Discours de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'intégration régionale en Afrique, la nécessité de l'intégration dans toute politique de développement, les organisations régionales d'intégration en Afrique et l'action de la France et de l'Union européenne en matière d'intégration régionale, Paris, le 27 mars 2001.

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Circonstance : Ouverture du Deuxième Forum international sur les perspectives africaines organisé par le Centre de développement de l'OCDE et la Banque africaine de développement, à Paris, le 27 mars 2001

Texte intégral

Messieurs les co-Présidents,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
C'est un plaisir pour moi d'être parmi vous ce matin pour ouvrir ce deuxième forum international sur les perspectives africaines. La Banque africaine de développement et par le Centre de développement de l'OCDE ont eu raison de choisir cette année le thème de l'intégration régionale. Confrontée à la mondialisation, l'Afrique ne saurait se soustraire à l'ardente obligation de regroupement régional. Traversée plus que tout autre continent par des guerres dévastatrices, l'Afrique ne connaîtra le développement économique et social et la sécurité qu'à cette condition.
Non que l'intégration régionale soit la panacée. Mais parce qu'elle est d'abord un instrument de paix, elle ouvre des perspectives de développement à une Afrique particulièrement meurtrie par son histoire. Les logiques de prédation doivent absolument céder la place à celles de partenariat, de coopération, de saine et honnête compétition entre économies africaines.
J'observe qu'après un essoufflement dans les années 80, l'intégration régionale connaît un regain d'intérêt. Ce thème est au cur du plan africain de renaissance pour le millenium des présidents Bouteflika, Obasanjo et M'béki comme du plan pour le développement de l'Afrique du président Wade. J'y vois un signe de vitalité, une réaction positive du continent pour surmonter ses divisions, et trouver des solutions communes pour affronter l'enjeu du développement. Le projet d'Union africaine est sans doute un autre signe de cette vitalité.
Certes, les bailleurs de fonds internationaux sont de plus en plus nombreux à encourager ce mouvement. Mais, je veux rappeler que l'Union européenne a eu un rôle pionnier dans ce domaine.
C'est ainsi que l'accord de partenariat ACP-Union européenne, signé à Cotonou en juin 2000, donne à l'intégration et à la coopération régionale une place nouvelle, tant dans le cadre de ses relations commerciales avec les pays ACP que dans le partenariat en matière de financement du développement.
De la même manière, le récent sommet "Afrique-Europe" du Caire, a retenu l'intégration régionale comme thème majeur de son plan d'action. Dans ces deux enceintes, la France a été particulièrement en pointe dans les négociations. Elle le sera encore dans la mise en uvre concrète des orientations adoptées.
L'Union européenne puise dans sa propre expérience de nombreuses raisons d'encourager ses partenaires africains à l'intégration régionale.
En Europe, nous savons que les Etats trouvent, dans les disciplines indissociables des processus d'intégration régionale et dans leur effet d'émulation, des stimulants pour assainir leurs politiques économiques et financières. Cette recherche de convergences régionales s'accompagne nécessairement d'un effort accru de transparence.
Elle peut donc également favoriser l'émergence de sociétés plus respectueuses de l'Etat de droit. L'intégration peut non seulement élargir les marchés. Elle peut aussi permettre l'émergence de fonctions d'administration économique plus fortes et plus professionnelles.
Certes, en Afrique comme ailleurs et parfois plus encore qu'ailleurs, les obstacles ne manquent pas. Ces obstacles sont en premier lieu structurels : je mentionnerai la faiblesse des échanges commerciaux interafricains. C'est le reflet de la nature même de ces échanges constitués à 90 % de matières premières. Je rappellerai l'insuffisance des infrastructures régionales encore récemment soulignée par le Plan pour l'Afrique du président Wade. Je pense aussi à l'hétérogénéité des systèmes de développement et aux disparités entre ces économies - les pays pétroliers et leurs voisins dépourvus de cette ressource fonctionnent ainsi souvent à cycles économiques inversés -. A tout cela s'ajoute bien entendu le poids du secteur informel.
Les obstacles sont également d'ordre politique : la multiplication des conflits entre Etats voisins, les rivalités de leadership, l'instabilité intérieure de nombreux Etats, tout cela complique pour le moins la construction d'ensembles régionaux.
Enfin, ne sous-estimons pas les cloisonnements culturels, parfois aggravés par les anciennes puissances coloniales. A cet égard, je veux dire toute l'importance pour le dialogue entre Africains, de l'ouverture géographique de la politique de la France en Afrique et de la défense par la francophonie du pluralisme linguistique.
Le plus souvent pourtant ces facteurs, y compris les conflits, procèdent largement du sous-développement.
Il est donc important de "casser" ce cercle vicieux, d'amorcer une dynamique nouvelle. Et c'est notre rôle de partenaires que de faciliter ces processus. J'y reviendrai plus en détail en citant des exemples concrets de notre politique de coopération.
Une fois ces obstacles surmontés, les écueils ne manquent pas non plus sur la voie de l'intégration régionale : absence de stratégie claire, sous-estimation des contraintes liées à ces processus, calendriers de réalisation parfois irréalistes et risquant par conséquent de décrédibiliser les ambitions affichées.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs
Mesdames et Messieurs,
Il est bien sûr difficile de dégager une carte cohérente de l'intégration sous-régionale. En Afrique tout autant qu'ailleurs, la théorie des ensembles n'est pas d'application facile, quand elle est confrontée aux réalités humaines et inter-étatiques. Nombreux sont, du coup, les pays africains qui évitent de choisir entre les différents groupements et prennent des " options " en quelque sorte dans plusieurs d'entre-eux.
D'autres, placés à la charnière de différents ensembles, se positionnent dans plusieurs organisations par peur de se trouver exclus, au risque de ne trouver leur véritable place dans aucune d'entre elles.
En pratique, il existe en Afrique un grand nombre d'organisations régionales. La plus accomplie est l'Union économique et monétaire d'Afrique de l'Ouest (l'UEMOA), confortée par l'appartenance à la zone franc et la relative homogénéité de ses membres. Au-delà de l'objectif d'union douanière (réalisée depuis le début de l'année 2000), l'adoption, fin 1999, d'un pacte de convergence vise à une meilleure intégration économique entre ses membres.
La Communauté économique et monétaire d'Afrique Centrale (CEMAC), dont les membres bénéficient actuellement de l'embellie pétrolière, conduit également une réflexion dans ce sens, et la convergence entre ces deux "sous-régions" de la zone franc est appelée à se développer.
En Afrique occidentale mais à cheval sur les limites de la zone franc, la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) exerce une force d'attraction indéniable. Elle intègre en son sein certains pays de l'UEMOA, mais la levée de l'hypothèque démocratique au Nigeria (en 1999), et le rôle accru que ce pays entend jouer ont relancé les ambitions d'intégration monétaire de la CEDEAO. Tout aussi significatif est le rôle de plus en plus marqué joué par celle-ci pour bâtir une capacité d'intervention régionale en matière de maintien de la paix, dont l'ECOMOG est le fer de lance. Il faut saluer cet effort pour mettre en uvre une politique globale d'intégration en Afrique de l'Ouest.
En Afrique australe et dans l'Océan indien, la problématique de l'intégration régionale connaît également un essor. Le poids de l'Afrique du sud est évidemment un élément déterminant de l'architecture régionale.
Coexistent ainsi la South African Development Commission (SADC) ; la South African Custom Union (SACU), avec son mécanisme de compensation douanier ; le COMESA, zone à vocation libre-échangiste qui regroupe 21 pays d'Afrique australe et de l'Est mais qui ne comprend pas l'Afrique du sud ; et la Commission de l'océan indien (COI), dont est membre la Réunion et qui intéresse de ce fait très directement la France. Nous devons porter à l'actif de cette dernière organisation une vocation sectorielle affirmée, notamment dans le domaine de la pêche et de l'éducation, illustrée dans ce secteur par le projet de création de l'Université de l'Océan indien.
Citons encore d'autres initiatives, comme l'East African Cooperation (EAC) ou l'IGAD, qui témoignent d'une même dynamique en Afrique de l'Est.
Mesdames et Messieurs,
Il est capital que les bailleurs de fonds accompagnent ces aspirations à l'intégration régionale. L'Union européenne a donné le ton. La Banque mondiale suit. Le FMI prend à son tour en compte cette dimension importante.
Tous trouvent à cela un intérêt en terme d'efficacité, de cohérence et de rationalité de leur politique d'aide.
Ne nous dissimulons cependant pas que la coopération régionale reste toutefois une forme de coopération exigeante, sans doute plus difficile à mettre en place que d'autres, car obéissant à des mécaniques plus complexes. Son évaluation est souvent plus délicate. C'est pourquoi elle demande un effort particulier, auquel, j'en suis sûr, vos travaux contribueront.
Si la dimension régionale des projets est essentielle des deux cotés, elle n'exclut pas pour autant les appuis bilatéraux, qui restent indispensables à l'accompagnement de la mise en uvre des réformes nationales, sans lesquelles les processus d'intégration régionale sont voués à l'échec.
La France a de longue date intégré la coopération régionale dans ses priorités. Elle dispose, en Afrique en particulier, dans le cadre de la zone franc, d'une expérience positive en la matière. Les liens anciens tissés avec les autorités monétaires de la zone et les échanges réguliers entre les responsables économiques y jouent un rôle essentiel. La France apporte ainsi un appui particulier à la construction de l'UEMOA, à travers un programme de coopération spécifique.
Du reste, l'exemple de l'UEMOA atteste de la capacité des sous-régions à opérer les transferts de souveraineté nécessaires à la bonne coordination régionale des politiques économiques.
La France encourage parallèlement d'autres initiatives concourant à l'harmonisation des procédures, qu'il s'agisse des systèmes juridiques dans le cadre de l'OHADA en matière de droit des affaires, de l'élaboration de statistiques harmonisées - c'est l'objet d'Afristat -, de systèmes de comptabilités harmonisées pour les entreprises - je pense à SYSCOA - ou d'assurances, la CIMA.
L'appui qu'elle apporte à certains programmes en faveur du secteur privé, par exemple dans le domaine du contrôle de qualité, vise également à renforcer les capacités des économies africaines. C'est ainsi que dans le secteur des transports, où beaucoup reste à faire, citons également le cas de notre coopération régionale en matière fluviale en Afrique centrale sur le fleuve Congo, qui réunit dans un même projet la RCA, le Congo-Brazzaville et la RDC.
Nous travaillons également dans ce domaine avec l'EAC notamment sur la sécurité de la navigation sur le lac Victoria.
Enfin, dans un tout autre domaine, l'exercice RECAMP d'appui aux armées africaines est une contribution importante de la France à la formation d'une capacité régionale de maintien de la paix.
Je souhaite que la France, comme ses partenaires renforce cette approche régionale. J'ajoute que le partenariat avec des organisations régionales est un vecteur privilégié d'actions de la France vers les pays avec lesquels elle n'a pas encore de tradition forte de coopération.
C'est déjà le cas avec les pays de la SADC, pour lesquels la dimension régionale de notre assistance constitue un élément fort de notre politique, tant en matière de renforcement des capacités institutionnelles de cette organisation, que dans le cadre de coopérations sectorielles comme la lutte contre le SIDA ou la recherche agronomique.
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,
L'Afrique doit s'engager résolument sur la voie de l'intégration régionale. Il y va de sa visibilité politique, de son développement et de son insertion dans l'économie mondiale. Ceci requiert, et nous en sommes très conscients, volonté politique et persévérance. Nous nous devons d'encourager ces efforts. Au-delà de l'assistance technique, cela suppose un dialogue politique.
L'Union européenne entretient d'ores et déjà avec plusieurs ensembles régionaux un dialogue nourri, qui dépasse très largement le cadre économique. J'ai ainsi eu l'honneur de présider, pendant la présidence française, le dialogue ministériel avec la CEDEAO et avec la SADC.
L'Union européenne a des consultations régulières avec l'UEMOA, organisation qu'elle soutient à travers un important programme de coopération, le "PARI". Il est d'ailleurs doté de 80 millions d'euros.
Et de façon générale, l'Union européenne propose un partenariat privilégié aux pays du Sud qui font l'effort d'intégration régionale.
Le nouvel accord de Cotonou permet désormais d'aller plus loin avec la mise en place progressive des accords de partenariats économiques régionalisés (APER) qui prévoient une ouverture réciproque entre l'Union et des sous-ensembles économiquement intégrés au sein du groupe ACP.
Ces accords seront négociés à partir de 2002 et doivent entrer en vigueur en 2008 au plus tard. Ils constituent nous en sommes très conscients, un défi important, tant pour l'Afrique que pour l'Union européenne.
La mise en uvre de ce dispositif relève de la responsabilité des pays ACP. Ils doivent engager sans tarder les efforts nécessaires, au besoin en rationalisant leurs initiatives d'intégration régionales.
Il est urgent que, de son côté, l'Union européenne prépare la mise en place des accords de partenariat économiques régionalisés. Si nous voulons que les ACP soient prêts à engager les négociations l'an prochain, des appuis à l'intégration régionale doivent être apportés sans attendre.
Je veux conclure en lançant un appel aux institutions ici représentées afin qu'elles ne ménagent aucun effort pour appuyer ces processus pour approfondir sans délai l'identification des instruments d'intervention appropriés./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mars 2001)