et la France ont un très long passé. La Turquie occupe une position très importante du point de vue stratégique et de l'instauration du dialogue entre les civilisations. Je pense que les questions politiques, les impatiences sont passagères. Je ne pense pas que ces problèmes puissent porter préjudice aux profondes relations entre la France et la Turquie et aux rapports économiques qui se développent un peu plus tous les jours. C'est d'ailleurs ce que pensent les 50 hommes d'affaires et les parlementaires qui m'ont accompagnée.
Q - Si l'on compare la Turquie aux dix nouveaux membres de l'Union européenne, quels sont ses points faibles ? Etes-vous optimiste quant aux aspirations européennes de la Turquie ?
R - Le marché turc est beaucoup plus grand que celui de ces nouveaux membres. La Pologne est le plus grand des nouveaux membres et elle compte 40 millions d'habitants. Tandis que la Turquie en compte 72 millions, soit près du double de la population de la Pologne. Une importante partie de la population turque travaille dans le secteur agricole. Je pense que les problèmes qui existent seront réglés au cours du processus de négociations. J'ignore combien de temps durera le processus de négociations, ni la manière dont elles se dérouleront mais je suis très optimiste sur l'adhésion de la Turquie. Je me sens ici comme chez moi.
Q - Quels sont les effets de la concurrence chinoise et indienne sur l'Europe et la Turquie ?
R - Les développements que l'on connaît dans le contexte de la mondialisation concernent de près tout le monde, à la fois les pays développés et les pays en voie de développement. Le développement rapide de la Chine est très important pour tout le monde et pas uniquement dans le sens où il arrache des millions de Chinois à la pauvreté. Ce sont là des évolutions positives qui doivent se poursuivre. C'est d'ailleurs l'objectif de l'OMC. Mais il faut adopter aussi d'autres mesures concernant les questions sociales ou l'environnement et renforcer la législation anti-dumping.
Q - Vous avez exercé comme avocate pendant très longtemps aux Etats-Unis. Quelle est, d'après vous, la principale différence entre les cultures économiques américaines et européennes ?
R - Deux points retiennent mon attention. Nous pouvons observer qu'aux Etats-Unis, les personnes sont très jeunes, orientées par les questions de la performance et de la concurrence. Ceci se ressent moins en Europe. Le deuxième point, c'est la reconnaissance du succès et la tolérance de l'échec. Aux Etats-Unis, on apprécie la réussite et on tolère l'échec. On considère l'échec comme une partie intégrante de l'aventure de l'entrepreneur. Les gens ont tendance, en France, à faire la fine bouche sur les succès et peinent à les apprécier et ils ne tolèrent pas beaucoup l'échec. D'un autre côté, à la différence des investisseurs américains, les investisseurs européens prennent en compte toutes les dimensions - sociale, environnementale...- lorsqu'ils envisagent un investissement. Aux Etats-Unis, on ne voit pas les choses de manière aussi détaillée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2006
R - Le premier résultat concret obtenu à l'issue des entretiens fut la signature d'un accord visant à la protection et la promotion réciproques des investissements. C'est un accord qui était négocié depuis longtemps et nous l'avons signé avec M. Babacan. Cet accord revêt vraiment une grande importance car il donne un cadre légal aux entreprises souhaitant investir en Turquie. Les investisseurs cherchent toujours dans le pays où ils veulent investir, un environnement sûr, un cadre légal. Cet accord fournit une garantie sur toutes ces questions. Les investisseurs français s'intéressent plus spécifiquement aux secteurs des transports et de l'énergie et ils ont naturellement aussi un oeil sur les projets de privatisations. Dans ce contexte, les entreprises françaises telles qu'Alstom, Gaz de France, Suez, Areva ont été particulièrement intéressées par les entretiens que nous avons eus avec les ministres de l'Energie et des Transports. Elles s'intéressent de près aux grands projets comme Marmaray ou celui sur les trains à grande vitesse. Nous avons à côté de cela, les représentants du secteur des finances comme BNP Paribas, la Société Générale, Calyon qui envisagent de renforcer leurs activités en Turquie. Il y avait, par ailleurs, dans la délégation des représentants de CGM-CMA. Cette société projette de réaliser d'importants investissements dans le domaine de la gestion des infrastructures portuaires. Un autre point important, c'est que nous avons évoqué d'autres projets d'investissements importants dans le domaine de l'énergie, que ce soit pour la construction de raffineries de pétrole ou pour la distribution du gaz naturel. Avec l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, la Turquie est en passe de devenir un important terminal. La compagnie française Total s'intéresse de près aux investissements qui seront réalisés dans ce contexte. Le ministre de l'Energie m'a présenté une carte montrant que le gaz venant des pays voisins sera distribué vers les marchés depuis la Turquie. C'était très impressionnant. La Turquie pourrait devenir un corridor énergétique très important.
Q - L'importance de l'énergie nucléaire comme une alternative au pétrole et gaz naturel s'accroît de jour en jour. Dans ce contexte, la France projette-t-elle de faire des investissements en Turquie ?
R - Concernant le nucléaire, la France mène depuis près de 20 ans une politique qui avait été lancée par le général de Gaulle. La France a acquis, avec la production d'énergie nucléaire, une vraie indépendance. Nous disposons d'une importance expérience dans ce domaine. C'est une politique à long terme et la France a, sans interruption, construit des centrales nucléaires. La centrale EPR est aujourd'hui la plus avancée en termes de technologie nucléaire. Areva, Alstom et EDF s'intéressent de près aux investissements relatifs à l'énergie nucléaire en Turquie.
La Turquie a pour objectif de réduire, à l'instar des autres pays européens, sa dépendance en matière énergétique et de créer des ressources alternatives au gaz naturel et pétrole. Dans ce contexte, les ressources énergétiques renouvelables comme l'énergie solaire et éolienne gagnent aussi chaque jour autant d'importance que l'énergie nucléaire. A cet égard, nous avons décidé avec votre ministre de l'énergie de réactiver le club franco-turc de l'énergie qui existe depuis trois ou quatre ans mais qui n'était pas très actif. Ce club a pour objectif de réunir les ministères français et turc de l'Energie et d'intensifier les échanges d'informations entre les deux parties.
Q - Les exportations françaises vers la Turquie ont augmenté de 11 % l'an dernier. Comment voyez-vous l'avenir des échanges commerciaux entre les deux pays ?
R - Le rythme de développement des échanges commerciaux entre la France et la Turquie est plus rapide que celui des relations commerciales mondiales, voire des exportations françaises dans leur ensemble. La Turquie est vraiment un partenaire commercial très important pour la France.
Q - Quelles sont les principales difficultés auxquelles font face les investisseurs français en Turquie ?
R - Ce dont se plaignent surtout les investisseurs étrangers, c'est que la réglementation économique soit parfois trop lourde, qu'elle soit constamment modifiée, qu'elle ne soit pas optimale et qu'il y ait beaucoup de tracasseries administratives. Tout cela crée beaucoup de difficultés pour les investisseurs.
La sécurité alimentaire est un autre point important. La France est un pays qui accorde une très grande importance à la sécurité alimentaire. Les producteurs d'alcools et d'aliments affirment qu'il est très difficile d'exporter des produits en Turquie, en raison notamment de la réglementation sur les produits alimentaires et du taux élevé des taxes sur les vins et autres alcools. Il s'agit là d'un problème vraiment très important car plus les taxes sont élevées, plus les produits de consommation coûtent chers. Ce qui occasionne l'augmentation du nombre des contrefaçons de produit de marque. Il y a beaucoup trop de contrefaçon dans le secteur de l'alcool en particulier en Turquie - boissons alcoolisées frelatées. Tant que les taxes resteront élevées, les gens ne pourront pas acheter des produits de qualité.
Q - Comment évaluez-vous la situation économique de la Turquie ?
R - Je voudrais vous dire que j'ai été très impressionnée par les réformes économiques effectuées en Turquie. Il y a dix ans, l'inflation était environ de 60 %. Aujourd'hui, les taux d'inflation et d'intérêt sont sous contrôle. Le taux d'endettement a lui aussi diminué. Le taux de croissance s'est établi à 7,4 % en 2005. C'est vraiment une croissance importante. La politique monétaire mise en oeuvre par la Turquie est un très grand succès. Les spécialistes interprètent la dépréciation récente de la livre turque plutôt comme un rééquilibrage, car la livre s'était effectivement trop appréciée.
Q - Quels sont les impacts sur les relations économiques des tensions politiques (Chypre, question arménienne) ?
R - Je suis convaincue que les relations entre deux pays s'établissent dans la durée. La Turquie et la France ont un très long passé. La Turquie occupe une position très importante du point de vue stratégique et de l'instauration du dialogue entre les civilisations. Je pense que les questions politiques, les impatiences sont passagères. Je ne pense pas que ces problèmes puissent porter préjudice aux profondes relations entre la France et la Turquie et aux rapports économiques qui se développent un peu plus tous les jours. C'est d'ailleurs ce que pensent les 50 hommes d'affaires et les parlementaires qui m'ont accompagnée.
Q - Si l'on compare la Turquie aux dix nouveaux membres de l'Union européenne, quels sont ses points faibles ? Etes-vous optimiste quant aux aspirations européennes de la Turquie ?
R - Le marché turc est beaucoup plus grand que celui de ces nouveaux membres. La Pologne est le plus grand des nouveaux membres et elle compte 40 millions d'habitants. Tandis que la Turquie en compte 72 millions, soit près du double de la population de la Pologne. Une importante partie de la population turque travaille dans le secteur agricole. Je pense que les problèmes qui existent seront réglés au cours du processus de négociations. J'ignore combien de temps durera le processus de négociations, ni la manière dont elles se dérouleront mais je suis très optimiste sur l'adhésion de la Turquie. Je me sens ici comme chez moi.
Q - Quels sont les effets de la concurrence chinoise et indienne sur l'Europe et la Turquie ?
R - Les développements que l'on connaît dans le contexte de la mondialisation concernent de près tout le monde, à la fois les pays développés et les pays en voie de développement. Le développement rapide de la Chine est très important pour tout le monde et pas uniquement dans le sens où il arrache des millions de Chinois à la pauvreté. Ce sont là des évolutions positives qui doivent se poursuivre. C'est d'ailleurs l'objectif de l'OMC. Mais il faut adopter aussi d'autres mesures concernant les questions sociales ou l'environnement et renforcer la législation anti-dumping.
Q - Vous avez exercé comme avocate pendant très longtemps aux Etats-Unis. Quelle est, d'après vous, la principale différence entre les cultures économiques américaines et européennes ?
R - Deux points retiennent mon attention. Nous pouvons observer qu'aux Etats-Unis, les personnes sont très jeunes, orientées par les questions de la performance et de la concurrence. Ceci se ressent moins en Europe. Le deuxième point, c'est la reconnaissance du succès et la tolérance de l'échec. Aux Etats-Unis, on apprécie la réussite et on tolère l'échec. On considère l'échec comme une partie intégrante de l'aventure de l'entrepreneur. Les gens ont tendance, en France, à faire la fine bouche sur les succès et peinent à les apprécier et ils ne tolèrent pas beaucoup l'échec. D'un autre côté, à la différence des investisseurs américains, les investisseurs européens prennent en compte toutes les dimensions - sociale, environnementale...- lorsqu'ils envisagent un investissement. Aux Etats-Unis, on ne voit pas les choses de manière aussi détaillée.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2006