Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec France inter le 3 août 2006, sur le rapprochement franco-américain à l'ONU sur le projet de résolution de règlement du conflit israélo-libanais, les positions d'Israël et du Liban, le rôle de l'Iran dans la région ainsi que celui de la Syrie.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Confirmez-vous le rapprochement franco-américain concernant le projet de résolution appelant la cessation des hostilités ? Y-a-t-il des progrès là-dessus ?
R - Nous travaillons jour et nuit pour qu'une résolution soit votée le plus vite possible. Nous avons présenté une résolution en trois temps, le triptyque français : c'est-à-dire cessation immédiate des hostilités, accord politique qui permette un cessez-le-feu durable, et ce n'est uniquement que s'il y a un cessez-le-feu durable, que nous envisagerions de participer à une force internationale, sous mandat de l'Onu, pour permettre à l'armée libanaise de se déployer au Sud-Liban. Et c'est là où nous avons une différence : nous souhaitons qu'il y ait un accord politique préalable. C'est la raison pour laquelle nous ne sommes pas allés à la réunion sur cette force internationale, qui avait initialement été prévue cette semaine.

Q - Et d'ici lundi, est-ce que les différends pourront être réglés ?
R - Nous faisons tout pour cela. Nous avons sur la table un certain nombre de sujets. Il y a d'abord la résolution 1559, c'est-à-dire le désarmement du Hezbollah par des voies politiques. Je signale qu'à ce sujet le plan libanais est proche du plan français. Dans ce plan libanais, figure l'acceptation par tous les membres du gouvernement libanais, y compris ceux du Hezbollah, de ce qu'on appelle les Accords de Taëf, c'est-à-dire le désarmement des milices libanaises.

Q - Est-ce qu'il n'y a pas un paradoxe français à vouloir un développement rapide d'une force internationale et en même temps bloquer les réunions techniques sur le sujet. Vous disiez qu'il n'était pas question de participer à la réunion qui devait avoir lieu hier ?
R - Le paradoxe n'existe pas. La France ne veut pas, comme vous venez de le dire, d'une force internationale tout de suite. Nous voulons un accord politique rapide. Nous pensons que déployer l'armée française ou d'autres armées étrangères au Sud-Liban, en pleine guerre, sans cessez-le-feu, sans accord politique, c'est mettre le doigt dans un engrenage qui est très dangereux. Pourquoi ? Parce que nous ne pensons pas qu'une solution militaire soit possible pour désarmer le Hezbollah. Regardez ce qui se passe aujourd'hui : les Israéliens qui connaissent chaque mètre carré de cet endroit du monde, le Sud-Liban, n'y arrivent pas. Comment voulez-vous que des armées étrangères, fussent-elles françaises puissent rapidement y parvenir, alors que les Israéliens n'y arrivent pas ? Il ne faut pas revivre un scénario à l'irakienne, c'est-à-dire ne pas se rendre compte qu'un accord politique entre toutes les parties est nécessaire avant la mise en place d'une force internationale. Autrement dit, il faut respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance d'un pays.

Q - Apparemment les Américains exercent de grosses pressions sur la partie française, justement pour envoyer des troupes sur place. Comment ça se passe à l'Onu ?
R - Nous avons présenté notre projet de résolution, comme vous le savez, il y a plus de trois jours. Nos idées, avec ce calendrier précis, sont en train de faire leur chemin. Pourquoi ? Parce que l'Union européenne les soutient totalement. Avant-hier, à Bruxelles, les Vingt-Cinq, à l'unanimité, y compris le Royaume-Uni et l'Allemagne, ce qui est important, me semble-t-il, sont d'accord pour dire "cessation des hostilités", accord politique, et, uniquement s'il y a accord politique, force internationale.
Ensuite il y a le Liban. Le Liban reprend exactement nos propositions. Restent nos partenaires américains avec lesquels nous travaillons jour et nuit et avec lesquels nous avançons à une résolution commune. Mais nous n'y sommes pas encore ; il y a encore du chemin à faire.

Q - Dans le Monde daté de demain, Ehud Olmert affirme qu'il n'y a pas de limite à l'offensive. On a l'impression effectivement que tout est ouvert.
R - Je crois qu'Israël a tout intérêt à avoir un gouvernement libanais fort, comme d'ailleurs une autorité palestinienne forte.
Nous avons intérêt aujourd'hui à demander rapidement une cessation des combats, sachant que ces combats font plus de victimes chez les enfants que chez les militaires et que le seuil d'un million de personnes déplacées - essentiellement des femmes et des enfants - a été dépassé. Lorsque l'on voit qu'il y a plus de 800 tués, je pense qu'il faut maintenant suivre ce que la France dit depuis le début des hostilités : il faut cesser les hostilités et se mettre autour d'une table.
Nous avons tous les éléments de sortie de crise : ce sont les prisonniers libanais, les prisonniers israéliens ; ce sont les fermes de Chebaa, ce sont les frontières entre les deux pays. J'ai rencontré Nabih Berry, le président du Parlement libanais, et les Premiers ministres israélien et libanais. J'ai également rencontré le ministre des Affaires étrangères iranien. Je crois que la voie diplomatique existe, encore faut-il le vouloir et arrêter dans un premier temps les hostilités. C'est ce que la France demande d'urgence.

Q - Dimanche vous disiez que l'Iran jouait un rôle stabilisateur dans la région, vous avez depuis un peu tempéré ces propos, Il y a quelques minutes, le président Ahmadinejab vient à nouveau de dire qu'il faudrait détruire Israël pour trouver une solution à la crise, on est toujours dans la provocation de la part de l'Iran.
R - Je condamne ces mots qui sont inacceptables de la part de qui que ce soit, et a fortiori d'un chef d'Etat, bien évidemment comme nous l'avons toujours fait. Ce que j'ai dit, c'est que nous avons décidé, à Paris le 12 juillet, que l'Iran devrait être sanctionné par le Conseil de sécurité des Nations unies, sous le chapitre VII, article 41, de la charte des Nations unies, s'il ne répond pas à l'offre positive que nous lui avons faite sur le dossier nucléaire. C'est faire preuve de beaucoup de fermeté. Je dis à l'Iran, d'ici le 22 août, date que nous avons donnée à l'Iran pour répondre, que c'est le moment ou jamais pour lui de montrer qu'il veut jouer un rôle positif et stabilisateur dans la région. Si l'Iran ne le fait pas, et les propos de M. Ahmadinejad ce matin me confirment que ce n'est pas le cas, non seulement je le regrette, mais ce serait très grave pour la communauté internationale. Ce sera l'isolement de l'Iran et c'est quelque chose que je ne pourrais pas accepter. Je ferai tout jusqu'au dernier moment, jusqu'au 22 août, avec mes partenaires, comme ma collègue britannique, qui s'est entretenue au téléphone récemment avec son collègue iranien, pour dire à l'Iran "réfléchissez, restez dans la communauté internationale et ne vous isolez pas". C'est mon rôle de ministre des Affaires étrangères. S'ils ne le font pas, ce serait catastrophique.

Q - Vous avez déclaré récemment qu'il n'était pas utile et souhaitable de parler à la Syrie. Est-ce que vous restez sur cette position alors que les Espagnols et les Allemands viennent très récemment d'ouvrir des canaux de discussion avec le régime de Damas.
R - Oui, je reste sur cette position puisque, autant l'Iran est un grand peuple, un grand pays, une grande civilisation qui souhaite jouer un rôle dans la région et avec lequel nous avons ce dossier nucléaire pour lequel il faut une grande fermeté, autant je crois qu'il n'est pas souhaitable de parler avec la Syrie. Et d'ailleurs nous avons avec la Syrie un autre calendrier qui est celui de la commission internationale qui vise à connaître quel a été son rôle dans les différents assassinats des personnalités libanaises, ou des journalistes libanais, qui ont eu lieu. Le juge Brammertz fait son travail actuellement. C'est une commission internationale de justice et nous ne souhaitons pas, à l'occasion de discussions avec les Syriens, aborder d'autres sujets.

Q - Israël affirme que la France devrait envoyer une avant-garde à la frontière israélo-libanaise. Quelle est la position de Paris ?
R - Je vous l'ai dit et je vous le redis. Je crois qu'il est vraiment important de comprendre le message du président de la République. Il a dit à plusieurs reprises qu'il n'était pas question pour la France d'accepter de participer à une réunion sur une éventuelle force internationale qui serait déployée à la frontière entre Israël et le Liban, au Sud-Liban, tant que nous n'aurions pas les conditions politiques d'un cessez-le-feu durable. Regardez ce qui se passe en Irak, regardez ce qui se passe chaque fois que vous mettez des forces étrangères dans un pays, en violant sa souveraineté territoriale sans avoir les conditions politiques d'un cessez-le-feu. Ce n'est pas possible, c'est vouloir faire le travail à la place d'un autre, et c'est courir le danger de transformer ce conflit israélo-libanais en un conflit qui un jour deviendrait celui entre le monde musulman et l'Occident. Ce serait très grave et très dangereux.

Q - Monsieur Philippe Douste-Blazy, une dernière question, je profite de votre présence dans ce journal pour vous demander une réaction sur Cuba, sur le transfert des pouvoirs de Fidel Castro à son frère, à Raul. Avez-vous d'autres informations ?
R - Non, au moment où je vous parle je n'ai pas d'autres informations sur Cuba et je souhaite simplement une chose : c'est que les Droits de l'Homme dans ce pays puissent être mieux respectés qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Q - En tous cas, ne serait-ce que la transition entre Fidel Castro et son frère Raul, tout est quand même très verrouillé ?
R - Je n'ai pas aujourd'hui et nous n'avons pas aujourd'hui au Quai d'Orsay d'informations officielles.

Q - Et une dernière question un peu plus légère. Selon un sondage américain visiblement les Français sont mieux appréciés Outre-Atlantique, avec 52 % de bonnes opinions, sachant qu'on en était à 29 % fin 2003, en pleine guerre d'Irak. Comment expliquez-vous cette remontée de sympathie, sachant, je vous le signale, je ne sais pas si vous êtes au courant que, désormais les frites françaises sont à nouveaux appelés french fries ?
R - Je crois que beaucoup d'Américains se rendent compte aujourd'hui que la vision de M. Chirac et celle de M. de Villepin qui était ministre des Affaires étrangères à l'époque, qui était mon prédécesseur, avait été la bonne et qu'aujourd'hui, malheureusement, on voit qu'il y a une communautarisation du conflit en Irak. En fonction de sa religion, de son parti politique, on peut être assassiné ou pas.
Juste un petit mot sur le Liban pour dire que nous faisons partir une très grande opération aujourd'hui, qui s'appelle "Un Bateau pour le Liban". Il s'agit d'une opération qui partira le 11 août de Marseille pour aller à Beyrouth et grâce à laquelle, avec le HCR, l'UNICEF, le PAM mais aussi la Croix rouge internationale, le CICR, nous allons amener du fret humanitaire, en particulier pour les enfants parce que ce sont les enfants qui représentent la moitié des victimes civiles là-bas.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 août 2006