Texte intégral
Mesdames et Messieurs bonsoir,
Pour ceux qui ne m'ont pas suivi au cours de ce déplacement, je vais rappeler rapidement que ce voyage aux Etats-Unis entre dans les habitudes que j'ai de faire un voyage par an dans ce pays pour rencontrer notamment mes homologues, pour rencontrer également des personnalités d'un certain nombre de think tanks ou pour rencontrer des grands éditorialistes.
Ce voyage a donc commencé hier [18 octobre] par une rencontre avec le conseiller pour la sécurité du Président, Stephen Hadley. Il s'est poursuivi ce matin par ma participation aux cérémonies commémoratives de Yorktown, ce qui a été l'occasion à la fois, de déposer une gerbe à la mémoire des soldats français qui avaient perdu la vie dans cette bataille et également de m'adresser aux Français qui vivent aux Etats-Unis ou aux Français venus dans le cadre de jumelage, et qui étaient là à cette occasion.
J'ai ensuite eu l'occasion de prendre la parole devant un public américain au cours des cérémonies de Yorktown. Cet après-midi, je rencontrais donc Donald Rumsfeld. J'aurai l'occasion tout à l'heure de rencontrer la communauté française de Washington avant de participer à un dîner qu'a bien voulu organiser M. l'Ambassadeur avec des responsables de différents think tanks.
Demain [20 octobre], je me rendrai à New York, et j'aurai un entretien à l'ONU avec Kofi Annan. Je me rendrai également à la cellule qui suit tout particulièrement la situation au Liban. Ensuite, je dois faire une conférence devant la French American Foundation, avant de rencontrer les Français de New York. Voilà pour la journée de demain.
C'est donc un voyage bien rempli et qui a été pour moi l'occasion de faire avec chacun de mes interlocuteurs un tour d'horizon très vaste de la situation internationale, plus précisément axé sur des pays dans lesquels la France intervient dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. C'est ainsi qu'hier avec Stephen Hadley, nous avons évoqué très longuement la situation au Liban, nous avons également un peu parlé de l'Afghanistan et nous avons aussi évoqué le prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra à Riga. Avec Donald Rumsfeld aujourd'hui, nous avons fait un tour d'horizon encore plus vaste ; nous avons abordé sous des angles d'intérêt commun très concrets à la fois le Liban bien entendu, l'Afghanistan, le Kosovo, le Darfour, l'Afrique du Nord et également le prochain sommet de Riga. Voilà pour résumer et, si vous le permettez, je pense que le plus simple maintenant serait de répondre à vos questions.
Quelle a été la tonalité de votre entretien avec M. Rumsfeld? Puisqu'il vous a raccompagnée, cela avait-il l'air assez détendu ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, vous le savez, nous avons avec Donald Rumsfeld des relations très franches. Cela nous permet d'avoir de bonnes relations quelles que soient les circonstances parce qu'elles reposent sur la confiance dans ce que dit l'autre ; alors cela n'empêche pas nos divergences de vues bien entendu, cela ne nous empêche pas de les exprimer fermement, que ce soit dans le cadre des réunions de l'OTAN ou que ce soit dans nos face à face, mais cela permet aussi d'avoir une vraie coopération dans un certain nombre de dossiers et de bien faire la part de tout ce que nous avons en commun, notamment à travers les exercices en commun de nos militaires, et d'autre part, des sujets qui peuvent être des sujets de divergence.
Est-ce que vous avez l'impression que Donald Rumsfeld perçoit la France différemment par rapport à quelques années, par rapport à 2003. Sur ce qui se passe en Irak, par rapport aux déboires, a-t-il l'impression qu'il aurait dû écouter davantage la voix de la France ?
Je pense que Donald Rumsfeld perçoit la France différemment parce qu'aujourd'hui, à ses yeux, la France compte dans le domaine de la défense. Ceci traduit très nettement le redressement de la défense française grâce à la mise en oeuvre stricte de la loi de programmation militaire. Il m'a interrogée très longuement justement sur les progrès qui ont été faits depuis quatre ans : où nous en étions, à quel pourcentage par exemple du crédit du PNB nous étions en 2002, à combien nous étions maintenant, mais surtout parce que c'est un homme très pragmatique. Il constate également que désormais nous sommes capables avec une armée professionnelle, bien entraînée et bien équipée, de tenir toute notre place sur différents théâtres d'opérations, par exemple le Liban où l'action de la France est unanimement saluée ; elle l'a été hier par Stephen Hadley, elle l'a été de nouveau aujourd'hui par Donald Rumsfeld. Mais c'est également ce que nous faisons en Afrique par exemple, en Afghanistan ou dans les Balkans. Quant à savoir si certaines mises en garde que j'avais eu l'occasion de dénoncer la première fois où je suis venue, c'est-à-dire en octobre 2002, sur les risques de dérapage, à savoir si aujourd'hui il les prend réellement en compte, je crois qu'il est conscient des difficultés que rencontrent les Etats-Unis en Irak. Voir s'il va jusqu'à se dire que nous avions raison, c'est un autre problème.
Quand on voit la comparaison qui est faite avec le Vietnam, quelle est leur perception de la situation en Irak ?
Nous parlons très peu de l'Irak dans la mesure où la France n'est pas en Irak. Et lorsque nous l'abordons, et cette fois-ci cela n'a pas été le cas, c'est plutôt dans une perspective d'avenir plutôt que de revenir sur le passé et sur les erreurs qui auraient été commises.
Sur la Corée du Nord, est-ce que vous avez l'impression que les positions françaises et américaines se rejoignent ? Ou au contraire, est-ce que vous avez le sentiment que les Américains sont partisans d'une politique plus coercitive, de plus de sanctions ?
Sur la Corée du Nord, j'ai le sentiment qu'il y a une grande convergence de vues sur le risque de prolifération que représente la Corée du Nord. Et des échanges que nous avons eus avec Donald Rumsfeld tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que pour lui comme pour moi, le risque, ce sont aussi les conséquences que pourrait tirer l'Iran d'une attitude qui n'apparaîtrait pas suffisamment ferme vis-à-vis de la Corée du Nord.
Concernant l'Afghanistan, vous avez évoqué l'éventualité d'un retrait notamment des forces spéciales françaises, quelle a été sa réaction, sa réponse ?
Nous avons abordé beaucoup plus généralement le problème de l'Afghanistan et je veux dire que j'ai trouvé cette fois une certaine convergence de vues. A la fois, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire en sortant de l'entretien, c'est vrai que l'installation de l'OTAN dans l'ensemble de l'Afghanistan, la régionalisation en quelque sorte de la FIAS en Afghanistan, change la donne. Mais j'ai eu le sentiment qu'il faisait la même analyse que moi, du risque qu'il y avait d'un certain rejet dans la durée par la population afghane d'une présence étrangère qui serait constante alors même que la situation ne s'améliorait pas sensiblement. Et nous nous sommes donc retrouvés avec Donald Rumsfeld sur l'idée de dire qu'il fallait renforcer l'armée afghane et lui donner les moyens à la fois en hommes mais également en moyens matériels, en capacité et également en entraînement et en spécialisation, de pouvoir se substituer à la force internationale et de pouvoir tenir l'ensemble du territoire pour assurer l'implantation en quelque sorte de tout le système institutionnel à faire.
Et sur les forces spéciales françaises ? Sont-ils satisfaits du travail réalisé par les forces spéciales françaises ?
Oui, les forces spéciales françaises sont là depuis 2003. Elles ont fait un travail remarquable dans des zones où il n'y avait alors pas l'OTAN. Or l'OTAN est là-bas aujourd'hui. Nous avons donc évoqué les changements que cela pourrait entrainer, puisqu'il est normal que nous en parlions avec chacun de nos alliés et principalement avec ceux qui ont aussi des forces spéciales.
Les forces spéciales ne sont pas là pour l'Afghanistan, elles sont là pour Ben Laden, non ?
Les forces spéciales sont là pour répondre à un besoin sécuritaire particulier, c'est-à-dire notamment à un besoin de lutte contre un certain nombre d'actions terroristes. Mais j'ai toujours dit qu'il fallait faire une distinction très nette entre ce qui était fait par les forces spéciales dans ce domaine et, d'autre part, l'action de stabilisation qui était celle de la FIAS Dès lors, il fallait éviter, dans l'intérêt de la FIAS mais également pour une meilleure visibilité de l'ensemble de la population afghane, d'avoir une confusion entre les deux.
Vous êtes coincés justement là ?
Actuellement, nous sommes dans une position transitoire puisque l'OTAN est en train de s'étendre sur l'ensemble du territoire avec un certain nombre de difficultés d'ailleurs, nous le voyons dans le Sud et notamment dans la région de Kandahar, ou dans l'Est. Aujourd'hui, néanmoins l'OTAN s'installe. Il est évident que ce n'est pas le moment de relâcher une pression quelconque parce que ce sont des moments de plus grande fragilité. C'est d'ailleurs ce que nous avons constaté depuis un certain temps. Mais le problème sera différent à l'avenir, car il est évident qu'une situation n'est jamais totalement figée.
Il y avait peut-être aussi un autre rôle pour ces forces spéciales, celui de maintenir une relation franco-américaine qui était mise à mal à cause de la situation en Irak. Est-ce que ce n'est plus nécessaire et qu'en quelque sorte il n'y a plus de problème ?
Je crois qu'il faut bien distinguer les deux choses. Vous ne pouvez pas limiter ou ramener le rôle des forces spéciales à simplement une question de bonnes relations. S'il est évident, je leur ai souvent dit, que nos forces spéciales ont joué un rôle en la matière, il est vrai aussi qu'elles ont fait un formidable travail, qu'elles font d'ailleurs toujours un formidable travail consistant effectivement à prendre tous les risques pour aller dans un certain nombre d'endroits et pour pouvoir mener des actions contre des groupes terroristes. Je crois malheureusement qu'elles en ont suffisamment payé le prix pour que l'on ne puisse pas dire que c'était simplement une opération de communication et de diplomatie.
Sur le Liban, cette histoire de violation d'espace aérien est évoquée par la presse israélienne. Est-ce que vous avez évoqué cette question précisément...
Oui bien sûr.
Est-ce que vous avez le sentiment que Washington évoque des pistes de discussions avec Israël ?
Oui, j'ai effectivement évoqué cette question aussi bien auprès de Stephen Hadley que de Donald Rumsfeld, en disant qu'il y avait un double risque : d'abord un risque d'incidents très graves, cela aurait pu déjà se produire, et ensuite, il y a un deuxième risque, celui que de telles impulsions puissent servir de prétexte à une reprise d'activités par exemple de la part du Hezbollah. C'est la raison pour laquelle j'ai attiré l'attention sur ce point en disant qu'il fallait faire comprendre aux Israéliens que ce n'était un, pas utile et deux, qu'au contraire, c'était un risque qu'ils prenaient.
Est-ce qu'il y a des pistes de savoir quelle garantie on va offrir à Israël ?
Ce que je pense, c'est qu'aujourd'hui le déploiement notamment de 10 000 militaires de la force libanaise, ajoutés à un peu plus de 5 000 militaires de la FINUL est un moyen qui permet une garantie notamment dans toute la zone du Sud. Ensuite le reste, cela relève davantage de l'armée libanaise, notamment à la frontière avec la Syrie et, si j'ai bonne mémoire, l'Allemagne a proposé, en termes de surveillance des frontières, de pouvoir apporter un soutien sous forme de formation ou d'expertise dans ce domaine.
Est-ce que la FINUL pourrait faire de facto, jouer un rôle de couverture de l'espace aérien libanais avec par exemple des missiles sol-air qui peuvent exister actuellement dans la FINUL ? Ou est-ce qu'on peut envisager des avions de chasse britanniques, italiens voire français qui puissent remplir ce rôle et donc permettre aux Israéliens de cesser ces violations de l'espace aérien libanais ?
Pour l'instant, il existe une capacité de réaction en cas de légitime défense, ce qui est quelque chose de tout à fait normal, et c'est là que le risque d'incident peut se produire. Le problème ensuite, c'est effectivement de pouvoir éviter ces survols, dans un cadre juridique mais aussi dans un cadre technique.
Les choses ne sont pas encore très claires alors ?
Non, parce que ce sont des choses qui sont relativement nouvelles sur lesquelles l'intervention qui a été décidée était d'abord une intervention diplomatique.
Pour revenir au dossier nord-coréen, pensez-vous que les sanctions soient de nature à inciter la Corée du Nord à renoncer à ses essais nucléaires ?
Je pense que c'est un pays qui est aujourd'hui dans une situation économique extrêmement préoccupante pour l'ensemble de sa population. A condition que les sanctions soient bien ciblées, elles peuvent avoir un effet. C'est ce sur quoi joue d'ailleurs la communauté internationale. Mais, dans le même temps, ce qu'il faut chercher à faire et à montrer et c'est ce que l'on demande, c'est que la Corée du Nord accepte les obligations internationales et accepte de réintégrer les traités qu'elle a signés, qu'elle aille même plus loin. Et c'est tout ce qui était recherché d'ailleurs par les pays qui discutaient avec la Corée du Nord. Il est évident que l'essai qu'elle a tenté, même s'il n'est pas complètement réussi, marque une volonté qui ne peut être que condamnée et violemment condamnée, parce que d'autres pays qui peuvent être tentés par la prolifération vont regarder quelle est l'attitude de la communauté internationale à l'égard de la Corée. Une passivité ou un manque de crédibilité aurait inexorablement comme effet d'encourager ceux qui seraient tentés par la prolifération. Ce qui est un des dangers majeurs de notre planèteSource http://www.defense.gouv.fr, le 25 octobre 2006
Pour ceux qui ne m'ont pas suivi au cours de ce déplacement, je vais rappeler rapidement que ce voyage aux Etats-Unis entre dans les habitudes que j'ai de faire un voyage par an dans ce pays pour rencontrer notamment mes homologues, pour rencontrer également des personnalités d'un certain nombre de think tanks ou pour rencontrer des grands éditorialistes.
Ce voyage a donc commencé hier [18 octobre] par une rencontre avec le conseiller pour la sécurité du Président, Stephen Hadley. Il s'est poursuivi ce matin par ma participation aux cérémonies commémoratives de Yorktown, ce qui a été l'occasion à la fois, de déposer une gerbe à la mémoire des soldats français qui avaient perdu la vie dans cette bataille et également de m'adresser aux Français qui vivent aux Etats-Unis ou aux Français venus dans le cadre de jumelage, et qui étaient là à cette occasion.
J'ai ensuite eu l'occasion de prendre la parole devant un public américain au cours des cérémonies de Yorktown. Cet après-midi, je rencontrais donc Donald Rumsfeld. J'aurai l'occasion tout à l'heure de rencontrer la communauté française de Washington avant de participer à un dîner qu'a bien voulu organiser M. l'Ambassadeur avec des responsables de différents think tanks.
Demain [20 octobre], je me rendrai à New York, et j'aurai un entretien à l'ONU avec Kofi Annan. Je me rendrai également à la cellule qui suit tout particulièrement la situation au Liban. Ensuite, je dois faire une conférence devant la French American Foundation, avant de rencontrer les Français de New York. Voilà pour la journée de demain.
C'est donc un voyage bien rempli et qui a été pour moi l'occasion de faire avec chacun de mes interlocuteurs un tour d'horizon très vaste de la situation internationale, plus précisément axé sur des pays dans lesquels la France intervient dans le cadre d'opérations de maintien de la paix. C'est ainsi qu'hier avec Stephen Hadley, nous avons évoqué très longuement la situation au Liban, nous avons également un peu parlé de l'Afghanistan et nous avons aussi évoqué le prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra à Riga. Avec Donald Rumsfeld aujourd'hui, nous avons fait un tour d'horizon encore plus vaste ; nous avons abordé sous des angles d'intérêt commun très concrets à la fois le Liban bien entendu, l'Afghanistan, le Kosovo, le Darfour, l'Afrique du Nord et également le prochain sommet de Riga. Voilà pour résumer et, si vous le permettez, je pense que le plus simple maintenant serait de répondre à vos questions.
Quelle a été la tonalité de votre entretien avec M. Rumsfeld? Puisqu'il vous a raccompagnée, cela avait-il l'air assez détendu ?
Michèle Alliot-Marie : Oui, vous le savez, nous avons avec Donald Rumsfeld des relations très franches. Cela nous permet d'avoir de bonnes relations quelles que soient les circonstances parce qu'elles reposent sur la confiance dans ce que dit l'autre ; alors cela n'empêche pas nos divergences de vues bien entendu, cela ne nous empêche pas de les exprimer fermement, que ce soit dans le cadre des réunions de l'OTAN ou que ce soit dans nos face à face, mais cela permet aussi d'avoir une vraie coopération dans un certain nombre de dossiers et de bien faire la part de tout ce que nous avons en commun, notamment à travers les exercices en commun de nos militaires, et d'autre part, des sujets qui peuvent être des sujets de divergence.
Est-ce que vous avez l'impression que Donald Rumsfeld perçoit la France différemment par rapport à quelques années, par rapport à 2003. Sur ce qui se passe en Irak, par rapport aux déboires, a-t-il l'impression qu'il aurait dû écouter davantage la voix de la France ?
Je pense que Donald Rumsfeld perçoit la France différemment parce qu'aujourd'hui, à ses yeux, la France compte dans le domaine de la défense. Ceci traduit très nettement le redressement de la défense française grâce à la mise en oeuvre stricte de la loi de programmation militaire. Il m'a interrogée très longuement justement sur les progrès qui ont été faits depuis quatre ans : où nous en étions, à quel pourcentage par exemple du crédit du PNB nous étions en 2002, à combien nous étions maintenant, mais surtout parce que c'est un homme très pragmatique. Il constate également que désormais nous sommes capables avec une armée professionnelle, bien entraînée et bien équipée, de tenir toute notre place sur différents théâtres d'opérations, par exemple le Liban où l'action de la France est unanimement saluée ; elle l'a été hier par Stephen Hadley, elle l'a été de nouveau aujourd'hui par Donald Rumsfeld. Mais c'est également ce que nous faisons en Afrique par exemple, en Afghanistan ou dans les Balkans. Quant à savoir si certaines mises en garde que j'avais eu l'occasion de dénoncer la première fois où je suis venue, c'est-à-dire en octobre 2002, sur les risques de dérapage, à savoir si aujourd'hui il les prend réellement en compte, je crois qu'il est conscient des difficultés que rencontrent les Etats-Unis en Irak. Voir s'il va jusqu'à se dire que nous avions raison, c'est un autre problème.
Quand on voit la comparaison qui est faite avec le Vietnam, quelle est leur perception de la situation en Irak ?
Nous parlons très peu de l'Irak dans la mesure où la France n'est pas en Irak. Et lorsque nous l'abordons, et cette fois-ci cela n'a pas été le cas, c'est plutôt dans une perspective d'avenir plutôt que de revenir sur le passé et sur les erreurs qui auraient été commises.
Sur la Corée du Nord, est-ce que vous avez l'impression que les positions françaises et américaines se rejoignent ? Ou au contraire, est-ce que vous avez le sentiment que les Américains sont partisans d'une politique plus coercitive, de plus de sanctions ?
Sur la Corée du Nord, j'ai le sentiment qu'il y a une grande convergence de vues sur le risque de prolifération que représente la Corée du Nord. Et des échanges que nous avons eus avec Donald Rumsfeld tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que pour lui comme pour moi, le risque, ce sont aussi les conséquences que pourrait tirer l'Iran d'une attitude qui n'apparaîtrait pas suffisamment ferme vis-à-vis de la Corée du Nord.
Concernant l'Afghanistan, vous avez évoqué l'éventualité d'un retrait notamment des forces spéciales françaises, quelle a été sa réaction, sa réponse ?
Nous avons abordé beaucoup plus généralement le problème de l'Afghanistan et je veux dire que j'ai trouvé cette fois une certaine convergence de vues. A la fois, comme j'ai eu l'occasion de vous le dire en sortant de l'entretien, c'est vrai que l'installation de l'OTAN dans l'ensemble de l'Afghanistan, la régionalisation en quelque sorte de la FIAS en Afghanistan, change la donne. Mais j'ai eu le sentiment qu'il faisait la même analyse que moi, du risque qu'il y avait d'un certain rejet dans la durée par la population afghane d'une présence étrangère qui serait constante alors même que la situation ne s'améliorait pas sensiblement. Et nous nous sommes donc retrouvés avec Donald Rumsfeld sur l'idée de dire qu'il fallait renforcer l'armée afghane et lui donner les moyens à la fois en hommes mais également en moyens matériels, en capacité et également en entraînement et en spécialisation, de pouvoir se substituer à la force internationale et de pouvoir tenir l'ensemble du territoire pour assurer l'implantation en quelque sorte de tout le système institutionnel à faire.
Et sur les forces spéciales françaises ? Sont-ils satisfaits du travail réalisé par les forces spéciales françaises ?
Oui, les forces spéciales françaises sont là depuis 2003. Elles ont fait un travail remarquable dans des zones où il n'y avait alors pas l'OTAN. Or l'OTAN est là-bas aujourd'hui. Nous avons donc évoqué les changements que cela pourrait entrainer, puisqu'il est normal que nous en parlions avec chacun de nos alliés et principalement avec ceux qui ont aussi des forces spéciales.
Les forces spéciales ne sont pas là pour l'Afghanistan, elles sont là pour Ben Laden, non ?
Les forces spéciales sont là pour répondre à un besoin sécuritaire particulier, c'est-à-dire notamment à un besoin de lutte contre un certain nombre d'actions terroristes. Mais j'ai toujours dit qu'il fallait faire une distinction très nette entre ce qui était fait par les forces spéciales dans ce domaine et, d'autre part, l'action de stabilisation qui était celle de la FIAS Dès lors, il fallait éviter, dans l'intérêt de la FIAS mais également pour une meilleure visibilité de l'ensemble de la population afghane, d'avoir une confusion entre les deux.
Vous êtes coincés justement là ?
Actuellement, nous sommes dans une position transitoire puisque l'OTAN est en train de s'étendre sur l'ensemble du territoire avec un certain nombre de difficultés d'ailleurs, nous le voyons dans le Sud et notamment dans la région de Kandahar, ou dans l'Est. Aujourd'hui, néanmoins l'OTAN s'installe. Il est évident que ce n'est pas le moment de relâcher une pression quelconque parce que ce sont des moments de plus grande fragilité. C'est d'ailleurs ce que nous avons constaté depuis un certain temps. Mais le problème sera différent à l'avenir, car il est évident qu'une situation n'est jamais totalement figée.
Il y avait peut-être aussi un autre rôle pour ces forces spéciales, celui de maintenir une relation franco-américaine qui était mise à mal à cause de la situation en Irak. Est-ce que ce n'est plus nécessaire et qu'en quelque sorte il n'y a plus de problème ?
Je crois qu'il faut bien distinguer les deux choses. Vous ne pouvez pas limiter ou ramener le rôle des forces spéciales à simplement une question de bonnes relations. S'il est évident, je leur ai souvent dit, que nos forces spéciales ont joué un rôle en la matière, il est vrai aussi qu'elles ont fait un formidable travail, qu'elles font d'ailleurs toujours un formidable travail consistant effectivement à prendre tous les risques pour aller dans un certain nombre d'endroits et pour pouvoir mener des actions contre des groupes terroristes. Je crois malheureusement qu'elles en ont suffisamment payé le prix pour que l'on ne puisse pas dire que c'était simplement une opération de communication et de diplomatie.
Sur le Liban, cette histoire de violation d'espace aérien est évoquée par la presse israélienne. Est-ce que vous avez évoqué cette question précisément...
Oui bien sûr.
Est-ce que vous avez le sentiment que Washington évoque des pistes de discussions avec Israël ?
Oui, j'ai effectivement évoqué cette question aussi bien auprès de Stephen Hadley que de Donald Rumsfeld, en disant qu'il y avait un double risque : d'abord un risque d'incidents très graves, cela aurait pu déjà se produire, et ensuite, il y a un deuxième risque, celui que de telles impulsions puissent servir de prétexte à une reprise d'activités par exemple de la part du Hezbollah. C'est la raison pour laquelle j'ai attiré l'attention sur ce point en disant qu'il fallait faire comprendre aux Israéliens que ce n'était un, pas utile et deux, qu'au contraire, c'était un risque qu'ils prenaient.
Est-ce qu'il y a des pistes de savoir quelle garantie on va offrir à Israël ?
Ce que je pense, c'est qu'aujourd'hui le déploiement notamment de 10 000 militaires de la force libanaise, ajoutés à un peu plus de 5 000 militaires de la FINUL est un moyen qui permet une garantie notamment dans toute la zone du Sud. Ensuite le reste, cela relève davantage de l'armée libanaise, notamment à la frontière avec la Syrie et, si j'ai bonne mémoire, l'Allemagne a proposé, en termes de surveillance des frontières, de pouvoir apporter un soutien sous forme de formation ou d'expertise dans ce domaine.
Est-ce que la FINUL pourrait faire de facto, jouer un rôle de couverture de l'espace aérien libanais avec par exemple des missiles sol-air qui peuvent exister actuellement dans la FINUL ? Ou est-ce qu'on peut envisager des avions de chasse britanniques, italiens voire français qui puissent remplir ce rôle et donc permettre aux Israéliens de cesser ces violations de l'espace aérien libanais ?
Pour l'instant, il existe une capacité de réaction en cas de légitime défense, ce qui est quelque chose de tout à fait normal, et c'est là que le risque d'incident peut se produire. Le problème ensuite, c'est effectivement de pouvoir éviter ces survols, dans un cadre juridique mais aussi dans un cadre technique.
Les choses ne sont pas encore très claires alors ?
Non, parce que ce sont des choses qui sont relativement nouvelles sur lesquelles l'intervention qui a été décidée était d'abord une intervention diplomatique.
Pour revenir au dossier nord-coréen, pensez-vous que les sanctions soient de nature à inciter la Corée du Nord à renoncer à ses essais nucléaires ?
Je pense que c'est un pays qui est aujourd'hui dans une situation économique extrêmement préoccupante pour l'ensemble de sa population. A condition que les sanctions soient bien ciblées, elles peuvent avoir un effet. C'est ce sur quoi joue d'ailleurs la communauté internationale. Mais, dans le même temps, ce qu'il faut chercher à faire et à montrer et c'est ce que l'on demande, c'est que la Corée du Nord accepte les obligations internationales et accepte de réintégrer les traités qu'elle a signés, qu'elle aille même plus loin. Et c'est tout ce qui était recherché d'ailleurs par les pays qui discutaient avec la Corée du Nord. Il est évident que l'essai qu'elle a tenté, même s'il n'est pas complètement réussi, marque une volonté qui ne peut être que condamnée et violemment condamnée, parce que d'autres pays qui peuvent être tentés par la prolifération vont regarder quelle est l'attitude de la communauté internationale à l'égard de la Corée. Une passivité ou un manque de crédibilité aurait inexorablement comme effet d'encourager ceux qui seraient tentés par la prolifération. Ce qui est un des dangers majeurs de notre planèteSource http://www.defense.gouv.fr, le 25 octobre 2006