Interview de M. Julien Dray, porte-parole du PS, sur "RTL" le 26 octobre 2006, sur la proposition de Ségolène Royal, candidate à l'investiture du PS, d'instaurer des jurys-citoyens.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean Michel Aphatie : Bonjour Julien Dray. Vous êtes porte-parole du Parti socialiste. Vous défendez Ségolène Royal, vous avez bien fait de venir ce matin. Vous avez compris, vous, ce que c'est le jury des citoyens ? Parce qu'il y a plusieurs interprétations : soit on expertise des propositions qui sont faites, soit on juge les politiques menées par les élus. Alors on est un peu perdu. Vous pouvez nous éclairer ?
R- Julien Dray : Ecoutez, moi j'ai entendu l'orateur qui m'a précédé avant...
Q- L'orateur, oui, qui est un journaliste qui s'appelle Alain Duhamel.
R- ... Mais qui était quasiment un orateur...
Q- D'accord. C'est votre jugement.
R- ... Dans un engagement parfait. La question qui est posée est la suivante, elle est simple : Est-ce qu'on veut avoir à nouveau une crise profonde de notre société comme nous l'avons eue le 21 avril 2002 ?
Q-La réponse est non. Et les jurys des citoyens peuvent nous empêcher d'en commettre une comme cela ?
R- A partir de là, la question qui est posée c'est : Quelles sont les solutions qui permettent de remettre la société en mouvement ? Quelles sont les solutions qui permettent au peuple, justement, de se sentir représenté mais aussi associé ? Quelles sont les solutions qui permettent que lorsque nous décidons de grandes politiques, nous puissions aussi, à un moment donné, apprécier comment elles sont appliquées ? Est-ce qu'il faut qu'on attende quatre ans, cinq ans et qu'on prenne le risque d'avoir la situation que nous connaissons, c'est-à-dire - ce qui est le drame de la Gauche française depuis vingt ans : elle gagne une élection, elle fait de grandes réformes dans les deux premières années, elle est obligée de marquer une pause et elle les perd après. Ou est-ce qu'on est capable de mettre en mouvement la société et de trouver des instruments de démocratie permanente qui nous permettent d'évaluer, de prendre en considération et de corriger ?
Je vais vous donner un exemple très simple. Nous aurions mis en place des jurys-citoyens sur les 35 heures, nous aurions pu voir qu'il y avait des modalités différentes d'application, que la réforme était vécue de manière différente suivant qu'on était dans une grande entreprise, dans une petite entreprise. Et lorsque nous avons voulu généraliser les 35 heures, nous aurions pu prendre en considération ce problème et éviter de faire qu'une très grande réforme, une très belle réforme se transforme pour une minorité de salariés comme un calvaire. Voilà...
Q- Ce "jury de citoyens" tiré au sort sur les 35 heures aurait aussi pu vous dire que cette réforme était mauvaise et qu'il ne fallait pas la faire.
R- Eh bien, c'est un élément qu'il faut prendre en considération.
Q- Il n'y avait pas que l'amélioration des 35 heures qui pouvait être dans les attributions du jury des citoyens, Julien Dray.
R- Ce qui est dans l'attribution du jury-citoyens, c'est la capacité, à un moment donné, de nous faire remonter un vécu, un ressenti ; et à partir de là, de pouvoir engager le dialogue. C'est pas parce que le jury-citoyens, par exemple, à un moment donné me dira : Je ne suis pas d'accord que pour autant, moi qui suis élu - donc dépositaire d'un mandat - je dirai : j'obéis. C'est pas comme ça qu'on conçoit les choses. La conception qu'on doit avoir c'est la conception du dialogue. Peut-être qu'à ce moment-là, cela veut dire qu'il faut que je modifie mon argumentation ou que je trouve les éléments qui me permettent de mieux me faire comprendre. Donc, plutôt que d'attendre la sanction populaire du suffrage universel, je préfère avoir ce peuple en mouvement et faire confiance au peuple. Parce que ce qui m'étonne dans le débat depuis quelques jours, c'est que tout d'un coup, on a peur du jugement populaire. On n'a pas la capacité, les uns et les autres, de s'expliquer.
Mais, moi, je vais vous donner un exemple : J'ai fait pendant plusieurs années des réunions d'appartement. J'allais au contact, le soir pendant trois, quatre heures, avec des gens de ma circonscription et on discutait. Et au début souvent, ça commençait par un gros chahut, et on contestait. On remettait en cause et qu'est-ce qui se passait à la fin ? Beaucoup de nos concitoyens le disaient : c'était bien cette réunion. J'ai pu m'expliquer et surtout, j'ai compris. Et à partir de là, c'était de formidables relais pour expliquer les décisions que j'avais prises. Et ça m'a aussi appris des choses. On dit souvent, par exemple, que j'étais un des premiers à prendre en considération les problèmes de montée de la violence. Vous savez où j'ai appris ça ? Au concret, la souffrance...
Q- Non mais ça, tous les élus sont proches des gens... Si le jury des citoyens vient dire à un élu que sa réforme est mauvaise ou que sa démarche est fausse, l'élu est obligé d'en tirer peut-être parfois des conclusions, peut-être d'abandonner son mandat ? C'est cela que tout le monde redoute qu'on sorte du mandat représentatif pour arriver dans une logique de mandat plus impératif.
R- On n'est pas dans une logique de sanctions des élus. On est dans une logique de mettre en place des instruments nouveaux qui permettent aux élus, justement de mieux s'expliquer, donc de mieux faire comprendre et surtout de s'appuyer sur une mobilisation citoyenne. Parce que la spécificité, si vous me permettez, d'un débat que nous avons aujourd'hui des différents candidats, c'est qu'il y en a une qui essaie de trouver des solutions nouvelles, aujourd'hui, par rapport à la crise que nous vivons. Alors, ça peut susciter débat mais ce que je constate c'est qu'en tous les cas, le peuple s'empare de ces thèmes ; et donc, se repolitise, se réintéresse à la vie politique. Je préfère ça que plutôt qu'un peuple qui est passif et qui n'a qu'une seule solution : à un moment donné, c'est d'instrumentaliser une élection pour dire sa colère.
Q- Pour tenter de se faire comprendre, ce matin, dans le Journal "20 Minutes", Ségolène Royal dit : Si on avait testé le CPE auprès d'un jury de 150 jeunes, on aurait vu que cette réforme n'aurait pas été acceptée par les Français. C'est comme ça qu'elle explique son idée de jurys des citoyens. Si on avait testé l'idée de l'abrogation de la peine de mort devant un jury de 150 citoyens, vous croyez qu'on l'aurait abolie, Julien Dray ?
R- On aurait aboli la peine de mort parce qu'il s'agit, à un moment donné aussi, pour un élu de prendre ses responsabilités.
Q- De ne pas écouter le jury des citoyens ?
R- De ne pas écouter le jury des citoyens, mais de s'expliquer.
Q- Ca ne sert pas à grand chose alors ?
R- Mais si, au contraire. La question qui est simple, la question qui est posée c'est qu'à un moment donné, il faut trouver les arguments pour convaincre. Il arrive régulièrement que vous soyez amenés à prendre un certain nombre de décisions dont vous savez qu'elles peuvent être impopulaires. La question qui est posée pour vous, c'est quels sont les arguments qui vont vous permettre de vous expliquer. Voilà. Et donc de modifier ce dialogue.
Moi, ce qui m'intéresse dans la démarche - je reviens encore ce matin, dans la démarche qu'initie Ségolène Royal - et en ce sens-là, il y a quelque chose de novateur : c'est qu'elle essaie de créer les conditions, aujourd'hui, d'une mobilisation citoyenne. Elle essaie de résoudre la question qui est posée, qui est fondamentale, aujourd'hui, pour la Gauche comme pour l'ensemble des Partis politiques : Comment faire qu'à nouveau, notamment les catégories populaires parce que ce sont celles qui sont les plus intéressées par le changement, puissent se sentir associées à la vie de la société ? Donc, il faut trouver.
Il y a des choses qui marchent. Il y a des choses qui marcheront moins bien. On corrigera mais on ne peut pas rester complètement enfermés en disant : Tout va bien, on continue comme avant. Il suffit simplement d'avoir un bon programme. Mais y'a plein de gouvernements qui avaient de bons programmes. Et pour autant, après ils n'ont pas réussi.
Q- On a compris. Vous êtes aussi vice-président de la région Ile-de-France, Julien Dray. La région Ile-de-France et la SNCF ont décidé d'attribuer un gros marché à la société Bombardier, pour construire des trains et ceci, au détriment d'une société française, Alstom. Deux mots d'explication.
R- Ecoutez, je ne suis pas le spécialiste des transports en Ile-de-France, mais ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes dans des procédures très contraignantes. Nous sommes dans des procédures d'appel d'offres avec des cahiers des charges, et on ne peut pas, d'un côté, demander aux élus de respecter la loi et lorsqu'on respecte la loi et le cahier des charges, leur dire : Eh bien non, vous auriez dû intervenir dans le cadre de l'attribution d'un marché pour favoriser une entreprise.
Q- Donc, le patriotisme économique, ça n'existe pas Julien Dray ?
R- Le patriotisme économique doit permettre aux entreprises...
Q- Ca n'existe pas ?
R- Non. Le patriotisme économique, c'est pas de revenir sur les lois. Le patriotisme économique, c'est de permettre aux entreprises d'être le plus compétitif possible ; et donc, de remporter les marchés.
- Julien Dray, l'avocat du jury des citoyens, était l'invité de RTL ce matin.


Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 octobre 2006