Interview de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Figaro" le 21 mars 2001 sur l'épidémie de fièvre aphteuse, les aides aux éleveurs et la réorientation de la PAC.

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Q - Selon les derniers résultats de l'Afssa, aucun foyer suspect, hormis celui de la Mayenne, ne s'est révélé contaminé par la fièvre aphteuse. Peut-on estimer que la France est sortie d'affaire ?
R - J'aimerais bien ! Chaque jour qui passe nous tranquillise, mais il est trop tôt pour crier victoire. Le phénomène est loin d'être maîtrisé au Royaume-Uni : les autorités courent après. Avec tant de foyers nouveaux par jour là-bas, c'est-à-dire à notre porte, le risque reste grand : le vent, des milliers de touristes ou de camions qui traversent la Manche chaque jour peuvent nous apporter le virus.
Q - Mais en ce qui concerne le risque de contamination directe par les ovins importés entre le 1er et le 21 février du Royaume-Uni, le pari est-il gagné ?
R - Disons qu'il est en voie de l'être. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à l'Europe d'assouplir les mesures de restriction qu'elle nous impose aussi vite que possible, compte tenu des dispositions prises par la France. Nous, de manière préventive, avons abattu 40 000 moutons anglais ou ayant été en contact avec des ovins britanniques, nous avons installé des périmètres de sécurité. La France a décidé de frapper vite et fort, et nous voyons aujourd'hui que c'est ce qu'il fallait faire. Je serais plus rassuré si tous nos voisins avaient fait de même.
Q - Que voulez-vous dire ?
R - Je ne suis pas sûr que tout le monde ait surveillé les importations anglaises comme nous. Une des leçons de cette crise est, au passage, que l'Europe doit faire des progrès en matière de traçabilité ovine. Les Anglais disent que nous ne sommes par les seuls à qui ils aient livré des moutons pendant la période critique. Or je n'entends pas parler de mesures de protection ni d'abattage préventif ailleurs - sauf aux Pays-Bas.
Q - Est-ce parce que l'Europe n'a pas été tendre avec la France que vous dites cela ?
R - Les institutions européennes ont bien fonctionné. C'est plutôt en dehors de l'Union qu'il y a eu une précipitation à en faire plus que nécessaire et à confondre les préoccupations mercantiles avec le principe de précaution. Mais, par rapport à nos voisins, c'est vrai qu'il vaut mieux ne pas mettre un genou à terre : première puissance agricole et première puissance d'élevage, on ne pardonne visiblement aucune faiblesse à la France...
Q - François d'Aubert, député de la Mayenne, veut saisir la Cour européenne de justice estimant illégitimes les embargos sur l'Orne et la Mayenne. Qu'en pensez-vous ?
R - Je n'encourage pas François d'Aubert à attaquer la décision européenne. On ne peut pas reprocher à l'Europe de faire son travail. Certains pays auraient voulu nous faire subir un blocus sur tout le territoire. Nous avons réussi à le limiter à ces deux départements qui nous servent de bouclier sanitaire. Compte tenu du sacrifice qu'on leur demande, ils doivent bénéficier de la solidarité nationale.
Q - Malgré toutes les mesures prises pour circonscrire la propagation de la maladie, les Français restent sceptiques et la consommation de viande ovine a chuté de près de 30 % depuis un mois...
R - C'est dramatique, d'autant que cette maladie n'est pas dangereuse pour l'homme. Le message que nous martelons, Bernard Kouchner, le ministre de la Santé, et moi-même, est pourtant clair. Il s'agit bien d'un problème de santé animale, et non de santé publique. Cette baisse de la consommation n'a aucune raison d'être. Mais c'est vrai que la succession de crises, de l'ESB à la fièvre aphteuse, provoque des réflexes dans l'opinion. Les images de charnier ou de bûchers diffusées à la télévision depuis un mois jouent un rôle épouvantable et expliquent ce rejet. Il faut vraiment que l'on sorte de cette psychose désastreuse au plus vite, car elle a des conséquences à tiroirs: on m'a même dit qu'en Mayenne des réservations de gîtes ruraux avaient été annulées !
Q - Les principales victimes restent les éleveurs. Comprenez-vous leur détresse ?
R - Evidemment ! N'importe quelle catégorie sociale qui vivrait ce qu'ils vivent se poserait des questions sur son utilité et son avenir. Ils sont au bout du rouleau, mais qui ne le serait pas ? C'est pourquoi il faut leur témoigner une solidarité non seulement financière, mais aussi affective. Ils souffrent des effets de deux crises. La consommation a chuté jusqu'à 50 % et l'exportation de 90 %. Pour la fièvre aphteuse, il faut être suffisamment courageux pour maintenir avec fermeté les mesures que nous avons prises : cela permettra de les lever le plus vite possible. Pour l'ESB, il faut accélérer et amplifier le soutien économique à la filière. Je suis inquiet de voir qu'en Europe très peu de pays appliquent les programmes d'achat-destruction des bovins de plus de 30 mois décidés le 2 janvier dernier. Nous avons des surplus considérables. Il faudrait abattre des centaines de milliers de bêtes en Europe, dont de jeunes veaux, pour retrouver un équilibre entre l'offre et la demande. Les pays du Nord y sont hostiles. Mais, si nous ne le faisons pas, nous allons traîner cette crise pendant des mois et des mois.
Q - On reste dans la logique d'une économie agricole sous perfusion. La PAC ne doit-elle pas être remise en cause ?
R - Je reconnais que cette dépendance économique du secteur est mal acceptée, à la fois par l'opinion publique et les agriculteurs eux-mêmes. Mais je ne veux pas envisager une politique européenne non subventionnée, car cela nous ferait passer de 680 000 exploitants à 50 000, avec toutes les conséquences que cela aurait sur l'aménagement du territoire et les équilibres de la société. En revanche, je pense que les subventions sont mal attribuées et que la PAC doit être réorientée. Mais c'est un autre débat et en temps de crise, il n'est pas d'actualité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2001)