Texte intégral
Q - Peut-on attendre de ce mini sommet exceptionnel, de ce rendez-vous de Strasbourg ? Une sorte de rafistolage du franco-allemand, autour d'un bon plat alsacien, d'une bonne choucroute par exemple, ou bien une véritable relance de la machine franco-allemande ?
R - Il faut d'abord dire que ce n'est pas un sommet au sens classique : pas d'ordre du jour, pas de fonctionnaires, c'est une explication en "tête-à-tête", entre Gerhard Schroeder d'une part, Lionel Jospin et Jacques Chirac d'autre part, Joschka Fischer et Hubert Védrine. Je crois que c'est un moment de vérité, c'est l'occasion de se dire ce que l'on n'a pas pu se dire, ce qui va et ce qui ne va pas. C'est aussi l'occasion d'essayer de tracer les lignes d'une redéfinition, d'une relance, d'une refondation, d'un couple franco-allemand qui n'est pas en crise, contrairement à ce que l'on dit, mais qui, c'est vrai, a connu des jours meilleurs. Je crois qu'il faut mettre les choses à plat. Dire ce qui a été, dire ce qui ne va pas, dire ce qu'il faut faire, non pas en dressant un plan d'action, mais en donnant une direction politique claire.
Q - Donc, vous dites tout de même : ce soir à Strasbourg, on clarifie.
R - On clarifie. C'est exactement cela.
Q - On va se dire vraiment les choses sans langue de bois ?
R - Sans langue de bois, sans agressivité, sans platonisme. Car il ne faut pas se dire qu'il n'y a pas de problèmes quand il y en a. Mais encore une fois, l'idée c'est de dire : voilà, la France et l'Allemagne sont un couple, la France et l'Allemagne sont le moteur de l'Europe ; il n'y a pas d'alliance de revers possible, il n'y a pas d'alternative ; si nous fonctionnons chacun de notre côté, alors c'est l'Europe tout entière qui va en pâtir. Donc, repartons ensemble, mais sur des bases éclaircies ou éclairées.
Q - Monsieur Moscovici, si vous le permettez tout de même, on entend cela depuis des années ! Le moteur franco-allemand a des ratés, mais redémarre toujours... Est-ce toujours aussi vrai qu'auparavant ?
R - C'est pour cela que nous sommes à un moment de vérité.
Q - Il reste tout de même que c'est le chancelier Schroeder, et non plus son ministre Joschka Fischer, qui, cette fois, monte au créneau, qui est à l'initiative et qui demande plus d'intégration et un peu moins d'intergouvernementalité. N'est pas maintenant l'heure des choix ?
R - Ne faisons pas non plus au chancelier le grief de penser qu'il s'adressait à nous en disant cela. Il s'adressait à tout le monde. Après Nice, nous nous sommes engagés dans un grand débat sur l'avenir de l'Union européenne, dont le rendez-vous est fixé à 2004. Chacun doit parler. Jacques Chirac a parlé au Bundestag en juin dernier, en prônant une constitution européenne. Joschka Fischer avait parlé auparavant d'une fédération d'Etats-nations, en reprenant d'ailleurs les termes utilisés par Jacques Delors dès 1995.
Q - Que vous reprenez vous-même ?
R - Que je reprends moi-même.
Q - Vous persistez et signez dans ce sens ?
R - Absolument, mais je n'ai pas de mérite à cela.
Q - C'est formidable, parce qu'à vous écouter, on se demande pourquoi cela bloque un peu en ce moment entre Paris et Berlin et pourquoi cela ne va pas aussi bien "climatiquement" parlant.
R - C'est parce que, encore une fois, au cours des dernières années, nous avons eu à traiter des dossiers d'une importance absolument phénoménale. Vous savez, on remet à plat les finances de l'Union européenne tous les sept ans. Mais cette fois, il s'agissait de préparer l'élargissement. Ne sous-estimons pas ce qui a été fait à Nice, concernant les institutions européennes. Savez-vous depuis combien de temps on n'avait pas remis à plat le problème des voix au sein du Conseil - c'est très important, il s'agit de savoir combien pèse chaque pays ? La réponse est simple : nous ne l'avons pas fait depuis 1957. C'est-à-dire que depuis le traité de Rome, c'était la première fois qu'on revoyait l'importance, le poids de chaque nation au sein du Conseil des ministres. Et c'est encore quelque chose de fondamental !
Q - Vous avez dans votre bureau deux photographies que j'ai repérées : celle de Gaulle et Adenauer, d'une part, et celle de Mitterrand et Kohl. Vous représentez la jeune génération montante de l'Europe : tout de même, vous n'êtes pas des grands romantiques de l'Europe ! C'est le moins que l'on puisse dire...
R - La situation est peut-être moins romantique. D'abord, j'ai fait installer ces photos, non pas par tradition mais le premier jour où je suis arrivé ici. Cela veut dire quand même quelque chose par rapport à ce que l'on a pu voir, à la façon dont une forme de presse a traité la France en Allemagne...Pour nous, le franco-allemand, c'est quelque chose de sacré.
Q - Vous a traité vous-même d'ailleurs...
R - Tout à fait. C'est faire à la fois insulte aux hommes que nous sommes, à l'homme que je suis, et en même temps, à notre intelligence nationale. Pour nous, il n'y a pas d'alternative au franco-allemand. Mais en même temps, ces photos sont les symboles d'un passé : de Gaulle-Adenauer, la réconciliation ; Kohl-Mitterrand, c'est, beaucoup plus loin encore, le retour sur le conflit de la première guerre mondiale. Nous n'en sommes plus là. Justement, parce qu'ils ont fait cela, parce que ces hommes ont fait des gestes symboliques décisifs. Nous sommes finalement un peu libérés de ce qui s'est déroulé alors. Alors, nous avons le devoir de préparer l'avenir, et l'avenir c'est une Europe élargie, une Europe réunie, une Europe qui aura effacé toutes les séquelles de la deuxième guerre mondiale, une Europe en paix, et donc, une Europe nouvelle. C'est vrai, c'est une situation peut-être moins romantique... On ne se réconcilie pas tous les jours, surtout quand nous ne sommes pas fâchés. Maintenant, il nous faut imaginer une cohabitation un peu réaliste, c'est vrai, mais qui, en même temps, fasse rêver, entre des nations égales, dans une Europe forte.
Q - Monsieur Moscovici, merci pour Arte, dont vous savez que c'est un laboratoire du franco-allemand en grandeur nature.. Je ne sais pas si vous regardez Arte de temps en temps ?
R - Absolument. J'aurai dû préciser qu'Arte était la preuve que le couple franco-allemand était irremplaçable et fonctionnait très bien, puisque nous avons d'autres formes de collaboration.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2001)
R - Il faut d'abord dire que ce n'est pas un sommet au sens classique : pas d'ordre du jour, pas de fonctionnaires, c'est une explication en "tête-à-tête", entre Gerhard Schroeder d'une part, Lionel Jospin et Jacques Chirac d'autre part, Joschka Fischer et Hubert Védrine. Je crois que c'est un moment de vérité, c'est l'occasion de se dire ce que l'on n'a pas pu se dire, ce qui va et ce qui ne va pas. C'est aussi l'occasion d'essayer de tracer les lignes d'une redéfinition, d'une relance, d'une refondation, d'un couple franco-allemand qui n'est pas en crise, contrairement à ce que l'on dit, mais qui, c'est vrai, a connu des jours meilleurs. Je crois qu'il faut mettre les choses à plat. Dire ce qui a été, dire ce qui ne va pas, dire ce qu'il faut faire, non pas en dressant un plan d'action, mais en donnant une direction politique claire.
Q - Donc, vous dites tout de même : ce soir à Strasbourg, on clarifie.
R - On clarifie. C'est exactement cela.
Q - On va se dire vraiment les choses sans langue de bois ?
R - Sans langue de bois, sans agressivité, sans platonisme. Car il ne faut pas se dire qu'il n'y a pas de problèmes quand il y en a. Mais encore une fois, l'idée c'est de dire : voilà, la France et l'Allemagne sont un couple, la France et l'Allemagne sont le moteur de l'Europe ; il n'y a pas d'alliance de revers possible, il n'y a pas d'alternative ; si nous fonctionnons chacun de notre côté, alors c'est l'Europe tout entière qui va en pâtir. Donc, repartons ensemble, mais sur des bases éclaircies ou éclairées.
Q - Monsieur Moscovici, si vous le permettez tout de même, on entend cela depuis des années ! Le moteur franco-allemand a des ratés, mais redémarre toujours... Est-ce toujours aussi vrai qu'auparavant ?
R - C'est pour cela que nous sommes à un moment de vérité.
Q - Il reste tout de même que c'est le chancelier Schroeder, et non plus son ministre Joschka Fischer, qui, cette fois, monte au créneau, qui est à l'initiative et qui demande plus d'intégration et un peu moins d'intergouvernementalité. N'est pas maintenant l'heure des choix ?
R - Ne faisons pas non plus au chancelier le grief de penser qu'il s'adressait à nous en disant cela. Il s'adressait à tout le monde. Après Nice, nous nous sommes engagés dans un grand débat sur l'avenir de l'Union européenne, dont le rendez-vous est fixé à 2004. Chacun doit parler. Jacques Chirac a parlé au Bundestag en juin dernier, en prônant une constitution européenne. Joschka Fischer avait parlé auparavant d'une fédération d'Etats-nations, en reprenant d'ailleurs les termes utilisés par Jacques Delors dès 1995.
Q - Que vous reprenez vous-même ?
R - Que je reprends moi-même.
Q - Vous persistez et signez dans ce sens ?
R - Absolument, mais je n'ai pas de mérite à cela.
Q - C'est formidable, parce qu'à vous écouter, on se demande pourquoi cela bloque un peu en ce moment entre Paris et Berlin et pourquoi cela ne va pas aussi bien "climatiquement" parlant.
R - C'est parce que, encore une fois, au cours des dernières années, nous avons eu à traiter des dossiers d'une importance absolument phénoménale. Vous savez, on remet à plat les finances de l'Union européenne tous les sept ans. Mais cette fois, il s'agissait de préparer l'élargissement. Ne sous-estimons pas ce qui a été fait à Nice, concernant les institutions européennes. Savez-vous depuis combien de temps on n'avait pas remis à plat le problème des voix au sein du Conseil - c'est très important, il s'agit de savoir combien pèse chaque pays ? La réponse est simple : nous ne l'avons pas fait depuis 1957. C'est-à-dire que depuis le traité de Rome, c'était la première fois qu'on revoyait l'importance, le poids de chaque nation au sein du Conseil des ministres. Et c'est encore quelque chose de fondamental !
Q - Vous avez dans votre bureau deux photographies que j'ai repérées : celle de Gaulle et Adenauer, d'une part, et celle de Mitterrand et Kohl. Vous représentez la jeune génération montante de l'Europe : tout de même, vous n'êtes pas des grands romantiques de l'Europe ! C'est le moins que l'on puisse dire...
R - La situation est peut-être moins romantique. D'abord, j'ai fait installer ces photos, non pas par tradition mais le premier jour où je suis arrivé ici. Cela veut dire quand même quelque chose par rapport à ce que l'on a pu voir, à la façon dont une forme de presse a traité la France en Allemagne...Pour nous, le franco-allemand, c'est quelque chose de sacré.
Q - Vous a traité vous-même d'ailleurs...
R - Tout à fait. C'est faire à la fois insulte aux hommes que nous sommes, à l'homme que je suis, et en même temps, à notre intelligence nationale. Pour nous, il n'y a pas d'alternative au franco-allemand. Mais en même temps, ces photos sont les symboles d'un passé : de Gaulle-Adenauer, la réconciliation ; Kohl-Mitterrand, c'est, beaucoup plus loin encore, le retour sur le conflit de la première guerre mondiale. Nous n'en sommes plus là. Justement, parce qu'ils ont fait cela, parce que ces hommes ont fait des gestes symboliques décisifs. Nous sommes finalement un peu libérés de ce qui s'est déroulé alors. Alors, nous avons le devoir de préparer l'avenir, et l'avenir c'est une Europe élargie, une Europe réunie, une Europe qui aura effacé toutes les séquelles de la deuxième guerre mondiale, une Europe en paix, et donc, une Europe nouvelle. C'est vrai, c'est une situation peut-être moins romantique... On ne se réconcilie pas tous les jours, surtout quand nous ne sommes pas fâchés. Maintenant, il nous faut imaginer une cohabitation un peu réaliste, c'est vrai, mais qui, en même temps, fasse rêver, entre des nations égales, dans une Europe forte.
Q - Monsieur Moscovici, merci pour Arte, dont vous savez que c'est un laboratoire du franco-allemand en grandeur nature.. Je ne sais pas si vous regardez Arte de temps en temps ?
R - Absolument. J'aurai dû préciser qu'Arte était la preuve que le couple franco-allemand était irremplaçable et fonctionnait très bien, puisque nous avons d'autres formes de collaboration.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 février 2001)