Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'engagement militaire de la France au Liban au sein de la FINUL renforcée, l'éventualité de sanctions contre l'Iran en cas de refus de suspendre l'enrichissement d'uranium et l'urgence d'un règlement du conflit israélo-palestinien, Paris le 7 septembre 2006.

Prononcé le

Circonstance : Débat sur la situation au Proche-Orient et la participation de la France à la mise en oeuvre de la résolution 1701 : allocution de Ph. Douste-Blazy devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale le 7 septembre 2006 à Paris

Texte intégral

Permettez-moi d'abord de remercier les différents orateurs. Par leurs interventions, ils ont bien montré qu'à travers la crise israélo-libanaise ouverte le 12 juillet dernier, se joue tout l'avenir du Proche-Orient, cette région déjà meurtrie par un demi-siècle de conflits.
Après la mobilisation diplomatique en faveur de la résolution 1701, le temps est venu d'assurer l'application de ce texte. La priorité était donc la levée du blocus imposé par Israël au Liban, indispensable pour la reconstruction économique et le retour à la vie quotidienne au Liban. Nous devons remercier Israël d'avoir accédé à cette demande, qui n'est pas dépourvue de coût politique pour elle.
Nous devons ensuite garantir le "double mouvement" prévu : déploiement de l'armée libanaise dans le sud du Liban et retrait des troupes israéliennes sur la "ligne bleue", comme l'a fait remarquer Mme Buffet. Si nous avons franchi une étape importante dans l'application de la résolution 1701, nous devons continuer dans cette voie grâce au déploiement de la FINUL renforcée.
Comme M. Accoyer l'a rappelé, le président de la République a décidé d'envoyer deux mille soldats français sous casque bleu au Liban selon le calendrier suivant : en sus des 200 hommes déjà en place, un premier renfort d'urgence a été déployé quelques jours après l'adoption de la résolution 1701 ; sur les deux bataillons supplémentaires que nous avons prévus d'envoyer, le premier devrait être sur zone, au complet, d'ici à la mi-septembre, le second devant arriver dans le mois qui suit.
La France prend donc toute sa part à la mise en oeuvre de la résolution 1701. Soulignons d'ailleurs que c'est elle qui assurera le commandement de la FINUL jusqu'en février 2007, en la personne du général Pellegrini.
S'agissant de la nature et des modalités de notre contribution militaire, nous avons souhaité dès l'origine que les règles d'engagement soient robustes afin que la nouvelle FINUL puisse remplir ses missions dans les meilleures conditions de sécurité et faire face à toute éventualité. A cet égard, nous avons reçu des garanties de M. Kofi Annan, et les règles d'engagement seront bientôt définitivement arrêtées à New York. Elles devraient répondre à nos attentes puisqu'elles garantissent la légitime défense et la libre circulation de la FINUL renforcée, et que l'ordre de riposte pourra être donné à nos forces, comme l'ont rappelé hier après-midi Mme Michèle Alliot-Marie, et aujourd'hui le président de la Commission de la Défense.
Les missions de la FINUL, Monsieur Bayrou, seront de soutenir le déploiement de l'armée libanaise au sud et, parallèlement, le retrait des troupes israéliennes. Sera par ailleurs mise en place une zone d'exclusion où seule l'armée libanaise sera autorisée à porter des armes.
A la demande du gouvernement libanais, la FINUL devra par ailleurs porter assistance à l'organisation effective d'un embargo sur les livraisons d'armes grâce aux contrôles menés aux frontières du pays.
Enfin, le président de la République a donné une réponse de principe favorable au Secrétaire général des Nations unies qui sollicitait le soutien de la France pour la surveillance des côtes libanaises. Nous étudions actuellement les meilleures réponses à cette demande dans le cadre des moyens dont nous disposons déjà dans la zone. Dans notre esprit, une telle assistance ne peut être qu'immédiate et transitoire, destinée à accompagner la levée du blocus annoncé par Israël, en attendant la mise en place pérenne de la FINUL, et notamment des forces allemandes dans le domaine maritime.
MM. Balladur et Bayrou se sont interrogés sur le désarmement du Hezbollah : je rappelle que le désarmement de toutes les milices - y compris le Hezbollah - est prévu par la résolution 1701. C'est l'objectif de la communauté internationale, mais aussi et surtout celui des Libanais, car c'est à eux de l'atteindre dans le cadre du dialogue national commencé au début de l'année et qui a permis une réflexion sur la stratégie gouvernementale en matière de défense nationale et d'organisation de l'armée. C'est dans ce contexte que les Libanais devront décider comment désarmer des milices. Le conflit l'a montré : il n'y a pas de solution purement militaire au conflit israélo-libanais. Nous ne trouverons d'issue que par la voie du dialogue.
En outre, nous attendons des pays voisins qu'ils contribuent pleinement à la mise en oeuvre de la résolution 1701. Toute violation de ses dispositions - notamment de l'embargo sur les armes à destination du Hezbollah - risquerait de compromettre le cessez-le-feu.
Voilà qui permettra de mesurer les intentions de chacun des acteurs régionaux concernés.
J'en viens précisément à l'Iran. Je précise à MM. Bayrou et Ayrault que j'ai été le premier ministre des Affaires étrangères occidental à condamner les propos inacceptables du président Ahmadinejad sur Israël. La France est l'amie d'Israël et est très attachée à sa sécurité.
D'autre part, Monsieur Bayrou, c'est précisément le jour où je rendais visite au ministre des Affaires étrangères iranien à Beyrouth que le Conseil de sécurité des Nations unies votait, sous présidence française et à l'unanimité moins la voix du Qatar, la possibilité de prendre des sanctions contre l'Iran s'il n'accédait pas à ses demandes en matière de nucléaire civil.
En effet, l'Iran n'a pas donné satisfaction sur le dossier nucléaire et n'entend pas, comme le confirme le dernier rapport de l'AIEA, suspendre ses activités d'enrichissement de l'uranium. Or, cette suspension essentielle à la sécurité internationale et exigée par la résolution 1696 est une condition indispensable à la restauration de la confiance et à la reprise des négociations. Les Six - les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne - examinent aujourd'hui même à Berlin les suites à donner à cette attitude. L'adoption de sanctions suppose l'approbation d'une résolution du Conseil de sécurité. Notre objectif est d'amener l'Iran à se conformer aux demandes de l'AIEA et du Conseil de sécurité. A ce titre, si je comprends vos arguments, Monsieur Bayrou, le risque majeur est néanmoins la division de la communauté internationale : l'enjeu est d'aboutir à l'unanimité au Conseil de sécurité.
Par ailleurs, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le dialogue avec l'Iran : telle est la ligne que défend la France et que nos partenaires européens ont justement reprise à leur compte. Si chacun adopte une attitude responsable, nous pourrons alors sortir de l'impasse actuelle. J'espère que Téhéran comprendra qu'il faut régler la question nucléaire par la négociation. La France est ouverte au dialogue avec ce pays, pour autant qu'il soit sincère et concret.
D'autre part, l'Iran aspire à se voir reconnaître un rôle régional de premier plan. Si nous devons l'encourager à assumer ses responsabilités, il faut rester vigilant et très attentif aux gestes qu'il fera pour faire baisser la tension au Liban. Je vous rappelle qu'un cessez-le-feu est en vigueur depuis le 14 août, et qu'il est respecté par les deux parties, Israël comme le Hezbollah.
Quant à la Syrie, l'expérience nous conduit à la vigilance. Les autorités de Damas doivent respecter les règles du jeu fixées par la communauté internationale. Cela vaut pour la résolution 1701 qui prévoit l'embargo sur les armes, mais également pour la résolution 1559 qui exige le respect plein et entier de l'indépendance politique du Liban. Cela vaut enfin pour la résolution 1595 qui instaure une commission d'enquête internationale sur les assassinats de Rafic Hariri, de parlementaires et de journalistes libanais : la Syrie doit y apporter son entière coopération. Les clefs du retour à la confiance sont aujourd'hui à Damas. Pour retrouver sa place dans le concert des nations, la Syrie doit remplir les obligations internationales qui s'imposent à elle comme aux autres pays.
Mme Buffet le rappelait : la résolution du conflit israélo-palestinien est la clef de la stabilité régionale. Or, la solution de ce conflit, comme au Liban, n'est pas militaire. A court terme, il faut engager un processus de désescalade : libération du caporal Shalid d'un côté, levée du blocus de Gaza de l'autre. Il faut également encourager la reprise des négociations entre les deux parties : à ce titre, il ne faudrait pas ignorer la chance que pourrait offrir la formation d'un nouveau gouvernement palestinien, même si nous restons naturellement vigilants quant au respect des trois principes que nous avons adoptés vis-à-vis du Hamas. Nous apporterons tout notre soutien au président Abbas pour apaiser les tensions inter-palestiniennes. Le président de la République l'a dit : il est indispensable que le Quartet se réunisse au plus vite pour permettre la relance du processus de paix israélo-palestinien, en faveur de laquelle la communauté internationale doit s'impliquer fortement.
J'en viens enfin à la question du Darfour qu'évoquait M. Bayrou. Il y a quelques jours, la France a voté la résolution 1706 qui propose le transfert aux Nations unies de l'opération de maintien de la paix actuellement gérée par l'Union africaine. Je retournerai bientôt au Darfour pour évoquer avec les autorités soudanaises la nécessité d'arrêter les violences. La situation humanitaire y est dramatique, en effet : Mme Harbour évoquait même récemment des actes d'une gravité telle qu'ils relèvent du tribunal pénal international. Tout doit donc être fait pour trouver au plus vite les bases d'un accord politique dans cette région.
Mesdames et Messieurs les Députés, je vous remercie de vos remarques et du soutien que vous avez apporté à la diplomatie française au cours de l'été.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 septembre 2006