Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à LCI le 25 octobre 2006, sur les chiffres du chômage notamment dans les zones urbaines sensibles, le dialogue social et les 35 heures.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- Les chiffres du chômage seront publics dans quelques jours, pour le mois de septembre, va-t-on descendre pour de bon en dessous des 9 % ?
R- Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que depuis dix-huit mois, la baisse du chômage se poursuit d'une manière régulière au plan de la tendance, ce qui n'exclut pas que dans des mois un peu atypiques, comme le mois d'août, il y ait des pauses. Ce que je crois profondément, c'est que cause de la baisse du chômage, c'est d'abord la création d'emplois dans le secteur marchand, notamment dans les petites et moyennes entreprises, c'est le développement de l'apprentissage, c'est le développement des contrats de professionnalisation, c'est aussi plus d'emploi pour les jeunes.
Q- Vous avez demandé à vos services de mesurer spécifiquement la baisse du chômage dans les zones urbaines sensibles, dans les "quartiers", comme on dit. Quels sont les résultats ?
R- Tout d'abord, pourquoi vouloir mesurer ? Eh bien pour savoir si nos mesures sont efficaces et naturellement, dans les 489 communes concernées, je veux savoir si réellement dans les us, le chômage des jeunes baisse. C'est le cas par exemple à Aulnay, à Vénissieux, c'est le cas à Marseille, c'est le cas à Clichy-sous-Bois ; on a des baisses supérieures à 20 % entre le 1er septembre 2005 et le 1er septembre 2006. Il reste des endroits où la baisse est moins forte que la moyenne nationale ; je pense à Grigny. Donc nous voyons bien que ce qui a été engagé à la demande du Premier ministre, l'an dernier, recevoir 167.000 jeunes, les accompagner, faire un accompagnement au travers de ce que l'on appelle le dispositif Civis - plus de 20 % des Civis en France sont en direction des jeunes des quartiers en ZUS ; ces jeunes sont 13 % des jeunes au chômage -, nous voyons bien que ces mesures là sont en train d'enclencher un processus.
Q- Vous avez avancé l'annonce des ces résultats, est-ce pour désamorcer l'anniversaire des émeutes de banlieues ?
R- Non, pas du tout. C'est parce que nous avons fait un focus sur vingt communes dans ce pays qui ont des quartiers en Zone urbaine sensible. D'ici à la fin de l'année, je souhaite avoir réellement un suivi trimestriel, parce que dans notre pays, on évalue trop peu les politiques publiques. Donc, l'évaluation des politiques publiques, c'est la garantie des mesures qui marchent et celles qui marchent moins bien.
Q- Est-ce que le comptage ethnique dans les quartiers vous aiderait à recaser les jeunes dans les emplois ?
R- Je n'en suis pas sûr. Ce pour quoi il faut se battre, c'est pour la diversité. Aujourd'hui, 1.000 entreprises ont signé la Charte de la diversité. Les partenaires sociaux viennent de se mettre d'accord sur le problème de favoriser le développement de la diversité des entreprises, d'avoir des entreprises aux couleurs de la France d'aujourd'hui. Cela, c'est une vraie priorité.
Q- Syndicats et patrons se sont rencontrés lundi ; vous espérez du concret avant la présidentielle ?
R- Je pense, en tous les cas, que sur la table (sic). Le diagnostic sera-t-il partagé ? Réflexions sur un certain nombre de pistes, que ce soit le contrat de travail, la sécurisation des parcours professionnels... A chaque fois, qu'il y a dialogue social, nous progressons.
Q- Vous parlez du dialogue social, vous le prônez, vous êtes censé produire une loi qui garantisse du dialogue social avant toute réforme du code du travail et on dit que cette loi est encalminée et qu'elle va être vidée de sa substance ?
R- Pas du tout encalminée ! Le président de la République, il y a dix jours au Conseil économique et social, a jeté les principes et chacun a bien en mémoire l'accueil qui a été réservé aux propositions du président de la République. Depuis le mois de juillet, nous avons beaucoup reçu l'ensemble des partenaires sociaux, beaucoup consultés. D'ici la fin de la semaine, le texte sera adressé aux partenaires sociaux pour que nous puissions avoir une dernière consultation par la Commission nationale de la négociation collective. Ce sera un vrai texte, un vrai changement, quelque part une vraie révolution des mentalités.
Q- Donc, avant la fin de la semaine, vous faites marquer des points au dialogue social. Et puis, dès aujourd'hui, l'UMP, par des amendements, veut bousculer une décision de justice et essayer, soit de réintroduire les 39 heures dans l'hôtellerie-restauration, soit d'éviter que les heures supplémentaires soient payées. Bref, l'UMP ne fait pas de dialogue social.
R- Non, il y a deux sujets, je le disais hier à l'assemblée nationale : il faut sécuriser ce qui s'est passé entre le 1er janvier 2005, car je rappelle que c'est le fruit du dialogue social et d'un accord entre les partenaires sociaux en 2004 qui avait conduit le secteur de l'hôtellerie-restauration à avoir un accord sécurisé jusqu'au 1er janvier 2007. Mais indispensable : des partenaires sociaux qui se remettent autour de la table et qui décident des modes d'organisation du secteur si important de l'hôtellerie-restauration.
Q- Alors il faut quoi ? Il faut des décrets, il faut une nouvelle loi ? Il faut laisser faire tout seul ?
R- Il faut sans aucun doute une disposition législative et comme je l'ai dit hier, cette disposition législative doit laisser ouvert l'indispensable négociation entre les partenaires sociaux.
Q- Les amendements en cours ne vont-ils pas être anticonstitutionnels, puisqu'ils se rattachent au financement de la Sécurité sociale ; cela n'a rien à voir ?
R- Nous allons voir dans les deux jours qui viennent les meilleures conditions législatives pour sécuriser le passé et garder ouverte la négociation.
Q- "On ne supprimera pas les 35 heures", assure d'un côté P. Méhaignerie ou J.-L. Borloo ; d'autres disent : "il faut les supprimer", comme T. Breton ou F. Fillon. Votre position, c'est quoi ?
R- Je crois que nous avons déjà considérablement assoupli les 35 heures. Je voudrais simplement rappeler que [depuis] 2002, 130 heures par an supplémentaires sont possibles, aujourd'hui 220 heures. Diminution du coût des heures supplémentaires : c'était 200 % de coût par rapport à l'heure normale, c'est 138 %, notamment pour les bas salaires. Aujourd'hui, ce qu'il faut, c'est plus de souplesse pour s'adapter aux branches, aux entreprises. Je suis un pragmatique ; les 35 heures, c'est l'exemple même de l'absence de dialogue social et d'adaptation à l'entreprise. Cela a été un texte pris de manière unilatérale par Mme Aubry et M. Jospin. Aujourd'hui, n'ayons pas une attitude
strictement inverse mais construisons autour du temps légal de travail les vrais assouplissements dont notre économie a besoin.
Q- Quand A.-M. Idrac qualifie le dialogue social à la SNCF d'archaïque, le ramenant au Mur de Berlin, elle dérape ou elle a raison ?
R- Je crois que le dialogue social à la SNCF, comme dans un certain nombre d'entreprises, doit avoir un certain rendez-vous avec la modernité. Je crois que ce que nous faisons sur le dialogue social, au plan national, ne sera pas sans conséquences positives sur le dialogue social au niveau des grandes entreprises.
Q- Vous vous battez aussi en ce moment au Gouvernement pour l'emploi des seniors. Les entreprises ont peur de les embaucher parce que cela coûte cher à débaucher un senior. Pourquoi ne pas faire disparaître plus vite la pénalité, la contribution Delalande ?
R- Nous ferons disparaître la contribution Delalande en trois années, ce qui est une période extrêmement courte. En même temps, nous aménageons les fins de carrière et surtout, nous changeons ces mentalités qui faisaient que depuis trente-cinq ans, on considérait qu'après 50 ans, il n'y avait pas d'avenir pour un salarié. Aujourd'hui : formation, réorientation professionnelle, maintien dans l'emploi, retour vers l'emploi... C'est le fruit même du dialogue social, d'un dialogue entre les partenaires sociaux, d'un dialogue entre les partenaires sociaux et l'Etat, et une vraie révolution qui commence.
Q- A cent ans - et non pas à cinquante -, est-ce qu'il y a un avenir pour le ministère du Travail ? Il fête ses cent ans... Est-ce que l'avenir du ministère du Travail n'est pas de se pencher sur le code du travail et d'en finir avec ces 2.500 articles ?
R- Non, l'avenir du ministère du Travail, c'est d'abord de parler de la richesse du capital humain et de contribuer avec les partenaires sociaux à préparer les hommes et les femmes...
Q- Le code du travail on n'y touche pas ?
R- En ce qui concerne le droit du travail, naturellement il faut moderniser et adapter. C'est le travail de recodification, c'est le travail qui sera aussi le travail du dialogue social demain ; c'est aussi une priorité, la santé au travail et un sujet majeur : le respect de l'ordre régalien. Voilà pourquoi nous avons présenté un plan de modernisation et d'adaptation de l'inspection, parce qu'à l'occasion du centenaire, le ministère du Travail retrouve de vraies valeurs : le travail d'un côté, l'emploi de l'autre, et en même temps, la construction de l'Europe sociale.
Q- L'inspection du travail qui fait grève, qui n'est pas contente.
R- Oui, mais c'est une tradition que je respecte. Mais en même temps, aujourd'hui, il y a un plan : d'ici 2010, 700 inspecteurs du travail en plus, inspecteurs et contrôleurs, pour assurer le suivi de l'ordre régalien.
Q- Pour inspecter votre travail, un jury de citoyens, comme S. Royal le propose, cela vous fait peur ?
R- Galéjades ! La vraie démocratie c'est la démocratie représentative. Je ne connais qu'un seul jury populaire, c'est celui des élections.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 octobre 2006