Texte intégral
Q - Bonjour Philippe Douste-Blazy.
R - Bonjour.
Q - Le président Chirac a hier indiqué avoir obtenu des clarifications sur les règles d'engagement de la nouvelle force de l'ONU au Liban. Alors, soyons concrets : que pourraient faire, par exemple, les troupes de l'ONU si une roquette est lancée sur Israël ou, à l'inverse, si les Israéliens faisaient une incursion au Liban Sud ?
R - C'est très clair, en cas de légitime défense, il est précisé, en effet, que ces forces peuvent riposter.
En réalité, il y a eu deux phases. Parce que la France doit servir la cause de la paix. Et le président a, je crois, dissipé tous les malentendus. Il y avait la phase d'urgence, à laquelle Kofi Annan a demandé de répondre. Le président de la République a voulu que la France soit le premier pays à renforcer la FINUL.
Q - En envoyant 200 soldats.
R - Oui, en envoyant 200 soldats. Je me permets de dire que personne d'autre n'a envoyé de soldats. Les Français étaient les seuls à avoir décidé de le faire.
Et puis, il y a une deuxième phase, dans laquelle Kofi Annan a dit que pour renforcer de manière crédible la FINUL, et pour assurer le retrait israélien - j'ai rencontré d'ailleurs Mme Livni, mon homologue israélienne, il y a quelques jours, à Paris - et pour accompagner le déploiement de l'armée libanaise au Sud Liban, il fallait une FINUL renforcée. Il a dit qu'il fallait 3.500 hommes, et un nombre assez modéré de contributeurs européens, parce qu'il faut une arête européenne dans cette FINUL renforcée. Le président a dit hier que 2.000 soldats supplémentaires seraient envoyés. C'est un effort très significatif. J'attends maintenant de nos partenaires européens qu'ils disent combien de soldats ils vont envoyer.
Q - Lors des deux phases que vous évoquez, entre temps, la France a été accusée de ne pas avoir envoyé suffisamment de soldats, de fuir ses responsabilités. Ces accusations, notamment de la part des médias américains, sont sans importance ?
R - Lorsque vous êtes chef des Armées, que vous avez la responsabilité d'envoyer de jeunes Français dans une région du monde aussi dangereuse, comment ne pas vouloir demander des précisions, des clarifications ? Nous avions deux types de garanties à demander auprès de l'ONU : quelle est la chaîne de commandement ? Est-ce qu'elle sera courte ou longue ? Elle sera courte, comme nous le voulions.
Q - Donc vous l'avez.
R - Deuxièmement, quelles sont les missions exactes de l'ONU? A qui va-t-on référer ?
Q - Vous avez eu des réponses précises ?
R - Quels sont les systèmes d'engagement ? Quelles sont les garanties de sécurité ? Toutes les réponses à ces questions, le président les a obtenues auprès de Kofi Annan.
Et puis, les parties au conflit devaient apporter leurs réponses. Nous sommes très heureux d'avoir entendu il y a quelques heures que les Libanais et les Israéliens souhaitaient que la France participe à la FINUL. Non seulement ils le souhaitaient, mais ils attendaient la France au sein de la FINUL.
Q - Que le commandement soit italien ou français, c'est un enjeu ?
R - Nous avons travaillé vraiment main dans la main avec les Italiens depuis le début. Et je vois d'ailleurs que les Italiens ont demandé à l'ONU exactement les mêmes garanties que nous.
Nous assurerons le commandement de cette force internationale, puisque le général Alain Pellegrini va commander la FINUL - cela a déjà été proposé et clarifié - jusqu'au mois de février 2007.
Q - Et après ?
R - Ensuite, il revient à Kofi Annan de préciser cela et de bien le clarifier. Puis, c'est aux Nations unies de dire qui va poursuivre le travail que les Français vont accomplir. Les Français ne peuvent pas être les seuls à être présents au Sud Liban.
Q - Justement, vous avez initié une rencontre à Bruxelles de ministre des Affaires étrangères européens ; vous pensez que vous aurez un rôle plus entraînant, puisqu'on a 2.000 soldats annoncés ? Par exemple, est-ce que vous pensez que la Grande-Bretagne pourrait envoyer des troupes ?
R - Tout à l'heure vous avez dit que, de la part des Américains, que dans la presse internationale il y avait eu quelques propos désagréables. Je voudrais simplement dire que la France est la seule aujourd'hui, le seul pays à envoyer véritablement des troupes avec l'Italie, avec l'Espagne - on parle de 800 à 1.000 soldats - on parle des Belges peut-être, on le verra ce soir. On dit que les Allemands n'enverront pas de troupes...
Q - Ma question était sur les Anglais.
R - ... le Royaume-Uni a dit qu'il n'enverrait pas de soldats, je ne parle pas des Etats-Unis qui ont dit qu'ils n'enverraient pas de soldats ; donc je crois qu'il faut quand même faire attention : c'est un endroit du monde où il faut servir la paix, et pour servir la paix, il faut servir un accord politique.
Q - Alors l' accord politique, où en est-on ? Qu'est ce que la France...
R - C'est ce que le président a dit depuis le début : s'il n'y a pas d'accord politique, il ne peut y avoir, à la sortie, ni de désarmement...
Q - Pas d'accord politique donc ?
R - Justement, au contraire, dans la résolution 1701, dans laquelle la France a joué un rôle très important et qui a été votée dans la nuit du 11 au 12 août à New York à l'unanimité, il y a en particulier un accord politique entre le gouvernement israélien et le gouvernement libanais sur le désarmement des milices, sur les fermes de Chebaa et sur l'échange des prisonniers.
Q - Est-ce qu'on pourra éviter longtemps de parler avec le régime syrien, nous, la France ?
R - Il y a deux pays dans la région qui jouent un rôle très important et on le sait par rapport au Hezbollah en particulier, c'est la Syrie et l'Iran. Sur la Syrie, soyons très clairs. Voilà un pays qui a des dirigeants qui sont aujourd'hui montrés du doigt par la Commission d'enquête internationale créée par une résolution qui a été votée à l'unanimité au Conseil de sécurité, elle aussi, la 1595, qui vise à savoir exactement qui a tué un certain nombre de personnalités politiques, de personnalités du monde civil, de personnalités parlementaires.
Q - Dans ces conditions on ne peut pas parler avec eux ?
R - Et en particulier l'ancien président, M. Rafic Hariri. Il ne faudrait pas que, via ce conflit israélo-libanais, la Syrie se réintègre dans la communauté internationale et se soustraie à cette enquête judiciaire internationale.
Pour l'Iran, c'est autre chose. L'Iran joue un rôle absolument majeur, évidemment, dans la région.
Q - On ne dit plus "stabilisateur" ?
R - J'ai dit au ministre des Affaires étrangères : "Ou vous voulez jouer un rôle positif au niveau du conflit israélo-libanais, ou non. Si vous ne le faites pas, vous allez vous isoler". Il fallait le leur dire, parce que je souhaite qu'il y ait un dialogue avec l'Iran.
Q - Sur l'Iran, il y a aussi un dossier nucléaire : ils ont eu à répondre à une demande d'arrêter le retraitement et l'enrichissement de l'uranium. Très rapidement, la réponse vous satisfait ?
R - La réponse, c'est que c'est un document de 21 pages très détaillé et complexe que nous sommes en train d'étudier avec nos partenaires européens, américains, russes et chinois. Très franchement, ils disent qu'ils veulent des négociations mais en même temps ils ne veulent pas suspendre. Or, la résolution 1696 les oblige à suspendre, avant le 31 août, toute activité d'enrichissement de l'uranium. Je pars du principe qu'il faut dialoguer avec les Iraniens, qu'il faut "tendre la main".
Q - Pour l'instant ce n'est pas satisfaisant ?
R - Pour l'instant ce n'est pas satisfaisant mais le pire serait de monter en puissance dans une confrontation entre l'Iran d'un côté - le monde musulman avec l'Iran - et l'Occident. Ce serait le choc des civilisations que la France, seule aujourd'hui pratiquement, est à même d'éviter.
Q - Est-ce que Jacques Chirac est conforté dans cette crise internationale, est-ce que vous le voyez se représenter ?
R - Je ne le sais pas, c'est à lui de le dire ; ce que je sais, c'est qu'il a montré une fois de plus une vision du monde, qui est une vision de paix, de dialogue entre les cultures, les civilisations, et je crois que c'était la bonne.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 août 2006