Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la politique de l'immigration et le co-développement, à Paris le 29 août 2006.

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Intervenant(s) : 
  • Brigitte Girardin - Ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie

Circonstance : XIVeme conférence des ambassadeurs, du 28 au 30 août 2006-table ronde consacrée aux migrations internationales et à la politique de développement, à Paris le 29 août 2006

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur de la République du Sénégal,
Monsieur l'Ambassadeur du Royaume du Maroc en France,
Monsieur le Secrétaire général du Comité interministériel du Contrôle de l'Immigration,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,

Vous résidez pour beaucoup d'entre vous dans des pays où les populations, pour fuir la pauvreté, la malgouvernance ou les conflits, finissent par voir dans l'exil une solution. L'énergie du désespoir mise dans ces départs se mesure aux risques assumés par ces hommes et ces femmes pour rejoindre les côtes de l'Europe.
Nous sommes indéniablement confrontés à un regain de pression migratoire de l'Afrique sur l'Union européenne. Les drames qui en découlent ont eu pour effet de faire réagir tous les pays concernés. Il s'agit là au moins d'un aspect nouveau et positif. En effet, en un laps de temps relativement court à l'échelle diplomatique, le Maroc, soutenu par le Sénégal, l'Espagne et la France, est parvenu à réunir en juillet les pays situés sur les routes migratoires en provenance essentiellement d'Afrique de l'Ouest sub-saharienne. La conscience des pays d'origine, de transit et de destination des migrants de former une communauté de responsabilité face au phénomène constitue ce qu'il est convenu d'appeler l'esprit de Rabat. Il a débouché sur un plan d'action fondé sur le partenariat qu'il s'agit désormais de mettre en oeuvre.

Pour ce faire, je veux vous faire part de deux convictions :

  • une migration "zéro" serait contraire à l'histoire et aux intérêts du pays qui la pratiquerait. L'Europe a amplement bénéficié du phénomène, que ce soit en expatriant à une époque un trop plein démographique ou en accueillant désormais des talents du monde entier.
  • Je n'irai certes pas jusqu'à mettre sur le même plan la situation à laquelle l'Europe doit faire face aujourd'hui, et celle que connurent, hélas, d'autres civilisations devant une immigration subie qu'elles furent alors incapables de maîtriser : je pense aux nations du "nouveau monde" face au déferlement des Européens et dont les témoignages culturels au musée du Quai Branly nous émeuvent. Il n'en demeure pas moins, et on pourrait trouver d'autres exemples, que l'histoire nous enseigne que seule une migration régulée, consentie à la fois par les pays sources et les pays d'accueil, peut être mutuellement bénéfique.

Aucune société ne peut donc ignorer les limites de sa capacité à intégrer, surtout quand le phénomène s'emballe ; en général, cela se produit dans des moments de mutations lourdes, ce qui accroît la difficulté.
Nous sommes exactement dans ce contexte là : l'Europe fait face à une pression migratoire accrue, au moment même où elle conduit une adaptation économique socialement sensible. Par conséquent les pays de l'Union recherchent le bon équilibre entre une ouverture mutuellement profitable, et la nécessité de prévenir les risques de l'immigration irrégulière : violation des droits et de la dignité, insécurité, rejet par la communauté d'accueil ou encore déstabilisation de celle-ci.
Nous y répondons justement en France par une loi qui régule mais ne ferme pas ; c'est notre intérêt, car la France, qui a toujours opté pour l'intégration, veut aussi rester un grand pays attractif. En même temps, notre engagement sur les fronts à la fois des Droits de l'Homme et du développement nous rend sensibles à ce qui témoigne d'une fracture entre le Nord et le Sud. Il y va de la dignité humaine mais aussi de la sécurité nationale et internationale.
C'est de la gestion de ces deux orientations et de leur compatibilité que nous débattrons. A cet égard, je suis reconnaissante au Secrétaire général du Comité interministériel à l'immigration, de vous dire comment la loi sur l'immigration du 24 juillet prend en compte ce coefficient d'attractivité que nous souhaitons pour la France ; je sais gré également à MM. Les Ambassadeurs du Maroc et du Sénégal, concernés aussi au premier chef par ces questions de migration, d'exprimer le point de vue de leurs gouvernements.
Permettez-moi auparavant de vous proposer quelques commentaires sur le couple migrations-développement. Nous partons du constat que ce sont les écarts extrêmes de niveau de développement entre régions ou pays qui suscitent les flux migratoires les plus déstabilisateurs.

Le phénomène migratoire amène donc à s'interroger sur les dynamiques de développement. Dans cette optique, je porterai trois appréciations :
- tout d'abord la recherche de stratégies de développement doit désormais prendre en compte le souci de la maîtrise durable des flux migratoires.
Les politiques que nous mettrons en oeuvre devront prendre en compte les divers facteurs à l'origine des pressions migratoires : je pense à certaines traditions culturelles régionales qui font parfois de l'émigration le moyen de contrebalancer des déséquilibres locaux ; à la démographie plus subie que maîtrisée et dont les perspectives restent à moyen terme préoccupantes dans certaines régions ; aux données politiques et aux pratiques de gouvernance ; aux facteurs naturels enfin, puissants déterminants des mobilités dans le Sahel.
Ces politiques devront être élaborées dans un esprit de partenariat et de coresponsabilité, et s'intégrer dans une approche régionale. Ces éléments conditionnent les progrès en la matière. Et c'est bien dans cet esprit que nous avons oeuvré, à Rabat, avec nos partenaires.
Ma seconde appréciation sera d'ordre opérationnel immédiat pour notre coopération :
Dorénavant nos documents cadres de partenariat doivent être parfaitement explicites sur les flux migratoires quand le contexte y invite. Nous devons être capables avec nos partenaires d'en analyser les conséquences sur notre pratique de coopération.

Pour ce faire, je vous invite à vous appuyer sur la grille de lecture qu'a définie le dernier CICID, qui a mis en avant trois priorités :

  • mieux utiliser les transferts de migrants en faveur de la pauvreté, avec le double objectif d'en augmenter les volumes et de les orienter davantage vers l'investissement productif ;
  • faciliter les échanges de compétences, qu'il s'agisse de renforcer la formation supérieure ou technique des ressortissants des pays du Sud, mais également d'utiliser les compétences acquises en France dans des actions au Sud, par exemple dans le cadre de notre coopération ;
  • inciter les migrants à réaliser des projets de développement économique dans leur pays d'origine.

Ces actions relèvent de ce qu'on appelle le co-développement, sur lequel je reviens dans un instant.
De façon plus générale, vous devez d'autant plus veiller sur ces phénomènes migratoires qu'ils surviennent dans des pays et un environnement régional fragilisés ; nous avons fortement besoin d'une vision intégrée, précise, anticipatrice des phénomènes qui nous a souvent fait défaut jusqu'à présent.
Ma troisième et ultime considération portera sur le rôle du co-développement.
Ce concept est lié à la compréhension particulière qu'a très tôt eu la France du potentiel constitué par les migrants aussi bien pour leur pays d'accueil, que pour leur pays d'origine. Les opérations mises en oeuvre à ce jour sont encore de dimension modeste puisqu'elles concernent essentiellement trois pays, quoique d'importance majeure : le Mali, le Sénégal et le Maroc.
Si les résultats sont encore ponctuels, ils n'en sont pas moins prometteurs. Et à mon sens ils justifient que l'on change désormais d'échelle, en impliquant d'ailleurs l'ensemble des bailleurs de fonds. Nos efforts porteront dans le sens que j'ai mentionné plus haut, sous l'impulsion de M. Guy Sérièys, ambassadeur chargé de ce dossier.
Les perspectives ouvertes par le co-développement sont d'ores et déjà multiples : il a créé un outil de dialogue responsable avec les Etats sur un phénomène qui était particulièrement délicat quand on ne parlait que de sécurité et de retour. Il a construit une base de confiance suffisante pour envisager maintenant l'amont de la question migratoire, c'est à dire la traduction de nos besoins respectifs, au sud et au nord, en mobilités utiles pour les uns et pour les autres. C'est ainsi que le concept de co-développement a permis d'aborder en toute franchise la question de la fuite des cerveaux, qui est en effet un des paradoxes du développement.
Je ne voudrais pas passer sous silence, même si cela peut paraître hors de propos devant un parterre d'ambassadeurs, les effets positifs du co-développement en France même pour ce qui est de l'intégration des migrants, et de nos jeunes issus de l'immigration en particulier. Cette préoccupation majeure du gouvernement français doit aussi être la vôtre et je vous incite à rechercher les voies et moyens de faire davantage appel aux compétences de la diaspora installée chez nous dans les projets de coopération au développement des gouvernements et des collectivités locales de votre pays de résidence. Il n'est pas exclu que vous deviez faire un effort tout particulier de pédagogie et de clarification envers vos interlocuteurs au niveau national ou local qui, nous en avons eu une expérience récente, ne voient pas toujours d'un bon oeil l'arrivée comme attachés de coopération de Français originaires de leur contrée...
Dans ce contexte, j'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui l'offre de co-développement rencontre une forte demande de développement local : celle des Etats qui décentralisent et des élus qui travaillent à l'attractivité de leurs territoires, celle des populations, et celle des migrants, qui veulent garder un lien avec leur région d'origine. En facilitant les transferts financiers, l'investissement domestique et productif, la mobilité des compétences, le co-développement accroît les chances du développement et de la démocratie locales.
Les éléments énumérés ci-dessus donnent au concept tel que nous l'entendons toute sa valeur et, j'en suis persuadée, toute sa modernité. Le forum que le CICID nous demande d'organiser d'ici la fin de l'année avec les représentants des diasporas, et je salue ici le président du FORIM, en sera l'illustration.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 août 2006