Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur la violence à l'école, les mesures de prévention et de sécurité dans les établissements scolaires et la coopération entre l'école, la police et la justice, Paris le 20 février 1996.

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Circonstance : Table ronde sur la violence à l'Ecole, Paris le 20 février 1996

Texte intégral

Je suis heureux d'accueillir ici les représentants de l'école française : les parents, les enseignants, les chefs d'établissements et leurs agents. J'ai voulu, pour que nous traitions d'une question cruciale, être entouré de tous les ministres concernés par l'ordre civil. Tout le gouvernement est mobilisé pour défendre la conception que nous nous faisons de la société. Car c'est bien de cela qu'il est question : la violence à l'école est un défi à la communauté sociale. L'école est ce qu'une société a de plus précieux. Personne ne peut accepter que des voies de faits, des vols, des rackets, des agressions, des trafics de drogue s'installent à l'école. Vous ne l'admettez pas, d'autant que vous en êtes les premières victimes et que vous devez y faire face. Moi non plus, je n'admets pas cette transgression à l'autorité. Nous sommes ici pour trouver des solutions à ce fléau.
L'opinion est légitimement inquiète des violences sporadiques qui troublent, ici ou là, la sérénité, voire le fonctionnement, de nos établissements. Des sondages récents en témoignent sans ambiguïté. Désormais, le silence sur ce qui se passe à l'école n'est plus possible : il faut affronter la question ouvertement et collectivement. Il faut briser le mur du silence à l'école.
L' émotion est grande et cette émotion est un révélateur : on porte atteinte au coeur du Pacte social. Il s'agit d'une crise de l'autorité dans ce qu'elle a de plus républicain et de plus démocratique. Allons-nous tolérer que nos établissements du second degré et même nos écoles soient atteints par des phénomènes caractérisés de violence grave ? Ce malaise est endémique, prêt à flamber, insupportable à la raison, et contraire aux conditions qui pour la plupart nous sont communes. Les événements les plus graves ont beau se trouver relativement circonscrits, ils n'en sont pas moins symptomatiques et méritent une réponse attentive.
Je souhaite d'abord protéger nos jeunes des images de violence dans les fictions et éviter des informations agressives qui peuvent donner de mauvaises idées aux esprits immatures, troublés ou prédélinquants. Le Parlement s'en est préoccupé. Le président du C.S.A., M. Hervé BOURGES, a aussitôt réagi et va nous proposer des solutions. Il vient de m'écrire en ce sens.
Quelle école voulons-nous, nous qui sommes garants de l'ordre républicain ? L'école de la République est le ciment de la cohésion sociale, le creuset de la nation, le lieu où se forge son unité. Je refuse qu'elle devienne un champ clos où se défoulent les tensions sociales. Personne ne peut tolérer que s'installent en son sein des rapports fondés sur la force brute qui est la négation même de ce que vous essayez de transmettre. Tout au contraire, elle doit offrir le modèle d'une communauté qui rejette les violences gratuites et les querelles partisanes, pour enseigner dans la sérénité la maîtrise de soi et le respect d'autrui. Telle est la condition pour que l'école de la République transmette utilement les apprentissages fondamentaux, à commencer par l'apprentissage des règles de la vie en société. Si l'école n'est pas protégée des arbitraires et de la loi du plus fort, c'est la société toute entière qui perdra bientôt ses repères. Les pouvoirs publics refusent que nos jeunes entrent dans la vie en ignorant les règles de la vie en collectivité.
Mais une école protégée n'est pas une école fermée : elle doit s'ouvrir au monde et, par des partenariats divers, favoriser la continuité entre l'enseignement et la cité. Je veux donc examiner les pistes qui permettront cette continuité, avec tous les acteurs concernés, ici représentés. Le Pacte de relance pour la ville nous ouvre des perspectives à explorer ensemble.
Nous devons exploiter l'arsenal classique en faveur de l'école en milieu difficile. Nous disposons de 558 ZEP (Zones d'éducation prioritaires), et 175 établissements sont classés "sensibles". Les établissements concernés bénéficient d'un encadrement renforcé, d'un recrutement pédagogique constitué sur la base du volontariat, d'horaires aménagés, de réseaux d'aide sociale. Je constate d'ailleurs que la violence scolaire observée ces jours-ci n'a pas particulièrement concerné ces zones. La prévention a donc été efficace et peut être étendue, tandis que la carte des ZEP pourrait être revue.
Il faut sans doute renforcer la présence d'adultes à l'école. Les établissements ont besoin de surveillants, d'agents et de personnels spécialisés (conseillers principaux d'éducation, psychologues scolaires, infirmières, conseillers d'orientation, etc...). Mais les parents devront aussi y prendre une place plus effective. Dans le même temps, nous pouvons augmenter le nombre d'appelés qui choisissent le service civil dans un établissement scolaire. Il faut également donner vie au "contrat d'association" d'adultes diplômés en recherche d'emploi, mesure prévue par la loi d'orientation du Nouveau contrat pour l'école. On examinera aussi le projet des "grands frères", adolescents responsabilisés par rapport à de plus jeunes. Sans doute, enfin, sera-t-il nécessaire de poursuivre l'effort de transformation d'heures supplémentaires en emplois.
Il faut aussi protéger les établissements de toute intrusion. Des travaux de clôture seront parfois nécessaires. Des badges pourraient permettre d'identifier les élèves qui franchissent le seuil de l'établissement. Un dispositif réglementaire (voire législatif) devrait permettre de sanctionner l'entrée dans l'école de ceux qui n'ont pas à s'y trouver. La périphérie des lieux d'enseignement sera également mieux protégée, grâce à une collaboration accrue avec les service de prévention et de police. Et sans doute faudra-t-il veiller à maintenir les établissements dans une taille humaine.
Il faut surtout mobiliser les consciences La violence à l'école est le révélateur d'une crise plus générale. L'idée d'un enfant qui lève la main sur son maître comporte en soi quelque chose de sacrilège. On touche la à une transgression inacceptable. Avec l'aide de tous, des parents et des éducateurs, si possible dans le cadre des politiques locales (contrat de ville, aménagement du temps de l'enfant etc.), nous devons encourager toute initiative qui évite l'absentéisme, qui responsabilise les jeunes et qui détourne leur agressivité ou leur malaise vers des activités sportives, sociales ou culturelles. Dans le contexte des programmes scolaires, l'éducation civique (fondée sur la pratique et non sur de vains discours) doit être privilégiée. Les jeunes ont besoin d'écoute, certes, mais aussi de repères et d'autorité. La coopération entre l'école, la police et la justice, pour prévenir et sauvegarder, est nécessaire. A l'intérieur de l'établissement, il faut favoriser les structures de dialogue, pour former les délégués de classe, pour négocier des modes de vie et des règlements. La lutte contre la violence ne se fera pas sans les hommes de terrain, ni sans les jeunes eux-mêmes que nous devons à tous égards responsabiliser.
Il faut développer la coopération entre l'école, la police et la justice. Les parents le demandent. Les quartiers en ont besoin. Mais cette coopération n'est possible que si l'équipe de direction de l'établissement scolaire est déjà en elle-même soudée et cohérente, constamment sur le terrain, donnant des consignes claires, ouverte sur les partenaires extérieurs de l'école. Sans cet engagement personnel des chefs d'établissement et de leurs équipes dont je connais le dévouement, rien ne sera possible.
Je connais les préoccupations des parents et je pense qu'ils peuvent nous aider à agir. Des réactions d'humeur se font entendre et ils regrettent "l'école de Jules Ferry" (et ses méthodes simples et efficaces). Les parents ont le sentiment confus que l'école s'est trop fiée a l'autodiscipline, et qu'elle se trouve démunie, sans vrais moyens d'exercer une autorité, face aux jeunes perturbateurs et dangereux. Ils s'insurgent tout particulièrement contre le racket, l'un des plus répugnants fléaux qui ait atteint l'école. En un mot, ils réclament des mesures coercitives. Les mieux informés se plaignent de l'orientation qui n'aide plus les cas difficiles à trouver des filières adaptées. Ils constatent que des établissements entiers sont devenus des ghettos. Là encore, nous voyons que l'intégration n'a pas totalement réussi. En tout cas, tout le monde attend de nous une restauration de l'ordre dans ce que cette valeur a de républicain à l'école.
Je n'ignore pas non plus le découragement de certains enseignants. Malgré un dévouement inlassable, malgré un engagement personnel admirable, malgré des innovations pédagogiques nombreuses, malgré des initiatives exemplaires, les enseignants confrontés à la violence se sentent seuls. Les jeunes professeurs sont déroutés, mal préparés, angoissés. Ils mettent en cause leur formation. Nous devons modifier la formation des nouveaux enseignants pour les préparer aux nouvelles conditions difficiles d'exercice du métier. Les enseignants plus âgés avouent avoir parfois du mal à s'adapter. Mais tous, anciens ou nouveaux, refusent la fatalité et attendent l'appui des pouvoirs publics. Ils croient aux solutions possibles et savent que des expériences réussies, dans tel ou tel établissement, peuvent être généralisées, ce qui doit nous pousser à combattre le scepticisme et la fatalité.
Voici quelques pistes mais je suis ici pour vous écouter et pour favoriser les mesures que vous estimez les plus nécessaires et urgentes.

(source http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr, le 15 mai 2002)