Texte intégral
Parce que l'énergie est un secteur éminemment stratégique, nous sommes aujourd'hui saisis d'un texte qui suscite beaucoup de passions. Celles-ci sont à la mesure des enjeux. Il est question d'indépendance énergétique, de compétitivité économique et de gestion de l'environnement.
En effet, dans un contexte mondial de ressources énergétiques très disputées en raison d'une demande en constante augmentation, les tensions sur les marchés sont de plus en plus fréquentes. La dépendance énergétique s'accroît d'autant plus que les fournisseurs s'organisent sous la forme de puissants monopoles. En 2030, la dépendance de l'Union Européenne approchera 70 %. S'agissant de notre pays, notre dépendance au gaz russe et algérien est de plus en plus marquée. Elle atteint aujourd'hui 41 %.
Compte tenu de la recomposition du paysage énergétique européen et mondial, nous devons faire des choix politiques et économiques qui permettent à notre pays de relever les nouveaux défis.
Ce projet de loi est censé contribuer au renforcement des acteurs français de l'énergie. En effet, en théorie, il vise à concilier la sécurité de l'approvisionnement, la compétitivité de nos entreprises dans un marché libéralisé, et le développement durable.
S'il est bien évident que l'on peut souscrire à ces trois objectifs, on peut déplorer, Monsieur le Ministre, l'option choisie pour y parvenir, c'est-à-dire la fusion entre Suez et GDF. Ce choix est d'autant plus malvenu que le Parlement est confronté à un problème de méthode.
Nous sommes entrés dans le processus législatif alors que les négociations se poursuivent entre la Commission européenne de la concurrence, le groupe Suez et GDF. Nous devons légiférer à l'aveuglette, parce que la privatisation de GDF -puisqu'il s'agit avant tout de cela- est devenue une priorité pour le gouvernement. Alors que nous débattons de l'avenir d'un secteur vital, les députés ont examiné le projet de loi sans connaître la lettre de griefs de la Commission européenne au motif que celle-ci contenait des informations commerciales confidentielles. Nos collègues ont légiféré sans savoir quelles allaient être les actifs cédés par les deux entreprises concernées. Les remèdes proposés par les deux groupes pour répondre au problème de concurrence commencent tout juste à être rendus publics. On nous demande de signer un chèque en blanc pour les actionnaires qui vont, in fine, décider des conditions de la fusion.
D'autre part, le ministre de l'économie de l'époque avait pris au nom de son gouvernement un engagement qui est inscrit dans la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité. L'article 24 de cette loi dispose que EDF et GDF sont transformés en société dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. Aujourd'hui, ce principe n'a plus de valeur. La participation actuelle de l'Etat est de 80,2 % au sein de GDF. Si le projet de loi est adopté, elle passera mécaniquement dans le nouvel ensemble à 34 %. Quelle inconstance !
C'est donc dans ces conditions d'opacité et de revirement que nous devons nous prononcer sur le projet de fusion.
Sur le fonds, plusieurs interrogations sont posées.
Tout d'abord, est-on certain que la fusion de Suez et GDF réponde à une logique industrielle ? Si la réponse est oui, cette opération va-t-elle permettre, d'une part, de diminuer les tarifs et d'autre part, de préserver l'emploi ?
Sur les contours de la politique tarifaire, il n'est pas sûr que les consommateurs s'y retrouvent. Au contraire. Depuis un an, les tarifs de gaz ont augmenté de 23 % pour les usagers. Dans le domaine énergétique, le seul jeu de la concurrence entre grands groupes ne suffit pas à baisser les prix. L'énergie est fournie au travers d'un réseau. Par conséquent, les choix en matière de production, de transport et de distribution sont également déterminants pour le calcul des tarifs.
Ensuite, avant l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants, GDF-Suez vont se retrouver en situation de monopole et donc libres d'imposer leurs tarifs. Certes, les usagers pourront choisir entre les tarifs régulés et tarifs libres. Mais comme on peut difficilement anticiper l'évolution du marché, ce choix n'est pas toujours aisé, surtout si les contrats à long terme sont remis en cause. On sait que les entreprises qui ont choisi le marché libre à partir de 2004 sont actuellement confrontées à une flambée des prix. La différence entre le prix réglementé et le prix libre est de 66% pour les entreprises. La création aujourd'hui d'un « tarif retour » illustre bien la difficulté de libéraliser totalement le secteur de l'énergie.
Un autre volet ne semble pas faire partie de vos préoccupations. En terme d'emplois, quelles sont les garanties ? Les syndicats s'inquiètent de 20 000 suppressions qui pourraient être la conséquence des cessions d'actifs demandées par Bruxelles. Vous le savez, Monsieur le Ministre, il y a un rapport qui circule. Nous avons besoin d'être éclairés sur ce point car l'emploi est bien évidemment une question importante.
Cette fusion, c'est aussi un risque pour EDF qui va se retrouver avec un concurrent puissant. Complémentaires depuis 1946, EDF et GDF entreront en concurrence alors qu'ils sont tous deux investis de missions de service public.
Monsieur le Ministre, il faut bien le dire, la tentative d'OPA de l'italien Enel vous a donné un bon prétexte pour privatiser GDF. Vous habillez cette volonté derrière la sécurité de l'approvisionnement. Rien dans ce texte ne garantit cet objectif. Hier, c'était Enel. Demain, ce pourra être Gazprom qui rêve d'intégrer la production et la distribution de gaz en Europe. Pour balayer cette crainte d'OPA du géant russe, vous nous dites que l'Etat dispose aujourd'hui d'une minorité de blocage protégeant d'une OPA. Mais puisque vous êtes capables de faire passer la participation de l'Etat de plus de 70 % à un tiers après l'avoir pourtant gravée dans le marbre, qu'en sera-il demain ? Vous savez qu'en dessous de ce seuil, il n'y a plus de minorité de blocage.
En définitive, Monsieur le Ministre, votre projet de fusion ne présente que des risques dont les usagers feront les frais. Seuls les actionnaires de Suez seront les grands gagnants puisque le texte répond davantage à une logique financière qu'à une logique industrielle. Une fusion GDF-Suez, c'est 4 % de marché en plus pour la France, pas de quoi bousculer le rapport de force avec les exploitants.
Il y a toujours eu un débat idéologique entre partisans des privatisations et partisans des nationalisations. Les radicaux de gauche ne sont pas hostiles aux privatisations. Et nous savons que nos engagements européens nous obligent à ouvrir le capital des entreprises publiques. Pour autant, il y a des secteurs hautement stratégiques qui doivent demeurer sous contrôle de l'Etat. L'énergie est devenue indispensable dans nos sociétés. L'Etat doit donc conserver des responsabilités pour piloter la sécurité de l'approvisionnement et assurer un égal accès des consommateurs à l'énergie. La maîtrise de la politique énergétique passe par la création d'un grand pôle public en France et non par le démantèlement de GDF. Parce que les fournisseurs sont constitués sous forme de gros monopoles, il est avant tout urgent de mener une réflexion à l'échelle européenne. Une réflexion qui n'oublie pas que la libre circulation de l'énergie obéit à des lois techniques et économiques spécifiques peu compatibles avec une régulation par la seule concurrence. On se souvient de l'exemple californien où la libéralisation totale a fait monter les prix de 1000 % et occasionner de graves dysfonctionnements. Dans ces conditions, brandir les privatisations comme une réponse à la problématique de l'énergie est dangereux pour notre pays. Parce que nous ne voulons pas hypothéquer l'avenir énergétique de la France, parce que nous ne voulons pas brader le service public et parce que nous ne voulons pas cautionner une opération purement financière, les radicaux de gauche ne voteront pas ce texte.
Source http://www.planeteradicale.org, le 30 octobre 2006
En effet, dans un contexte mondial de ressources énergétiques très disputées en raison d'une demande en constante augmentation, les tensions sur les marchés sont de plus en plus fréquentes. La dépendance énergétique s'accroît d'autant plus que les fournisseurs s'organisent sous la forme de puissants monopoles. En 2030, la dépendance de l'Union Européenne approchera 70 %. S'agissant de notre pays, notre dépendance au gaz russe et algérien est de plus en plus marquée. Elle atteint aujourd'hui 41 %.
Compte tenu de la recomposition du paysage énergétique européen et mondial, nous devons faire des choix politiques et économiques qui permettent à notre pays de relever les nouveaux défis.
Ce projet de loi est censé contribuer au renforcement des acteurs français de l'énergie. En effet, en théorie, il vise à concilier la sécurité de l'approvisionnement, la compétitivité de nos entreprises dans un marché libéralisé, et le développement durable.
S'il est bien évident que l'on peut souscrire à ces trois objectifs, on peut déplorer, Monsieur le Ministre, l'option choisie pour y parvenir, c'est-à-dire la fusion entre Suez et GDF. Ce choix est d'autant plus malvenu que le Parlement est confronté à un problème de méthode.
Nous sommes entrés dans le processus législatif alors que les négociations se poursuivent entre la Commission européenne de la concurrence, le groupe Suez et GDF. Nous devons légiférer à l'aveuglette, parce que la privatisation de GDF -puisqu'il s'agit avant tout de cela- est devenue une priorité pour le gouvernement. Alors que nous débattons de l'avenir d'un secteur vital, les députés ont examiné le projet de loi sans connaître la lettre de griefs de la Commission européenne au motif que celle-ci contenait des informations commerciales confidentielles. Nos collègues ont légiféré sans savoir quelles allaient être les actifs cédés par les deux entreprises concernées. Les remèdes proposés par les deux groupes pour répondre au problème de concurrence commencent tout juste à être rendus publics. On nous demande de signer un chèque en blanc pour les actionnaires qui vont, in fine, décider des conditions de la fusion.
D'autre part, le ministre de l'économie de l'époque avait pris au nom de son gouvernement un engagement qui est inscrit dans la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité. L'article 24 de cette loi dispose que EDF et GDF sont transformés en société dont l'Etat détient plus de 70 % du capital. Aujourd'hui, ce principe n'a plus de valeur. La participation actuelle de l'Etat est de 80,2 % au sein de GDF. Si le projet de loi est adopté, elle passera mécaniquement dans le nouvel ensemble à 34 %. Quelle inconstance !
C'est donc dans ces conditions d'opacité et de revirement que nous devons nous prononcer sur le projet de fusion.
Sur le fonds, plusieurs interrogations sont posées.
Tout d'abord, est-on certain que la fusion de Suez et GDF réponde à une logique industrielle ? Si la réponse est oui, cette opération va-t-elle permettre, d'une part, de diminuer les tarifs et d'autre part, de préserver l'emploi ?
Sur les contours de la politique tarifaire, il n'est pas sûr que les consommateurs s'y retrouvent. Au contraire. Depuis un an, les tarifs de gaz ont augmenté de 23 % pour les usagers. Dans le domaine énergétique, le seul jeu de la concurrence entre grands groupes ne suffit pas à baisser les prix. L'énergie est fournie au travers d'un réseau. Par conséquent, les choix en matière de production, de transport et de distribution sont également déterminants pour le calcul des tarifs.
Ensuite, avant l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants, GDF-Suez vont se retrouver en situation de monopole et donc libres d'imposer leurs tarifs. Certes, les usagers pourront choisir entre les tarifs régulés et tarifs libres. Mais comme on peut difficilement anticiper l'évolution du marché, ce choix n'est pas toujours aisé, surtout si les contrats à long terme sont remis en cause. On sait que les entreprises qui ont choisi le marché libre à partir de 2004 sont actuellement confrontées à une flambée des prix. La différence entre le prix réglementé et le prix libre est de 66% pour les entreprises. La création aujourd'hui d'un « tarif retour » illustre bien la difficulté de libéraliser totalement le secteur de l'énergie.
Un autre volet ne semble pas faire partie de vos préoccupations. En terme d'emplois, quelles sont les garanties ? Les syndicats s'inquiètent de 20 000 suppressions qui pourraient être la conséquence des cessions d'actifs demandées par Bruxelles. Vous le savez, Monsieur le Ministre, il y a un rapport qui circule. Nous avons besoin d'être éclairés sur ce point car l'emploi est bien évidemment une question importante.
Cette fusion, c'est aussi un risque pour EDF qui va se retrouver avec un concurrent puissant. Complémentaires depuis 1946, EDF et GDF entreront en concurrence alors qu'ils sont tous deux investis de missions de service public.
Monsieur le Ministre, il faut bien le dire, la tentative d'OPA de l'italien Enel vous a donné un bon prétexte pour privatiser GDF. Vous habillez cette volonté derrière la sécurité de l'approvisionnement. Rien dans ce texte ne garantit cet objectif. Hier, c'était Enel. Demain, ce pourra être Gazprom qui rêve d'intégrer la production et la distribution de gaz en Europe. Pour balayer cette crainte d'OPA du géant russe, vous nous dites que l'Etat dispose aujourd'hui d'une minorité de blocage protégeant d'une OPA. Mais puisque vous êtes capables de faire passer la participation de l'Etat de plus de 70 % à un tiers après l'avoir pourtant gravée dans le marbre, qu'en sera-il demain ? Vous savez qu'en dessous de ce seuil, il n'y a plus de minorité de blocage.
En définitive, Monsieur le Ministre, votre projet de fusion ne présente que des risques dont les usagers feront les frais. Seuls les actionnaires de Suez seront les grands gagnants puisque le texte répond davantage à une logique financière qu'à une logique industrielle. Une fusion GDF-Suez, c'est 4 % de marché en plus pour la France, pas de quoi bousculer le rapport de force avec les exploitants.
Il y a toujours eu un débat idéologique entre partisans des privatisations et partisans des nationalisations. Les radicaux de gauche ne sont pas hostiles aux privatisations. Et nous savons que nos engagements européens nous obligent à ouvrir le capital des entreprises publiques. Pour autant, il y a des secteurs hautement stratégiques qui doivent demeurer sous contrôle de l'Etat. L'énergie est devenue indispensable dans nos sociétés. L'Etat doit donc conserver des responsabilités pour piloter la sécurité de l'approvisionnement et assurer un égal accès des consommateurs à l'énergie. La maîtrise de la politique énergétique passe par la création d'un grand pôle public en France et non par le démantèlement de GDF. Parce que les fournisseurs sont constitués sous forme de gros monopoles, il est avant tout urgent de mener une réflexion à l'échelle européenne. Une réflexion qui n'oublie pas que la libre circulation de l'énergie obéit à des lois techniques et économiques spécifiques peu compatibles avec une régulation par la seule concurrence. On se souvient de l'exemple californien où la libéralisation totale a fait monter les prix de 1000 % et occasionner de graves dysfonctionnements. Dans ces conditions, brandir les privatisations comme une réponse à la problématique de l'énergie est dangereux pour notre pays. Parce que nous ne voulons pas hypothéquer l'avenir énergétique de la France, parce que nous ne voulons pas brader le service public et parce que nous ne voulons pas cautionner une opération purement financière, les radicaux de gauche ne voteront pas ce texte.
Source http://www.planeteradicale.org, le 30 octobre 2006