Interview de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, dans "Les Echos" le 3 juillet 2006, sur les négociations sur le cycle de Doha, sur l'ouverture des marchés industriels des pays en développement.

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Q - Quelques semaines suffiront-elles à la représentation américaine au Commerce pour convaincre le Congrès de la nécessité d'assouplir les positions américaines ?
R - Susan Schwab prend en route ces négociations sur le cycle de Doha. Elle a besoin de se forger un "pedigree" de négociateur ferme. Si on part de ce principe, on peut espérer qu'elle pourra, d'ici à quelques semaines, revenir dans ces pourparlers avec de nouvelles marges de manoeuvre. Le risque est que cela ne soit pas qu'une question de posture personnelle et que Susan Schwab soit véritablement sous contrainte. Ce n'est pas très encourageant à ce stade des négociations, sachant que si tout n'est pas bouclé sur les dossiers agricoles et industriels d'ici à la fin de juillet, ce sera très difficile. Les congés parlementaires américains compliquent la situation. Mais les Etats-Unis ne sont pas seuls en cause. Il n'y a pas eu l'ombre d'une avancée du G20 sur la question de la baisse des droits de douane industriels.

Q - Le commissaire européen au Commerce a pourtant dévoilé ses marges de manoeuvre dans le dossier agricole. Jusqu'où la France et les Etats membres le laisseront-ils poursuivre dans cette voie ?
R - Ces flexibilités affichées ont beau, dans l'esprit de Peter Mandelson, ne pas constituer une offre ferme, lorsqu'on commence à dévoiler ses cartes, il est difficile de revenir en arrière. Toute la difficulté est de savoir comment Peter Mandelson parvient à un taux moyen de réduction de nos tarifs agricoles de 51 %. Il va falloir que la direction de l'agriculture de la Commission nous donne des précisions et nous confirme que nous ne sommes pas en train de laisser s'effondrer les filières bovines, laitières ou celles des fruits et légumes. Nous sommes préoccupés sur le fond des propositions et pas satisfaits sur la forme. La tactique du commissaire est toujours la même : avancer en terrain découvert, en étant seul sur le terrain. Cela ne rapporte rien à l'Europe.
Q - Avez-vous l'espoir de trouver un point de convergence avec les pays en développement sur la baisse des droits de douane industriels et la libéralisation des services ?
R - Nous restons attachés à une ouverture effective des marchés industriels des pays en développement. Or nos positions restent très éloignées. Il est désespérant d'entendre le ministre des Affaires étrangères brésilien, Celso Amorim, dire que même la voie médiane n'est pas acceptable. Avec les flexibilités que se réserveront les pays en développement pour protéger certains pans de leur industrie, les niveaux de baisse de tarifs envisagés ne nous offriront rien comme accès supplémentaire à leurs marchés. Nous sommes nombreux en Europe, à faire le même constat, y compris en Allemagne.

Q - Face à un cycle qui s'annonce décevant, n'est-il pas temps de relancer la stratégie européenne en matière d'accords bilatéraux ?
R - Le multilatéralisme est préférable pour tout le monde. Mais si nous n'arrivons pas à trouver la voie d'un bon accord multilatéral et, dans la mesure où d'autres acteurs sont en train de mettre en place un plan B en négociant de tels accords, l'Union européenne ne doit pas rester en arrière.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juillet 2006