Interview de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, à RMC le 27 février 2001 sur l'aide de la France aux éleveurs touchés par la crise de la vache folle, la campagne électorale à Avignon, les revendications des infirmières, la durée du congé de maternité et le projet de loi sur la prestation autonomie.

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Texte intégral

P. Lapousterle Vous avez parcouru la France pendant des années pour nous dire que l'Europe était notre avenir, que c'était ce qu'il fallait absolument construire. Et cette nuit, les Quinze ont été incapables de se mettre d'accord sur un problème vital pour tout le monde, vital pour des dizaines de milliers d'éleveurs en Europe. N'est-ce pas un peu décevant pour vous, ce matin ?
- "Naturellement. Cela fait partie de ces évènements qui ne sont pas à la gloire de l'Europe. Mais en même temps, J. Glavany s'est bien battu et a obtenu que l'Europe autorise la France à aider ses propres agriculteurs, ce qui est une bonne chose."
Il faut se consoler comme on peut ?
- "En tout cas, c'est en effet ce qu'il fallait au minimum pouvoir obtenir. Mais c'est bien, parce que nous allons pouvoir aider nos agriculteurs atteints par la crise de la vache folle."
Vous menez une campagne difficile en Avignon : vous disputez la mairie à M.-J. Roig, qui est le maire sortant. Pourquoi livrer cette bataille alors que vous avez été élue députée en 1997, que vous occupez l'un des emplois les plus prestigieux, les plus difficiles du Gouvernement ? Pourquoi en plus la bataille d'Avignon ?
- "C'est vrai que, pour mon confort, j'aurais pu rester tranquillement dans mon beau bureau de la rue de Grenelle, ne prendre aucun risque."
Pour le confort et le non-cumul.
- "Non, parce que je n'aurai de toute façon qu'un mandat. Actuellement, j'ai un mandat local - c'est mon mandat de conseillère régionale, présidente de la commission Aménagement du territoire à la Région - qui me prend beaucoup de temps, que je concilie bien avec mon travail de ministre depuis plus de trois ans. Si je suis élue maire d'Avignon, je laisserais mes lourdes responsabilités à la Région. Donc, je n'aurai toujours qu'un mandat local. Je ne veux pas cumuler les mandats locaux mai je pense qu'un mandat et une fonction nationale peuvent s'enrichir mutuellement. Pourquoi Avignon ? J'aime Avignon ! J'aime profondément cette ville et je trouve en plus que les Avignonnaises et les Avignonnais sont très attachants, parce qu'ils sont plein d'idées, de créativité, d'invention, et qu'il y a des tas de potentialités dans cette ville, surtout des potentialités humaines, et que l'on n'en fait malheureusement pas grand-chose. Alors, cela me crève le coeur de voir que c'est une ville qui s'éteint petit à petit, alors qu'elle tenait le haut du pavé il y a 20 ans par rapport à Aix, par rapport à Montpellier ou par rapport à Nîmes, et qui, aujourd'hui, s'endort tout doucement. Je voudrais qu'Avignon soit plus belle."
Une piqûre ?
- "Non, pas une piqûre, parce qu'on n'impose rien de toute façon. Mais je vois qu'il y a des tas de possibilités, à la fois pour l'emploi des jeunes, pour mieux aider les personnages âgées à être mieux, pour que la ville soit à la fois plus belle, plus sûre aussi - l'insécurité est un problème massif -, plus propre et que ce soit une ville plus agréable à vivre. Voilà ce que j'offre."
Les sondages vous promettent une bataille difficile, même si le dernier en date vous donne mieux placée que les précédents. Il a été réalisé le 20 février et vous donne légèrement battue s'il y avait un duel, mais vous donne élue en cas de maintien du Front national. Alors, vive le Front national ?!
- "Je ne me situe pas dans l'hypothèse d'une triangulaire. D'ailleurs, je ne pense pas qu'une triangulaire soit l'hypothèse la plus probable et je suis heureuse que le Front national ait divisé ses performances par deux depuis maintenant trois ans et demi. Je me situe donc dans le cadre d'un duel. Ce que je constate, c'est que par rapport aux dernières municipales, nous avons déjà gagné 10 points et qu'il nous manque 1,5 points, si on en croit le dernier sondage. Je pense que c'est faisable."
Vous pensez sérieusement, si vous êtes élue maire d'Avignon, que vous pourrez être à la fois à l'un des plus difficiles postes du Gouvernement et vous installer en Avignon ? Ce n'est pas rien d'être un nouveau maire, d'installer une nouvelle administration, de changer le cours des choses.
- "Je viens de vous dire que je laisserai mes mandats qui sont lourds, même s'ils n'ont pas été médiatisés, à la Région - Président de la commission Aménagement du territoire, ce n'est pas rien. D'autre part, j'ai une bonne équipe sur Avignon. C'est une équipe de toute la gauche plurielle plus la société civile, d'hommes et de femmes qui sont à la fois représentatifs de toutes les catégories socio-professionnelles d'Avignon, de tous les quartiers. J'assumerai totalement mes fonctions de maire, pas dans une espèce de fausse proximité, mais véritablement. J'ai pris par exemple l'engagement - je le dis dans les réunions de quartier, dans le porte-à-porte que je fais - que je serai chaque semaine dans un quartier différent d'Avignon pour travailler avec la population, car nous gérerons cette ville autrement, avec les habitants et non pas en imposant des choses concoctées par le chef de Cabinet. Nous travaillerons avec les habitants. J'aurai une méthode de travail différente, une méthode de travail avec les habitants, une méthode de travail collective où tous les élus prendront leur responsabilité et ne se défausseront pas sur les techniciens. Je peux vous assurer que cela marchera !"
Le Premier ministre a dû annuler deux voyages prévus, deux meetings de soutien - à Dole jeudi dernier, à Saint-Etienne hier - en raison des risques des manifestations paysannes. Il a dit qu'il voulait mener "une campagne tranquille." Est-ce que l'exigence n'est pas un peu exorbitante pour un Premier ministre d'avoir une "campagne tranquille" ? Après tout, les campagnes sont des campagnes électorales : ce n'est pas forcément tranquille !
- "Il y a le moment des revendications. Elles sont légitimes. Si je songe par exemple aux infirmières, je trouve ces revendications légitimes. D'ailleurs, nous leur avons accordé, dans les dernières négociations qui restent à finaliser, des augmentations de salaire extrêmement substantielles - sans précédent, à vrai dire -, parce c'est vrai que c'est un métier à la fois extrêmement prenant, stressant et primordial. Il y a le temps de la revendication et il y a le temps de la démocratie élective : quand il y a des manifestations dans des villes où ont lieu des élections, cela interfère avec la démocratie élective. On doit donc s'interroger là-dessus."
Pensez-vous qu'il y a des arrière-pensées politiques derrière les manifestations organisées par la FNSEA en ce moment ?
- "Peut-être, mais pas forcément. Mais le résultat est là : c'est exploité par les adversaires. J'ai toutes sortes de manifestations nationales qui arrivent sur Avignon et c'est exploité par mes adversaires ! Objectivement, vous avez toujours une vingtaine ou une trentaine de militants de mon adversaire qui viennent se mettre dans les cortèges et qui hurlent avec les autres des choses qui n'ont d'ailleurs rien à voir avec les revendications des infirmières et des ambulanciers ! C'est comme cela."
Vous êtes ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Les femmes de France sont un peu inquiètes puisque les rumeurs courent que le congé de maternité, qui dure 16 semaines en France - ce qui est long par rapport à d'autres pays - pourrait être réduit à la demande de la Commission européenne. Est-ce qu'il est vrai ou non que la Commission européenne vous demande, pour harmoniser la législation, de diminuer, de réduire le congé maternité en France ?
- "C'est entièrement faux ! Il faut savoir que l'Europe permet toujours qu'on ait des législations plus favorables. Ce que fixe l'Europe avec ses directives, ce sont des normes minimales que tout le monde doit respecter. "
Mais chacun peut maintenir le meilleur traitement ?
- "Chacun peut maintenir le meilleur traitement. On peut toujours faire mieux. C'est donc une crainte absolument infondée. Je le dis formellement : le congé de maternité français restera de 16 semaines et ne sera pas diminué. L'Europe n'a jamais cherché, dans aucune directive, à niveler vers le bas. C'est un contre-sens absolu. Nous pouvons toujours faire mieux, ce que nous faisons d'ailleurs !"
Pour quand est la prestation-autonomie ?
- "Je vais présenter le projet de loi au Conseil des ministres le 7 mars. C'est un projet extrêmement important, parce que, par rapport à la prestation-dépendance qui existe aujourd'hui dans les départements, ce sera un droit objectif : personne ne pourra nier ce droit, il sera égal sur tout le territoire. Nous allons toucher 800 000 bénéficiaires au lieu d'un peu moins de 200 000 aujourd'hui - on multiplie donc par quatre le nombre de bénéficiaires. Et nous allons considérablement augmenter la prestation."
Il y a de l'argent pour payer ?
- "Bien sûr, nous l'avons financé. C'est un coût, au départ, estimé entre 15 et 17 milliards de francs. Pour vous donner un ordre d'idée, une personne qui aura moins de 6 000 francs de revenus - seule, pas en couple -, si elle est complètement dépendante, pourra percevoir une allocation dont le montant peut atteindre 7 000 francs par mois, en plus évidemment du remboursement des soins. C'est donc tout à fait considérable et je suis très heureuse, au nom du Gouvernement, de présenter ce grand projet.
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 27 février 2001)