Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les actions en faveur du co-développement, notamment pour la mobilité des compétences et de l'épargne des migrants et pour le développement économique local, à Luxembourg le 16 octobre 2006.

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Circonstance : Conseil affaires générales de l'Union européenne consacré au développement-diner des ministres en charge du développement sur le thème "Migrations et développements", à Luxembourg le 16 octobre 2006

Texte intégral

Permettez-moi tout d'abord de remercier la présidence finlandaise de m'avoir invitée à m'exprimer sur le co-développement. Comme vous le savez, le lien entre migrations et développement s'impose en 2006 comme l'un des sujets essentiels de l'agenda politique entre l'Union européenne et les pays en développement. Je pense en particulier à la Conférence euro-africaine de Rabat, en juillet dernier, qui, à mon avis, a constitué un tournant au bénéfice d'une prise de conscience globale du lien entre migration et développement de la part des pays sources, de transit et de destination des migrants. Il convient désormais que nous mettions en oeuvre le plan d'action de Rabat au niveau approprié, qui est celui de l'Union, y compris dans la perspective du prochain Sommet Union européenne - Union africaine sur les migrations et le développement.
A cet égard, il importe que nous, ministres du Développement, participions pleinement à la préparation de ces exercices et en assurions le suivi approprié. Il est de notre responsabilité de ne pas laisser accroire que seuls les ministres, ou les commissaires, chargés des questions JAI (Justice et Affaires intérieures), sont responsables sur le plan européen d'une approche équilibrée et globale du phénomène migratoire. C'est d'ailleurs pourquoi je considère pour ma part que les migrations devraient être prises en compte dans la programmation du 10ème FED (Fonds européen pour le développement), soit comme secteur de concentration, soit comme problématique transversale, c'est-à-dire bien au-delà de l'annexe migration du document de programmation. J'espère, Chère Heidemarie, que cela pourra être pris en considération dans le programme de la future présidence allemande, avec votre appui, Monsieur le Commissaire Louis Michel.
Pour en venir au co-développement proprement dit, que nous définissons simplement comme l'association des migrants aux projets de coopération pour le développement, il est essentiel d'affirmer qu'il ne se confond pas avec une politique d'aide au retour des immigrés. La France, comme le Royaume-Uni, la Belgique, l'Espagne et de plus en plus de pays en Europe, en a fait un élément à part entière de sa politique de coopération avec les pays d'émigration autour de deux directions : la mobilité et le développement local.
I - Mobilité
1) Je m'attarderai dans un premier temps sur la mobilité des compétences.
Les diasporas qualifiées - enseignants, médecins, techniciens, chercheurs, ingénieurs, gestionnaires, informaticiens.... - ont le plus souvent gardé un attachement à leur pays d'origine, sans pour autant envisager de s'y réinstaller. Elles sont nombreuses à vouloir apporter leur savoir-faire et leur expérience de manière ponctuelle. Nous devons soutenir cette mobilité des compétences qui est essentielle pour les pays du Sud comme pour ceux du Nord, de la même façon que nous facilitons, au niveau européen, la mobilité des étudiants et des chercheurs des pays tiers à travers des programmes tels qu'Erasmus Mundus et Marie-Curie. Pourquoi dès lors ne pas envisager un tel programme au niveau européen, facilitant la mobilité des diasporas qualifiées, comme moyen de limiter les impacts négatifs de l'exode des compétences et de faciliter le transfert des savoir-faire.
Pour ce faire, nous pouvons recourir aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, par exemple pour permettre à des enseignants de la diaspora de prendre part à des formations à distance dans leur pays d'origine. Nous pouvons aussi faire appel à des missions de courtes et moyennes durée pour les migrants qualifiés. Pour prendre un exemple, la coopération française s'emploie à faciliter les échanges entre personnels qualifiés du Nord et du Sud en créant des doubles chaires permettant à des universitaires du Sud et de la diaspora installée en France de travailler dans un double espace. Nous menons également des actions qui visent à renforcer les compétences régionales en matière de formation, afin de développer des pôles d'excellence au Sud. Les écoles régionales africaines sont en effet un bon terrain d'application de cette stratégie autour des questions de retour des compétences, de renforcement des capacités, et de meilleure prise en compte des réalités économiques des marchés locaux de l'emploi.
2) En ce qui concerne la mobilité de l'épargne des migrants, je vous propose que nous dépassions le simple constat fait au niveau international concernant l'importance de ces flux. Il convient d'insister plutôt sur les inégalités géographiques de sa répartition - l'Afrique n'en est pas le principal bénéficiaire. Il faut aussi rappeler qu'ils ne sauraient se substituer à l'Aide publique au développement.
Dans ce contexte, mon gouvernement s'attache à diminuer le coût de transfert de l'épargne des migrants, notamment en favorisant la concurrence entre opérateurs. Une étude lancée en lien avec la Banque mondiale ainsi que la BAD (Banque africaine de Développement) et portant sur trois pays - Maroc, Mali et Comores - devrait nous permettre d'identifier les facteurs de surcoût des transferts et d'améliorer la sécurité de ces flux. Nous pourrions inciter des organismes financiers en Europe à travailler sur des projets de mandat électronique avec des partenaires dans des pays africains afin de concurrencer le monopole de la Western Union. J'espère aussi être en mesure de lancer avant la fin de l'année un site Internet de comparaison des frais des transferts, qui correspond à une demande des associations de migrants et qui, grâce à la transparence accrue du marché qui en résultera, aura un impact sur les coûts.
Un autre axe d'effort consiste à orienter l'épargne des migrants vers des investissements productifs au travers, notamment, de projets de co-développement. Je citerai deux initiatives :
- la création en juin de cette année d'un compte d'épargne co-développement au bénéfice des travailleurs étrangers résidant en France. Ce dispositif doit leur permettre de placer leur épargne sur un compte bloqué. Les sommes épargnées seront déductibles du revenu imposable à concurrence de 25 %, dans la limite de 20 000 euros par personne et ne seront débloquées que si l'épargnant justifie d'un investissement dans les pays en voie de développement : prise de participation dans des entreprises locales, abondement de fonds destinés à des activités de microfinance, versement à des fonds d'investissement dédiés au développement, par exemple ;
- la seconde initiative concerne la création d'une mutuelle d'épargne et de crédit au Sénégal et au Mali. Par ce biais, nous étudions également la possibilité de favoriser, à travers les dispositifs locaux existants, l'accès des migrants à des prêts se situant entre micro-crédit et prêt bancaire classique, et qui font aujourd'hui défaut.
II - Le développement économique local est le second pilier des actions promues par la France en matière de co-développement.
Bien avant que les institutions publiques ne s'y intéressent, les liens de solidarité des migrants avec leurs régions d'origine se sont manifestés autour de projets de développement économique local. A mon sens, ces initiatives doivent être soutenues. Permettez-moi de citer quelques exemples :
- d'abord, la participation au cofinancement d'équipements collectifs de proximité : ces initiatives sont le plus souvent portées par les associations de migrants qui cofinancent, pour environ un tiers, le coût du projet et contribuent ainsi, en étroite concertation avec les populations locales, à l'aménagement du territoire ;
- ensuite, la promotion de l'investissement productif au travers de l'épargne des migrants : j'évoquerai le programme que nous avons mis en place avec le concours de la Commission européenne pour aider à la création d'entreprises au Maroc par des Marocains résidant en France qui, soit souhaitent contribuer par solidarité au développement du pays, soit décident de créer une seconde activité au Maroc tout en résidant en France. Dans cet esprit, un projet de création de gîtes ruraux en région touristique est en voie de réalisation.
- enfin, l'appui à la réinsertion économique de migrants désireux de retourner au pays pour y créer une petite activité pérenne est un autre type d'action de co-développement : un commerce, de l'agriculture vivrière, une entreprise de taxi, la création d'un cyber-café, sont autant d'exemples d'initiatives économiques contribuant au développement local du pays.
III - Mais pour asseoir, consolider et accompagner toutes ces initiatives, il faut que les pouvoirs publics puissent s'appuyer sur un tissu associatif dense, tant dans les pays du Nord que dans ceux du Sud, de manière à assurer une meilleure couverture des échanges et à conforter ainsi l'action des opérateurs. Dès lors, je considère qu'une mise en réseau au niveau européen de ces opérateurs d'appui constituerait un progrès indéniable. Il en va de même pour le travail commun à mener sur la pertinence des dispositifs et des méthodes qui permettront à la Commission européenne de financer des projets efficaces sur ces thématiques des migrations et du développement, que ce soit dans le cadre des nouveaux instruments de coopération du FED ou de MEDA.
Enfin, ces échanges ne sauraient uniquement se situer au niveau européen mais doivent s'insérer dans une réflexion régionale. A cet égard, je tiens à saluer les démarches effectuées par la présidence et la Commission pour un renforcement de notre coopération avec l'Union africaine et la CEDEAO. Les prochaines conférences organisées dans ce contexte seront riches d'enseignements.
Telles sont donc très brièvement les quelques pistes de réflexion que je souhaitais évoquer devant vous, à partir des actions dans lesquelles les migrants ont un rôle d'acteurs du développement.
Je vous remercieSource http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 octobre 2006