Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, sur la politique de l'emploi du gouvernement en faveur du patronat et sur le maintien de sa candidature face à un candidat éventuel de "la gauche anti-libérale", Saint-Quentin (Aisne) le 27 octobre 2006.

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Circonstance : Meeting à Saint-Quentin (Aisne) le 27 octobre 2006

Texte intégral

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Une succession de déclarations faites ces jours derniers illustrent bien l'attitude du pouvoir politique à l'égard du grand patronat.
Laurence Parisot, la présidente de l'organisation patronale Medef, a exprimé le souhait qu'on modifie la loi réglementant le licenciement pour le rendre plus facile. Il faut, a-t-elle dit, que le licenciement soit « une séparation à l'amiable », un peu comme dans certains divorces où les deux conjoints sont consentants. Il faut tout le cynisme de cette femme, patronne elle-même, pour comparer la situation d'un couple avec le rapport entre un patron et le travailleur qu'il s'apprête à licencier !
Dans le monde du travail, personne n'ignore que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont déjà offert au patronat une multitude de contrats précaires, tous faits pour permettre aux patrons de contourner la loi sur les licenciements. Personne n'ignore que, même dans les grandes entreprises, un nombre croissant de travailleurs sont embauchés en tant qu'intérimaires, parfois chez des sous-traitants, c'est-à-dire licenciables à volonté. Personne n'ignore que des super et hypermarchés aux entreprises de services, se multiplient le temps partiel non choisi où la personne embauchée se voit imposer son temps et son horaire de travail , pratiquement au jour le jour.
Mais, même le peu qui reste dans la loi gêne le patronat qui veut pouvoir licencier quand il veut, comme il veut, sans qu'aucun inspecteur du travail puisse s'en mêler. Ce que, bien souvent, les inspecteurs ne peuvent déjà pas faire vu leur nombre trop faible et le fait qu'il y a de nombreux patrons qui foulent aux pieds la loi dans un domaine ou dans un autre.
Mais, à peine Laurence Parisot a-t-elle fait sa déclaration que Nicolas Sarkozy a avancé le projet de remplacer la multitude de contrats existants par un contrat unique. A l'entendre, ça sonne bien, à ceci près que, dans le nouveau contrat qui concernerait à la fois les CDI et les CDD, les licenciements seraient facilités. Autant dire qu'une unification de cet acabit des contrats de travail serait la consécration légale de la précarité pour tous les travailleurs qui n'auraient même pas la garantie donnée par un contrat à durée déterminée.
Le patronat s'est exprimé et ce représentant du pouvoir politique qu'est Sarkozy promet de s'exécuter, le doigt sur la couture du pantalon.
Même chose pour la durée du travail. Pendant que la droite et la gauche s'empaillaient sur les 35 heures, Parisot, prenant de la hauteur, si on peut dire, en tout cas du point de vue patronal, déclarait son exigence : « Ce qu'il faut faire, c'est abroger le concept de durée légale du travail ». En clair, ni 35 heures, ni même 39 ou 40 heures, c'est aux patrons de définir la durée du travail, entreprise par entreprise. Faire travailler 40 heures, et pourquoi pas 50 ou plus, les semaines où cela arrange le patron, et moins ou pas du tout quand il n'en a pas besoin. Et là encore, à peine l'exigence a-t-elle été formulée que Fillon, ex-ministre du Travail et bras droit de Sarkozy, réagit en acquiesçant bruyamment : « Il faut libéraliser les heures supplémentaires ».
Les patrons commandent et le pouvoir politique s'exécute. Voilà la réalité dans ce pays des rapports entre le grand patronat et le pouvoir politique.
Quand c'est la droite qui détient le pouvoir politique, elle exprime d'autant plus cyniquement qu'elle est au service du patronat que cela ne la gêne même pas sur le plan électorat vu que c'est du côté des patrons, petits et grands, plus généralement du côté des possédants ou qui croient l'être, qu'elle trouve sa clientèle électorale.
Il n'y a qu'à voir cette semaine. Le Conseil d'Etat avait annulé la loi qui autorisait les travailleurs de l'hôtellerie-restauration à travailler 39 heures. L'effet de cette décision du Conseil d'Etat aurait été d'appliquer la loi des 35 heures à ce secteur. Même si cela ne signifiait pas une réduction des horaires, cela aurait obligé les patrons à payer des heures supplémentaires. Tollé du côté des dizaines de milliers de patrons de bistros et de restaurants ! Tollé de la part des propriétaires d'hôtel, et il y en a -et pas que des petits ! Et on a vu l'Assemblée nationale réagir avec une vivacité peu coutumière par le biais d'un amendement UMP ajouté à un projet de loi qui n'a pas de rapport avec le sujet et voter un texte qui annule, de fait, la décision du Conseil d'Etat. Eh bien, depuis hier matin, les patrons grands et petits de l'hôtellerie-restauration sont rassurés : ils ont la loi avec eux et ils peuvent faire travailler leur personnel 39 heures et plus sans avoir à payer trop d'heures supplémentaires ! Le gouvernement a même poussé la complaisance jusqu'à faire voter un sous-amendement qui décharge les patrons du paiement des cotisations sociales sur les heures supplémentaires.
Les patrons veulent bien des lois qui les protègent mais surtout pas des lois qui les gênent ! Et le pouvoir politique est là pour leur dire « mais bien sûr, c'est l'intérêt de la société, c'est l'intérêt de la France ! ».
Pour les plus démunis parmi les travailleurs et parmi les retraités, la situation devient dramatique. Tout devient un problème, même se nourrir quotidiennement lorsqu'il s'agit d'une famille nombreuse, ou se soigner et, avant tout, se loger convenablement. Les retraités ont manifesté il y a quelques jours pour protester contre la baisse du pouvoir d'achat des retraités modestes. Leurs pensions déjà faibles n'augmentent pas alors que le coût de la vie augmente. Le pouvoir d'achat n'est pas seulement rogné par l'inflation, par les hausses de prix, mais aussi par toutes ces dépenses supplémentaires qui résultent de décisions qui semblent parfois anodines pour ceux qui ne sont pas concernés. Je veux parler des forfaits de consultation chez les médecins et le déremboursement total ou partiel de certains médicaments, décisions qui, pour les pensions, voire les salaires, les plus modestes, sont dramatiques.
Ce qui pèse le plus sur le monde du travail, au plan matériel aussi bien qu'au plan moral, est certainement le chômage. Il est quand même invraisemblable et révoltant que, dans un pays comme le nôtre, des millions de travailleurs potentiels soient exclus de toute activité sociale, collective, simplement pour que fonctionne leur machine économique faite pour fabriquer du profit en fabriquant des chômeurs !
A écouter les ministres, tout va très bien ! Le chômage baisse, la situation s'améliore. Ils mentent pire que des arracheurs de dents !
Qui, parmi les travailleurs, ne voit la pauvreté qui monte ? Qui, parmi les travailleurs, ignore que, lorsqu'on a perdu un emploi stable, on a peu de chances de trouver autre chose qu'un emploi précaire mal payé ? Qui, dans les familles ouvrières, ne sait qu'un jeune n'a pratiquement aucune chance d'entrer dans la vie active autrement qu'en galérant d'intérim mal payé en stage pas payé du tout ?
Et les pires mesures anti-ouvrières sont prises, bien sûr, au nom de l'intérêt de tous ! Les forfaits, les déremboursements de médicaments, ce serait pour sauver la Sécurité sociale !
Les contrats comme le CNE qui permettent aux patrons concernés de licencier quand et comment ils veulent pendant deux ans, ce serait pour créer des emplois !
Les contrats seniors que le gouvernement vient d'inventer et qui permettent aux patrons d'embaucher pour pas cher des anciens, pour un CDD de 18 mois, renouvelable une seule fois, ce serait pour aider les chômeurs de plus de cinquante sept ans !
Ces politiques qui nous gouvernent sont aux ordres. Ils exécutent ce que le patronat leur demande et, en plus, ils assurent le service après vente. C'est à eux de justifier, de rendre acceptables les pires infamies patronales contre les travailleurs.
On nous convoque périodiquement à des élections pour élire des responsables politiques à différents niveaux. Mais, dans le domaine économique, il y a une véritable dictature où une toute petite minorité de possesseurs de capitaux a le droit de tout faire, fermer des entreprises, délocaliser, licencier, sans avoir de comptes à rendre à quiconque. Et, en dominant l'économie, cette petite minorité domine aussi toute la vie sociale et toute la politique.
Dans ce système économique, la concurrence, la recherche du profit déterminent tout : l'habitat, la santé, la production de biens utiles à la vie de tous, les transports. Tout ce qui est nécessaire à une vie normale exige que sa production rapporte beaucoup de profits, sinon on ne le fabrique pas ou on ne l'assure pas. C'est pourquoi on ferme des entreprises, des hôpitaux, des lignes de chemin de fer et des services. Et, quand on ne les ferme pas, on les laisse à l'abandon.
Voilà pourquoi la pauvreté s'accroît. Voilà pourquoi le niveau de vie baisse.
Les mensonges de la propagande gouvernementale, relayée par toutes les télés et radios, ne sont pas destinés au monde du travail, mais aux catégories sociales qui vivent une vie confortable et qui ne demandent qu'à croire que les travailleurs, et même les chômeurs, ne connaissent pas leur chance de vivre dans un pays comme la France !
Les larbins du grand patronat présentent la recherche du profit à tout prix non seulement comme un droit mais même comme un devoir sacré pour les entreprises. C'est au nom du profit qu'on impose sur les chaînes de production des cadences de plus en plus démentes ; qu'on impose dans les super et hypermarchés un rythme de travail insupportable ; c'est encore au nom du profit qu'on rogne les minutes de pause.
Et pourquoi faire, ces profits ? Même pas pour investir dans la production afin de créer, au moins plus tard, des emplois supplémentaires ! Non, le profit est en grande partie englouti par la classe riche pour mener grand train, appartements aux quatre coins du pays, sinon du monde, hôtels de luxe, avions en première classe, ou bateaux de plaisance grands comme des paquebots. Et la part qui ne l'est pas, bien plus importante encore car ils ne peuvent tout dépenser, ne sert aux entreprises qu'à racheter des entreprises concurrentes ou pas, mettre la main sur leur marché et, surtout, sur leurs ouvriers qui, seuls, ont la capacité de suer du profit. Du moins, sur ceux qui ne sont pas licenciés sous prétexte de restructuration.
La société, l'Etat, n'exercent aucun contrôle sur les conseils d'administration des grandes compagnies industrielles et financières. Pire, ceux qui les possèdent peuvent décider librement de la meilleure façon de gagner plus. Et, pour eux, tant pis si cela pousse à la misère des fractions croissantes de salariés, tant pis pour ceux qui en crèvent !
Eh bien, dans cette campagne, il faut qu'il y ait au moins quelqu'un qui puisse dire que c'est à ce système-là qu'il faut s'en prendre vraiment.
Il faut que, dans cette élection, soient réellement défendus les intérêts politiques et sociaux du monde du travail. Il faut que soit présente une candidature qui exprime clairement que le grand patronat, que la grande bourgeoisie sont les ennemis directs de toute la population. Une candidature qui dise pourquoi et comment la mainmise de la grande bourgeoisie sur l'économie et la société est la cause des maux principaux dont souffre la majorité des travailleurs.
Voilà pourquoi je présente ma candidature à l'élection présidentielle de 2007. Bien que je n'aie pas, encore, tout à fait les 500 parrainages d'élus nécessaires pour pouvoir déposer ma candidature, je n'en suis pas loin. Par ailleurs, j'ai bon espoir de la part de plusieurs dizaines d'élus qui, pour le moment, n'ont pas accordé leur parrainage mais qui ne l'ont pas refusé non plus : ils sont simplement dans l'attente de savoir qui seront les candidats, notamment celle ou celui du PS.
Ce que je dirai dans cette campagne, aucun des représentants des grands partis, aucun de ceux ou de celles qui ont une chance d'accéder à la présidence, ne le dit. Ils rivalisent de grandes phrases sur l'avenir de la France, sur le bonheur du peuple. Mais aucun d'entre eux n'osera s'en prendre au grand patronat et à ses intérêts, même pas en paroles, même pas par démagogie.
Alors, il ne faut pas être dupe des hommes et des femmes politiques qui occupent le devant de la scène. Ce ne sont pas eux qui détiennent le véritable pouvoir.
Ils ne tiennent pas tous le même discours, bien sûr. Il faut bien que les électeurs les distinguent les uns des autres pour qu'ils aient le sentiment qu'ils ont un choix réel. De plus, les uns et les autres n'ont pas le même électorat et ne cherchent pas à plaire aux mêmes gens.
La droite qui est au pouvoir depuis quatre ans n'a que faire de l'opinion, des sentiments des travailleurs et des classes populaires. Elle ne cherche à plaire qu'aux possédants, petits et grands. Elle se prosterne devant l'argent et ceux qui le détiennent, auxquels elle est liée par une multitude de liens personnels, familiaux ou financiers. L'avionneur Dassault, le père, s'était fait filmer faisant sauter le jeune Chirac sur ses genoux, ce n'est ni un secret ni un scoop !
Cette droite aux ordres des riches, mais cynique et arrogante à l'égard des classes populaires, a pris pendant les quatre années passées tellement de mesures anti-ouvrières, a tellement aidé le grand patronat à dégrader le sort des classes populaires, qu'elle mérite la haine de tous ceux, travailleurs, chômeurs, retraités, dont elle a écrasé les conditions d'existence.
Ces quatre ans au gouvernement, c'est quatre ans d'attaques tout azimut contre les travailleurs. Des attaques sur tous les terrains : contre les retraites, contre l'assurance maladie, contre les services publics, contre le peu qui dans la législation du travail gêne les patrons.
A propos de la Sécurité sociale, je voudrais vous lire le début d'un article en première page du journal Le Figaro d'avant-hier, sous le titre « Fraude sociale : la traque s'intensifie ». Je cite : « Les milliards de déficit et le cas spectaculaire des fraudes organisées ont rendu la triche insupportable pour une bonne partie de l'opinion. Le gouvernement réagit en installant un Comité de lutte contre la fraude à la protection sociale, regroupant Sécu, Unedic, fisc, police, justice, complémentaires santé et retraite. Tous devront prendre l'habitude d'échanger le plus d'informations possible pour rendre la chasse aux fraudeurs plus efficace. Les outils, notamment le croisement de fichiers informatiques, parfois controversé, se mettent en place ».
Qu'est-ce qu'on peut comprendre à ces lignes, à ce grand titre, qui se retrouvent d'ailleurs bien souvent aussi à la télévision, sinon que le déficit de la Sécurité sociale est la faute aux tricheurs parmi les assurés ? C'est l'idée que veut matraquer le gouvernement en mettant en place un comité de « chasseurs de fraudes ».
Mais personne ne dit qu'une grande partie des cadeaux consentis aux entreprises se fait sous la forme de réductions de charges sociales, c'est-à-dire au détriment du budget de la Sécurité sociale. Même si l'Etat compense en partie, il ne le fait qu'en partie et encore, avec beaucoup de retard. Cela se chiffre par milliards ! Personne ne dénonce non plus les retards de paiement de la part patronale qui portent sur des sommes autrement plus importantes que ce que les petits escrocs en tout genre peuvent détourner.
Sous prétexte de mener la chasse aux petits escrocs, on va soumettre tous les assurés à des tracasseries supplémentaires. Les grands escrocs, les véritables voleurs de grand chemin qui prélèvent des milliards d'euros sur les caisses de la Sécurité sociale, qui sont les responsables de son déficit, non seulement on ne les inquiète pas, mais on leur dit « prenez donc, c'est pour favoriser l'emploi ». Et puis, de toute façon, lorsqu'il faudra combler le déficit, c'est encore les assurés sociaux, les travailleurs, voire les contribuables, qui paieront !
Sarkozy, qui entend représenter la droite, l'incarne bien dans toute son arrogance et dans toute sa haine des pauvres, des quartiers populaires, des jeunes, des travailleurs immigrés, de tous les travailleurs.
L'empêcher d'atteindre le fauteuil présidentiel, stopper, même provisoirement, sa carrière politique, oui, cela ferait plaisir et espérons que cela se fera, même si perdre leur place actuelle est certainement moins dramatique pour ces gens-là que de perdre son emploi pour un salarié. Ils iront pantoufler dans les entreprises dont ils ont si bien servi les patrons lorsqu'ils étaient ministres. Ils seront même probablement mieux payés encore.
La renvoyer du pouvoir, cela ne peut malheureusement se faire qu'en y ramenant la gauche, cette gauche dont les travailleurs ont pu mesurer, pendant les cinq ans du gouvernement de Jospin, à quel point elle ne constitue en rien un rempart contre l'avidité patronale.
Et puis, écoutons-les, même en pleine campagne électorale, les candidats socialistes se gardent bien de prendre des engagements au cas où ils reviendraient aux affaires.
Après les deux débats télévisés qui ont eu lieu entre les trois candidats à la candidature du PS, les journaux ont finement analysé la couleur de la cravate de Laurent Fabius, l'apprêt de la chemise de Dominique Strauss-Kahn et le gonflant de la chevelure de Ségolène Royal, ainsi que leur gestuelle ! Ils ont tous remarqué que le premier débat était très courtois et qu'au deuxième, les candidats se sont fâchés et ont durci le ton.
Mais, derrière ce côté « Star Academy », qu'y a-t-il donc pour les classes populaires ?
Sur les salaires, problème qui devait, paraît-il, être abordé pendant le premier débat : silence de Strauss-Kahn et de Royal. Seul Fabius a donné des chiffres, en tout cas pour le Smic en promettant 1500 euros mensuels brut, sans préciser à quel moment de la législature. Mais il a déjà dit dans le passé que les 1500 euros, c'est un objectif pour la fin de la législature. Mais 1500 euros brut, c'est à peu près le niveau qu'atteindra le Smic de toute façon avec l'ajustement automatique ! Et puis, combien de travailleurs précaires ou à temps partiel non choisi ne touchent de toute façon même pas le Smic et resteront des travailleurs pauvres, même lorsque le Smic atteindra 1500 euros ? Ah, si, quand même : Fabius a promis 100 euros brut par mois d'augmentation du Smic dès son élection. C'est déjà ça, mais ce n'est pas vraiment grand-chose et, s'il est élu, il faudra très certainement lui rappeler plusieurs fois sa promesse.
Les retraites : « Revaloriser le pouvoir d'achat des petites retraites sera une de mes priorités », a annoncé Royal. Avec cela, les retraités sont bien avancés ! Fabius a été plus précis : « Il faut fixer un niveau des retraites minimum à 80 ou 85 % du Smic ». Eh bien, 80 % du Smic, cela fait 80 % de 1254,28 euros, soit 1003,42 euros brut. Croyez-vous qu'on peut appeler cela une retraite décente après toute une vie de travail ?
Passons sur Strauss-Kahn qui, sur le problème du logement, propose de créer de nouvelles villes à l'écart de celles qui existent pour contourner le coût du foncier. Il n'est pas le premier à proposer de rebâtir les villes à la campagne, mais la première fois, il s'agissait de la proposition d'un humoriste !
Quant au problème du foncier, il n'existe que parce qu'aucun gouvernement ne réquisitionne les terrains nécessaires pour construire dans les villes elles-mêmes des logements convenables que l'on puisse se payer avec un salaire d'ouvrier ou d'employé.
Et puis, dans le débat de cette semaine, Royal a fait sensation et a déclenché les sarcasmes de tout le milieu politique, y compris de ses rivaux du PS, en proposant de créer des jurys populaires pour contrôler les élus. Le simple fait qu'on puisse évoquer le contrôle des élus donne des boutons à toute la gent politique.
Pour l'UMP, cela évoque à la fois Pétain et Mao Zé Dong, rien de moins ! Fabius y voit « du populisme qui fera le lit de l'extrême droite » et Strauss-Kahn l'amorce « d'un désordre, un conflit très dangereux pour la démocratie ».
Les propos de Royal ne méritent certes ni tant d'honneur ni tant d'indignité. Comment quinze citoyens tirés au sort pourraient-ils contrôler le travail des élus ? Et comment pourraient-ils sanctionner ceux qui renient leurs promesses ?
Oh, oui, je suis pour contrôler les élus, n'en déplaise à tous ceux qui voient dans l'évocation même de cette idée comme une atteinte à la démocratie ! Mais, pour contrôler les élus, le mouvement ouvrier, en l'espèce la Commune de Paris, avait inventé un système infiniment plus efficace que la petite démagogie sans conséquence de Royal : l'élection et la révocabilité à tout instant non seulement de tous les élus, mais aussi de tous ceux qui assument une fonction publique de responsabilité ou qui détiennent une part d'autorité dans l'appareil d'Etat. Car, si on élit les députés ou le président de la République, personne n'élit ces quelques milliers de hauts fonctionnaires qui dirigent de fait les ministères et les grandes administrations, qui préparent les dossiers que les ministres n'ont plus qu'à signer. Pendant que les ministres changent, au gré des élections, la machinerie administrative continue à fonctionner sous la direction de femmes et d'hommes que personne n'a élus. Bien des mesures prises par le gouvernement Raffarin ont été préparées au temps du gouvernement de Jospin !
Alors, se débarrasser de la droite, oui, mais il ne faut pas que, par refus de la droite et de l'extrême droite, l'électorat populaire porte le PS au pouvoir sans rien en exiger en retour.
A gauche encore, tout à côté du PS, et je dirai même collé-serré à lui, il y a le parti des Radicaux de gauche. Si je les cite, ce n'est pas tant pour leur rôle dans la vie politique, proche du zéro, que pour la candeur cynique avec laquelle leur président a annoncé les raisons pour lesquelles, contrairement à 2002 où son parti avait présenté Christiane Taubira, cette fois-ci, il ne présentera personne. Car le PS les a gâtés pour qu'ils votent dès le premier tour pour la candidature socialiste, en leur offrant de soutenir leurs candidats aux législatives. Un groupe parlementaire à l'Assemblée et au Sénat vaut bien que l'on n'exprime pas ses propres opinions pendant la campagne présidentielle, a affirmé le chef radical à la télévision. Il est vrai que, pour sacrifier ses opinions, encore faut-il en avoir !
Le PC, en revanche, restera bien sûr dans la course. Son conseil national a voté, le week-end dernier, non de présenter la candidature de Marie-George Buffet en tant que dirigeante du Parti communiste, mais -admirez la nuance !- en tant que candidate de ce courant qui s'intitule « la gauche anti-libérale » ou parfois « la gauche de la gauche ». Pour le moment, ce courant ne s'est pas exprimé et il ne le fera que début décembre. Quatre personnes, outre Marie-George Buffet, ont pour ambition de le représenter, dont José Bové.
Ce ne serait pas la première fois que le PC se présenterait dans une élection, non pas sous sa propre étiquette, mais au nom d'associations et de groupements politiques divers. Que Marie-George Buffet postule à la représentation de ce courant se comprend : après tout, elle en partage en gros le programme, la phraséologie, et c'est tout de même le Parti communiste qui fournit à ce courant une grande partie de ses militants.
Et se présenter non seulement comme la porte-parole du PC mais, surtout, d'un courant qui se veut plus large est une façon de faire passer pour nouvelle une stratégie politique bien vieille. Elle consiste à présenter à l'électorat populaire, comme la seule alternative contre une droite haïe et, surtout, comme la seule perspective politique, celle d'un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes.
C'est avec cette politique que le Parti communiste a contribué à désarmer les travailleurs, à les détourner de la lutte des classes, le seul moyen véritable pour les travailleurs de peser vraiment sur les décisions politiques. C'est en demandant à ses militants de défendre cette perspective que le PC les a usés, dégoûtés de toute politique car, chaque fois que cette perspective s'est réalisée, sous Mitterrand et avec Jospin, les ministres du PC ont cautionné aux yeux des travailleurs les mesures les plus anti-ouvrières du gouvernement auquel ils appartenaient.
Eh bien, en affirmant construire « la dynamique pleinement populaire » à vocation majoritaire, le PC reprend la même politique car il est évident que la gauche ne peut être majoritaire électoralement qu'avec le PS, c'est-à-dire derrière lui. Et le jeu de la direction du PC par rapport à « la gauche anti-libérale » ne sert qu'à faire passer l'argumentation du parti qui prétend que, si cette « gauche anti-libérale » sait se rassembler autour du PC et si elle recueille beaucoup de suffrages, il se créera au sein de la gauche un rapport de forces qui obligera le PS à infléchir son programme.
Ce n'est évidemment qu'un discours électoral car, même en 1981, à l'époque où, pour la première fois, Mitterrand avait pris quelques ministres communistes dans le gouvernement socialiste et où les résultats électoraux du PC dépassaient les 16 %, les ministres communistes n'avaient pas du tout pesé sur la politique du gouvernement socialiste. Ou, alors, il faut croire qu'ils étaient d'accord sur tout.
Les journalistes me posent souvent la question : pourquoi ne participez-vous pas aux tentatives unitaires de « la gauche anti-libérale » ? Leur question est chaque fois une façon, polie ou hypocrite, de me demander si je suis prête à m'effacer derrière ce candidat unitaire qui, je le rappelle, n'existe même pas encore, et dont il n'est même pas dit qu'il existera un jour.
Alors, bien sûr, je ne m'effacerai pas et je n'abandonnerai pas la défense de la politique que je défends pour un compromis qui contenterait tout le monde mais qui ne signifierait rien.
Je ne m'effacerai pas derrière Marie-George Buffet qui a tout de même été pendant cinq ans ministre du gouvernement Jospin et qui en a cautionné toutes les mesures anti-ouvrières et qui, elle aussi, a appelé à voter Chirac, donc Sarkozy, au deuxième tour.
Je ne m'effacerai pas, non plus, derrière José Bové car les travailleurs, les chômeurs, les retraités et toutes les victimes de la stupidité, de l'injustice du système capitaliste, ont bien d'autres problèmes, et de bien plus urgents, que la « malbouffe » servie dans les McDo ou les champs expérimentaux de maïs transgénique.
Et qui que ce soit d'autre qui sera finalement choisi par « la gauche anti-libérale », si tant est qu'elle soit capable de désigner un candidat sans éclater, la dénonciation du « libéralisme » ou de la politique libérale n'est qu'une façon de masquer le refus de combattre le capitalisme et la dictature du grand capital.
Ce que j'entends populariser dans cette campagne, c'est la dénonciation du système capitaliste, d'un système économique injuste et fou. J'entends dénoncer aussi une caste politique qui gère avec servilité ce système.
Mais je veux surtout populariser les objectifs de lutte qui en découlent pour les travailleurs. Et cela, personne ne le fera à notre place.
Et puis, je me présente pour que s'expriment sur mon nom toutes celles et tous ceux dans l'électorat populaire qui ne sont pas dupes du duel gauche-droite et qui sont conscients que celui qui décide vraiment et dont le pouvoir n'est nullement mis en cause par les bulletins de vote, le grand patronat, ne sera pas impressionné par le changement de la personne qui est installée à l'Elysée.
La seule chose qui peut les impressionner, c'est que les travailleurs en aient assez de subir les coups qu'on leur porte et qu'ils décident de rendre collectivement les coups, à leur façon, avec leurs moyens de classe, en obligeant la bourgeoisie à utiliser les profits immenses accumulés depuis tant de temps de manière utile à la société.
J'ai l'air de répéter tout le temps la même chose en disant cela. Mais on ne peut pas empêcher les licenciements, on ne peut pas empêcher les délocalisations, on ne peut pas diminuer, voire supprimer, le chômage, sans s'en prendre à ceux qui commandent le système économique. Sans cela, on ne peut pas non plus loger convenablement les classes populaires, on ne peut pas résoudre les problèmes de la jeunesse, c'est-à-dire disposer de crèches puis de maternelles et d'écoles primaires en nombre suffisant et, surtout, d'enseignants en nombre suffisant pour donner un enseignement adapté à chacun. Résoudre ces problèmes, c'est aussi répondre au désespoir des jeunes de banlieue qui se voient sans avenir.
Tous ceux qui prétendent qu'on peut faire tout cela sans utiliser les profits accumulés pour le bien de la collectivité mentent effrontément. Car tous les maux qui rongent la société viennent de la concurrence, de la course au profit que mènent entre eux ceux qui possèdent les usines, les banques.
Ne pas s'en prendre à ceux-là, ce n'est pas seulement mentir, c'est contribuer à entretenir la misère.
Il faut imposer que la population ait un accès direct à tout ce que les conseils d'administration envisagent pour l'avenir de leurs entreprises. Ce n'est pas une affaire privée car l'activité d'une entreprise et même les dividendes de ses actionnaires résultent de l'activité de l'ensemble de ses travailleurs. Et ce qu'une entreprise devient concerne toute la région où elle est implantée et toute la population.
Soumettre les entreprises, les banques, au contrôle de la population, cela peut sembler utopique, c'est vrai !
Mais c'est nécessaire, indispensable, vital pour que nous tous puissions avoir une vie normale et décente. Et ce qui est vital n'est pas utopique car attendre qu'on nous écrase, sans réagir, est impossible.
Il faut donc que tous puissent savoir d'où l'ensemble des patrons tirent leurs financements et ce qu'ils en font. Pourquoi ils n'investissent pas leurs profits dans la production de biens utiles à la population pour en faire baisser le coût, au lieu de spéculer dangereusement.
Si on contrôle les profits des entreprises, si on contrôle d'où vient l'argent, par où il passe, quels sont les coûts réels de production, quels sont les profits et où ils vont, on pourrait empêcher qu'ils servent à racheter des entreprises déjà existantes aux quatre coins du monde. Si l'on compare cela au coût du travail dans la valeur ajoutée, on pourrait vérifier s'il est vraiment impossible de créer des emplois nouveaux correctement payés et même, tellement les profits sont élevés, en diminuant les efforts ou le temps de travail de chacun.
On n'en est pas, aujourd'hui, à tout leur prendre. Il s'agit seulement de les contrôler pour ne leur prendre que le superflu, voire le nuisible, qui permettra de sortir la société de l'ornière et de la misère qui nous menace.
Je comprends les sentiments de l'électorat de gauche qui souhaite chasser la droite du pouvoir. Mais, ce que j'espère, ce que je souhaite, c'est que les travailleurs ne se contentent pas d'exprimer leurs sentiments dans les urnes, mais qu'ils les expriment par un coup de colère qui surprenne et terrorise vraiment le grand patronat et la bourgeoisie.
Je ne prétends pas être la porte-parole de tous travailleurs, mais je serai la porte-parole de leurs intérêts politiques et sociaux. Oui, mon camp est celui des travailleurs !
La raison de ma présence dans cette campagne, c'est de permettre à tous ceux qui sont ou qui se sentent eux-mêmes dans le camp des travailleurs, de faire entendre leur voix. Ceux qui, comme moi trouvent intolérable le sort qui est réservé à la principale classe productive de la société ; ceux qui sont convaincus qu'il y a une autre façon de faire fonctionner la société que la seule recherche du profit, pourront le dire en votant pour ma candidature. Mais pourront le dire surtout ceux qui sont convaincus que toutes les promesses des politiciens de gauche ne sont que du vent s'ils ne sont pas capables de s'en prendre à la toute-puissance du capital sur l'économie, c'est-à-dire sur la société. C'est cela la signification principale du bulletin à mon nom qu'ils pourront mettre dans l'urne.
Alors, camarades et amis, je vous souhaite bon courage pour les mois qui viennent.
Bon courage pour trouver les quelques parrainages de maires qui nous manquent, mais bon courage surtout pour la campagne électorale qui commence.
Bien sûr, la campagne officielle n'est pas encore ouverte, on ne connaît pas encore tous les candidats, mais vous savez bien que nous aurons bien moins accès à la télévision, aux grands organes de presse, que les vedettes de la politique, ou en tout cas celles et ceux que les médias présentent comme tels.
Comme d'habitude, nous compenserons tout cela par le dévouement des militants, leur capacité de défendre nos idées autour d'eux, dans leur milieu de travail, auprès de leurs voisins, partout.
Aussi je fais appel à vous tous, à ceux qui sont ici, dans cette salle, comme à ceux qui n'ont pas pu venir mais que vous connaissez, pour nous aider, pour vous aider vous-même, pour que cette campagne électorale soit une occasion pour défendre les intérêts politiques et sociaux des nôtres, les travailleurs !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 30 octobre 2006