Texte intégral
Q - Quelles sont les principales raisons de s'opposer à cette privatisation ?
R - Il y a soixante ans, la France a fait le choix historique de considérer que la production, la distribution, l'accès à l'énergie ne pouvaient pas être délégués aux règles du marché. Certes, le contexte était particulier. Ce choix est effectué à la Libération au moment où la reconstruction du pays est une priorité nationale. Parce que le développement d'un pays au plan économique comme au plan social dépend étroitement de l'accès à l'énergie, le choix a été fait de développer le secteur énergétique dans un cadre public. Ceci a amené à la création des deux géants performants que sont GDF et EDF. Plusieurs décennies après, nos concitoyens ne peuvent que se satisfaire de ce choix. Non pas qu'il nous ait prémuni de toutes les tensions liées à l'accès aux sources d'énergie, mais moins que d'autres pays nous avons été soumis aux aléas du marché tout en mettant en oeuvre des principes comme l'égalité d'accès. Malgré des augmentations récentes, les tarifs restent maîtrisés contrairement à ce qui se passent dans d'autres pays. Ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est de tourner le dos à cette organisation publique cohérente et efficace. On prétexte du changement de la configuration économique mondiale : mais justement, les tensions, en particulier les risques de pénurie sont plus importantes aujourd'hui, qu'elles ne l'étaient hier. L'énergie est au coeur de nombreux conflits. En matière de gaz, le récent bras de fer russo-ukrainien l'a encore démontré. La maîtrise publique par la collectivité nationale des choix à faire en matière de production, de distribution d'énergie est donc une question politique de premier plan. Privatiser GDF pour soutenir un groupe privé comme Suez revient, pour la puissance publique, à une démission en matière de maîtrise des éléments structurant l'accès à l'énergie et à faire des cadeaux injustifiés aux actionnaires de Suez. La priorité est donnée aujourd'hui à la mise en place très coûteuse d'un marché de l'énergie où s'affrontent de grands opérateurs privés alors que l'intérêt général commande d'utiliser les moyens financiers disponibles pour développer les capacités de production y compris à l'échelle européenne. Ni la France, ni l'Europe ne sont aujourd'hui équipées pour faire face à des besoins énergétiques en forte croissante.
Q - Comment faire face à ses enjeux ?
R - A l'opposé de l'approche dominante qui fait de la dérégulation et de la mise en concurrence des opérateurs l'alpha et l'oméga de la politique européenne, nous préconisons la création d'une agence européenne de l'énergie. S'agissant d'un secteur où la pénurie menace, s'en remettre au privé pour gérer cette pénurie fera du consommateur la principale victime. L'agence européenne pour l'énergie aurait pour charge de développer une approche coordonnée faisant du développement économique et social l'axe prioritaire de la politique énergétique européenne. Un certain nombre d'orientations doivent être conçues à l'échelle européenne en s'appuyant sur les atouts existants. EDF et GDF, dont les performances en matière de sécurité, de coûts et d'égalité d'accès ont fait leur preuve grâce à leur caractère public, comptent au nombre de ces atouts. La France est un bon exemple des synergies que peuvent développer un électricien public et un gazier public. Plutôt que de privatiser GDF, il vaudrait mieux renforcer ces synergies au sein d'un pôle public de l'énergie.
Q - La majorité affirme avoir retrouvé son unité sur ce dossier avec le ralliement de Nicolas Sarkozy. Que vous inspire ce revirement ?
R - On comprend l'embarras au sein de l'UMP devant le reniement de son président. Il faut se rappeler que Nicolas Sarkozy était ministre de l'Economie et des Finances au moment du changement de statut d'EDF et de GDF et qu'il a juré, la main sur le coeur, que les deux entreprises ne seraient jamais privatisées. L'attitude actuelle du président de l'UMP est inspirée par un calcul politicien lié à la présidentielle. Cela dit, je remarque qu'au sein de la majorité certains parlementaires reprennent nos arguments. La discipline de parti va-t-elle l'emporter sur l'intérêt national ?
Q - La Cgt appelle à la mobilisation de l'ensemble de ses organisations le 12 septembre prochain. Pourquoi ?
R - L'ensemble du pays, les entreprises comme les citoyens sont concernés. Nous sommes bien sûr attentifs aux conséquences sociales pour les salariés de Suez et les agents de GDF de ces choix. Mais cette décision politique impacte l'avenir même du pays. Un pays qui ne maîtrise plus son approvisionnement énergétique est un pays condamné à dépendre d'autres pour son propre développement. Notre appel à la mobilisation de l'ensemble des organisations de la Cgt vise à interpeller l'ensemble des citoyens qui subiront les conséquences de cette privatisation.
Q - Comptez-vous prendre d'autres initiatives ?
R - Le débat parlementaire, l'expression de la représentation nationale est un moment important. Pour autant, nous ne considérons pas qu'il clôt le dossier. L'expérience récente nous montre que ce qu'une loi fait, d'autres dispositions avec un rapport de force suffisant peuvent le défaire. La bataille ne s'arrêtera pas avec l'examen de ce projet de loi par l'assemblée nationale.
Entretien réalisé par Pierre-Henri Lab source http://www.cgt.fr, le 8 septembre 2006