Texte intégral
Monsieur le ministre
Monsieur le président du Centre Georges Pompidou, cher Bruno,
Mesdames et messieurs,
C'est un très grand plaisir pour moi d'être parmi vous ce soir, à Berlin, dans ce prestigieux Martin Gropius Bau, qui accueille l'exposition centrale du festival d'art contemporain "ART FRANCE BERLIN". Permettez-moi de saluer et de remercier avant tout les collectionneurs, galeristes, artistes, conservateurs de musée, mécènes, qui ont participé avec beaucoup d'ardeur à cette aventure. C'est un magnifique hommage que vous rendez à la création française, à la création française en France, à la création française en Allemagne, à la création d'artistes étrangers vivant en France. Pour la première fois en Europe, 150 représentants parmi les plus importants de la peinture française, sont exposés ensemble dans cette ville, qui incarne à tant d'égards la modernité et la créativité européenne.
Berlin est aujourd'hui l'une des grandes capitales de l'art européen. C'est une ville en pleine transformation, ancrée dans une histoire riche, dense, qui surgit à chaque coin de rue ; Berlin est avant tout ouverte sur le monde, du mélange des cultures dans le quartier de Kreuzberg aux allées animées de Prenzlauer Berg, des gratte-ciels qui entourent désormais le Potsdamer Platz aux grands musées du centre historique, toutes les formes d'art et de création trouvent leur place à Berlin. Cette exposition permettra, j'en suis convaincu, de resserrer encore les liens qui unissent nos deux cultures. L'art et la culture allemande ont toujours occupé une place à part dans le coeur et dans l'esprit des Français. Aujourd'hui, les oeuvres d'Anselm KIEFER, de Georg BASELITZ, de Gerhard RICHTER ou encore les photographies d'Andreas GURSKY ou de Thomas RUFF, suscitent auprès du public français un intérêt et une admiration toujours plus forte. Le centre Georges-Pompidou, cher Bruno RACINE, joue évidemment un rôle essentiel à cet égard avec, par exemple, la très belle exposition consacrée, il n'y a pas si longtemps à Bernd et Hilla BECHER. "ART FRANCE" doit évidemment faire connaître nos artistes au public allemand. Elle permettra de poursuivre et de renforcer ce dialogue si singulier et si riche entre nos deux pays, mais elle sera également, j'en suis convaincu, un formidable lieu de rencontre entre artistes venus de France, d'Allemagne et de toute l'Europe.
Nos deux pays ont toujours porté très haut l'idée qu'ils se faisaient de la place de l'art. En France comme en Allemagne, ce sont nos écrivains, nos philosophes, nos cinéastes, nos peintres, nos architectes, nos musiciens, qui ont forgé notre identité. Eux seuls peuvent aujourd'hui nous donner à voir les angoisses et les aspirations profondes de notre société, les blessures de l'histoire, mais aussi les formidables espoirs qui animent nos deux peuples. Alors, sachons défendre la place de l'art et de la culture en Europe, car les réussites économiques, nous le savons, ne suffiront pas à faire émerger une véritable conscience européenne. C'est en permettant aux Européens de découvrir les grands artistes des différents pays membres, en confrontant leurs points de vue, en mêlant leurs voix, que nos peuples verront tout ce qui les rapproche, un même attachement aux valeurs humanistes, un esprit critique qui ne recule devant aucune remise en question, une même ouverture au monde. Et je voudrais vous dire, pour quelqu'un qui, malheureusement, a la vie d'un homme pressé, passer quelques minutes, rapidement, beaucoup trop rapidement, entre des tableaux comme ceux que nous venons d'admirer dans ce lieu magnifique, c'est bien sûr une halte, un repos, mais l'on sent surtout un souffle profond, celui de la création, celui de l'imagination, celui de l'appétit, celui de la peur, celui de l'angoisse de ces artistes, qui veulent ainsi s'exprimer à travers la matière, dans les limites parfois trop fragiles, trop étroites du tableau, exprimer tout ce qu'ils ressentent et nous le faire partager. Les émotions que l'on peut ressentir dans l'atelier d'un artiste... J'étais, il n'y a pas très longtemps dans l'atelier d'Anselm KIEFER découvrant un tableau extraordinaire en hommage à Paul CELAN ; dans ce dialogue qu'Anselm KIEFER a et développe depuis maintenant un certain nombre d'années avec ce grand poète ; et il y avait là un tableau très émouvant qui illustrait un poème de Paul CELAN, "la couronne noire" - c'est le nom du tableau - qui illustre un poème qui s'appelle "Couronne de septembre" ; dans ce tableau, on voit un champ de ruines avec un paysage sur fond bleu, un ciel bleu où est écrit la deuxième strophe de ce poème, et devant, comme une avancée proéminente, il y a une chaise d'enfant, une chaise d'école, une chaise presque vide, puisque cette chaise, faite de quelques armatures de métal, porte en son milieu un fagot de bois sec ; c'est la mort et c'est en même temps l'espoir qui se conjuguent. Eh bien, ce souffle traverse une exposition comme celle-ci ; l'émotion que nous ressentons dans l'atelier d'un artiste, nous la retrouvons dans un passage furtif d'un tableau à l'autre, quand on découvre ce merveilleux hommage de Zao WOU-KI à une femme qu'il a beaucoup aimée, Mai, et perdue dans des conditions tragiques, on sent vibrer l'artiste et le tableau est comme tout frais sorti de l'acte de création, de l'artiste ; quand on entrevoit le tableau de Pierre SOULAGES, qui explore, à travers le noir, l'âme humaine, le monde, mais avec cet appétit de renouer avec une culture, une spiritualité qui le ramène à cette abbaye de Conques, où il a décidé, un beau jour, tout enfant, de consacrer sa vie à la peinture. Eh bien, on ressent ici, devant ces tableaux, cette émotion, cette passion. Les jeunes artistes, Martial RAISSE, Hervé TELEMAQUE, combien d'autres ici, font partager cette passion. Et je voudrais terminer sur un artiste qui m'est cher, qui n'est ni français ni allemand, mais qui pour moi symbolise bien cette impertinence indispensable et en même temps, cette tendresse indispensable que représente la peinture dans nos vies : dans "la maison du sourd" de GOYA, il y avait un tableau qui lui était particulièrement cher, qui était placé à droite de la maison et qui, au milieu de tableaux des peintures noires où il reprenait, à la fin de sa vie, des thèmes qui étaient très proches des "Caprices" qu'il avait réalisés et qui lui avaient valu les foudres de l'Inquisition, eh bien, à la fin, il y avait un tableau représentant une immense étendue ocre, ocre sombre en bas, ocre lumineux, jaune, plein de vie en haut ; et au milieu, dans la bordure qui séparait l'ocre noir et l'ocre clair, il y avait une petite tête de chien qui regardait vers la porte, comme si elle guettait l'arrivée du maître, tendresse du peintre qui, à la fin de sa vie, n'a pour seule consolation que ce regard du chien, cette tendresse qui s'exprime, force de la peinture qui, au milieu d'un chaos, fait éclater, non pas comme dans "Le chef-d'oeuvre inconnu" de BALZAC, un admirable pied qui rachète tout le tableau, mais une petite tête de chien. Oui, la peinture sait faire émerger du chaos ; elle sait faire émerger la vie, l'honneur de la création, la tendresse de l'artiste. C'est de cela dont nous avons besoin dans nos vies ; c'est de cela dont nous avons besoin dans ce partage si essentiel aujourd'hui au coeur de l'Europe entre la France et l'Allemagne. Oui, la culture. La culture éclaire nos vies, cette culture qui nous rassemble aujourd'hui. C'est sans doute le seul moyen de bousculer les frontières, de bousculer les habitudes, de bousculer les égoïsmes, d'inscrire la paix, la justice, l'ambition qui est la nôtre dans la durée. Alors, merci aux artistes, merci à l'Allemagne, merci à la France.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 septembre 2006
Monsieur le président du Centre Georges Pompidou, cher Bruno,
Mesdames et messieurs,
C'est un très grand plaisir pour moi d'être parmi vous ce soir, à Berlin, dans ce prestigieux Martin Gropius Bau, qui accueille l'exposition centrale du festival d'art contemporain "ART FRANCE BERLIN". Permettez-moi de saluer et de remercier avant tout les collectionneurs, galeristes, artistes, conservateurs de musée, mécènes, qui ont participé avec beaucoup d'ardeur à cette aventure. C'est un magnifique hommage que vous rendez à la création française, à la création française en France, à la création française en Allemagne, à la création d'artistes étrangers vivant en France. Pour la première fois en Europe, 150 représentants parmi les plus importants de la peinture française, sont exposés ensemble dans cette ville, qui incarne à tant d'égards la modernité et la créativité européenne.
Berlin est aujourd'hui l'une des grandes capitales de l'art européen. C'est une ville en pleine transformation, ancrée dans une histoire riche, dense, qui surgit à chaque coin de rue ; Berlin est avant tout ouverte sur le monde, du mélange des cultures dans le quartier de Kreuzberg aux allées animées de Prenzlauer Berg, des gratte-ciels qui entourent désormais le Potsdamer Platz aux grands musées du centre historique, toutes les formes d'art et de création trouvent leur place à Berlin. Cette exposition permettra, j'en suis convaincu, de resserrer encore les liens qui unissent nos deux cultures. L'art et la culture allemande ont toujours occupé une place à part dans le coeur et dans l'esprit des Français. Aujourd'hui, les oeuvres d'Anselm KIEFER, de Georg BASELITZ, de Gerhard RICHTER ou encore les photographies d'Andreas GURSKY ou de Thomas RUFF, suscitent auprès du public français un intérêt et une admiration toujours plus forte. Le centre Georges-Pompidou, cher Bruno RACINE, joue évidemment un rôle essentiel à cet égard avec, par exemple, la très belle exposition consacrée, il n'y a pas si longtemps à Bernd et Hilla BECHER. "ART FRANCE" doit évidemment faire connaître nos artistes au public allemand. Elle permettra de poursuivre et de renforcer ce dialogue si singulier et si riche entre nos deux pays, mais elle sera également, j'en suis convaincu, un formidable lieu de rencontre entre artistes venus de France, d'Allemagne et de toute l'Europe.
Nos deux pays ont toujours porté très haut l'idée qu'ils se faisaient de la place de l'art. En France comme en Allemagne, ce sont nos écrivains, nos philosophes, nos cinéastes, nos peintres, nos architectes, nos musiciens, qui ont forgé notre identité. Eux seuls peuvent aujourd'hui nous donner à voir les angoisses et les aspirations profondes de notre société, les blessures de l'histoire, mais aussi les formidables espoirs qui animent nos deux peuples. Alors, sachons défendre la place de l'art et de la culture en Europe, car les réussites économiques, nous le savons, ne suffiront pas à faire émerger une véritable conscience européenne. C'est en permettant aux Européens de découvrir les grands artistes des différents pays membres, en confrontant leurs points de vue, en mêlant leurs voix, que nos peuples verront tout ce qui les rapproche, un même attachement aux valeurs humanistes, un esprit critique qui ne recule devant aucune remise en question, une même ouverture au monde. Et je voudrais vous dire, pour quelqu'un qui, malheureusement, a la vie d'un homme pressé, passer quelques minutes, rapidement, beaucoup trop rapidement, entre des tableaux comme ceux que nous venons d'admirer dans ce lieu magnifique, c'est bien sûr une halte, un repos, mais l'on sent surtout un souffle profond, celui de la création, celui de l'imagination, celui de l'appétit, celui de la peur, celui de l'angoisse de ces artistes, qui veulent ainsi s'exprimer à travers la matière, dans les limites parfois trop fragiles, trop étroites du tableau, exprimer tout ce qu'ils ressentent et nous le faire partager. Les émotions que l'on peut ressentir dans l'atelier d'un artiste... J'étais, il n'y a pas très longtemps dans l'atelier d'Anselm KIEFER découvrant un tableau extraordinaire en hommage à Paul CELAN ; dans ce dialogue qu'Anselm KIEFER a et développe depuis maintenant un certain nombre d'années avec ce grand poète ; et il y avait là un tableau très émouvant qui illustrait un poème de Paul CELAN, "la couronne noire" - c'est le nom du tableau - qui illustre un poème qui s'appelle "Couronne de septembre" ; dans ce tableau, on voit un champ de ruines avec un paysage sur fond bleu, un ciel bleu où est écrit la deuxième strophe de ce poème, et devant, comme une avancée proéminente, il y a une chaise d'enfant, une chaise d'école, une chaise presque vide, puisque cette chaise, faite de quelques armatures de métal, porte en son milieu un fagot de bois sec ; c'est la mort et c'est en même temps l'espoir qui se conjuguent. Eh bien, ce souffle traverse une exposition comme celle-ci ; l'émotion que nous ressentons dans l'atelier d'un artiste, nous la retrouvons dans un passage furtif d'un tableau à l'autre, quand on découvre ce merveilleux hommage de Zao WOU-KI à une femme qu'il a beaucoup aimée, Mai, et perdue dans des conditions tragiques, on sent vibrer l'artiste et le tableau est comme tout frais sorti de l'acte de création, de l'artiste ; quand on entrevoit le tableau de Pierre SOULAGES, qui explore, à travers le noir, l'âme humaine, le monde, mais avec cet appétit de renouer avec une culture, une spiritualité qui le ramène à cette abbaye de Conques, où il a décidé, un beau jour, tout enfant, de consacrer sa vie à la peinture. Eh bien, on ressent ici, devant ces tableaux, cette émotion, cette passion. Les jeunes artistes, Martial RAISSE, Hervé TELEMAQUE, combien d'autres ici, font partager cette passion. Et je voudrais terminer sur un artiste qui m'est cher, qui n'est ni français ni allemand, mais qui pour moi symbolise bien cette impertinence indispensable et en même temps, cette tendresse indispensable que représente la peinture dans nos vies : dans "la maison du sourd" de GOYA, il y avait un tableau qui lui était particulièrement cher, qui était placé à droite de la maison et qui, au milieu de tableaux des peintures noires où il reprenait, à la fin de sa vie, des thèmes qui étaient très proches des "Caprices" qu'il avait réalisés et qui lui avaient valu les foudres de l'Inquisition, eh bien, à la fin, il y avait un tableau représentant une immense étendue ocre, ocre sombre en bas, ocre lumineux, jaune, plein de vie en haut ; et au milieu, dans la bordure qui séparait l'ocre noir et l'ocre clair, il y avait une petite tête de chien qui regardait vers la porte, comme si elle guettait l'arrivée du maître, tendresse du peintre qui, à la fin de sa vie, n'a pour seule consolation que ce regard du chien, cette tendresse qui s'exprime, force de la peinture qui, au milieu d'un chaos, fait éclater, non pas comme dans "Le chef-d'oeuvre inconnu" de BALZAC, un admirable pied qui rachète tout le tableau, mais une petite tête de chien. Oui, la peinture sait faire émerger du chaos ; elle sait faire émerger la vie, l'honneur de la création, la tendresse de l'artiste. C'est de cela dont nous avons besoin dans nos vies ; c'est de cela dont nous avons besoin dans ce partage si essentiel aujourd'hui au coeur de l'Europe entre la France et l'Allemagne. Oui, la culture. La culture éclaire nos vies, cette culture qui nous rassemble aujourd'hui. C'est sans doute le seul moyen de bousculer les frontières, de bousculer les habitudes, de bousculer les égoïsmes, d'inscrire la paix, la justice, l'ambition qui est la nôtre dans la durée. Alors, merci aux artistes, merci à l'Allemagne, merci à la France.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 26 septembre 2006