Texte intégral
Permettez-moi de vous dire à quel point je suis heureux de vous accueillir ce soir dans ce palais des Affaires étrangères, au nom de la présidence française de notre réunion ministérielle. Vous avez très bien souligner, Monsieur le Secrétaire général, que ceci se tenait à l'occasion de la commémoration du discours prononcé par George Marshall voici 50 ans.
Nous savons tous ce que nous devons aux conceptions et au programme présentés en quelques minutes le 5 juin 1947. Ce jour là, en effet, George Marshall, anticipant sur l'esprit du temps, annonçait que la coopération économique permettait de consolider la paix et proposait un programme de développement extrêmement novateur qui associait transferts financiers, facilités commerciales et promotion des investissements.
Ce modèle a fait école : il fonde encore notre relation avec les pays du Sud, reste la référence lorsqu'il faut accompagner les processus de paix à travers le monde, que ce soit au Proche-Orient ou en Bosnie. Ce modèle historique inspire aussi le "Partenariat pour le développement" lancé lors du sommet du G7 à Lyon l'an dernier.
Le "Plan Marshall" fut aussi un acte déterminant pour la sauvegarde des valeurs de liberté et de solidarité qui nous réunissent. Sans cette initiative, la physionomie du monde contemporain ne serait sans doute pas devenue ce qu'elle est. Je voudrais exprimer ici mes remerciements au gouvernement américain.
A cet égard, je veux relever ce soir, et saluer, la présence parmi nous de pays qui ne purent, à l'époque, bénéficier du Plan Marshall. Je veux aussi relever le grand événement que constituera demain, 27 mai 1997, la signature à Paris d'un accord instituant un partenariat renforcé entre la Russie et l'OTAN, puis entre la Russie et l'OCDE.
La conjonction du 50ème anniversaire du Plan Marshall et de cette double signature revêt ainsi, aux yeux de l'Histoire, les dimensions d'un éclatant symbole.
Clairvoyants ou visionnaires, les auteurs du Plan Marshall furent aussi à l'origine de la Fondation de l'OCDE, qui est indiscutablement dépositaire des conceptions originales redevables à George Marshall.
Vous connaissez les faits :
- l'OCDE est une organisation à vocation mondiale, qui coopte ses membres en vérifiant s'ils peuvent conjuguer développement économique, équité sociale, et démocratie politique.
- Organisation économique, l'OCDE ne dispense ni dons ni prêts, mais des conseils sur la conduite des politiques structurelles : fruits d'une procédure inhabituelle - baptisée "l'examen par les pairs" -, mais dont l'expérience a prouvé l'efficacité ces avis sont écoutés, rarement contestés, et toujours stimulants.
- Centre d'étude, l'OCDE édicte des règles, des "codes de conduite" dont l'influence dépasse largement le périmètre de l'Organisation. Ils ouvrent la voie à des conventions ou traités, par exemple pour la protection des investissements ou pour garantir la loyauté des conditions de concurrence
Telle quelle, l'OCDE est-elle armée pour répondre aux exigences des décennies à venir ?
L'économie mondiale est actuellement en proie à des mouvements contradictoires : d'un côté, les règles du jeu tendent à s'uniformiser. Le modèle d'économie libérale est désormais la référence quasiment universelle tandis qu'apparaissent chaque jour davantage les prémisses d'un marché mondial unique.
D'un autre côté, le libre jeu des forces économiques et des marchés de capitaux engendrent disparités, diversité, et remises en cause parfois douloureuses.
Des pôles nouveaux de croissance s'imposent, à l'image du formidable dynamisme de l'Asie ou du brillant redressement économique de l'Amérique latine. Sur tous les continents, des ensembles régionaux s'institutionnalisent.
Mais dans le même temps, les pays les plus pauvres éprouvent d'immenses difficultés à se sortir du sous-développement, tandis que la position éminente de nos propres économies est désormais contestée.
Nos sociétés avancées elles-mêmes, en Asie, en Europe, en Amérique, affrontent des mutations profondes, telles que le vieillissement des populations, l'écart croissant des revenus, l'obsolescence rapide des métiers.
La mondialisation de l'économie était à bien des égards prévisible : elle est en effet inscrite dans le droit fil des travaux du GATT lancé en 1947 ; elle résulte de nos efforts pour faire prévaloir nos sociétés de liberté sur les systèmes totalitaires; elle représente l'aboutissement des conceptions promues par l'OCDE.
Il n'est pas possible, et nos opinions publiques dans les pays européens notamment, ne le comprendraient pas, que sous ce label de libre-échange se perpétuent des comportements nationaux excessivement divergents, parce que certains d'entre nous appliqueraient ces principes avec rigueur tandis que d'autres ne les appliqueraient que pour la façade.
A titre d'exemple, il n'est pas envisageable que l'industrie automobile européenne soit condamnée à subir de plein fouet le vent de la concurrence mondiale si elle n'est pas en mesure, elle aussi, de gagner des parts de marché significatives à l'exportation.
Pourquoi accepterions-nous sans réagir de mettre à mal une industrie qui génère des centaines de milliers d'emplois en France et en Europe si les marchés de certains de nos partenaires demeurent largement protégés par des artifices nombreux, que ceux-ci concernent les normes, les réseaux de distribution, ou encore les ententes illicites ?
Pourquoi accepterions-nous que certains de nos partenaires utilisent des artifices sur les normes sanitaires ou douanières pour nous empêcher de vendre sur leurs marchés nos productions agro-alimentaires ?
De la même façon, l'Europe ne peut accepter la moindre législation unilatérale de portée extraterritoriale, si profondément contraire aux principes du libre-échange.
En matière de commerce international comme dans les autres domaines, la loi du plus fort ne saurait prévaloir sans remettre en cause gravement l'édifice d'ensemble de tout le système multilatéral, et ce pour une raison simple : les peuples qui en seraient victimes la remettront en cause à plus ou moins brève échéance.
Je suis convaincu que l'OCDE est à cet égard l'une des organisations les mieux placées pour examiner sereinement les modalités de fonctionnement de ce libre-échangisme tempéré que nous appelons de nos voeux puisqu'elle sait associer expertise et humanisme, discipline et liberté, cohésion et ouverture sur le monde.
Notre Secrétaire général, M. Johnston, dont je salue avec admiration l'enthousiasme, la détermination et l'efficacité, saura sans nul doute conduire cette vaste entreprise. Vous le savez, la France est profondément attachée à notre organisation. J'ai écouté avec beaucoup d'attention ce que vous avez dit, Monsieur le Secrétaire général, sur l'attachement de tous les membres de l'OCDE à cette organisation. Elle occupe une place éminente, elle tient un rôle irremplaçable, c'est dans son sein que l'on peut mener sur des sujets comme ceux-là une réflexion libre et ouverte.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2001)