Texte intégral
Chers Amis, Chers Camarades,
Nous voilà rassemblés pour la cinquième année consécutive avec les secrétaires de section qui animent quotidiennement notre Parti. Vous êtes venus en grand nombre et je tiens à vous en remercier très chaleureusement. Je tiens à vous remercier pour la fidélité à vos engagements et à votre Parti, et pour la volonté qui est la vôtre de traduire ces engagements et cette fidélité dans la réalité.
Je salue bien sûr celles et ceux qui ont permis à cette réunion de se tenir dans de bonnes conditions : Alain CLAEYS, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, et tous les permanents de notre Parti. Je suis très heureux d'accueillir Walter VELTRONI qui, en quelques moments, nous a projetés dans le nouveau millénaire. Merci donc de nous avoir vieillis un peu, mais c'était avec la jeunesse du socialisme et des idées de la Gauche.
L'année dernière nos débats portaient sur la réduction du temps de travail, et nos interrogations étaient nombreuses, sur l'attitude qu'adopteraient les partenaires sociaux. Aujourd'hui, ce processus des 35 heures est irréversible. 30 accords de branches ont déjà été signés ; ils vont concerner plus de 6 millions de personnes. 100 branches, c'est-à-dire la moitié de l'économie française, sont engagées dans une discussion qui devra aboutir cette année. Et le secteur public, dont nous avions quelques fois stigmatisé la lenteur, est en train lui aussi de donner le bon rythme aux 35 heures (je pense notamment à l'accord qui est intervenu à EDF/GDF).
Nous voyons des syndicats qui évoluent ; nous voyons même des syndicats, jusqu'à présent rétifs à accorder leur signature, le faire ; et nous avons même eu le conseil (je conçois que c'est un privilège de la part du Medef, du patronat français, de la part des représentants des grandes entreprises -mais je me méfie car dans ces affaires, l'intérêt n'est jamais loin du compliment-), de ne pas entraver ce dialogue social, cette formidable " démocratie sociale " qui naîtrait à travers les 35 heures, de ne pas faire intervenir trop tôt ou trop tard la deuxième loi sur les 35 heures.
Nous en avons tiré la conclusion qu'il fallait bien évidemment faire la deuxième loi sur les 35 heures, parce que s'il n'y avait pas eu la première, il n'y aurait pas eu le dialogue social, la démocratie sociale et les accords qui sont signés aujourd'hui. Nous leur avons dit avec beaucoup de courtoisie, et j'espère d'humour, que, dans cette deuxième loi, nous respecterons bien évidemment les accords qui sont signés, à la condition qu'eux-mêmes respectent l'esprit de la première loi; c'est-à-dire fassent bien apparaître que les 35 heures, cela ne sert pas simplement -et c'est déjà beaucoup- à mieux organiser le travail ; cela sert d'abord à créer des emplois. C'est pourquoi, nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas d'abus en matière d'heures supplémentaires, car ce qui doit être l'objectif essentiel (et au moment même où on nous annonce que la croissance viendrait peut-être à ralentir), c'est bien entendu l'emploi, toujours l'emploi, rien que l'emploi.
Notre réunion d'aujourd'hui est aussi importante, aussi décisive que celle de l'année précédente. Il s'agit d'une part de donner une perspective claire à nos engagements européens dans le cadre de la campagne électorale qui va bientôt s'ouvrir, d'autre part de marquer nos priorités en faveur de l'amélioration de la vie quotidienne des Français.
Mais, avant d'aborder le sujet qui nous intéresse ce matin, permettez moi de revenir sur les faits qui se sont produits il y a une semaine en Rhône-Alpes.
D'abord, pour vous confirmer un sentiment que vous avez sans doute vous aussi partagé : en tant que socialistes, nous pouvons être fiers du comportement des élus de la Gauche plurielle dans cette région. Car, face à une droite divisée -elle l'est toujours- et de nouveau tentée par le pire, Jean-Jacques QUEYRANNE, Bernard SOULAGE et tous les amis du groupe socialiste ont eu l'attitude qui convenait, c'est-à-dire une attitude naturellement républicaine. Tandis que Philippe Seguin - au téléphone, nous dit-on - et Alain Madelin - de je ne sais où - ont préféré faire voter à l'ultime moment pour le candidat de Charles MILLON soutenu par le Front national de Jean-Marie LE PEN plutôt que pour la candidate de l'UDF, la Gauche plurielle a pris ses responsabilités en choisissant de renoncer à la présidence de la région pour sauver l'essentiel. C'était son honneur, et c'est notre victoire.
Je tire de ces événements récents plusieurs leçons :
La première, c'est qu'une fraction importante de la Droite ne réussit pas à clarifier sa position sur l'Extrême-droite.
Philippe Seguin, en mettant sur le même plan - justifiant donc la même opprobre - les élus du Front national et ceux de la Gauche Plurielle, pose une équivalence inadmissible entre des républicains, certes de la rive opposée à la sienne, et des adversaires de la démocratie elle-même. Incapable de résoudre cette contradiction, de n'accepter ni les voix des uns ni les voix des autres, il finit par mêler la sienne avec les seconds pour ne pas faire le choix de le faire avec nous.
Cette ambiguïté, au moment où le Front national éclate, on la retrouve dans les trois autres régions (qu'il ne faudrait pas oublier), où la droite soutient des présidents élus avec des voix extrêmes plutôt que de laisser la Gauche occuper une responsabilité que les électeurs ont désiré lui confier. Alors, là-bas aussi, je le dis à l'UDF, il y a urgence républicaine si l'on veut éviter la répétition de ces phénomènes, notamment à l'occasion des prochains scrutins locaux, et des élections municipales en particulier.
La deuxième leçon, c'est que l'opposition campe sur des positions de plus en plus conservatrices - libérales, ultra-libérales même sur l'économie, traditionalistes sur les moeurs (on l'a vu à l'occasion du PACS), opportunistes sur les alliances -, elle liquide à la fois l'héritage du gaullisme et celui de la démocratie chrétienne. Cette stratégie est en définitive inspirée par Démocratie libérale, et le RPR en est le seul réceptacle. Les divisions de l'opposition vont bien au-delà des querelles de personnes ou des tentatives de prendre le pas sur tel ou tel. Elles révèlent en définitive un éclatement des représentations traditionnelles de la droite française.
La troisième leçon, c'est le rôle actif que joue Jacques CHIRAC, peut-être dans ces divisions, en tout cas dans la recomposition. Car si Alain MADELIN dit vrai - cela peut lui arriver - c'est dans le bureau du Président de la République que s'est décidé le choix de M. GASCON comme candidat président en Rhône-Alpes... Belle stratégie ! Efficace au demeurant !
Ce serait toujours à l'Elysée que, au lendemain de la déchirure qui s'est produite en Rhône-Alpes, se seraient rendus successivement - et j'en oublie certainement - Jean-Louis DEBRÉ, Philippe DOUSTE-BLAZY, François BAYROU enfin. Il s'agissait pour le Chef de l'Etat, nous dit-on, de recoller les morceaux. Nouveau rôle pour le Président de la République dans notre Constitution ! Ce n'est plus l'inspirateur pour le pays, mais un recolleur pour l'opposition ! Et si l'Alliance en définitive, cherchant son siège, l'avait trouvé à l'Elysée ?!
Hier encore, en Corrèze, Jacques Chirac a lancé un nouvel appel à l'union et au calme. A qui s'adressait-il ? Pas à moi, qui étais présent. Il s'adressait en définitive à sa propre famille, lui sommant d'en terminer avec les divisions et les querelles. Là, ce n'est plus le chef de l'Etat qui s'exprime, ni même le chef de l'opposition, c'est le chef de la famille.
Face à une droite ambiguë, systématique dans son opposition, doutant de ses valeurs mêmes dont Jacques Chirac est le seul ciment, il faut tirer une leçon pour nous-mêmes. La Gauche doit, au-delà des choix de circonstance fondés sur la nécessité républicaine, réaffirmer son attachement à la stratégie de la majorité plurielle. Elle nous a fait gagner les élections de 1997 ; elle nous a permis de remporter de belles victoires pour les régionales et les cantonales de 1998 ; et elle nous permet encore aujourd'hui de gouverner dans de bonnes conditions. Si nous sommes attachés, et vous l'êtes, à la majorité plurielle, les élections européennes ne doivent pas altérer notre cohésion.
C'est vrai que le mode de scrutin provoque mécaniquement la dispersion. Souvenez-vous, en 1994 (mais la majorité plurielle, par définition, n'existait pas), il n'y avait pas moins de cinq listes à gauche. Aujourd'hui, déjà, les Verts sont partis en campagne, le Parti communiste a affirmé le choix de présenter une liste, et c'est finalement la traduction de nos différences en matière européenne ; il n'aurait servi à rien de les dissimuler.
Ce que je souhaite pourtant, et ce à quoi nous devons veiller, c'est que nous nous respections les uns et les autres. Oui à un débat, y compris sur le fond, avec nos amis Verts, avec les communistes, mais veillons à ce que ce débat ne se termine pas en combat. Evitons les caricatures et le jeu des petites phrases, des sobriquets, qui sont finalement blessants ; cela vaut pour les uns et pour les autres ; jusqu'à présent, nous avons fait preuve d'une relative réserve.
Mais veillons aussi à faire le meilleur résultat ensemble. On voit bien ce que l'on voudrait nous faire admettre comme objectif : qui ferait le plus de voix entre les socialistes et l'alliance RPR/UDF/Démocratie libérale ? Mais jusqu'à présent - ce serait d'ailleurs un tournant dans notre vie politique - les socialistes tous seuls ne dépassent pas toute la droite. Le résultat final sera en fait celui de toute la Gauche plurielle contre celui de la droite divisée.
Nous devons agréger tous ceux qui se prononceront pour des listes de la Gauche plurielle afin que nous progressions tous.
Et au-delà des élections européennes, qui ne sont qu'un moment de notre vie politique, la seule perspective, le seul objectif que nous devons avoir, c'est de permettre à ce Gouvernement de réussir dans la durée.
Notre débat sur l'Europe, la Nation, prochain débat de notre convention, nous permet de prendre en compte une double exigence. Une exigence de court terme : nous devons mener une campagne européenne ; je rappelle que c'est demain que s'ouvre la période de dépôt des candidatures. La deuxième exigence est de plus long terme : il s'agit de définir le rôle de la France, la place de la France dans l'Union Européenne, et de lui donner une perspective claire. Les deux exigences, celle de l'immédiat de la campagne, celle du long terme visant à fournir une perspective aux Français dans l'Europe, se rejoignent. Ce que nous devons dire dans la campagne européenne, c'est notre vision de l'avenir.
Dans quel contexte engageons-nous cette campagne ? La mise en oeuvre de l'Euro, à l'évidence, est d'une portée historique, cela a été rappelé. Elle clôt une période de doute qui avait vu l'Europe hésiter, et en même temps elle achève un processus qui avait été fondé sur l'économie et la monnaie en Europe avant de passer à la construction politique elle-même. Mais l'euro n'est pas une fin en soi. Nous ne sommes pas uniquement des militants du bonheur des salles de marché. Et nous ne sommes pas non plus des actionnaires d'entreprises qui fabriquent des calculettes. Nous devons absolument faire apparaître que cette étape nécessaire de l'euro doit avoir aujourd'hui des traductions concrètes. Et la première - en matière de politique économique, de convergence économique et sociale - sur l'emploi, afin de rompre avec les idéaux du libéralisme d'hier.
L'euro réunit onze pays, et cela nous donnera l'occasion d'avoir une coordination meilleure de nos politiques économiques. Mais, au-delà de l'euro, nous devons engager une étape nouvelle, car l'Europe va changer de nature. La primauté du politique doit être affirmée, les buts de l'Union européenne clarifiés, et les instruments, les institutions, réformés. Nous devons le faire avant même le processus d'élargissement.
Pour affronter cette étape nouvelle, indispensable, nous avons cette chance - là aussi historique - de connaître en Europe onze gouvernements socialistes et sociaux-démocrates. Je connais les différences ; je connais les histoires de chacune de ces formations politiques, mais en même temps nous avons une communauté de préoccupations et de volonté pour faire de l'Europe autre chose qu'un marché. Et cette convergence, qui s'est déjà affirmée au sommet de Luxembourg grâce à Lionel Jospin et grâce à ceux qui ont bien voulu soutenir son projet de réorientation de la construction européenne, cette volonté des socialistes européens d'aller ensemble à la bataille politique (et c'est aussi le symbole de la présence de Walter Veltroni), c'est aussi le fait que c'est un des nôtres - Henri NALLET - qui a rédigé avec Robin COOK le Manifeste européen qui servira de texte essentiel - même si nous le compléterons par des dispositions nationales -. Cela confirme que c'est aux socialistes d'engager l'Europe dans cette nouvelle étape.
Mais faut-il encore que nous soyons convaincus de ce combat. Jacques CHIRAC avait une formule : il disait qu'en définitive l'Europe n'était ni de gauche, ni de droite.
Pour le prochain scrutin européen, nous aurons peut-être pour la première fois cette confrontation démocratique entre la Gauche européenne et la droite européenne. Il est d'ailleurs intéressant de constater que ce qui a été longtemps les axes politiques du Parlement européen (les socialistes d'un côté, les démocrates chrétiens de l'autre) sont en train de changer. Il y a toujours les socialistes, qui s'élargiront aussi car la Gauche plurielle n'est pas uniquement un concept français ; il y a maintenant un groupe qui n'est plus la démocratie chrétienne, mais la droite européenne. En France, donc, la démocratie chrétienne est passée sous la table... c'est ce qui se prépare aussi en Europe.
Dans ce contexte, reconnaissons que le débat politique en France sur l'Europe manque de clarté. Il y a toujours des préoccupations de politique intérieure ; elles sont inévitables, mais faisons en sorte qu'elles ne pèsent pas trop dans le prochain scrutin. Il y a sur l'échiquier politique ceux qui cultivent le nationalisme xénophobe (et ils se mettent maintenant à deux pour le faire) ; il y a ceux qui n'éprouvent que la nostalgie : c'est un phénomène qui arrive avec l'âge ; il y a ceux qui accumulent les exigences qu'ils savent incompatibles avec les choix intérieurs : c'est le plus sûr moyen de ne rien faire ; il y a ceux enfin qui ne se satisfont que du seul marché... Il est aisé de mettre des visages sur ces logiques politiques, mais elles ne s'avouent pas toujours comme telles.
Tout le monde parle de l'Europe. Mais de quelle Europe ? Il nous reviendra donc dans cette campagne pour les élections européenne de faire le clair, de rendre le débat accessible à tous et de définir un projet réalisable, ambitieux et en même temps compréhensible, c'est-à-dire concret.
Alain BERGOUNIOUX et d'autres sont revenus sur ce concept de fédération d'Etats-nations qui a été au coeur de la Convention Europe, que Pierre MOSCOVICI avait préparée en son temps. Cette fédération d'Etats-nations, c'est d'abord l'affirmation que l'Europe doit exister politiquement en tant que telle ; c'est aussi le rappel utile que la Gauche ne doit pas se perdre à mesure que l'Europe se construit, et que l'Europe doit exister sans que la Nation n'ait à craindre pour son avenir.
Nous refusons donc un Etat ou un pseudo Etat européen qui finalement ferait disparaître les nations et ceux qui les représentent. Et nous refusons de la même façon une coopération réduite à la confédération, réduite à pas grand-chose, faite de velléité et de faiblesse.
Comment rendre possible cet épanouissement de l'Europe et de la Nation ?
Nous devons faire apparaître que ce qui, en définitive, contribue à rendre notre relation plus forte, c'est l'Europe. Que ce qui donne des moyens nouveaux pour notre action, que cela soit en matière d'emplois, en matière agricole, c'est l'Europe. Que ce qui nous permet d'avoir une volonté sociale qui ne soit pas détournée - comme le disait Marie-Noëlle LIENEMANN - par d'autres, c'est l'Europe. Nous devons aussi concevoir que ce qui nous rend peut-être plus forts en terme de lutte contre le chômage et les exclusions, c'est l'Europe. Assumons donc la mise en commun nécessaire de souveraineté. Cela représente la part fédérale du système politique original qu'est l'Europe.
Mais affirmons aussi que sur un certain nombre de dossiers, c'est la compétence exclusive des états nationaux. Cela vaut pour la protection sociale, la santé, l'éducation, le logement. L'Union européenne que nous appelons de nos voeux n'est pas l'uniformisation sur un espace donné, mais véritablement la traduction, à travers une institution commune, de notre volonté de faire ensemble ce que nous ne parvenons pas à faire aussi bien seuls.
Démocratie nationale et démocratie européenne doivent vivre ensemble.
Alors cela peut prendre de nouvelles configurations. Sans doute faut-il que le parlement européen prenne davantage conscience de ses propres forces, sans pour autant le faire avec malice ou esprit sournois. Cependant, un parlement doit s'affirmer, et comment s'affirmer si ce n'est en contrôlant ceux qui décident, et notamment au Conseil européen et surtout la Commission européenne ?
Il faut aussi un Conseil européen qui décide plus vite, et notamment qui décide avec la majorité qualifiée pour empêcher l'Europe de s'embourber. Il faut enfin une Commission qui travaille avec plus d'efficacité. S'il y a onze Gouvernements socialistes et sociaux-démocrates en Europe, si nous nous battons - et nous le ferons encore - pour qu'il y ait, avec d'autres, une majorité de gauche au Parlement européen, comment concevoir que la présidence de la Commission européenne ne revienne pas à une femme ou un homme de gauche, ou de centre-gauche s'il le faut, mais pas plus loin.
Pour conduire cette campagne auprès de nos concitoyens, nous avons adopté l'idée d'un manifeste. Ce manifeste a été pour l'essentiel élaboré et va être soumis au congrès du Parti Socialiste Européen. Je souhaite que ce Parti Socialiste Européen joue un rôle plus important qu'aujourd'hui, et qu'il permette à cette politique originale qu'est le socialisme en Europe de s'affirmer avec davantage de force.
Au congrès de Milan, nous adopterons ce Manifeste. Il prévoit d'abord un engagement sur l'emploi et la croissance, une coordination des politiques économiques, mais aussi un gouvernement économique (par rapport à la Banque centrale européenne). Parce que la grande bataille pour l'emploi, c'est bien sûr d'avoir la meilleure régulation économique, c'est aussi d'avoir les taux d'intérêts les plus faibles. Combien de temps faudra-t-il encore dire aux gouverneurs des banques centrales que l'inflation a disparu et que, dans ces conditions, on ne peut pas poursuivre un objectif qui est déjà atteint ?
Aujourd'hui, le grand problème en Europe n'est pas le retour de la hausse des prix, c'est la lutte contre le chômage, et c'est ce qui doit être au coeur de nos engagements.
Il faudra aussi revenir sur l'harmonisation fiscale en Europe et lutter contre les paradis fiscaux ; parce que s'il y a des paradis fiscaux, alors il faudra demander des paradis sociaux. Pour le moment, nous ne les voyons pas apparaître.
La mise en oeuvre de l'euro, c'est le marché unique, c'est la monnaie unique. Mais cela doit être aussi maintenant les droits sociaux, le développement du dialogue, le renforcement de ce qui est information et même contrôle, les conventions collectives à l'échelle de l'Europe... Bref de défendre les acquis sociaux mais surtout d'inventer ensemble un modèle social. C'est pourquoi les socialistes proposeront une Charte qui affirmera les droits fondamentaux, mais aussi les normes minimales, les salaires minimaux, la protection sociale, le temps de travail. Il faudra que ce thème ait les mêmes contraintes que les autres critères de convergence que nous avions établis pour l'Europe monétaire. Déjà, grâce à Lionel JOSPIN, on a des critères emploi ; il faudra aussi avoir des critères sociaux.
Troisième thème : La sécurité. Les phénomènes de délinquance ne manquent pas en Europe; oui il faut, dans un espace comme celui-là, contrôler, agir, et se coordonner : la police doit être plus efficace. Il faut aussi des règles communes en matière de justice. Il va falloir nous occuper, non seulement de la petite, mais de la grande délinquance, c'est-à-dire nous attaquer au trafic de drogue et à l'argent sale. L'Europe est sans doute un moyen d'atteindre cet objectif.
Notre politique commune doit également s'affirmer dans la gestion des flux migratoires. Il nous faut une politique commune de visa si l'on veut être responsable par rapport aux pays en voie de développement, qui attendent d'ailleurs beaucoup de nous.
Sur l'environnement, le traité d'Amsterdam a inscrit la protection de l'environnement au nombre de nos objectifs fondamentaux. Nous devons maintenant leur donner un contenu concret afin d'affirmer le principe de transparence et de précaution, dans ce cadre. Cela concerne l'eau, l'air, et peut-être demain l'énergie, si nous sommes capables d'avoir un débat serein avec nos partenaires fondé sur une seule notion : celle de la transparence. Car chacun à le droit de définir comme il l'entend sa politique énergétique, mais sans créer de pollution énergétique chez les autres.
Transparence aussi pour la démocratie. Combien de fois n'avons nous pas dit qu'il y avait un déficit de citoyenneté, de démocratie ? Alors comblons-le à travers des réformes institutionnelles, à travers le droit des citoyens en Europe d'agir pour la justice, pour donner d'avantage de place à cette Europe de la culture et de l'éducation.
Nous devons être ambitieux au point de dire que ce qui manque à l'Europe, c'est aussi une expression sur les grands sujets internationaux, et notamment lorsque la défense du continent est en cause (comme dans l'ancienne Yougoslavie). Mais il nous faut aussi le dire lorsqu'une puissance - parce qu'elle est la seule à parler et à agir - intervient dans des pays là où elle n'a pas nécessairement le droit pour elle. Oui, nous devons aussi affirmer cet objectif.
L'Europe est plus qu'une émotion, plus qu'un plaisir partagé. C'est une volonté. C'est la volonté, Pierre GUIDONI le rappelait, des socialistes dans les années 50 de lancer le marché commun. La volonté, celle de François MITTERRAND, de s'engager résolument dans la construction monétaire européenne. La volonté, celle de Jacques DELORS à la tête de la Commission de lui donner une traduction concrète. La volonté, celle de Pierre BÉRÉGOVOY qui, à l'époque - dans des conditions difficiles - a conduit la campagne pour le référendum de Maastricht. La volonté, celle de Lionel JOSPIN aujourd'hui de donner un nouveau cours à la construction européenne.
Pour nous qui sommes fondamentalement européens, l'Europe est à la fois un moyen et un objectif. Le moyen de mettre en oeuvre nos ambitions françaises dans l'Europe. L'objectif d'atteindre notre idéal socialiste.
J'ai la faiblesse de croire que l'on ne fera pas l'Europe sans les socialistes, ou alors ce ne sera qu'un marché. Mais j'ai aussi la force de penser qu'on ne fera pas le socialisme sans faire l'Europe, et c'est pourquoi, en faisant l'Europe, nous nous rapprochons de notre idéal.
(source http:// www.parti-socialiste.fr, le 9 février 2001)
Nous voilà rassemblés pour la cinquième année consécutive avec les secrétaires de section qui animent quotidiennement notre Parti. Vous êtes venus en grand nombre et je tiens à vous en remercier très chaleureusement. Je tiens à vous remercier pour la fidélité à vos engagements et à votre Parti, et pour la volonté qui est la vôtre de traduire ces engagements et cette fidélité dans la réalité.
Je salue bien sûr celles et ceux qui ont permis à cette réunion de se tenir dans de bonnes conditions : Alain CLAEYS, Jean-Christophe CAMBADÉLIS, et tous les permanents de notre Parti. Je suis très heureux d'accueillir Walter VELTRONI qui, en quelques moments, nous a projetés dans le nouveau millénaire. Merci donc de nous avoir vieillis un peu, mais c'était avec la jeunesse du socialisme et des idées de la Gauche.
L'année dernière nos débats portaient sur la réduction du temps de travail, et nos interrogations étaient nombreuses, sur l'attitude qu'adopteraient les partenaires sociaux. Aujourd'hui, ce processus des 35 heures est irréversible. 30 accords de branches ont déjà été signés ; ils vont concerner plus de 6 millions de personnes. 100 branches, c'est-à-dire la moitié de l'économie française, sont engagées dans une discussion qui devra aboutir cette année. Et le secteur public, dont nous avions quelques fois stigmatisé la lenteur, est en train lui aussi de donner le bon rythme aux 35 heures (je pense notamment à l'accord qui est intervenu à EDF/GDF).
Nous voyons des syndicats qui évoluent ; nous voyons même des syndicats, jusqu'à présent rétifs à accorder leur signature, le faire ; et nous avons même eu le conseil (je conçois que c'est un privilège de la part du Medef, du patronat français, de la part des représentants des grandes entreprises -mais je me méfie car dans ces affaires, l'intérêt n'est jamais loin du compliment-), de ne pas entraver ce dialogue social, cette formidable " démocratie sociale " qui naîtrait à travers les 35 heures, de ne pas faire intervenir trop tôt ou trop tard la deuxième loi sur les 35 heures.
Nous en avons tiré la conclusion qu'il fallait bien évidemment faire la deuxième loi sur les 35 heures, parce que s'il n'y avait pas eu la première, il n'y aurait pas eu le dialogue social, la démocratie sociale et les accords qui sont signés aujourd'hui. Nous leur avons dit avec beaucoup de courtoisie, et j'espère d'humour, que, dans cette deuxième loi, nous respecterons bien évidemment les accords qui sont signés, à la condition qu'eux-mêmes respectent l'esprit de la première loi; c'est-à-dire fassent bien apparaître que les 35 heures, cela ne sert pas simplement -et c'est déjà beaucoup- à mieux organiser le travail ; cela sert d'abord à créer des emplois. C'est pourquoi, nous veillerons à ce qu'il n'y ait pas d'abus en matière d'heures supplémentaires, car ce qui doit être l'objectif essentiel (et au moment même où on nous annonce que la croissance viendrait peut-être à ralentir), c'est bien entendu l'emploi, toujours l'emploi, rien que l'emploi.
Notre réunion d'aujourd'hui est aussi importante, aussi décisive que celle de l'année précédente. Il s'agit d'une part de donner une perspective claire à nos engagements européens dans le cadre de la campagne électorale qui va bientôt s'ouvrir, d'autre part de marquer nos priorités en faveur de l'amélioration de la vie quotidienne des Français.
Mais, avant d'aborder le sujet qui nous intéresse ce matin, permettez moi de revenir sur les faits qui se sont produits il y a une semaine en Rhône-Alpes.
D'abord, pour vous confirmer un sentiment que vous avez sans doute vous aussi partagé : en tant que socialistes, nous pouvons être fiers du comportement des élus de la Gauche plurielle dans cette région. Car, face à une droite divisée -elle l'est toujours- et de nouveau tentée par le pire, Jean-Jacques QUEYRANNE, Bernard SOULAGE et tous les amis du groupe socialiste ont eu l'attitude qui convenait, c'est-à-dire une attitude naturellement républicaine. Tandis que Philippe Seguin - au téléphone, nous dit-on - et Alain Madelin - de je ne sais où - ont préféré faire voter à l'ultime moment pour le candidat de Charles MILLON soutenu par le Front national de Jean-Marie LE PEN plutôt que pour la candidate de l'UDF, la Gauche plurielle a pris ses responsabilités en choisissant de renoncer à la présidence de la région pour sauver l'essentiel. C'était son honneur, et c'est notre victoire.
Je tire de ces événements récents plusieurs leçons :
La première, c'est qu'une fraction importante de la Droite ne réussit pas à clarifier sa position sur l'Extrême-droite.
Philippe Seguin, en mettant sur le même plan - justifiant donc la même opprobre - les élus du Front national et ceux de la Gauche Plurielle, pose une équivalence inadmissible entre des républicains, certes de la rive opposée à la sienne, et des adversaires de la démocratie elle-même. Incapable de résoudre cette contradiction, de n'accepter ni les voix des uns ni les voix des autres, il finit par mêler la sienne avec les seconds pour ne pas faire le choix de le faire avec nous.
Cette ambiguïté, au moment où le Front national éclate, on la retrouve dans les trois autres régions (qu'il ne faudrait pas oublier), où la droite soutient des présidents élus avec des voix extrêmes plutôt que de laisser la Gauche occuper une responsabilité que les électeurs ont désiré lui confier. Alors, là-bas aussi, je le dis à l'UDF, il y a urgence républicaine si l'on veut éviter la répétition de ces phénomènes, notamment à l'occasion des prochains scrutins locaux, et des élections municipales en particulier.
La deuxième leçon, c'est que l'opposition campe sur des positions de plus en plus conservatrices - libérales, ultra-libérales même sur l'économie, traditionalistes sur les moeurs (on l'a vu à l'occasion du PACS), opportunistes sur les alliances -, elle liquide à la fois l'héritage du gaullisme et celui de la démocratie chrétienne. Cette stratégie est en définitive inspirée par Démocratie libérale, et le RPR en est le seul réceptacle. Les divisions de l'opposition vont bien au-delà des querelles de personnes ou des tentatives de prendre le pas sur tel ou tel. Elles révèlent en définitive un éclatement des représentations traditionnelles de la droite française.
La troisième leçon, c'est le rôle actif que joue Jacques CHIRAC, peut-être dans ces divisions, en tout cas dans la recomposition. Car si Alain MADELIN dit vrai - cela peut lui arriver - c'est dans le bureau du Président de la République que s'est décidé le choix de M. GASCON comme candidat président en Rhône-Alpes... Belle stratégie ! Efficace au demeurant !
Ce serait toujours à l'Elysée que, au lendemain de la déchirure qui s'est produite en Rhône-Alpes, se seraient rendus successivement - et j'en oublie certainement - Jean-Louis DEBRÉ, Philippe DOUSTE-BLAZY, François BAYROU enfin. Il s'agissait pour le Chef de l'Etat, nous dit-on, de recoller les morceaux. Nouveau rôle pour le Président de la République dans notre Constitution ! Ce n'est plus l'inspirateur pour le pays, mais un recolleur pour l'opposition ! Et si l'Alliance en définitive, cherchant son siège, l'avait trouvé à l'Elysée ?!
Hier encore, en Corrèze, Jacques Chirac a lancé un nouvel appel à l'union et au calme. A qui s'adressait-il ? Pas à moi, qui étais présent. Il s'adressait en définitive à sa propre famille, lui sommant d'en terminer avec les divisions et les querelles. Là, ce n'est plus le chef de l'Etat qui s'exprime, ni même le chef de l'opposition, c'est le chef de la famille.
Face à une droite ambiguë, systématique dans son opposition, doutant de ses valeurs mêmes dont Jacques Chirac est le seul ciment, il faut tirer une leçon pour nous-mêmes. La Gauche doit, au-delà des choix de circonstance fondés sur la nécessité républicaine, réaffirmer son attachement à la stratégie de la majorité plurielle. Elle nous a fait gagner les élections de 1997 ; elle nous a permis de remporter de belles victoires pour les régionales et les cantonales de 1998 ; et elle nous permet encore aujourd'hui de gouverner dans de bonnes conditions. Si nous sommes attachés, et vous l'êtes, à la majorité plurielle, les élections européennes ne doivent pas altérer notre cohésion.
C'est vrai que le mode de scrutin provoque mécaniquement la dispersion. Souvenez-vous, en 1994 (mais la majorité plurielle, par définition, n'existait pas), il n'y avait pas moins de cinq listes à gauche. Aujourd'hui, déjà, les Verts sont partis en campagne, le Parti communiste a affirmé le choix de présenter une liste, et c'est finalement la traduction de nos différences en matière européenne ; il n'aurait servi à rien de les dissimuler.
Ce que je souhaite pourtant, et ce à quoi nous devons veiller, c'est que nous nous respections les uns et les autres. Oui à un débat, y compris sur le fond, avec nos amis Verts, avec les communistes, mais veillons à ce que ce débat ne se termine pas en combat. Evitons les caricatures et le jeu des petites phrases, des sobriquets, qui sont finalement blessants ; cela vaut pour les uns et pour les autres ; jusqu'à présent, nous avons fait preuve d'une relative réserve.
Mais veillons aussi à faire le meilleur résultat ensemble. On voit bien ce que l'on voudrait nous faire admettre comme objectif : qui ferait le plus de voix entre les socialistes et l'alliance RPR/UDF/Démocratie libérale ? Mais jusqu'à présent - ce serait d'ailleurs un tournant dans notre vie politique - les socialistes tous seuls ne dépassent pas toute la droite. Le résultat final sera en fait celui de toute la Gauche plurielle contre celui de la droite divisée.
Nous devons agréger tous ceux qui se prononceront pour des listes de la Gauche plurielle afin que nous progressions tous.
Et au-delà des élections européennes, qui ne sont qu'un moment de notre vie politique, la seule perspective, le seul objectif que nous devons avoir, c'est de permettre à ce Gouvernement de réussir dans la durée.
Notre débat sur l'Europe, la Nation, prochain débat de notre convention, nous permet de prendre en compte une double exigence. Une exigence de court terme : nous devons mener une campagne européenne ; je rappelle que c'est demain que s'ouvre la période de dépôt des candidatures. La deuxième exigence est de plus long terme : il s'agit de définir le rôle de la France, la place de la France dans l'Union Européenne, et de lui donner une perspective claire. Les deux exigences, celle de l'immédiat de la campagne, celle du long terme visant à fournir une perspective aux Français dans l'Europe, se rejoignent. Ce que nous devons dire dans la campagne européenne, c'est notre vision de l'avenir.
Dans quel contexte engageons-nous cette campagne ? La mise en oeuvre de l'Euro, à l'évidence, est d'une portée historique, cela a été rappelé. Elle clôt une période de doute qui avait vu l'Europe hésiter, et en même temps elle achève un processus qui avait été fondé sur l'économie et la monnaie en Europe avant de passer à la construction politique elle-même. Mais l'euro n'est pas une fin en soi. Nous ne sommes pas uniquement des militants du bonheur des salles de marché. Et nous ne sommes pas non plus des actionnaires d'entreprises qui fabriquent des calculettes. Nous devons absolument faire apparaître que cette étape nécessaire de l'euro doit avoir aujourd'hui des traductions concrètes. Et la première - en matière de politique économique, de convergence économique et sociale - sur l'emploi, afin de rompre avec les idéaux du libéralisme d'hier.
L'euro réunit onze pays, et cela nous donnera l'occasion d'avoir une coordination meilleure de nos politiques économiques. Mais, au-delà de l'euro, nous devons engager une étape nouvelle, car l'Europe va changer de nature. La primauté du politique doit être affirmée, les buts de l'Union européenne clarifiés, et les instruments, les institutions, réformés. Nous devons le faire avant même le processus d'élargissement.
Pour affronter cette étape nouvelle, indispensable, nous avons cette chance - là aussi historique - de connaître en Europe onze gouvernements socialistes et sociaux-démocrates. Je connais les différences ; je connais les histoires de chacune de ces formations politiques, mais en même temps nous avons une communauté de préoccupations et de volonté pour faire de l'Europe autre chose qu'un marché. Et cette convergence, qui s'est déjà affirmée au sommet de Luxembourg grâce à Lionel Jospin et grâce à ceux qui ont bien voulu soutenir son projet de réorientation de la construction européenne, cette volonté des socialistes européens d'aller ensemble à la bataille politique (et c'est aussi le symbole de la présence de Walter Veltroni), c'est aussi le fait que c'est un des nôtres - Henri NALLET - qui a rédigé avec Robin COOK le Manifeste européen qui servira de texte essentiel - même si nous le compléterons par des dispositions nationales -. Cela confirme que c'est aux socialistes d'engager l'Europe dans cette nouvelle étape.
Mais faut-il encore que nous soyons convaincus de ce combat. Jacques CHIRAC avait une formule : il disait qu'en définitive l'Europe n'était ni de gauche, ni de droite.
Pour le prochain scrutin européen, nous aurons peut-être pour la première fois cette confrontation démocratique entre la Gauche européenne et la droite européenne. Il est d'ailleurs intéressant de constater que ce qui a été longtemps les axes politiques du Parlement européen (les socialistes d'un côté, les démocrates chrétiens de l'autre) sont en train de changer. Il y a toujours les socialistes, qui s'élargiront aussi car la Gauche plurielle n'est pas uniquement un concept français ; il y a maintenant un groupe qui n'est plus la démocratie chrétienne, mais la droite européenne. En France, donc, la démocratie chrétienne est passée sous la table... c'est ce qui se prépare aussi en Europe.
Dans ce contexte, reconnaissons que le débat politique en France sur l'Europe manque de clarté. Il y a toujours des préoccupations de politique intérieure ; elles sont inévitables, mais faisons en sorte qu'elles ne pèsent pas trop dans le prochain scrutin. Il y a sur l'échiquier politique ceux qui cultivent le nationalisme xénophobe (et ils se mettent maintenant à deux pour le faire) ; il y a ceux qui n'éprouvent que la nostalgie : c'est un phénomène qui arrive avec l'âge ; il y a ceux qui accumulent les exigences qu'ils savent incompatibles avec les choix intérieurs : c'est le plus sûr moyen de ne rien faire ; il y a ceux enfin qui ne se satisfont que du seul marché... Il est aisé de mettre des visages sur ces logiques politiques, mais elles ne s'avouent pas toujours comme telles.
Tout le monde parle de l'Europe. Mais de quelle Europe ? Il nous reviendra donc dans cette campagne pour les élections européenne de faire le clair, de rendre le débat accessible à tous et de définir un projet réalisable, ambitieux et en même temps compréhensible, c'est-à-dire concret.
Alain BERGOUNIOUX et d'autres sont revenus sur ce concept de fédération d'Etats-nations qui a été au coeur de la Convention Europe, que Pierre MOSCOVICI avait préparée en son temps. Cette fédération d'Etats-nations, c'est d'abord l'affirmation que l'Europe doit exister politiquement en tant que telle ; c'est aussi le rappel utile que la Gauche ne doit pas se perdre à mesure que l'Europe se construit, et que l'Europe doit exister sans que la Nation n'ait à craindre pour son avenir.
Nous refusons donc un Etat ou un pseudo Etat européen qui finalement ferait disparaître les nations et ceux qui les représentent. Et nous refusons de la même façon une coopération réduite à la confédération, réduite à pas grand-chose, faite de velléité et de faiblesse.
Comment rendre possible cet épanouissement de l'Europe et de la Nation ?
Nous devons faire apparaître que ce qui, en définitive, contribue à rendre notre relation plus forte, c'est l'Europe. Que ce qui donne des moyens nouveaux pour notre action, que cela soit en matière d'emplois, en matière agricole, c'est l'Europe. Que ce qui nous permet d'avoir une volonté sociale qui ne soit pas détournée - comme le disait Marie-Noëlle LIENEMANN - par d'autres, c'est l'Europe. Nous devons aussi concevoir que ce qui nous rend peut-être plus forts en terme de lutte contre le chômage et les exclusions, c'est l'Europe. Assumons donc la mise en commun nécessaire de souveraineté. Cela représente la part fédérale du système politique original qu'est l'Europe.
Mais affirmons aussi que sur un certain nombre de dossiers, c'est la compétence exclusive des états nationaux. Cela vaut pour la protection sociale, la santé, l'éducation, le logement. L'Union européenne que nous appelons de nos voeux n'est pas l'uniformisation sur un espace donné, mais véritablement la traduction, à travers une institution commune, de notre volonté de faire ensemble ce que nous ne parvenons pas à faire aussi bien seuls.
Démocratie nationale et démocratie européenne doivent vivre ensemble.
Alors cela peut prendre de nouvelles configurations. Sans doute faut-il que le parlement européen prenne davantage conscience de ses propres forces, sans pour autant le faire avec malice ou esprit sournois. Cependant, un parlement doit s'affirmer, et comment s'affirmer si ce n'est en contrôlant ceux qui décident, et notamment au Conseil européen et surtout la Commission européenne ?
Il faut aussi un Conseil européen qui décide plus vite, et notamment qui décide avec la majorité qualifiée pour empêcher l'Europe de s'embourber. Il faut enfin une Commission qui travaille avec plus d'efficacité. S'il y a onze Gouvernements socialistes et sociaux-démocrates en Europe, si nous nous battons - et nous le ferons encore - pour qu'il y ait, avec d'autres, une majorité de gauche au Parlement européen, comment concevoir que la présidence de la Commission européenne ne revienne pas à une femme ou un homme de gauche, ou de centre-gauche s'il le faut, mais pas plus loin.
Pour conduire cette campagne auprès de nos concitoyens, nous avons adopté l'idée d'un manifeste. Ce manifeste a été pour l'essentiel élaboré et va être soumis au congrès du Parti Socialiste Européen. Je souhaite que ce Parti Socialiste Européen joue un rôle plus important qu'aujourd'hui, et qu'il permette à cette politique originale qu'est le socialisme en Europe de s'affirmer avec davantage de force.
Au congrès de Milan, nous adopterons ce Manifeste. Il prévoit d'abord un engagement sur l'emploi et la croissance, une coordination des politiques économiques, mais aussi un gouvernement économique (par rapport à la Banque centrale européenne). Parce que la grande bataille pour l'emploi, c'est bien sûr d'avoir la meilleure régulation économique, c'est aussi d'avoir les taux d'intérêts les plus faibles. Combien de temps faudra-t-il encore dire aux gouverneurs des banques centrales que l'inflation a disparu et que, dans ces conditions, on ne peut pas poursuivre un objectif qui est déjà atteint ?
Aujourd'hui, le grand problème en Europe n'est pas le retour de la hausse des prix, c'est la lutte contre le chômage, et c'est ce qui doit être au coeur de nos engagements.
Il faudra aussi revenir sur l'harmonisation fiscale en Europe et lutter contre les paradis fiscaux ; parce que s'il y a des paradis fiscaux, alors il faudra demander des paradis sociaux. Pour le moment, nous ne les voyons pas apparaître.
La mise en oeuvre de l'euro, c'est le marché unique, c'est la monnaie unique. Mais cela doit être aussi maintenant les droits sociaux, le développement du dialogue, le renforcement de ce qui est information et même contrôle, les conventions collectives à l'échelle de l'Europe... Bref de défendre les acquis sociaux mais surtout d'inventer ensemble un modèle social. C'est pourquoi les socialistes proposeront une Charte qui affirmera les droits fondamentaux, mais aussi les normes minimales, les salaires minimaux, la protection sociale, le temps de travail. Il faudra que ce thème ait les mêmes contraintes que les autres critères de convergence que nous avions établis pour l'Europe monétaire. Déjà, grâce à Lionel JOSPIN, on a des critères emploi ; il faudra aussi avoir des critères sociaux.
Troisième thème : La sécurité. Les phénomènes de délinquance ne manquent pas en Europe; oui il faut, dans un espace comme celui-là, contrôler, agir, et se coordonner : la police doit être plus efficace. Il faut aussi des règles communes en matière de justice. Il va falloir nous occuper, non seulement de la petite, mais de la grande délinquance, c'est-à-dire nous attaquer au trafic de drogue et à l'argent sale. L'Europe est sans doute un moyen d'atteindre cet objectif.
Notre politique commune doit également s'affirmer dans la gestion des flux migratoires. Il nous faut une politique commune de visa si l'on veut être responsable par rapport aux pays en voie de développement, qui attendent d'ailleurs beaucoup de nous.
Sur l'environnement, le traité d'Amsterdam a inscrit la protection de l'environnement au nombre de nos objectifs fondamentaux. Nous devons maintenant leur donner un contenu concret afin d'affirmer le principe de transparence et de précaution, dans ce cadre. Cela concerne l'eau, l'air, et peut-être demain l'énergie, si nous sommes capables d'avoir un débat serein avec nos partenaires fondé sur une seule notion : celle de la transparence. Car chacun à le droit de définir comme il l'entend sa politique énergétique, mais sans créer de pollution énergétique chez les autres.
Transparence aussi pour la démocratie. Combien de fois n'avons nous pas dit qu'il y avait un déficit de citoyenneté, de démocratie ? Alors comblons-le à travers des réformes institutionnelles, à travers le droit des citoyens en Europe d'agir pour la justice, pour donner d'avantage de place à cette Europe de la culture et de l'éducation.
Nous devons être ambitieux au point de dire que ce qui manque à l'Europe, c'est aussi une expression sur les grands sujets internationaux, et notamment lorsque la défense du continent est en cause (comme dans l'ancienne Yougoslavie). Mais il nous faut aussi le dire lorsqu'une puissance - parce qu'elle est la seule à parler et à agir - intervient dans des pays là où elle n'a pas nécessairement le droit pour elle. Oui, nous devons aussi affirmer cet objectif.
L'Europe est plus qu'une émotion, plus qu'un plaisir partagé. C'est une volonté. C'est la volonté, Pierre GUIDONI le rappelait, des socialistes dans les années 50 de lancer le marché commun. La volonté, celle de François MITTERRAND, de s'engager résolument dans la construction monétaire européenne. La volonté, celle de Jacques DELORS à la tête de la Commission de lui donner une traduction concrète. La volonté, celle de Pierre BÉRÉGOVOY qui, à l'époque - dans des conditions difficiles - a conduit la campagne pour le référendum de Maastricht. La volonté, celle de Lionel JOSPIN aujourd'hui de donner un nouveau cours à la construction européenne.
Pour nous qui sommes fondamentalement européens, l'Europe est à la fois un moyen et un objectif. Le moyen de mettre en oeuvre nos ambitions françaises dans l'Europe. L'objectif d'atteindre notre idéal socialiste.
J'ai la faiblesse de croire que l'on ne fera pas l'Europe sans les socialistes, ou alors ce ne sera qu'un marché. Mais j'ai aussi la force de penser qu'on ne fera pas le socialisme sans faire l'Europe, et c'est pourquoi, en faisant l'Europe, nous nous rapprochons de notre idéal.
(source http:// www.parti-socialiste.fr, le 9 février 2001)