Texte intégral
M. Tronchot - On vous imagine peut-être déçu, comme beaucoup, par les résultats de la Conférence de Rome. Est-ce un coup pour rien ou un début dont il faut se contenter ?
R - C'est un échec et il est regrettable parce que nous sommes à un moment où le conflit s'accentue, devient plus meurtrier, on l'a vu pour les populations civiles, on le voit aussi pour les forces engagées, notamment israéliennes mais aussi celles du Hezbollah. Et puis, on voit qu'il est meurtrier, surtout pour les populations civiles. Donc, Rome, ce devait être l'occasion de la proclamation d'un cessez-le-feu immédiat qui aurait pu ensuite être traduit dans une résolution par le Conseil de sécurité. Au lieu de cela, on a vu la volonté américaine de ne rien faire, et donc, de laisser faire.
Q - Les Etats-Unis portent la responsabilité de cet échec ?
R - Oui, sans doute n'avons-nous pas su non plus convaincre. Il aurait fallu peut-être davantage mobiliser les pays arabes notamment, faire en sorte que les pays européens - cruels absents quand même de cet empêchement de conflit, l'Europe devait parler plus fort et d'une seul voix. Bref, aujourd'hui, il y a cet échec, il faut essayer de le dépasser. Comment ? En revenant sur la seule position qui peut être entendue par la communauté internationale : le cessez-le-feu immédiat. Parce que c'est une logique de guerre qui est aujourd'hui en marche et c'est vrai que les Israéliens veulent la conduire pour éliminer le Hezbollah, et c'est vrai aussi que le Hezbollah a pris la responsabilité de provoquer Israël, et encore aujourd'hui. Il faut donc aller vers un accord politique permettant de cesser le feu.
Q - Vous avez lu l'interview du président de la République dans le Monde ; on parle de "plan Chirac". Avez-vous quelque chose à ajouter à ce plan ? Peut-il être celui d'une France politique unie, ou manque-t-il des éléments essentiels ou qui vous laissent un peu réservé ?
R - D'abord, les objectifs qui sont posés sont justes, notamment l'exigence d'un cessez-le-feu, la nécessité d'un accord politique pour permettre l'envoi d'une force d'interposition, faire en sorte que cette force d'interposition puisse avoir les moyens d'agir et donc d'être sous le drapeau de l'ONU. Envoyer cette force d'interposition aussi bien sur la frontière libano-israélienne que syro-libanaise, et même l'envoyer sous une autre forme en Palestine. Bref, il y a là des éléments qui peuvent être des conditions politiques. Ensuite, il faut convaincre. Peut-être que là-dessus, la France aurait dû, depuis plus longtemps, pas simplement maintenant, faire en sorte que le Liban puisse avoir son intégrité préservée de toute influence. Peut-être que la France aurait dû, avec les Européens, essayer de faire comprendre aux Israéliens qu'une solution militaire ne pouvait pas avoir sa place, notamment dans ce contexte particulier, né de la guerre en Irak. Bref, aujourd'hui, il n'est temps d'avoir des regrets, il faut agir, et chaque fois que c'est l'intérêt, non seulement de la France mais l'intérêt de la paix, il faut faire en sorte que l'union, le rassemblement puisse permettre à la France de parler d'une voix forte.
Q - Vous diriez, comme le président de la République, que le Hezbollah désarmé a vocation à être une force politique au Liban ?
R - Le problème, c'est qu'il n'est pas désarmé, qu'il est aujourd'hui une force militaire qui entraîne le Liban dans la guerre contre son gré. C'est pourquoi il faut effectivement qu'il y ait d'abord un accord entre Libanais. Je suis allé au Liban il y a plus d'un an, après la mort d'Hariri, c'était déjà le message qui nous était envoyé. C'est vrai aussi que le Hezbollah a pris une grave responsabilité en entraînant, peut-être sous la pression de la Syrie ou de l'Iran, un conflit dont Israël s'est saisi pour justement essayer d'éradiquer le Hezbollah et assurer sa propre sécurité. Nous sommes là dans une logique, on la voit bien, à nous de la prévenir. Je le dis ici : chaque fois que la France peut parler d'une voix forte pour permettre une solution politique, car il n'y a pas de solution militaire au Liban, nous, socialistes, nous jouerons tout notre rôle.
Q - Droite et gauche, vous l'avez dit, peuvent être unis sur des positions justes - ce n'est pas fréquent d'entendre cela. Le consensus, la politique n'aime pas trop cela ?
R - Mais il y a des moments où il faut, non pas être dans le consensus mais être dans la responsabilité. Je rappelle que les socialistes l'avaient été dans cette responsabilité, au moment où il y avait les possibilités d'une intervention française en Irak, où c'était une hypothèse qui était envisagée, au sein même de la majorité, disons-le, comme aujourd'hui. On sent bien qu'il y a des divisions au sein de la majorité, y compris sur la question d'Israël et du Hezbollah. Mais nous, nous voulons, parce c'est l'intérêt, beaucoup plus que de la France, et en l'occurrence pas l'intérêt d'un parti, faire prévaloir des principes qui me paraissent justes. Et moi, je m'honore que la gauche, et notamment le PS, soit capable de mener son opposition nettement, clairement, quand il s'agit de la politique intérieure et même quelquefois de la politique européenne ou de la politique extérieure mais quand nous sommes sur des grands sujets, sur des grandes causes, je m'honore à ce que nous soyons unis.
Q - Le maintien ou l'accentuation possible d'une tension internationale comme celle que nous vivons, n'imposent-ils pas aux forces politiques en France, à droite comme à gauche, de retarder certains processus, le processus de désignation, par exemple, de candidats à une élection présidentielle ?
R - Non. Je crois que ce serait d'ailleurs rendre un mauvais service à la cause que nous voulons défendre, celle de la paix, notamment le plus vite possible le cessez-le-feu au Moyen-Orient, en y mettant, justement, des considérations de politique intérieure. Le débat de politique intérieure doit avoir lieu, la préparation de l'élection présidentielle est maintenant engagée, chacun le sait. Nous avons des sujets comme Gaz de France, le projet de loi audiovisuelle, la politique économique et sociale, les tarifs publics pour cette rentrée, le pouvoir d'achat, le prix de l'essence. Bref, tout cela justifie une politique différente d'aujourd'hui mais il y a des moments où il faut être sur l'essentiel. Nous sommes sur l'essentiel mais nous ne nous laissons pas imposer, par je ne sais quelle situation internationale grave, d'autres calendriers que ceux que nous avons choisis.
Q - Ce que je voulais dire, c'est qu'un consensus autour du président de la République dans un contexte international fort, n'est pas forcément un bon contexte pour donner libre cours à des rivalités entre candidats à la présidence, socialiste ou autres.
R - Il faut faire attention - je le dis d'ailleurs aux plus hautes autorités du pays -, autant il est nécessaire de trouver les voies communes pour une sortie de crise au Proche-Orient, autant toute utilisation de cette situation à des fins de politiques intérieures, à mon avis, serait blâmable et condamnable, et d'ailleurs condamnée par l'opinion publique.
Q - Donc pas de changement de planning concernant le processus de désignation ?
R - Ce sera notre affaire, on verra bien quelle est la situation mais aujourd'hui, nous sommes dans une situation qui ne justifie pas que nous soyons en suspension, au contraire, je pense que les Français ont besoin de sentir qu'il y a une alternative, d'espérer un changement en 2007. Il y a une situation internationale, je ne sais pas ce qu'elle sera en 2007, mais de toute manière, vous le voyez d'ailleurs, à travers les prises de position qui sont celles du PS, nous ferons face. Nous sommes en capacité de diriger le pays aussi bien sur la politique intérieure que sur la politique extérieure.
Q - Le groupe parlementaire socialiste fourbit ses armes en prévision du débat autour de la privatisation de GDF. On ne sait d'ailleurs plus très bien sur quoi on vous demandera de voter. Une solution alternative à la privatisation complète est à l'étude, elle est étudiée ; vous paraît-elle intéressante ?
R - En cette matière comme en d'autres, je ne crois pas au plan B. Il n'y a qu'un plan "P" pour GDF ; ce plan "P", c'est le plan de la privatisation. Il y a une rivalité au sein de la majorité pour savoir comment faire, entre D. de Villepin et N. Sarkozy ; les uns voudraient une fusion, les autres un démantèlement de GDF, c'est la même chose, c'est la privatisation. C'est pourquoi, nous, les socialistes, nous allons nous battre dès cette rentrée, non pas pour simplement un autre projet mais pour empêcher la privatisation de GDF. Pourquoi ? Pour deux raisons. Une raison que chacun peut comprendre aujourd'hui d'indépendance énergétique de la France. Chacun voit les conséquences de ce qui se passe au Proche-Orient sur le prix du carburant, sur les prix de l'énergie. Il faut donc garder GDF et, bien sûr, EDF dans le giron public, c'est-à-dire avec un capital public à 100 %. Pour GDF, déjà, c'est 70 %, il faut garder ce chiffre. Ensuite, il y a une deuxième raison qui est une raison environnementale : chacune sent aussi les conséquences d'une gestion folle de l'environnement, c'est-à-dire le réchauffement de la planète, et là aussi, nous avons besoin d'outils publics ; GDF est un outil public. Donc nous nous battrons pour empêcher la privatisation de GDF.
Q - A partir de combien d'amendements cette discussion devient-elle de l'obstruction ?
R - Nous posons des amendements, d'abord, pour qu'il y ait un vrai débat, pour démasquer aussi un certain nombre de comportements, et notamment celui de N. Sarkozy. C'est quand même invraisemblable qu'un ministre du Gouvernement, numéro deux, président de l'UMP, que l'on ne sache pas sa position ? Oui plutôt si : on la connaissait sa position, car il y a deux ans, il avait fait voter une loi d'ouverture du capital de GDF à 70 %. Et maintenant, on le sent gêné, on le sent finalement contraint...
Q - Vous lui demandez une clarification ?
R - On lui demande de dire quelle est sa position. De toute manière, on sait qu'il est pour la privatisation mais qu'au moins, il l'assume !
Q - Vous voulez faire à D. de Villepin le coup du CPE économique ? On entend parfois cette expression.
R - Je pense que D. de Villepin prend un grave risque. Il sait qu'il est à la fin de son parcours gouvernemental, nous sommes à quelques mois d'une élection décisive. Il sait ce qui s'est passé avec le CPE, il sait même ce qu'il lui en a coûté de passer en force avec le 49-3 ; il récidive avec la privatisation de GDF. Il est encore temps pour lui de se sortir de ce mauvais pas.
Q - N'avez-vous pas intérêt à attendre d'y voir plus clair à droite et que certaines positions soient clarifiées, avant de vous lancer dans vos propres comptes ou vos propres débats puisque, d'une certaine manière, au PS, vous arrivez plutôt à faire votre unité contre N. Sarkozy ?
R - D'abord, nous faisons notre unité sur le projet des socialistes. Vous avez relevé que nous l'avons approuvé à l'unanimité, en faisant voter nos militants, beaucoup nombreux aujourd'hui qu'il y a quelques mois. Nous sommes unis, pas simplement pour battre la droite mais pour préparer une alternative à gauche. Nous sommes unis pour désigner notre candidat ou notre candidate par un vote militant qui sera transparent et clair, et nous avons à choisir ce candidat ou cette candidate au mois de novembre. Pour l'instant, c'est notre calendrier. A partir de là, nous ne sommes pas sous la précipitation, nous ne sommes pas dans le miroir des autres. Il y a les divisions à droite, il y a les jeux personnels, on voit bien celui de N. Sarkozy qui est devenu un vendeur de livres d'été ; nous les laissons faire. Mais ce que nous ne voulons pas, c'est que ce soit au détriment de intérêt du pays. Et en l'occurrence, leur rivalité aboutit à ce que GDF puisse être pris en otage et privatisé demain, nous ne le souhaitons pas.
Q - Vous allez mobiliser, faire front commun, appeler à manifester, allez-vous vraiment sortir la grosse artillerie ?
R - A la rentrée, nous le ferons. D'abord au plan parlementaire, à travers un débat, des amendements. Nous le ferons aussi au plan politique. Nous allons rassembler toute la gauche, pas seulement sur cette question, mais elle figurera à notre ordre du jour, et puis nous allons aussi appeler les Français à se mobiliser. Je crois qu'il est très important que chacun comprenne, usager de l'électricité et du gaz, que nous ne pouvons pas laisser des outils aussi essentiels pour notre indépendance, pour notre mode de vie, être ainsi dilapidés, mis à l'encan, laissés aux intérêts privés.
Q - Certains socialistes, pourtant, si je me souviens, n'étaient pas contre l'ouverture du marché de l'énergie ; monsieur Fabius, monsieur Strauss-Kahn...
R - Ils ont dû réfléchir et je pense que leur réflexion leur a été précieuse. Il y a des moments où il faut savoir éviter d'avoir des rentrées d'argent facile par des privatisations et garder les instruments d'intervention publique qui sont bien précieux, justement, dans des moments où il y a des instabilités sur le marché de l'énergie et puis aussi, la préservation de notre environnement. Et puisque j'évoquais le rassemblement de la gauche, il doit se faire bien sûr, pour empêcher, mais il doit surtout se faire pour proposer.
Q - Allez-vous accepter la rencontre que vous propose M.-G. Buffet à la rentrée ?
R - Je lui avais demandé, elle y a répondu positivement. Nous allons nous voir, d'abord, entre le Parti socialiste et Parti communiste, comme je vois les Verts, les Radicaux de gauche, les amis de J.-P. Chevènement, parce qu'il faut se rassembler face à une situation de grande confusion politique, de doute. Nous ferons cette réunion à la rentrée et je vais proposer un ordre du jour simple. Nous avons dit ce qu'il fallait penser de tel ou tel projet du Gouvernement, bien sûr, nous aurons à mettre cela à notre ordre du jour. Mais l'ordre du jour le plus simple possible, c'est de nous mettre d'accord sur quelques grandes propositions qui nous rassemblent tous, de façon à ce que, avec des candidatures - on verra bien lesquelles - nous les proposions au pays pour, si demain nous avions la confiance des Français, pouvoir les mettre en oeuvre au lendemain de 2007.
Q - D. Voynet est candidate ; tout le monde dit qu'il faut l'unité mais on n'a jamais eu autant de candidats...
R - Oui, je pense qu'il faut éviter que ne se reproduise ce qui s'est passé en 2002. Enfin, on a cette leçon. Si personne ne veut la voir, chacun en prendra la responsabilité ; pas moi et pas les socialistes. Donc, si l'on repart avec dix ou douze candidatures à gauche ou à l'extrême gauche, on connaît le risque. Je pense que les électeurs auront cette fois-ci la volonté de prévenir ce risque en votant utile pour le PS, pour qu'il soit au second tour et pour qu'il puisse y avoir un Président de gauche ou une Présidente de gauche, en juin 2007. Mais pour le moment, faisons en sorte qu'il y ait moins de candidats. C'est pourquoi, j'ai fait une proposition aux Radicaux de gauche, aux amis de J.-P. Chevènement, à tous ceux qui voudront nous accompagner, qu'il y ait au moins au premier tour une candidature commune, avec une contrepartie : des circonscriptions que nous pouvons partager pour les élections législatives. Si ce chemin est fait, cela évitera déjà une première dispersion. Pour le reste, faisons en sorte que le rassemblement du mois de septembre de toutes les familles de la gauche permette le meilleur désistement, le meilleur rassemblement possible pour la victoire de 2007.
Q - La crédibilité internationale, est-ce important pour les militants socialistes quand ils auront à désigner leur candidat ou leur candidate ?
R - Oui, mais cette crédibilité est fondée, là aussi, sur des principes des règles et des comportements. L'expérience compte mais quelquefois, l'expérience ne suffit pas. Donc je crois que la position que je prends au nom du PS, avec tous les responsables, aujourd'hui, je pense qu'elle est le gage du sérieux de notre candidature, quelle qu'elle soit, au moment de l'élection présidentielle. Chacun doit savoir que le futur Président, s'il est socialiste, saura parfaitement maîtriser les dossiers de politique extérieure.
Q - L. Fabius promet de grimper au sommet du mont Canigou, s'il est élu Président, vous trouvez cela sérieux ?
R - Chacun peut avoir les exercices physiques qui lui paraissent les plus conformes à ses capacités d'ascension.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2006
R - C'est un échec et il est regrettable parce que nous sommes à un moment où le conflit s'accentue, devient plus meurtrier, on l'a vu pour les populations civiles, on le voit aussi pour les forces engagées, notamment israéliennes mais aussi celles du Hezbollah. Et puis, on voit qu'il est meurtrier, surtout pour les populations civiles. Donc, Rome, ce devait être l'occasion de la proclamation d'un cessez-le-feu immédiat qui aurait pu ensuite être traduit dans une résolution par le Conseil de sécurité. Au lieu de cela, on a vu la volonté américaine de ne rien faire, et donc, de laisser faire.
Q - Les Etats-Unis portent la responsabilité de cet échec ?
R - Oui, sans doute n'avons-nous pas su non plus convaincre. Il aurait fallu peut-être davantage mobiliser les pays arabes notamment, faire en sorte que les pays européens - cruels absents quand même de cet empêchement de conflit, l'Europe devait parler plus fort et d'une seul voix. Bref, aujourd'hui, il y a cet échec, il faut essayer de le dépasser. Comment ? En revenant sur la seule position qui peut être entendue par la communauté internationale : le cessez-le-feu immédiat. Parce que c'est une logique de guerre qui est aujourd'hui en marche et c'est vrai que les Israéliens veulent la conduire pour éliminer le Hezbollah, et c'est vrai aussi que le Hezbollah a pris la responsabilité de provoquer Israël, et encore aujourd'hui. Il faut donc aller vers un accord politique permettant de cesser le feu.
Q - Vous avez lu l'interview du président de la République dans le Monde ; on parle de "plan Chirac". Avez-vous quelque chose à ajouter à ce plan ? Peut-il être celui d'une France politique unie, ou manque-t-il des éléments essentiels ou qui vous laissent un peu réservé ?
R - D'abord, les objectifs qui sont posés sont justes, notamment l'exigence d'un cessez-le-feu, la nécessité d'un accord politique pour permettre l'envoi d'une force d'interposition, faire en sorte que cette force d'interposition puisse avoir les moyens d'agir et donc d'être sous le drapeau de l'ONU. Envoyer cette force d'interposition aussi bien sur la frontière libano-israélienne que syro-libanaise, et même l'envoyer sous une autre forme en Palestine. Bref, il y a là des éléments qui peuvent être des conditions politiques. Ensuite, il faut convaincre. Peut-être que là-dessus, la France aurait dû, depuis plus longtemps, pas simplement maintenant, faire en sorte que le Liban puisse avoir son intégrité préservée de toute influence. Peut-être que la France aurait dû, avec les Européens, essayer de faire comprendre aux Israéliens qu'une solution militaire ne pouvait pas avoir sa place, notamment dans ce contexte particulier, né de la guerre en Irak. Bref, aujourd'hui, il n'est temps d'avoir des regrets, il faut agir, et chaque fois que c'est l'intérêt, non seulement de la France mais l'intérêt de la paix, il faut faire en sorte que l'union, le rassemblement puisse permettre à la France de parler d'une voix forte.
Q - Vous diriez, comme le président de la République, que le Hezbollah désarmé a vocation à être une force politique au Liban ?
R - Le problème, c'est qu'il n'est pas désarmé, qu'il est aujourd'hui une force militaire qui entraîne le Liban dans la guerre contre son gré. C'est pourquoi il faut effectivement qu'il y ait d'abord un accord entre Libanais. Je suis allé au Liban il y a plus d'un an, après la mort d'Hariri, c'était déjà le message qui nous était envoyé. C'est vrai aussi que le Hezbollah a pris une grave responsabilité en entraînant, peut-être sous la pression de la Syrie ou de l'Iran, un conflit dont Israël s'est saisi pour justement essayer d'éradiquer le Hezbollah et assurer sa propre sécurité. Nous sommes là dans une logique, on la voit bien, à nous de la prévenir. Je le dis ici : chaque fois que la France peut parler d'une voix forte pour permettre une solution politique, car il n'y a pas de solution militaire au Liban, nous, socialistes, nous jouerons tout notre rôle.
Q - Droite et gauche, vous l'avez dit, peuvent être unis sur des positions justes - ce n'est pas fréquent d'entendre cela. Le consensus, la politique n'aime pas trop cela ?
R - Mais il y a des moments où il faut, non pas être dans le consensus mais être dans la responsabilité. Je rappelle que les socialistes l'avaient été dans cette responsabilité, au moment où il y avait les possibilités d'une intervention française en Irak, où c'était une hypothèse qui était envisagée, au sein même de la majorité, disons-le, comme aujourd'hui. On sent bien qu'il y a des divisions au sein de la majorité, y compris sur la question d'Israël et du Hezbollah. Mais nous, nous voulons, parce c'est l'intérêt, beaucoup plus que de la France, et en l'occurrence pas l'intérêt d'un parti, faire prévaloir des principes qui me paraissent justes. Et moi, je m'honore que la gauche, et notamment le PS, soit capable de mener son opposition nettement, clairement, quand il s'agit de la politique intérieure et même quelquefois de la politique européenne ou de la politique extérieure mais quand nous sommes sur des grands sujets, sur des grandes causes, je m'honore à ce que nous soyons unis.
Q - Le maintien ou l'accentuation possible d'une tension internationale comme celle que nous vivons, n'imposent-ils pas aux forces politiques en France, à droite comme à gauche, de retarder certains processus, le processus de désignation, par exemple, de candidats à une élection présidentielle ?
R - Non. Je crois que ce serait d'ailleurs rendre un mauvais service à la cause que nous voulons défendre, celle de la paix, notamment le plus vite possible le cessez-le-feu au Moyen-Orient, en y mettant, justement, des considérations de politique intérieure. Le débat de politique intérieure doit avoir lieu, la préparation de l'élection présidentielle est maintenant engagée, chacun le sait. Nous avons des sujets comme Gaz de France, le projet de loi audiovisuelle, la politique économique et sociale, les tarifs publics pour cette rentrée, le pouvoir d'achat, le prix de l'essence. Bref, tout cela justifie une politique différente d'aujourd'hui mais il y a des moments où il faut être sur l'essentiel. Nous sommes sur l'essentiel mais nous ne nous laissons pas imposer, par je ne sais quelle situation internationale grave, d'autres calendriers que ceux que nous avons choisis.
Q - Ce que je voulais dire, c'est qu'un consensus autour du président de la République dans un contexte international fort, n'est pas forcément un bon contexte pour donner libre cours à des rivalités entre candidats à la présidence, socialiste ou autres.
R - Il faut faire attention - je le dis d'ailleurs aux plus hautes autorités du pays -, autant il est nécessaire de trouver les voies communes pour une sortie de crise au Proche-Orient, autant toute utilisation de cette situation à des fins de politiques intérieures, à mon avis, serait blâmable et condamnable, et d'ailleurs condamnée par l'opinion publique.
Q - Donc pas de changement de planning concernant le processus de désignation ?
R - Ce sera notre affaire, on verra bien quelle est la situation mais aujourd'hui, nous sommes dans une situation qui ne justifie pas que nous soyons en suspension, au contraire, je pense que les Français ont besoin de sentir qu'il y a une alternative, d'espérer un changement en 2007. Il y a une situation internationale, je ne sais pas ce qu'elle sera en 2007, mais de toute manière, vous le voyez d'ailleurs, à travers les prises de position qui sont celles du PS, nous ferons face. Nous sommes en capacité de diriger le pays aussi bien sur la politique intérieure que sur la politique extérieure.
Q - Le groupe parlementaire socialiste fourbit ses armes en prévision du débat autour de la privatisation de GDF. On ne sait d'ailleurs plus très bien sur quoi on vous demandera de voter. Une solution alternative à la privatisation complète est à l'étude, elle est étudiée ; vous paraît-elle intéressante ?
R - En cette matière comme en d'autres, je ne crois pas au plan B. Il n'y a qu'un plan "P" pour GDF ; ce plan "P", c'est le plan de la privatisation. Il y a une rivalité au sein de la majorité pour savoir comment faire, entre D. de Villepin et N. Sarkozy ; les uns voudraient une fusion, les autres un démantèlement de GDF, c'est la même chose, c'est la privatisation. C'est pourquoi, nous, les socialistes, nous allons nous battre dès cette rentrée, non pas pour simplement un autre projet mais pour empêcher la privatisation de GDF. Pourquoi ? Pour deux raisons. Une raison que chacun peut comprendre aujourd'hui d'indépendance énergétique de la France. Chacun voit les conséquences de ce qui se passe au Proche-Orient sur le prix du carburant, sur les prix de l'énergie. Il faut donc garder GDF et, bien sûr, EDF dans le giron public, c'est-à-dire avec un capital public à 100 %. Pour GDF, déjà, c'est 70 %, il faut garder ce chiffre. Ensuite, il y a une deuxième raison qui est une raison environnementale : chacune sent aussi les conséquences d'une gestion folle de l'environnement, c'est-à-dire le réchauffement de la planète, et là aussi, nous avons besoin d'outils publics ; GDF est un outil public. Donc nous nous battrons pour empêcher la privatisation de GDF.
Q - A partir de combien d'amendements cette discussion devient-elle de l'obstruction ?
R - Nous posons des amendements, d'abord, pour qu'il y ait un vrai débat, pour démasquer aussi un certain nombre de comportements, et notamment celui de N. Sarkozy. C'est quand même invraisemblable qu'un ministre du Gouvernement, numéro deux, président de l'UMP, que l'on ne sache pas sa position ? Oui plutôt si : on la connaissait sa position, car il y a deux ans, il avait fait voter une loi d'ouverture du capital de GDF à 70 %. Et maintenant, on le sent gêné, on le sent finalement contraint...
Q - Vous lui demandez une clarification ?
R - On lui demande de dire quelle est sa position. De toute manière, on sait qu'il est pour la privatisation mais qu'au moins, il l'assume !
Q - Vous voulez faire à D. de Villepin le coup du CPE économique ? On entend parfois cette expression.
R - Je pense que D. de Villepin prend un grave risque. Il sait qu'il est à la fin de son parcours gouvernemental, nous sommes à quelques mois d'une élection décisive. Il sait ce qui s'est passé avec le CPE, il sait même ce qu'il lui en a coûté de passer en force avec le 49-3 ; il récidive avec la privatisation de GDF. Il est encore temps pour lui de se sortir de ce mauvais pas.
Q - N'avez-vous pas intérêt à attendre d'y voir plus clair à droite et que certaines positions soient clarifiées, avant de vous lancer dans vos propres comptes ou vos propres débats puisque, d'une certaine manière, au PS, vous arrivez plutôt à faire votre unité contre N. Sarkozy ?
R - D'abord, nous faisons notre unité sur le projet des socialistes. Vous avez relevé que nous l'avons approuvé à l'unanimité, en faisant voter nos militants, beaucoup nombreux aujourd'hui qu'il y a quelques mois. Nous sommes unis, pas simplement pour battre la droite mais pour préparer une alternative à gauche. Nous sommes unis pour désigner notre candidat ou notre candidate par un vote militant qui sera transparent et clair, et nous avons à choisir ce candidat ou cette candidate au mois de novembre. Pour l'instant, c'est notre calendrier. A partir de là, nous ne sommes pas sous la précipitation, nous ne sommes pas dans le miroir des autres. Il y a les divisions à droite, il y a les jeux personnels, on voit bien celui de N. Sarkozy qui est devenu un vendeur de livres d'été ; nous les laissons faire. Mais ce que nous ne voulons pas, c'est que ce soit au détriment de intérêt du pays. Et en l'occurrence, leur rivalité aboutit à ce que GDF puisse être pris en otage et privatisé demain, nous ne le souhaitons pas.
Q - Vous allez mobiliser, faire front commun, appeler à manifester, allez-vous vraiment sortir la grosse artillerie ?
R - A la rentrée, nous le ferons. D'abord au plan parlementaire, à travers un débat, des amendements. Nous le ferons aussi au plan politique. Nous allons rassembler toute la gauche, pas seulement sur cette question, mais elle figurera à notre ordre du jour, et puis nous allons aussi appeler les Français à se mobiliser. Je crois qu'il est très important que chacun comprenne, usager de l'électricité et du gaz, que nous ne pouvons pas laisser des outils aussi essentiels pour notre indépendance, pour notre mode de vie, être ainsi dilapidés, mis à l'encan, laissés aux intérêts privés.
Q - Certains socialistes, pourtant, si je me souviens, n'étaient pas contre l'ouverture du marché de l'énergie ; monsieur Fabius, monsieur Strauss-Kahn...
R - Ils ont dû réfléchir et je pense que leur réflexion leur a été précieuse. Il y a des moments où il faut savoir éviter d'avoir des rentrées d'argent facile par des privatisations et garder les instruments d'intervention publique qui sont bien précieux, justement, dans des moments où il y a des instabilités sur le marché de l'énergie et puis aussi, la préservation de notre environnement. Et puisque j'évoquais le rassemblement de la gauche, il doit se faire bien sûr, pour empêcher, mais il doit surtout se faire pour proposer.
Q - Allez-vous accepter la rencontre que vous propose M.-G. Buffet à la rentrée ?
R - Je lui avais demandé, elle y a répondu positivement. Nous allons nous voir, d'abord, entre le Parti socialiste et Parti communiste, comme je vois les Verts, les Radicaux de gauche, les amis de J.-P. Chevènement, parce qu'il faut se rassembler face à une situation de grande confusion politique, de doute. Nous ferons cette réunion à la rentrée et je vais proposer un ordre du jour simple. Nous avons dit ce qu'il fallait penser de tel ou tel projet du Gouvernement, bien sûr, nous aurons à mettre cela à notre ordre du jour. Mais l'ordre du jour le plus simple possible, c'est de nous mettre d'accord sur quelques grandes propositions qui nous rassemblent tous, de façon à ce que, avec des candidatures - on verra bien lesquelles - nous les proposions au pays pour, si demain nous avions la confiance des Français, pouvoir les mettre en oeuvre au lendemain de 2007.
Q - D. Voynet est candidate ; tout le monde dit qu'il faut l'unité mais on n'a jamais eu autant de candidats...
R - Oui, je pense qu'il faut éviter que ne se reproduise ce qui s'est passé en 2002. Enfin, on a cette leçon. Si personne ne veut la voir, chacun en prendra la responsabilité ; pas moi et pas les socialistes. Donc, si l'on repart avec dix ou douze candidatures à gauche ou à l'extrême gauche, on connaît le risque. Je pense que les électeurs auront cette fois-ci la volonté de prévenir ce risque en votant utile pour le PS, pour qu'il soit au second tour et pour qu'il puisse y avoir un Président de gauche ou une Présidente de gauche, en juin 2007. Mais pour le moment, faisons en sorte qu'il y ait moins de candidats. C'est pourquoi, j'ai fait une proposition aux Radicaux de gauche, aux amis de J.-P. Chevènement, à tous ceux qui voudront nous accompagner, qu'il y ait au moins au premier tour une candidature commune, avec une contrepartie : des circonscriptions que nous pouvons partager pour les élections législatives. Si ce chemin est fait, cela évitera déjà une première dispersion. Pour le reste, faisons en sorte que le rassemblement du mois de septembre de toutes les familles de la gauche permette le meilleur désistement, le meilleur rassemblement possible pour la victoire de 2007.
Q - La crédibilité internationale, est-ce important pour les militants socialistes quand ils auront à désigner leur candidat ou leur candidate ?
R - Oui, mais cette crédibilité est fondée, là aussi, sur des principes des règles et des comportements. L'expérience compte mais quelquefois, l'expérience ne suffit pas. Donc je crois que la position que je prends au nom du PS, avec tous les responsables, aujourd'hui, je pense qu'elle est le gage du sérieux de notre candidature, quelle qu'elle soit, au moment de l'élection présidentielle. Chacun doit savoir que le futur Président, s'il est socialiste, saura parfaitement maîtriser les dossiers de politique extérieure.
Q - L. Fabius promet de grimper au sommet du mont Canigou, s'il est élu Président, vous trouvez cela sérieux ?
R - Chacun peut avoir les exercices physiques qui lui paraissent les plus conformes à ses capacités d'ascension.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2006