Texte intégral
S. Paoli - L'agriculture, malade de la vache folle, est-elle lentement en train de changer de projet ? Les élections aux chambres d'agriculture marquent un recul de la FNSEA, jusque là toute puissante et sans partage, au profit de la Confédération paysanne. Or à travers ces deux mouvements, s'expriment deux visions opposées de l'agriculture. Agriculture intensive, productiviste, c'est un peu la ligne défendue par la FNSEA, contre les bio, contre les paysans : est-ce qu'on est vraiment à un rendez-vous de telle nature fixée l'agriculture aujourd'hui ?
- "Peut-être que le débat est un peu caricatural. Il y a à la FNSEA des gens qui font aussi du bio. Mais disons que le débat qui a lieu ces derniers mois était un beau débat public sur l'avenir de l'agriculture. Je me réjouis surtout de cela car ces élections d'hier soir ont ponctué ce grand débat public sur l'agriculture. C'était un débat pluraliste qui a donc été ponctué par des élections avec un très fort taux de participation - plus de 60 %. Ce sont les élections professionnelles qui ont le plus fort taux de participation. Je me réjouis de tout cela parce que je pense qu'effectivement l'avenir de l'agriculture concerne la société. Et quand ce débat est public, quand il a lieu sur la scène publique, c'est une très bonne chose."
En effet, c'est un véritable choix de société. Mais il est très complexe parce que la Politique agricole commune est inscrite dans ce débat. Après-guerre, il fallait l'autosuffisance, il fallait produire beaucoup : en est-on encore là ? L'agriculture n'est-elle pas justement en train de se poser la question de son devenir ?
- "Ce que vous dites est parfaitement juste, c'est-à-dire qu'au fond, le contrat initial de la Politique agricole commune - contrat entre la société européenne et ses agriculteurs fait au lendemain de la guerre, au moment où l'Europe était dévastée et n'était pas autosuffisante d'un point de vue alimentaire - était un contrat qui se résumait en une formule simple : il fallait produire plus et à bas prix pour nourrir l'Europe. Ce contrat a été, reconnaissons-le, admirablement rempli par les agriculteurs européens, notamment par les agriculteurs français qui ont su nourrir l'Europe quantitativement et à bas prix, et même devenir une grande puissance exportatrice. 40 ou 50 ans après, ce contrat, à bien des égards, est très démodé. D'abord parce que nous sommes à peu près excédentaires dans tout. Si on retire la production ovine, les oléoprotéagineux et quelques productions agrumaires, l'Europe est excédentaire en tout. Quand on est excédentaire en tout, on ne peut pas continuer à dire "produisez toujours plus." Ensuite, parce qu'on a vu les limites de ce "produire plus" : c'est à la fois l'exode rural, la concentration des exploitations, des problèmes de pertes d'emplois en milieu rural mais aussi la dégradation de nos sols, de nos nappes phréatiques, de nos rivières. Et puis aussi les problèmes de qualité, de traçabilité, de transparence de certaines productions. Aujourd'hui, la société française et européenne qui est très attachée à son agriculture - en France plus qu'ailleurs, elle est toujours là pour défendre ses paysans parce que la France est un vieux pays rural - a envie de dire à son monde paysan que le nouveau contrat qu'elle voudrait passer avec eux, c'est "produisez mieux.""
L'Europe a-t-elle la tête suffisamment bien faite maintenant pour répondre à un vrai défi qui consiste à faire cohabiter économie et écologie ?
- "De toutes façons, on ne peut pas faire autrement. C'est un impératif qui nous est imposé. C'est donc à nous d'en tirer les leçons et de prendre les décisions pour cela. Au moment d'Agenda 2000, quand on a redéfinit la Politique agricole commune pour six ans, de 2000 à 2006, on a commencé à aller dans ce sens en créant un deuxième pilier de la PAC. Le premier pilier était les aides directes, les aides de marchés, la gestion des marchés. On a créé un deuxième pilier de la PAC qui s'appelle le développement rural. On a donc pris une orientation, timidement mais on l'a prise. Maintenant, il faut accélérer le rythme. Le problème qui est posé devant nous, c'est qu'il faut accélérer ce rythme pour répondre aux attentes de la société, pour produire mieux. Et en même temps, les agriculteurs sont des agents économiques qui ont besoin, comme tous les agents économiques, d'une certaine visibilité sur l'avenir. Et si on change les règles du jeu tous les ans ou tous les deux ans, on va désorganiser ce système. Il faut donc trouver le bon rythme pour évoluer mais il faut absolument évoluer."
En même temps, essayer de se faire comprendre, ce n'est pas simple y compris par nos partenaires. Vous avez poussé un petit coup de gueule l'autre jour en direction de l'Allemagne qui exportait à bas prix sa viande bovine au moment où...
- "Ca a porté ses fruits..."
Elle exportait sa crise, disiez-vous ?
- "On a des problèmes de marché étant obligé de tester tous les bovins. C'est la crise de l'ESB, on est en plein dedans. L'Allemagne l'a connu quelques semaines ou quelques mois après nous. Du coup, nous commencions à remonter la pente, à retrouver des progressions de consommation, des redressements des cours, et tout d'un coup, on s'est retrouvé avec des afflux de viande allemande à très bas prix, cassant les marchés, comme si l'Allemagne nous exportait sa crise, tout simplement parce qu'elle n'a pas voulu mettre en oeuvre à ce stade les mesures de marché que nous, nous avons prises, c'est-à-dire de dégagement de marché. Elle a décidé de le faire hier, je m'en réjouis, car il faut que nous soyons tous solidaires dans la gestion de cette crise."
Comment va-t-on gérer la crise ? Dans Le Parisien ce matin, je vois : "scandale autour d'un centre d'équarrissage." Cadavres putréfiés d'animaux entassés depuis plusieurs semaines, odeurs nauséabondes, eaux souillées... L'usine d'équarrissage de Guer, dans le Morbihan, n'arrive pas à suivre les cadences intensives d'abattage."
- "Je veux bien croire ce genre d'information, parce que le service public d'équarrissage est effectivement actuellement un peu débordé par les afflux de viandes qui sont détruites, parce que nous sommes dans une surproduction structurelle en ce moment et nous savons que nous avons des goulots d'étranglement sur ce sujet. Cela nous pose donc des problèmes."
Mais les stocks vont s'accumuler. Comment va-t-on les gérer ?
- "Quand on se retrouve avec des niveaux de consommation de viande bovine en Europe qui se sont effondrés - en Allemagne, actuellement, c'est moins 50 %, en France on est tombé jusqu'à moins 50 % il y a trois mois, maintenant on a remonté aux alentours de moins 25 à 30 %, cela dépend des marchés -, évidemment l'Europe et notamment la France - la plus grande puissance productrice de viande bovine en Europe - sont en situation de surproduction évidente. On entasse les bovins dans les exploitations, on les garde trop longtemps, on les stocke dans des frigos ou soit on les mets à l'équarrissage. On a donc un vrai problème de surproduction. Tout le problème est de savoir si c'est conjoncturel, si on va retrouver des niveaux de consommation qui vont nous permettre de retrouver comme avant un niveau de consommation comparable, ou bien si c'est structurel. Auquel cas, on aura des mesures très douloureuses à prendre."
Comment se faire comprendre des producteurs, d'un homme ou d'une femme à qui on demande d'abattre tout son troupeau alors qu'il a l'impression d'avoir fait tout ce qu'il fallait pour bien produire dans de bonnes conditions.
- "C'est sûrement très douloureux pour lui. En même temps, il doit bien comprendre que produire s'il n'y a pas d'écoulement, s'il n'y a pas une demande, une consommation, un marché pour cela, c'est une impasse. Ce qu'il faut, c'est retrouver avec eux les équilibres de marché en les aidant à le faire. D'où ma demande auprès de la Commission européenne de venir en aide directe aux éleveurs, parce que nous n'avons pas le droit de le faire au niveau national. Il y a un minimum de solidarité à trouver vis-à-vis de ces éleveurs."
Et les évolutions à mettre en place ? Est-ce que c'est plus facile pour un ministre de l'Agriculture d'avoir en face de lui un système un petit peu plus équilibré : une FNSEA un peu moins puissante et dominatrice qu'elle ne l'a été et une Confédération paysanne qui propose un discours un peu plus alternatif ? Est-ce que cela permet justement de chercher une nouvelle voie ?
- "Les élections d'hier sont des élections professionnelles. Je me suis gardé durant toute la campagne de la moindre intervention dans ce débat public, parce que j'avais un devoir de réserve et de neutralité. Je veux donc le garder aujourd'hui dans le commentaire des élections, même si ce n'était pas toujours facile pour moi - parce que j'en ai pris plein les dents ! - à propos de mises en cause, d'attaques voire d'insultes. Mais c'était des élections professionnelles, j'ai donc respecté cette neutralité. Ce que je veux dire simplement, sans commenter les évolutions, c'est que je me réjouis du pluralisme parce qu'on ne souffre jamais de trop de démocratie. Ce pluralisme, dans les représentations professionnelles agricoles, n'existent pas depuis très longtemps : il existe depuis deux ans. C'est la loi de 1999, de ce Gouvernement et de cette majorité, qui a instauré le pluralisme dans tous les conseils d'administrations de ces établissements publics, des chambres d'agriculture et de tous les autres. Les élections d'hier sont un beau succès de pluralisme et je m'en réjouis. Voilà, c'est tout ce que je veux dire sur les résultats."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 2 février 2001)