Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec le quotidien égyptien Al-Ahram le 9 novembre 2006 à Paris, sur les relations franco-égyptiennes, la crise du Darfour, les affrontements israélo-palestiniens et la crise humanitaire dans la bande de Gaza, la situation en Irak et au Liban, et le dialogue avec la Syrie.

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Circonstance : Voyage de Ph. Douste-Blazy en Egypte et au Soudan du 11 au 13 novembre 2006

Média : Al Haram

Texte intégral

Q - Quels sont les objectifs de la visite de M. Douste-Blazy en Egypte ? Quels sont les sujets qui seront débattus lors de ses entretiens au Caire ? Comment évaluez-vous les perspectives concernant les relations bilatérales ?
R - Je fais une escale au Caire, les 11 et 12 novembre, avant de me rendre au Soudan. Je rencontrerai à cette occasion mon homologue et je serai reçu par le président Moubarak. Le Caire est une étape incontournable, sur la route de Khartoum comme sur celle du Proche et du Moyen-Orient. Je souhaite, lors de mes entretiens, aborder la crise du Darfour, recueillir les conseils précieux de mes interlocuteurs, explorer avec eux les idées pour mettre fin à cette crise. Comme vous le savez, la France a toujours prôné le dialogue avec les autorités soudanaises. Compte tenu de sa proximité géographique et de son rôle primordial dans la région, l'Egypte est pour nous sur ce dossier - comme sur beaucoup d'autres - un partenaire obligé.
Nos relations bilatérales avec l'Egypte sont excellentes, à tous les niveaux. Le président de la République est venu en Egypte en avril 2006. Cette visite officielle a permis de souligner la qualité des relations d'amitié qui lient nos deux pays. Français et Egyptiens partagent la même vision du monde, une vision fondée sur la nécessité du dialogue et du respect mutuel.
Au plan économique, le Conseil présidentiel des Affaires, dont les membres sont tous des chefs d'entreprises, a été créé lors de la visite du président Chirac et placé sous le haut patronage des deux chefs d'Etat. Ce Conseil va tenir sa première réunion à Paris, le 9 novembre, sous la présidence du ministre égyptien du Commerce et de l'Industrie, M. Rashid, et du ministre français du Commerce extérieur, Mme Lagarde. Nos relations économiques connaissent un essor remarquable depuis deux ans. La France est désormais le quatrième investisseur étranger en Egypte avec près de 100 entreprises françaises installées dans ce pays.
Q - Quelle est la position de la France s'agissant de la violence israélienne perpétrée contre le peuple palestinien à Beit Hanoun à Gaza ? La présence du Hamas au sein du gouvernement palestinien restera-t-elle toujours un obstacle entravant les efforts politiques européens visant à relancer le processus de paix et les aides économiques octroyées par l'Union européenne aux Palestiniens ?
R - Nous sommes évidemment très préoccupés par l'escalade de la violence dans la bande de Gaza. Les évènements tragiques de Beit Hanoun nous ont tous bouleversés. J'ai condamné les tirs d'artillerie indiscriminés sur les zones habitées et, même si le droit d'Israël à exercer sa défense ne peut être remis en cause, ce droit doit s'exercer dans le respect du droit international humanitaire. Je suis plus que jamais convaincu qu'il ne peut y avoir de solution militaire à la question israélo-palestinienne, pas plus qu'aux autres crises au Moyen-Orient. La violence alimente les frustrations. Elle nourrit la haine. Elle fait le jeu des extrémistes. Elle risque d'entraîner le chaos auquel nul n'a intérêt. Les opérations militaires israéliennes et les tirs de roquettes doivent cesser. Plus que jamais, j'en appelle à l'esprit de responsabilité des deux parties. Elles doivent s'abstenir de toute action qui compliquerait la recherche d'une solution politique.
Le risque est aujourd'hui réel de voir s'effondrer l'Autorité palestinienne, sous les effets conjugués des divisions inter-palestiniennes, des actions militaires israéliennes et de la crise économique et sociale dans les Territoires. Pour le conjurer, nous devons avant tout apporter tout notre soutien au président Abbas. Nous devons en particulier soutenir ses efforts qui visent à réunir les Palestiniens au sein d'un nouveau gouvernement qui prendrait en compte les principes du Quartet. En termes concrets, cela signifie que si un tel gouvernement voyait le jour, la communauté internationale pourrait réviser sa politique en matière de contacts politiques et d'assistance directe. L'occasion ne devrait pas être manquée. Elle devrait bien entendu être également mise à profit pour relancer une dynamique de dialogue et de paix entre les parties, en sortant cette fois des préalables qui ne pourraient mener qu'à une nouvelle impasse. La France est évidemment prête à y contribuer, en liaison avec ses partenaires européens et arabes, l'Egypte en premier lieu. Le président de la République l'a dit à New York en évoquant un projet de conférence international. Nous y travaillons. C'est évidemment un des sujets que je souhaite aborder lors de ma venue au Caire.
D'ici là, l'urgence commande d'alléger les souffrances des populations palestiniennes. La situation humanitaire dans les Territoires et à Gaza en particulier est alarmante. Je vous rappelle que l'Union européenne et la France n'ont jamais interrompu leur aide aux Palestiniens. Cette aide n'a même jamais été aussi importante même si elle emprunte d'autres canaux, au travers un mécanisme temporaire qui permet d'acheminer cette aide internationale aux Palestiniens. Aujourd'hui, ce sont 30 à 40 % de la population palestinienne qui bénéficient directement de l'aide européenne et la moitié des fonctionnaires touchent une aide via ce mécanisme. Plus de 90.000 patients ont reçu des soins de santé et 1,3 millions de Palestiniens ont été approvisionnés en eau, grâce à l'Union européenne. Ces chiffres doivent être connus.
Q - Quelle est la position française concernant l'appel par l'Egypte à la nécessité d'arriver "au bout de la route", autrement dit la relance du processus de paix, après l'expiration en 2005 des délais stipulés par la feuille de route ?
R - La France comme l'Egypte, comme beaucoup d'autres pays, a conscience de la nécessité de relancer le processus de paix. Les concertations entre nos pays sont permanentes sur ce conflit central au Proche-Orient. Nous travaillons et sommes mobilisés sans relâche sur cette question.
Q - Après la condamnation à mort de Saddam Hussein, quelles sont vos estimations concernant les développements en Irak ? Quels sont les efforts que l'on doit déployer pour éviter l'escalade de la violence et préserver l'unité de l'Irak ?
R - Le respect de la souveraineté de l'Irak et de son peuple est depuis le début au coeur de nos préoccupations. C'est ce principe qui a constamment guidé nos choix, y compris celui de ne pas nous associer à une guerre en Irak. Les développements tragiques dont nous sommes les témoins montrent que cette approche était fondée.
Aujourd'hui, la France appelle à fixer un horizon pour le retrait des forces étrangères. Ce retrait doit être coordonné avec les autorités et les forces de sécurité iraquiennes, et adossé à une stratégie politique.
La formation au printemps dernier d'un gouvernement d'union nationale sous la direction du Premier ministre, Nouri El-Maliki, a constitué de ce point de vue une avancée significative : ce gouvernement est plus représentatif des différentes composantes de la société irakienne. Nous constatons malheureusement que, sur le terrain, la situation a continué à se dégrader et que la population civile en est la première victime.
Aussi nous paraît-il essentiel de relancer une dynamique à travers un processus politique inclusif qui réunirait tous les Irakiens, quelle que soit leur appartenance ethnique, communautaire ou religieuse. Il faut soutenir la voie du dialogue entre toutes les parties en Irak et convaincre chacun de renoncer à la violence. C'est le message que nous avons fait passer au président Talabani lors de la visite officielle qu'il vient d'achever dans notre pays. La France soutient et participe également à l'élaboration du ''pacte international pour l'Irak'' : à travers ce véritable "contrat" avec les autorités irakiennes, la communauté internationale accompagnera les progrès réalisés par les Irakiens pour promouvoir l'entente nationale et mobiliser les ressources du pays au service de sa reconstruction.
Q - La situation au Liban est très préoccupante. Quels sont les efforts déployés par la France pour éviter l'éclatement d'une nouvelle crise au Liban, à la lumière de la demande formulée par certaines parties libanaises de former un gouvernement d'unité nationale ? Est-ce qu'il y a des efforts qui sont déployés pour soutenir le dialogue inter-libanais ?
R - La France, vous le savez, est très impliquée au Liban. Nos deux peuples, nos deux pays sont unis par l'histoire, la culture et l'amitié. Nous soutenons le dialogue national. Mais ce dialogue est, comme vous le soulignez dans votre question, un dialogue inter-libanais. Il concerne les Libanais eux-mêmes et nous n'avons pas à nous immiscer dans ce débat national interne.
L'essentiel, pour nous, est de consolider la cessation des hostilités et, au-delà, d'engager le processus en vue d'un règlement politique et d'un cessez-le-feu permanent dont les paramètres ont été fixés par la résolution 1701. Le Liban ne doit plus jamais redevenir l'otage de conflits qui lui sont étrangers. Les Libanais, tous les Libanais, aspirent à la liberté, à la paix et à la prospérité. Dans la quête de ces aspirations, ils trouveront toujours dans la France leur plus fidèle alliée.
Q - Peut-on avoir un dialogue franco-syrien pour parvenir à une entente concernant la situation au Liban au service de paix, la sécurité et la stabilité de ce pays ?
R - La Syrie a des relations diplomatiques avec tous les pays européens. Notre nouvel ambassadeur vient d'ailleurs d'y prendre ses fonctions. Concernant les relations entre la France et la Syrie, vous savez que mon pays a toujours été l'ami du peuple syrien.
S'agissant des autorités syriennes, c'est à elles de faire la preuve qu'elles entendent réellement contribuer à la stabilité de la région en respectant leurs obligations internationales ainsi que la souveraineté et l'indépendance de leurs voisins. La Syrie, comme les autres pays d'ailleurs, sera jugée sur ses actes et non sur ses paroles. Pour résumer, je dirais que les clés de la confiance se trouvent à Damas.
Q - Quel est le rôle que joue la France pour faciliter l'application de la résolution 1706 sur le Darfour ? Que pensez-vous des idées égyptiennes à ce sujet ?
R - C'est notamment parce qu'il me paraissait capital d'évoquer ce sujet avec les Autorités égyptiennes que je viens au Caire avant d'aller au Soudan.
Le conflit du Darfour est aujourd'hui le plus lourd de conséquences en Afrique. Le Soudan est le plus grand des pays africains, Il est bordé par 9 autres pays. Le conflit fait courir trois risques de même ampleur mais de nature différente : un risque humanitaire avec son cortège de victimes innocentes (250.000 à 300.000 morts, 2,5 millions de déplacés), un risque politique, celui d'une partition du Soudan, un risque enfin de contamination régionale et, ce faisant, de déstabilisation à grande échelle du sous-continent, en commençant par celle du Tchad et du Centrafrique.
La communauté internationale, en votant par le Conseil de sécurité des Nations unies une résolution créant une force de paix pour relever l'AMIS, a fixé un cadre. Ce cadre est actuellement contesté par le président Bechir. Nous devons en tenir compte. Dans l'immédiat, la priorité doit aller à l'augmentation de l'efficacité de la Force de l'Union africaine. La réflexion doit également englober la dimension de la sécurisation des frontières avec les pays limitrophes, dont le Tchad et le Centrafrique.
Toutes les pistes doivent être explorées avec, en permanence, une double exigence, celle du respect de la souveraineté du Soudan mais aussi - j'en reviens là à une constante de la diplomatie française - celle de la responsabilité de protéger les populations civiles qui incombe aux dirigeants soudanais.
Q - Un accord de coopération stratégique a été signé entre la France et la Chine. Il en est de même concernant l'Egypte et la Chine. Ces accords peuvent-ils constituer une base pour mener une concertation entre ces trois parties sur les sujets d'actualité sur la scène internationale et régionale ?
R - Le président Chirac s'est rendu fin octobre en Chine et je l'y accompagnais. Cette visite a confirmé les relations confiantes entre Paris et Pékin. Nous entretenons avec ce pays une relation de proximité sur les affaires internationales et nous discutons avec les Chinois de tous les sujets majeurs sur la scène internationale comme la Corée du Nord ou encore l'Iran.
Hier, c'est votre président, M. Hosni Moubarak, qui était en visite officielle en Chine.
Cette multiplication des rencontres à haut niveau avec la Chine reflète l'importance et la vitalité de la Chine sur la scène internationale.
Mais je voudrais, pour conclure, en revenir à l'Egypte. Nous avons, nous Français, besoin du regard du monde arabe sur les affaires du monde. Qui, mieux que le président Moubarak, peut nous éclairer sur les dossiers qui nous tiennent à coeur et dont nous avons parlé. Ces échanges sont une source d'enrichissement particulièrement utile au moment où nous voyons l'instabilité progresser partout dans le monde.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2006