Interview de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, à France-Info le 25 octobre 2006, sur la personnalité et l'image, dans les médias, de Jacques Chirac, président de la République, et la stratégie électorale de l'UMP.

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Circonstance : Film "Chirac" de Patrick Rotman (archives et témoignages), diffusé sur France 2 les 23 et 24 octobre 2006

Média : France Info

Texte intégral

Q- Vous êtes ministre de l'Outre Mer, vous êtes un proche de J. Chirac. C'est indiscret de vous demander ce que vous avez regardé hier soir à la télévision ? Il y avait le débat entre les socialistes, il y avait également la deuxième partie du documentaire sur J. Chirac, de P. Rotman. Ne me dites pas que vous avez regardé "Pirates des Caraïbes" !
R- Non, je n'ai pas regardé "Pirates des Caraïbes", j'ai regardé un peu le début des débats des socialistes et j'étais moi-même à la télévision pour commenter le sujet sur J. Chirac.
Q- Vous l'avez vu ce documentaire ?
R- Je l'ai vu, naturellement, et puis nous l'avons commenté sur le service public, je crois, dans un débat de qualité, qui a mis en perspective à la fois les valeurs de l'homme et puis l'application de ces valeurs au service des Français.
[...]
Q- Commençons par ce documentaire sur J. Chirac. A la fin de ce deuxième épisode, P. Rotman pose finalement une question qui résume assez bien l'ensemble de ces deux émissions ; c'est, en substance : comment J. Chirac, un animal politique aussi doué pour la conquête du pouvoir, a-t-il pu ainsi rater ses deux présidences ? Cela résume, selon vous, assez bien la carrière de J. Chirac ?
R- Vous plaisantez ?!
Q- Non.
R- C'est un parti pris qui est un angle, chacun est libre de porter le jugement, naturellement, qu'il veut, aussi bien dans une construction de fiction, de reportage, de documentaire. Chacun est libre aussi, lorsqu'il soutient l'action de J. Chirac, d'apporter sa contribution pour éclairer les Français sur la réalité de ce bilan. C'est un bilan considérable qui s'est effectué, évidemment, sur quarante ans de vie politique, où il a été deux fois Premier ministre, où il a beaucoup agi, où il a engagé, dans des pans entiers de la société, des réformes importantes. Je voudrais juste pendre trois exemples sur les valeurs de l'homme, sur son action diplomatique internationale et puis sur son action intérieure. Sur les valeurs, il y a une idée reçue qui circule sur J. Chirac : il n'a pas de conviction et il a varié. Quatre exemples dans ces champs : sur le Front national, c'est lui qui a empêché toute alliance avec le Front national et l'extrême droite, et les 82 % des Français qui l'ont choisi en 2002 peuvent se féliciter d'avoir eu un homme politique dont la constance des convictions en la matière n'a jamais failli. Deuxième exemple, sur la laïcité : quand on voit les difficultés actuelles de la Grande-Bretagne,ou de la Hollande, qui nous ont agonis de sottises quand J. Chirac a proposé la loi sur le voile, on voit que cette valeur républicaine, profondément ancrée en lui, a permis d'établir une forme de mieux vivre ensemble. Troisième exemple, on dit qu'il n'a pas de conviction ; quand on voit la posture et la force avec laquelle il a fait entendre la voix de la France sur la question irakienne et que sa position s'est avérée juste aux regards de l'histoire récente, on se dit que c'est un homme de conviction, qui a servi les intérêts du pays.
Q- Mais ça ne l'a pas...
R- Un quatrième exemple, la Turquie, si vous me le permettez, où là aussi, contre une bonne partie de la population et même de ses troupes à l'intérieur de l'UMP, il a pris des positions courageuses. Je pourrais dire tout cela...
Q- ...On pourrait vous rétorquer "la trahison contre V. Giscard d'Estaing". On ne va peut-être pas refaire l'histoire, mais...
R- ...On ne va pas refaire l'histoire mais lutter contre les idées reçues, cela me semble être, d'ailleurs, l'une des vertus du reportage de Rotman.
Q- Entre ce documentaire, les livres de F.-O. Giesbert, celui de V. Giscard d'Estaing, n'y a-t-il pas comme une atmosphère de fin de règne, qui règne un peu en ce moment autour de J. Chirac ?
R- Mais, une fois encore, c'est d'ailleurs la vertu de la démocratie, chacun dit ce qu'il veut, comme il l'entend, y compris ceux qui sont là, me semble-t-il, pour mettre en lumière une action qui a été très positive. En 1995, quand on sort de Mitterrand, il y a un affaissement de l'autorité de l'Etat, la voix de la France n'est plus entendue dans le monde, il y a des problèmes du quotidien qui sont considérables, et on parle de sujets lourds et profonds en matière de sécurité, en matière de création de logement social, dans le domaine, évidemment, de la lutte contre les discriminations. Sur tous ces pans, et sur tous ces pans entiers depuis 1995, la France a évolué. Je précise que J. Chirac est le premier président de la mondialisation. En 1995, quand il est arrivé au pouvoir, il n'y a pas Internet et on en parle très peu ; le développement des nouvelles technologies n'est que dans l'idée, l'esprit des experts. Tout cela s'est fait à une vitesse phénoménale, et il a fallu absorber la globalisation et, en même temps, engager des actions de fond, de terrain où, par exemple, le plan de cohésion sociale est un élément de réponse qui apportera des fruits très rapides, dès à présent, pour lutter contre ce que l'on appelait à l'époque "la fracture sociale" en 1995.
Q- Parlons maintenant de la succession de J. Chirac. N. Sarkozy veut incarner une droite de rupture avec le chef de l'Etat ; est-ce qu'il ne serait pas légitime qu'il y ait un autre candidat qui se présente pour incarner la continuité ?
R- Le débat à droite est entre la rupture et le rassemblement. Il faut qualifier la rupture, par rapport à quoi, par rapport à qui, probablement. Il y a toujours des avancées, il y a toujours des politiques de changement engagées, et de toute façon, on n'est jamais élu sur un bilan. Le bilan de J. Chirac est bon et il doit être partagé par toute la droite.
Q- Mais est-ce qu'il faut un autre candidat face à N. Sarkozy à droite ?
R- Et puis, il y a aussi le thème du rassemblement et le thème du rassemblement il faut le qualifier. Ce n'est pas "combien de chiraquiens sur la cheminée", c'est comment mettons-nous, tous, les uns et les autres, qui sommes comptables de ce bilan, de ces douze dernières années - en tout cas, douze moins cinq, puisque, quand même, les socialistes ont été au pouvoir -, comment mettre en perspective quelque chose qui servira de tremplin pour la campagne électorale à droite ?
Q- Vous ne voulez pas me répondre sur l'existence ou non d'un...
R- Mais on a une procédure très claire à l'UMP.
Q- Oui, mais on a l'impression que...
R- C'est le principe d'un militant/une voix. Les militants vont trancher autour du 15 janvier pour le congrès ; celui de l'UMP sera accompagné et soutenu par tous.
Q- Vous ne m'avez pas dit s'il fallait qu'un autre candidat se présente face à N. Sarkozy, je veux dire un candidat de poids. On a l'impression, d'ailleurs, qu'il y a une sorte de tabou à l'UMP.
Parlons un peu des socialistes...
R- Ce n'est pas exact. Vous avez N. Dupont-Aignan qui a été candidat à la présidence de l'UMP, qui sera candidat devant les militants de l'UMP. Vous avez un débat démocratique, N. Sarkozy engage le rassemblement autour de ce débat démocratique à l'intérieur de l'UMP. Après, on a ce processus et on se donne rendez-vous en janvier.
Q- A l'UMP, on s'amuse ou on s'est beaucoup amusé, depuis des
semaines, du combat des chefs au Parti socialiste.
R- A juste titre.
Q- Est-ce qu'en définitive, avec ces débats qui sont assez largement suivis par l'opinion, le PS n'est pas en train de, quand même, vous donner une leçon de démocratie ?
R- Le PS a toujours cette culture de débat. Le PS a inventé les courants, le PS a inventé les...
Q- C'est bien, le débat !
R- Non seulement c'est bien mais c'est indispensable. Je trouve cela intéressant ; je trouve intéressant de voir S. Royal se prendre les pieds dans le tapis des jurys populaires, se voir tacler par monsieur Fabius qui l'accuse d'espèce de populisme qui ferait le lit de l'extrême droite. Je trouve intéressant que D. Strauss-Kahn s'évertue à affirmer une ligne sociale-démocrate démentie par monsieur Emmanuelli. C'est vrai qu'il y a du débat au Parti socialiste, et c'est vrai qu'ils ne sont d'accord à peu près, désormais, sur rien. Est-ce que c'est ce visage-là, dans le processus de sélection, que les Français souhaitent ? Cela a une vertu démocratique et cela permet aux militants qui se sont engagés en prenant leur carte, de donner leur point de vue. A l'UMP, et à droite en général, on n'a pas cette culture de débat. C'est vrai que l'on a tenté plusieurs fois de mettre en place des courants, on n'y est pas parvenus, ce n'est pas notre culture. Pour autant, nous avons un débat en interne, pour autant nous avons organisé des conventions et pour autant, sur tous les sujets, chacun a pu s'exprimer et offrir une plate-forme qui fait que l'UMP a, dès à présent, un programme électoral pour la législature prochaine.
Q- Vous avez un souhait secret en ce qui concerne le candidat qui l'emportera au Parti socialiste ? Lequel serait le plus facile à battre pour la droite ?
R- C'est très prétentieux de le dire, ce sera un combat très difficile. Je rappelle que depuis 1981, aucune majorité ne s'est succédée à elle même, que le principe de l'alternance est un peu rentré dans les esprits. Et donc, pour la droite, en étant sortante, ce sera un exercice compliqué. Mais nous avons, peut-être pour la première fois, une chance raisonnable de l'emporter et de poursuivre l'action au service des Français.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 octobre 2006