Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, sur son programme de lutte contre le patronat et le capital et sur les politiques sociale, économique et de l'emploi des autres candidats à l'élection présidentielle, Martigues (Bouches-du-Rhône) le 14 novembre 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Meeting à Martigues (Bouches-du-Rhône)le 14 novembre 2006

Texte intégral

Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Bien qu'on ne sache pas encore avec exactitude qui seront les candidats des grands partis, en particulier celle ou celui qui représentera le Parti socialiste, la campagne électorale bat déjà son plein.
Sarkozy vient de donner une longue interview, au journal destiné aux patrons Les Echos, qui porte le titre « Je veux réconcilier le pays avec le capital, la réussite et l'ambition ». On sait d'emblée à qui s'adresse le programme économique de Sarkozy, et ce n'est certainement pas aux travailleurs !
Pour l'écrasante majorité des travailleurs, la seule ambition possible et bien modeste, c'est de trouver un travail, et la seule réussite, c'est de l'avoir trouvé.
La recette de Sarkozy pour « réconcilier le pays avec le capital » est simple : prendre encore plus aux salariés et donner encore plus au capital.
Sarkozy estime, par exemple -et je le cite- « qu'on a le droit du travail le plus protecteur ». Et d'ajouter -et je le cite encore- « les entreprises réclament moins d'incertitude sur la durée des procédures de licenciement ».
Bien sûr, Sarkozy sait parfaitement que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, ont déjà offert au patronat une grande variété de contrats précaires qui lui permettent de contourner la loi sur les licenciements. Les grandes entreprises et, plus encore, leurs sous-traitants fonctionnent déjà grâce aux intérimaires, licenciables à volonté. Les super et hypermarchés font l'essentiel de leurs profits grâce au personnel en grande partie en temps partiel non choisi, corvéable à merci.
Mais cela ne suffit pas au patronat qui réclame depuis un bon bout de temps de pouvoir licencier n'importe qui, quand il le veut, sans formalités administratives. Eh bien, Sarkozy le promet en proposant un contrat unique qui rendrait le licenciement plus facile pour tous.
Quant au chômage, ce n'est pas le problème de Sarkozy, qui se contente de proférer des stupidités du genre « c'est le travail qui crée le travail » ! Ou, encore, de dénoncer la politique -et je le cite- « qui a consisté à vouloir partager le travail au lieu d'en créer davantage ». Comme si les patrons, les seuls à pouvoir créer des emplois mais qui n'en créent pas,, avaient fait l'une ou l'autre de ces politiques !
Sarkozy est pour « l'exonération totale des charges sociales et des impôts sur les heures supplémentaires ». Mais cela ne peut inciter un patron qu'à faire faire le maximum d'heures supplémentaires à ses salariés plutôt qu'à embaucher puisque sur chaque heure supplémentaire, il est déchargé et d'impôt, et de charges sociales !
Sarkozy ne se contente pas de gâter les possédants en tant que patrons, il les choie aussi en tant que qu'individus. « Je suis pour la suppression des droits de succession », proclame-t-il. Et il continue en argumentant « parce que laisser le produit d'une vie de travail à ses enfants, c'est conforme à l'idée que je me fais du travail et de la famille ». Mais combien de familles d'ouvriers n'ont rien à laisser en héritage, si ce n'est quelques photos de famille ? Et si Sarkozy s'adressait à ces familles ouvrières qui, après une vie de labeur, en économisant sur tout, ont pu acheter un appartement ou une petite maison, il aurait mis un plafond à l'exonération des droits de succession.
Et s'il ne l'a pas fait, c'est parce que sa promesse est destinée aux héritiers de ces grandes familles, de Bettencourt à Michelin, en passant par Peugeot. A ceux qui n'ont eu que la peine de naître pour hériter déjà de leurs parents. À ceux qui ont traversé la vie dans l'opulence, sans rien faire de leurs dix doigts, et qui, avec la proposition de Sarkozy, peuvent laisser leur fortune à leurs héritiers sans même payer un minimum d'impôt.
Le programme économique de Sarkozy, c'est continuer, en l'aggravant, la politique du gouvernement actuel dont il fait partie et qui a, déjà, des conséquences dramatiques pour les travailleurs.
Je n'en finirais pas d'énumérer tous les licenciements collectifs, baptisés « plans sociaux », qui se sont produits depuis le début de l'année ou qui vont avoir lieu dans les mois à venir.
Et, pendant ce temps-là, les ministres se répandent dans les médias en brandissant des statistiques pour affirmer que le chômage baisse. Dans le monde du travail, tout le monde sait que ce sont des mensonges, tout le monde sait que ce ne sont que des manipulations statistiques. Mais les ministres mentent sans honte, ils sont payés pour cela. Ils sont payés pour faire croire que ça va de mieux en mieux pour l'économie et que, si on en licencie certains, c'est pour sauvegarder l'emploi des autres.
Il est quand même invraisemblable et révoltant que, dans un pays comme le nôtre, des millions de travailleurs potentiels soient exclus de toute activité sociale, collective, simplement pour que fonctionne leur machine économique faite pour produire du profit !
Pour les plus démunis parmi les travailleurs et parmi les retraités, la situation est dramatique. Tout devient un problème, même se nourrir quotidiennement lorsqu'il s'agit d'une famille nombreuse, ou se soigner et, avant tout, se loger convenablement. Le pouvoir d'achat n'est pas seulement rogné par les hausses de prix, mais aussi par toutes ces dépenses supplémentaires qui résultent de décisions qui semblent parfois anodines pour ceux qui ne sont pas concernés. Je veux parler des forfaits de consultation chez les médecins et du déremboursement total ou partiel de certains médicaments, décisions qui, pour les retraités, voire les salariés, les plus modestes, sont dramatiques.
Qui, parmi les travailleurs, ne voit la pauvreté qui monte ? Qui, parmi les travailleurs, ignore que, lorsqu'on a perdu un emploi stable, on a peu de chances de trouver autre chose qu'un emploi précaire mal payé ? Qui, dans les familles ouvrières, ne sait qu'un jeune n'a pratiquement aucune chance d'entrer dans la vie active autrement qu'en galérant d'intérim mal payé en stage pas payé du tout ?
Et les pires mesures anti-ouvrières sont prises, bien sûr, au nom de l'intérêt de tous ! Les forfaits, les déremboursements de médicaments, ce serait pour sauver la Sécurité sociale ! Les contrats comme le CNE, qui permettent aux patrons concernés de licencier quand et comme ils veulent pendant deux ans, ce serait pour créer des emplois !
Les dirigeants politiques qui nous gouvernent sont aux ordres. Ils exécutent ce que le patronat leur demande et, en plus, ils assurent le service après vente. C'est à eux de justifier, de rendre acceptables les pires infamies patronales contre les travailleurs.
On nous convoque périodiquement à des élections pour élire des responsables politiques à différents niveaux. Mais, dans le domaine économique, il y a une véritable dictature, où une toute petite minorité de possesseurs de capitaux a le droit de tout faire, fermer des entreprises, délocaliser, licencier, sans avoir de comptes à rendre à quiconque. Et, en dominant l'économie, cette petite minorité domine aussi toute la vie sociale et toute la politique.
Les patrons commandent et le pouvoir politique s'exécute. Dans ce pays, voilà la réalité des rapports entre le grand patronat et le pouvoir politique.
Dans ce système économique, la concurrence, la recherche du profit déterminent tout : l'habitat, la santé, la production de biens utiles à la vie de tous, les transports. Tout ce qui est nécessaire à une vie normale exige que sa production rapporte beaucoup de profits, sinon on ne le fabrique pas ou on ne l'assure pas. C'est pourquoi on ferme des entreprises, des hôpitaux, des lignes de chemin de fer et des services. Et, quand on ne les ferme pas, on les laisse à l'abandon.
Voilà pourquoi la pauvreté s'accroît. Voilà pourquoi le niveau de vie baisse.
Et je tiens ici à affirmer ma solidarité avec les postiers qui sont en grève aujourd'hui. Cette solidarité, ils la méritent du fait même qu'en tant que travailleurs, ils luttent pour leurs revendications. Mais ils méritent notre solidarité, aussi, parce qu'ils protestent contre l'introduction de la concurrence, de la course au profit dans les services postaux qui devraient être des services publics. Cela fait bien des années que tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont apporté leur contribution à l'introduction de la course à la rentabilité à la Poste. C'est au nom de cette course-là qu'on a fermé des bureaux de poste de proximité, qu'on a diminué les tournées du facteur, qu'on a remplacé des services utiles à tous par des activités financières et bancaires. Eh oui, desservir un village éloigné ; amener son courrier à une personne âgée, ce n'est « rentable » que sur le plan de la vie sociale, que sur le plan humain, mais pas sur le plan financier. Mais qu'est-ce que c'est, cette société, qui sacrifie tout ce qui rend la vie collective un peu plus vivable même pour les plus pauvres et les plus faibles au nom de froids calcules d'argent et de rentabilité !
Les larbins du grand patronat présentent la recherche du profit à tout prix non seulement comme un droit mais même comme un devoir sacré pour les entreprises. C'est au nom du profit qu'on impose sur les chaînes de production, dans les super et hypermarchés, c'est-à-dire partout, des rythmes de travail insupportables ; c'est encore au nom du profit qu'on rogne les temps de repos.
Et pourquoi faire, ces profits ? Même pas pour investir dans la production afin de créer, au moins plus tard, des emplois supplémentaires ! Non, le profit est en partie dilapidé par la classe riche pour mener grand train, appartements aux quatre coins du pays, sinon du monde, hôtels de luxe, avions en première classe, ou bateaux de plaisance grands comme des paquebots. Ce n'est pas pour rien que le secteur économique qui marche le mieux en France est le secteur du luxe. Ce n'est pas pour rien que l'homme qui a détrôné Liliane Bettencourt, l'inamovible plus riche milliardaire du pays pendant des années, est Bernard Arnault, propriétaire de LVMH, trust spécialisé dans le champagne et les articles de luxe. La bourgeoisie a de l'argent, et elle en a de plus en plus.
Et la part des profits -en fait, la plus importante- qui n'est pas engloutie dans les dépenses de luxe ne sert aux entreprises qu'à racheter d'autres entreprises, concurrentes ou pas, à mettre la main sur leur marché et sur leurs ouvriers. Du moins, sur ceux qui ne sont pas licenciés sous prétexte de restructuration.
La société, l'État, n'exercent aucun contrôle sur les conseils d'administration des grandes compagnies industrielles et financières. Pire, ceux qui les possèdent peuvent décider librement de la meilleure façon de gagner plus. Et, pour eux, tant pis si cela pousse à la misère un nombre croissant de salariés, tant pis pour ceux qui en crèvent !
Eh bien, dans cette campagne, il faut qu'il y ait au moins quelqu'un qui puisse dire que ce système-là est catastrophique pour la société et que c'est à ce système qu'il faut s'en prendre vraiment !
Il faut que, dans cette élection, soient réellement défendus les intérêts politiques et sociaux du monde du travail. Il faut que soit présente une candidature qui exprime clairement que le grand patronat, que la grande bourgeoisie sont les ennemis directs de toute la population. Une candidature qui dise pourquoi et comment la mainmise de la grande bourgeoisie sur l'économie et la société est la cause des maux principaux dont souffre la majorité des travailleurs.
C'est pour cela que je présente ma candidature à l'élection présidentielle de 2007. Ce que je dirai dans cette campagne, aucun des représentants des grands partis, aucun de ceux ou de celles qui ont une chance d'accéder à la présidence, ne le dit. Ils rivalisent de grandes phrases sur l'avenir de la France, sur le bonheur du peuple. Mais aucun d'entre eux n'osera s'en prendre au grand patronat et à ses intérêts, même pas en paroles, même pas par démagogie.
Il ne faut pas être dupe des hommes et des femmes politiques qui occupent le devant de la scène. Ce ne sont pas eux qui détiennent le véritable pouvoir.
Ils ne tiennent pas tous le même discours, bien sûr. Il faut bien que les électeurs les distinguent les uns des autres, pour qu'ils aient le sentiment d'avoir un choix réel. De plus, les uns et les autres n'ont pas le même électorat et ne cherchent pas à plaire aux mêmes gens.
La droite qui est au pouvoir depuis quatre ans n'a que faire de l'opinion, des sentiments des travailleurs et des classes populaires. Elle ne cherche à plaire qu'aux possédants, petits et grands. Elle se prosterne devant l'argent et ceux qui le détiennent, auxquels elle est liée par une multitude de liens personnels, familiaux ou financiers.
Cette droite aux ordres des riches, mais cynique et arrogante à l'égard des classes populaires, a pris pendant les quatre années passées tellement de mesures anti-ouvrières, a tellement aidé le grand patronat à dégrader le sort des classes populaires, qu'elle mérite la haine de tous ceux, travailleurs, chômeurs, retraités, dont elle a écrasé les conditions d'existence.
Sarkozy est sur la ligne de départ depuis plusieurs années pour être le « représentant naturel de la droite ». Oh, Sarkozy, il le vaut bien, de représenter cet électorat de droite. Il est à son image, dans toute son arrogance, dans toute sa haine des pauvres, des quartiers populaires, des jeunes, des travailleurs immigrés, de tous les travailleurs ! Et il a derrière lui l'appareil de l'UMP, son argent et ses multiples liens avec le grand patronat.
Pour mémoire, il faut mentionner, à droite, la candidature de Bayrou. Bien sûr, Bayrou fait depuis six mois de gros efforts pour, comme il dit, ne pas être ni à droite ni à gauche. Lui qui a participé pendant quatre ans à la majorité de droite, qui a voté quelques-unes des lois les plus anti-ouvrières comme, par exemple, la loi Fillon contre les retraites, aujourd'hui, il fait mine de prendre ses distances.
Mais, tout en prenant ses distances, Bayrou veut, par exemple, « faire de la France un pays plus pro-entreprises que ceux qui nous entourent ». Décidément, il est fait pour s'entendre avec Sarkozy quand celui-ci affirme qu'il veut « réconcilier le pays avec le capital ».
Il veut, aussi, remplacer l'impôt sur les grandes fortunes -c'est-à-dire le supprimer et « créer un environnement fiscal amical ». Pour les patrons, s'entend.
Alors, je veux bien croire qu'il n'est ni de gauche ni de droite mais, en revanche, il est vraiment dans le camp du patronat et du capital !
Empêcher Sarkozy d'atteindre le fauteuil présidentiel, stopper, même provisoirement, sa carrière politique, oui, cela ferait plaisir à tous ceux que ce gouvernement écrase, même si, pour ce genre d'hommes, perdre sa place est certainement moins dramatique que de perdre son emploi pour un salarié. Ils iront pantoufler dans les entreprises dont ils ont si bien servi les patrons lorsqu'ils étaient ministres. Ils seront même probablement mieux payés encore.
Mais renvoyer la droite du pouvoir, cela ne peut se faire sur le terrain électoral qu'en y ramenant la gauche, cette gauche dont les travailleurs ont pu mesurer, pendant les cinq ans du gouvernement de Jospin, à quel point elle ne constitue en rien un rempart contre l'avidité patronale.
Pour deux jours encore, nous sommes dans le suspense du moment : qui de Ségolène Royal, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, va remporter la primaire organisée à l'intérieur même du Parti socialiste ? Deux jours d'attente, et peut-être neuf car si aucun des trois candidats n'atteint la majorité absolue des votes des adhérents, un deuxième tour aura lieu pour les deux premiers candidats, jeudi en huit.
La grande innovation pour le Parti socialiste, c'est la campagne interne qu'il organise pour choisir celle ou celui des trois candidats qui le représentera à l'élection présidentielle.
Campagne interne, c'est d'ailleurs une façon de parler car, si ce sont les adhérents du Parti socialiste qui vont voter, la campagne est largement publique, ne serait-ce qu'en raison des trois séances à la télévision où on a pu entendre amplement les trois candidats.
La direction du Parti socialiste comme les candidats eux-mêmes voient dans cette campagne une grande preuve de démocratie. C'est ce qu'en langage simple, on appelle faire de nécessité vertu. Contrairement aux présidentielles précédentes où le Parti socialiste avait, la plupart du temps, un candidat naturel, cette fois-ci il y a eu trop de concurrents. Et, même si certains d'entre eux, comme Jospin et Lang, ont fini par abandonner, il faut bien choisir entre les trois qui restent.
La démocratie interne du Parti socialiste a au moins l'avantage d'être une démocratie bon marché. Grâce à la récente campagne d'adhésion au Parti socialiste, il suffisait d'avoir accès à Internet, de prendre contact par ce biais avec le Parti socialiste et de payer une cotisation de 20 euros pour une année, et on devenait adhérent de plein droit. On peut même se passer de participer aux réunions, à la seule limitation près que, pour voter, il faut tout de même se manifester physiquement auprès de sa section.
Ce qui est frappant, c'est l'extrême prudence sur le plan social des trois candidats à la candidature. Rien, ou presque, de concret dans les promesses et surtout pas d'engagement qui pourrait être pris au sérieux au lendemain de l'élection.
Sur les salaires, problème qui devait, paraît-il, être abordé pendant le premier débat : silence de Strauss-Kahn et de Royal. Seul Fabius a donné des chiffres, en tout cas pour le Smic en promettant 1500 euros mensuels brut, et il a déjà dit dans le passé que les 1500 euros, c'est un objectif pour la fin de la législature. Mais 1500 euros brut, c'est à peu près le niveau qu'atteindra le Smic de toute façon avec l'ajustement automatique ! Et puis, combien de travailleurs précaires ou à temps partiel non choisi ne touchent de toute façon même pas le Smic et resteront des travailleurs pauvres, même lorsque le Smic atteindra 1500 euros ? Ah, si, quand même : Fabius a promis 100 euros brut d'augmentation du Smic mensuel dès son élection. C'est déjà ça, mais ce n'est pas vraiment grand-chose et, s'il est élu, il faudra très certainement lui rappeler plusieurs fois sa promesse.
Les retraites : « Revaloriser le pouvoir d'achat des petites retraites sera une de mes priorités », a annoncé Royal. Avec cela, les retraités sont bien avancés ! Fabius a été plus précis : « Il faut fixer un niveau des retraites minimum, à 80 ou 85 % du Smic ». Eh bien, 80 % du Smic, cela fait 80 % de 1254,28 euros, soit 1003,42 euros brut et quelque 800 euros net. Croyez-vous qu'on peut appeler cela une retraite décente après toute une vie de travail ?
Strauss-Kahn, dans une récente interview au journal Le Monde, a gauchi son langage : « La gauche ne peut plus se contenter de constater les inégalités du marché pour les corriger après coup, mais elle doit s'attaquer à la mécanique même de création de ces inégalités, pour casser la machine à faire des pauvres ». Comment ? Là, il n'y a pas de réponse ! Et, de toute façon, si Strauss-Kahn se prépare à « casser la machine à faire des pauvres » avec autant d'efficacité que la gauche a « corrigé les inégalités du marché », on n'est pas tiré d'affaire !
Royal a fait sensation et a déclenché les sarcasmes de tout le milieu politique, y compris de ses rivaux du Parti socialiste, en proposant de créer des jurys populaires pour contrôler les élus. Le simple fait qu'on puisse évoquer le contrôle des élus donne des boutons à toute la gent politique.
Les propos de Royal ne méritent certes « ni cet excès d'honneur ni cette indignité ». Comment quinze citoyens tirés au sort pourraient-ils contrôler le travail des élus ? Et comment pourraient-ils sanctionner ceux qui renient leurs promesses ?
Oh, oui, je suis pour contrôler les élus, n'en déplaise à tous ceux qui voient dans l'évocation même de cette idée comme une atteinte à la démocratie ! Mais, pour contrôler les élus, le mouvement ouvrier, en l'espèce la Commune de Paris, avait inventé, il y a largement plus d'un siècle, un système infiniment plus efficace que la petite démagogie sans conséquence de Royal. Elle avait inventé l'élection et la révocabilité à tout instant non seulement des élus qui ne tiennent pas leurs promesses, mais aussi de tous ceux qui assument une fonction publique de responsabilité ou qui détiennent une part d'autorité dans l'appareil d'État. Car, si on élit les députés ou le président de la République, personne n'élit ces quelques milliers de hauts fonctionnaires qui dirigent de fait les ministères et les grandes administrations, qui préparent les dossiers que les ministres n'ont plus qu'à signer. Pendant que les ministres changent, au gré des élections, la machinerie administrative continue à fonctionner sous la direction de femmes et d'hommes que personne n'a élus. Bien des mesures prises par le gouvernement Raffarin le furent sur des dossiers préparés au temps du gouvernement de Jospin !
Je ne sais pas dans quelle mesure est tronquée la vidéo qui circule sur internet, dans laquelle on voit et on entend Ségolène Royal affirmer, dans un débat, qu'il faut que les enseignants passent 35 heures à l'école. Ses partisans y voient une manipulation du clan Strauss-Kahn, et je veux bien les croire.
Mais, sur le fond, Ségolène Royal persiste et signe. Elle prétend représenter l'intérêt des élèves en obligeant les enseignants à rester à leur disposition. Mais il faut croire que Ségolène Royal peut plus facilement s'engager à augmenter l'horaire des enseignants qu'à dégager le budget supplémentaire pour embaucher le nombre d'enseignants qu'il faut. Et, en particulier, dans les écoles des quartiers populaires où les besoins sont plus grands parce qu'il faut que les enseignants compensent ce que les parents ne sont pas en situation de donner.
Alors, se débarrasser de la droite, oui, mais il ne faut pas que, par refus de la droite et de l'extrême droite, l'électorat populaire porte le Parti socialiste au pouvoir sans rien en exiger en retour.
En attendant que le candidat officiel du Parti socialiste soit désigné par les militants, le premier secrétaire du Parti socialiste se démène pour empêcher la multiplication des candidatures venant de l'ex-Gauche plurielle. Il a obtenu que le Parti radical de gauche ne présente pas de candidat et appelle dès le premier tour à voter pour le candidat socialiste. Pour ce faire, Hollande a fait une offre qui ne se refuse pas quand on est radical, de gauche ou pas : l'assurance qu'aux législatives, le Parti socialiste appellera à voter pour un candidat radical dans trente circonscriptions, permettant au Parti radical d'avoir un groupe parlementaire à l'Assemblée nationale.
Mais à peine les Radicaux de gauche ont-ils jeté Taubira par-dessus bord que Chevènement annonce sa candidature. Est-ce pour maintenir sa candidature jusqu'au bout ? Est-ce pour faire chanter le Parti socialiste afin qu'il promette à sa formation le même cadeau que celui fait au Parti radical de gauche ?
C'est une des inconnues des semaines qui viennent, mais, avouons-le, pour l'électorat populaire, ce n'est pas un suspense intolérable !
A la une de L'Humanité, hier, un grand titre annonce « La candidature Buffet fait le plein ». Et de préciser que « dans le vote interne au Parti communiste, près de 62 000 votants et avec le score sans appel de 96 % », Marie-George Buffet a été désignée candidate... non pas du PCF, mais du « rassemblement anti-libéral de gauche ». Lequel « rassemblement » ne se prononcera qu'en début décembre.
Ce ne serait pas la première fois que le Parti communiste se présenterait dans certaines élections, non pas sous sa propre étiquette, mais au nom d'associations et de groupements politiques divers.
Et se présenter comme la porte-parole non du Parti communiste mais d'un courant qui se veut plus large est une façon de faire passer pour nouvelle une stratégie politique bien vieille. Elle consiste à présenter à l'électorat populaire, comme la seule alternative contre une droite haïe et, surtout, comme la seule perspective politique, celle d'un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes.
C'est avec cette politique que le Parti communiste a contribué à désarmer les travailleurs, à les détourner de la lutte des classes, le seul moyen véritable pour les travailleurs de peser vraiment sur les décisions politiques. C'est en demandant à ses militants de défendre cette perspective que le Parti communiste les a usés, dégoûtés de toute politique car, chaque fois que cette perspective s'est réalisée, sous Mitterrand et avec Jospin, les ministres du Parti communiste ont cautionné aux yeux des travailleurs les mesures anti-ouvrières du gouvernement auquel ils appartenaient.
« Nous sommes en train de révolutionner la gauche », a affirmé Marie-George Buffet ici même, à Martigues, jeudi dernier. Et de prédire que la gauche sera à majorité anti-libérale : « Nous sommes en train de bâtir cette gauche. Nous étions la majorité le 29 mai 2005. Nous étions la majorité contre le CPE. Pourquoi ne serions-nous pas la majorité de la politique ? ».
Marie-George Buffet sait parfaitement que, même si elle est candidate au nom de la gauche anti-libérale, elle ne prendra pas la place du ou de la candidate du Parti socialiste. Mais, depuis le début de sa campagne, elle répète que, si « la gauche anti-libérale » se rassemble autour du Parti communiste et si elle recueille beaucoup de suffrages, il se créera au sein de la gauche un rapport de forces qui obligera le Parti socialiste à infléchir son programme.
Ce n'est évidemment qu'un discours électoral car, même en 1981, à l'époque où, pour la première fois, Mitterrand avait pris quelques ministres communistes dans le gouvernement socialiste et où les résultats électoraux du Parti communiste dépassaient les 16 %, les ministres communistes n'avaient pas du tout pesé sur la politique du gouvernement socialiste. Ou, alors, il faut croire qu'ils étaient d'accord sur tout.
Nous nous garderons bien de faire des pronostics pour deviner qui les collectifs anti-libéraux choisiront parmi les cinq postulants. Est-ce que ce sera Marie-George Buffet, comme le souhaite le Parti communiste ? Ou encore José Bové, Yves Salesse, Clémentine Autain ou Patrick Braouezec, qui ont également posé leur candidature ?
De toute évidence, l'affaire n'est pas réglée. Autant les militants du Parti communiste, qui militent au sein de ces collectifs, pousseront pour choisir Marie-George Buffet, autant une partie de ce courant n'est pas disposé à l'investir comme leur candidate. Certains parce que, comme le prétend José Bové, un dirigeant de parti ne peut pas représenter l'ensemble du courant. D'autres, notamment ceux qui se revendiquent de la LCR, parce qu'ils demandent au Parti communiste non seulement de ne plus accepter de gouverner avec le Parti socialiste, mais aussi de renoncer à une alliance PC/PS pour les législatives.
Autant dire que c'est demander l'impossible au Parti communiste. La force de ce parti était, dans le passé, le nombre et le dévouement de ses militants, et liée à cela, son audience électorale. Sa stratégie désastreuse d'alignement derrière le Parti socialiste lui a fait perdre une grande partie et de l'une et de l'autre. Pour conserver ses élus, le Parti communiste a absolument besoin du soutien du Parti socialiste ou, du moins, que le Parti socialiste ne présente pas de candidats contre les siens.
Eh bien, pour ma part, je ne suis pas anti-libérale, car « anti-libérale », cela ne veut rien dire. Je combats le capitalisme, je combats la mainmise d'une petite minorité de gros possédant sur l'économie, je combats la course au profit, je combat l'exploitation de l'homme par l'homme !
Je tiens à affirmer, le plus clairement possible, qu'on ne pourra rien faire pour améliorer la situation des classes populaires sans s'en prendre au grand patronat et à sa dictature sur l'économie et sur la société.
Et puis, je me présente pour que s'expriment sur mon nom toutes celles et tous ceux dans l'électorat populaire qui ne sont pas dupes du duel gauche-droite et qui sont conscients que celui qui décide vraiment et dont le pouvoir n'est nullement mis en cause par les bulletins de vote, le grand patronat, ne sera pas impressionné par le changement de la personne qui est installée à l'Elysée.
La seule chose qui peut les impressionner, c'est que les travailleurs en aient assez de subir les coups qu'on leur porte et qu'ils décident de rendre collectivement les coups, à leur façon, avec leurs moyens, en obligeant la bourgeoisie à utiliser de manière utile à la société les profits immenses accumulés depuis tant de temps.
J'ai l'air de répéter tout le temps la même chose en disant cela. Mais on ne peut pas empêcher les licenciements, on ne peut pas empêcher les délocalisations, on ne peut pas diminuer, voire supprimer, le chômage, sans s'en prendre à ceux qui possèdent et dirigent à leur profit toute l'économie. Sans cela, on ne peut pas non plus loger convenablement les classes populaires, on ne peut pas résoudre les problèmes de la jeunesse, c'est-à-dire disposer de crèches puis de maternelles et d'écoles primaires en nombre suffisant et, surtout, d'enseignants en nombre suffisant pour donner un enseignement adapté à chacun. Résoudre ces problèmes, c'est aussi répondre au désespoir des jeunes de banlieue qui se voient sans avenir.
Tous ceux qui prétendent qu'on peut faire tout cela sans utiliser pour le bien de la collectivité, les profits accumulés, mentent effrontément. Car tous les maux qui rongent la société viennent de la concurrence, de la course au profit que mènent entre eux ceux qui possèdent les usines, les banques.
Ne pas s'en prendre à ceux-là, ce n'est pas seulement mentir, c'est contribuer à justifier les causes de la misère, c'est-à-dire l'entretenir.
Soumettre les entreprises, les banques, au contrôle de la population, cela peut sembler utopique, c'est vrai !
Mais c'est nécessaire, indispensable, vital pour que nous tous puissions avoir une vie normale et décente. Et ce qui est vital n'est pas utopique car attendre qu'on nous écrase, sans réagir, c'est impossible.
Il faut donc que tous puissent savoir d'où l'ensemble des patrons tirent leurs financements et ce qu'ils en font. Pourquoi ils n'investissent pas leurs profits dans la production de biens utiles à la population pour en faire baisser le coût, au lieu de spéculer dangereusement.
Si on contrôle les profits des entreprises, si on contrôle d'où vient l'argent, par où il passe, quels sont les coûts réels de production, quels sont les profits et où ils vont, on pourrait empêcher qu'ils servent à racheter des entreprises déjà existantes aux quatre coins du monde. On pourrait vérifier qu'il est possible de créer des emplois correctement payés et en diminuant les efforts ou le temps de travail de chacun.
Il faut imposer que la population ait un accès direct à tout ce que les conseils d'administration envisagent pour l'avenir de leurs entreprises. Ce n'est pas une affaire privée car l'activité d'une entreprise et même les dividendes de ses actionnaires résultent de l'activité de l'ensemble de ses travailleurs. Et ce qu'une entreprise devient concerne toute la région où elle est implantée et toute la population.
On n'en est pas, aujourd'hui, à tout leur prendre. Il s'agit seulement de les contrôler pour ne leur prendre que le superflu, voire le nuisible, qui permettra de sortir la société de l'ornière et de la misère qui nous menace.
Je comprends les sentiments de l'électorat de gauche qui souhaite chasser la droite du pouvoir. Mais, ce que j'espère, ce que je souhaite, c'est que les travailleurs ne se contentent pas d'exprimer leurs sentiments dans les urnes au début 2007, mais qu'ils les expriment aussi, même plus tard, par un coup de colère qui surprenne et terrorise vraiment le grand patronat et la bourgeoisie.
Je ne prétends pas être la porte-parole de tous travailleurs, mais je serai la porte-parole de leurs intérêts politiques et sociaux. Oui, mon camp est celui des travailleurs !
La raison de ma présence dans cette campagne, c'est de permettre à tous ceux qui sont ou qui se sentent eux-mêmes dans le camp des travailleurs, de faire entendre leur voix. Ceux qui, comme moi trouvent intolérable le sort qui est réservé à la principale classe productive de la société ; ceux qui sont convaincus qu'il y a une autre façon de faire fonctionner la société que la seule recherche du profit, pourront le dire en votant pour ma candidature. Mais pourront le dire surtout ceux qui sont convaincus que toutes les promesses des politiciens de gauche ne sont que du vent s'ils ne sont pas capables de s'en prendre à la toute-puissance du capital sur l'économie, c'est-à-dire sur la société. C'est cela la signification principale du bulletin à mon nom qu'ils pourront mettre dans l'urne.
Alors, camarades et amis, je vous souhaite bon courage pour les mois qui viennent.
Les idées que je défendrai dans cette campagne, nous les défendons tout au long de l'année. Mais nous ne sommes pas présents partout. Et, en temps ordinaire, nous ne pouvons guère compter sur les grands médias.
La campagne pour l'élection présidentielle a ceci de particulier que nous avons accès un peu plus aux grands médias et à la télévision. Mais, même là, bien moins que les vedettes de la politique ou, en tout cas, celles et ceux que les médias présentent comme telles.
Nous comptons surtout sur le dévouement de nos militants mais aussi, bien au-delà, sur tous ceux qui se retrouvent dans les idées et dans les objectifs que je compte défendre dans la campagne électorale.
Alors, aidez-nous pour propager ces idées. Parlez-en dans votre entreprise, à votre famille, à vos voisins, partout.
Il faut que se fasse entendre la voix de ceux qui sont convaincus qu'on ne peut arrêter la dégradation de la condition ouvrière qu'en arrachant au grand patronat le pouvoir absolu qu'il exerce sur la société.
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 15 novembre 2006