Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur "Europe 1" le 20 novembre 2006, sur la prévision de croissance économique de 2 à 2,5% pour 2006 et sur la fusion entre Gaz de France et Suez.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Vous promettez 2 à 2,5 % de croissance pour cette année. Le prévisionniste T. Breton est-il un illusionniste ?
R- D'abord, T. Breton n'est pas un prévisionniste, je suis ministre des Finances, et le ministre des Finances, il dit ce qu'il voit. Et voyez-vous, je dis depuis maintenant 18 mois, que la France serait en 2006 entre 2 et 2,5 % de croissance. Eh bien je vous confirme ce matin que nous serons effectivement entre 2 et 2, 5 % de croissance.
Q- Plus près de 2 ou plus près de 2,5 % ?
R- Aujourd'hui nous sommes exactement au milieu. Après trois semestres, on est exactement en moyenne à 2,25 donc je n'ai pas de raison de penser que l'on ne sera pas dans cette fourchette.
Q- On a dit un troisième à croissance plate ; le quatrième trimestre est en cours : aura-t-il du relief ?
R- Je vais vous dire deux choses : la première, c'est sur le quatrième trimestre. Sur le quatrième trimestre, effectivement, nous avons des signes extrêmement positifs et nous sommes très confiants...
Q- ...Quels signes qui vous permettent d'affirmer...
R- ... de réaliser un bon voire un très bon quatrième trimestre. Les signes sont multiples. D'abord, il y a les rentrées fiscales ; elles sont exactement le reflet de l'activité économique. Elles n'ont jamais été aussi fortes pour ce qui concerne les entreprises aujourd'hui et je vois que celles-ci ne continuent de croître. Deuxièmement, les rentrées de TVA : la TVA est le reflet de la consommation, et la consommation est très forte. Pour le reste, les entreprises nous annoncent des carnets de commande qui sont bons, voire très bons. C'est vrai, nous avons eu, au cours de l'été une pause après - et je le dis très clairement à nos auditeurs - un premier semestre exceptionnel. La France a démontré qu'elle pouvait faire la course en tête, pour ce qui concerne l'économie, en tête des pays européens.
Q- Oui, mais la France a donné l'impression - et surtout la croissance ! - de s'arrêter d'un coup.
R- Je voudrais redire les choses très clairement : d'abord, c'est vrai, les chiffres du troisième trimestre n'ont pas été aussi bons que tout le monde l'aurait voulu, mais quels étaient ces chiffres ? J'ai vu, pardon de le dire, beaucoup de sottises écrites sur cette croissance du troisième trimestre. D'abord, les chiffres ont été revus à la hausse sur le second trimestre et sur le premier trimestre. Ce qui fait que finalement, la croissance du premier semestre a été à 3,4 % en rythme annualisé. Après un tel gap en avant, c'est vrai que la France a fait une pause et pardon de le dire comme je vais le dire ; la France est partie un peu en vacances entre le 15 juillet et début septembre. Et c'est vrai...
Q- Là, vous êtes en train de faire votre possible, si vous permettez, pour nous donner mauvaise conscience. C'est-à-dire que moins on travaille plus la croissance faiblit ou baisse...
R- Non, pas du tout ! Je ne fais que dire qu'il y a une corrélation évidente entre le travail et la croissance. Je sais que ce n'est peut être pas la mode de le dire mais plus on travaille et plus il y a de croissance. Alors comment marche la croissance ? Quand on dit qu'il y a la croissance, c'est d'un trimestre par rapport à l'autre. Regardez : au deuxième trimestre, on a fait 1,2 % de croissance - d'abord, on pensait que c'était 1,1 % et puis cela a été revu à 1,2 % -, ce qui veut dire qu'au troisième trimestre, s'il y a une croissance plate, cela veut dire que c'est plat par rapport au second trimestre. Donc cela veut dire que l'on a quand même fait 1,2 % au troisième trimestre par rapport au premier.
Q- Tout cela est très compliqué...
R- Non, c'est très simple !
Q- Est-ce que ce qui se passe en ce moment permet de rattraper le ralentissement ?
R- Bien entendu, puisque je confirme très clairement, au regard des indicateurs qui sont les miens, ainsi que de tous ceux des conjoncturistes et des économistes, notamment de mon ministère, que nous serons dans un très bon quatrième trimestre et que nous aurons
donc entre 2 et 2,5 %.
Q- C'est-à-dire "un très bon" ?
R- 0,6 - 0,7 - 0,8 %. C'est effectivement les chiffres que nous avons aujourd'hui. Nous sommes maintenant quasiment fin novembre, donc je vous le confirme très volontiers ce matin.
Q- Et que dites-vous pour 2007 ?
R- Pour 2007, je vois là encore de très bonnes perspectives mais voyez-vous, ce qui s'est passé, cette petite pause...
Q- Mais attendez : précisez "je vois de très bonnes perspectives" ?
R- Je vois de très bonnes perspectives, c'est-à-dire entre 2 et 2,5 %. Mais ce qui s'est passé cet été démontre qu'il faut poursuivre les réformes,qu'aujourd'hui, il y a des boulets dans l'économie française. Ces boulets s'appellent la dette à laquelle je me suis attaqué, et maintenant, la France est à nouveau sur de bons rails mais c'est un héritage socialiste, il faut bien le dire, et il a fallu que je gère cet héritage. Deuxièmement, les 35 heures : elles continuent à pénaliser l'économie française. Il faut, et je ne cesse de le dire - et je suis heureux que ceci revienne au milieu du débat de la présidentielle -, on ne peut pas continuer avec les 35 heures en France. On a donné un peu de souplesse, il faut aller plus loin !
Q- Si on vous laissait faire, que feriez-vous des 35 heures ?
R- Immédiatement, et je le dis : il faut pouvoir renégocier par branche, il faut pouvoir renégocier par entreprises lorsque celles-ci ont des instances représentatives du personnel. C'est impératif pour pouvoir retrouver la croissance. On ne peut pas légiférer avec 35 heures pour tout le monde.
Q- Ce n'est pas dans le programme de l'UMP.
R- Eh bien il faudra y aller, il faudra aller plus loin.
Q- Est-ce que vous confirmez que le taux de chômage continuera de baisser ?
R- Absolument ! Avec J.-L. Borloo, on est là-dessus et on est convaincus. Et encore une fois, on a une très bonne croissance par rapport à d'où nous venons. Il faut aller plus loin, certes, je ne suis pas heureux avec 2- 2,5 %, je travaille aussi pour une croissance à 3-4 %. Dans quelques jours, je rendrai public le rapport que j'ai commandé pour l'économie d'après, l'économie de l'immatériel, rapport que j'ai commandé à M. Lévy, le patron le Publicis et à J.-P. Jouyet, le patron de l'inspection des finances...
Q- Cela va nous sauver ?
R- Cela apporte des idées. C'est, pour moi, redire aussi ma part de vérité sur le fait que la France peut aller plus loin si elle s'en donne les moyens et je vais montrer le chemin.
Q- Peut-on aller plus loin dans la vérité dans un autre domaine ?
R- Oui.
Q- On lit beaucoup que la fusion Suez-Gaz de France autorisée et votée, va peut-être capoter. Je précise : après demain, les conseils d'administration des deux entreprises vont se réunir pour parler de parité et de prix. Les actionnaires de Suez, disent encore ce matin la Tribune et les Echos, deviennent gourmands. Ils veulent un relèvement du dividende. Vous êtes l'Etat, ils veulent plus, est-ce que vous leur donnez plus ?
R- Je vais être très clair et très serein. Très clair tout d'abord, comme je l'ai toujours été sur ce dossier. Le président de GDF, J.-F. Cirelli, est venu voir l'un de ses actionnaires, l'Etat, en disant qu'il avait un projet, un projet de fusion avec Suez - c'était au mois de février - ; le président de Suez voulait la même chose. Ils se sont réunis, ils ont discuté. Pour pouvoir fusionner, il fallait impérativement voter un texte de loi qui autorise l'Etat à passer en dessous des 50 %. C'était l'engagement de l'Etat. Nous avons délivré notre engagement ; cela a été difficile, cela a été long, beaucoup de négociations avec les syndicats, beaucoup de négociations et de discussions avec les parlementaires. Ceci est fait. D??sormais, je l'ai toujours indiqué, nous rentrons dans le temps des entreprises : c'est à elles de finaliser leur projet. Au mois de février, leur projet qui a été voté par leurs deux conseils d'administration reposait sur une parité, c'était une action GDF pour une action Suez, avec un dividende de 1 euro payé par GDF l'action de Suez. Depuis, que je sache, rien ne s'est passé et voilà exactement les conditions qui ont été acceptées par les deux entreprises. Maintenant, je suis très serein, si jamais J.-F. Cirelli, estime qu'il y a des éléments qui ont changé depuis, qu'il en discute avec G. Mestrallet et qu'ensemble ils proposent ses modifications éventuelles - en plus ou en moins du reste, je n'en sais rien à ce stade - et qu'ils les proposent à leur conseil, ils en discuteront dans les conseils. Si jamais rien ne s'est passé...
Q- Mais vous, qu'est-ce que vous faites ?
R- Mais moi, encore une fois, je suis actionnaire. Et donc l'actionnaire est représenté au conseil d'administration. Ce n'est pas l'actionnaire qui négocie, c'est le président de l'entreprise qui doit finaliser avec ses actionnaires...
Q- Ce matin, soyons clairs...
R- Non, non, non... Il faut être clair.
Q- Ce matin, vous dites aux deux entreprises : "Débrouillez-vous, réglez les problèmes". Est-ce que vous leur dites : "La parité de la fusion ne sera pas revue" ?
R- Je leur redis chacun sa responsabilité et sa part de responsabilité. Si J.- F. Cirelli estime que les conditions ont changé, qu'il les présente à son conseil d'administration, qu'il les documente, il n'y a aucune raison qu'en équité le conseil ne suive pas. Mais pas à n'importe quel prix. Cette fusion ne se fera qu'à un juste prix. Ce n'est pas parce que l'Etat est l'un des actionnaires qu'il faut estimer qu'on est en mesure de lui demander plus que l'équité et donc, je ne paierai pas un sou de plus que ce qu'il faut payer...
Q- Enfin, c'est ce que je voulais entendre.
R- Mais c'est ça que j'ai toujours fait.
Q- Si le dividende n'est pas augmenté...
R- C'est de ma responsabilité ici comme ailleurs, et vous savez pourquoi ? Parce qu'il existe une commission indépendante, qui est la commission des participations et transferts, et qui protège et l'Etat et ceux qui sont en responsabilité, en disant in fine le juste prix. Au président de l'entreprise de démontrer qu'il y a eu une modification, mais si nous estimons qu'elle est trop forte, eh bien on dira non, c'est tout. C'est comme d'habitude, vous savez. Et puis, l'intérêt quand même que je voudrais dire, c'est que derrière, si jamais ça ne se faisait pas - ce que je ne souhaite pas, parce que c'est un très bon projet, je suis convaincu qu'ils vont finir par tomber d'accord - mais si in fine, ils étaient trop gourmands, les actionnaires, eh bien ça ne se ferait pas. Et puis, vous savez, quand Air France a voulu se marier Volvo (sic), on a fait voter une loi, finalement, Air France s'est marié avec Nissan. Pardon Renault. Quand Air France a voulu se marier avec British Airways, on a fait voter une loi pour privatiser... Finalement, Air France s'est marié avec KLM. Donc, je dis que maintenant, Gaz de France a la liberté d'aller de l'avant, j'espère vivement qu'ils vont tomber d'accord car c'est un excellent projet, mais il leur appartient de le finaliser. C'est à eux seuls.
Q- Le débat a été interminablement long pour en arriver là et il pourrait y avoir un autre projet ?
R- Comme pour Renault avec Nissan, comme pour Air France avec KLM. Chacun dans son rôle.
Q- Essayons d'être plus rapides, plus clairs sur deux ou trois questions. Selon les Echos et Europe 1, Bercy envisage de proposer une réforme d'indemnisation des catastrophes naturelles. Quels sont les projets ou les points forts ? L'objectif de cette réforme qui va émouvoir les élus à la veille du congrès des maires de France ?
R- D'abord, je le dis très clairement : on travaille sur de multiples projets. C'est un projet sur lequel je travaille avec mon ami N. Sarkozy. C'est un projet qui a pour vocation d'accélérer tout d'abord le remboursement en cas de catastrophe naturelle et on sait qu'il y en a un certain nombre dans notre pays, donc il faut aller plus vite lorsqu'il y a des drames qui sont causés par les catastrophes, et puis qui revoient les zones géographiques. Vous savez que jusqu'à présent, on disait c'est tel département, telle commune, et si jamais il y avait une catastrophe et qu'on se retrouvait derrière la frontière du département, on n'était indemnisé. Donc, on va regarder beaucoup plus près du terrain, pour pouvoir mieux indemniser les victimes.
Q- Vous dites et ce n'est pas la politique, alors deux questions : est-ce que vous comprenez les raisons des mises en garde, harcèlements, pics de D. de Villepin à l'égard de N. Sarkozy ?
R- Ecoutez, nous avons un bureau politique cette semaine...
Q- Non, non, non, répondez... On a l'impression que le Premier ministre veut la peau du président de l'UMP.
R- Ecoutez, on a des règles très claires à l'UMP, moi je me range exactement à ce qu'ont dit du reste et A. Juppé et J.-P. Raffarin : il faut un candidat dans notre famille politique ; il y a des règles de désignation, il y a un calendrier. Je ne me fais aucun souci, ils seront respectés. Il y a beaucoup d'agitation en ce moment, parce qu'on a eu tout le phénomène qui s'est produit avec monsieur Hollande et sa femme. Maintenant, ceci est derrière nous. Cela crée un peu d'émotion. Notre calendrier à nous sera respecté.
Q- Vous croyez que je vais laisser passer "monsieur Hollande et sa femme" ! ?
R- Pourquoi ? J'ai dit qu'il y a eu effectivement...
Q- Le problème n'est pas S. Royal et son compagnon, F. Hollande...
R- Mais non, attendez ! On est là, aujourd'hui, tout le monde doit dire "bravo et merci", parce que Mme Royal a été désignée. Moi je ne vais pas dire "bravo et merci", parce que moi je vois les idées aujourd'hui qui sont portées par le Parti socialiste et par Mme Royal, et je peux dire en tant que ministre de l'économie que ces idées sont à l'envers de ce qu'il faut faire pour la France, avec la dette, avec les 35 heures. On veut abroger la loi sur les retraites, on veut re-nationaliser. Et quand je vois aujourd'hui les efforts qu'il faut faire pour faire monter la croissance de la France, je dis que tout ceci n'est pas une bonne nouvelle pour la France. Donc, moi je ne dirai "ni bravo ni merci".
Q- Vous, vous faites le contraire de J.-P. Raffarin, N. Sarkozy, A. Juppé, ou B. Hortefeux ?
R- On a nos petites différences, mais on a aussi beaucoup de liens qui nous réunissent.
Q- Vous savez que tous ceux qui l'ont attaquée depuis son surgissement, S. Royal, soit l'ont renforcée soit l'ont ralliée. La magie ou la grâce la rendent invulnérable. Faites attention !
R- Moi je pense à la France, je pense aux idées qui sont véhiculées aujourd'hui, et pardon, mais les 35 heures, la dette, les nationalisations, l'abrogation de la loi sur la retraite, ce n'est pas ce qu'il faut pour mon pays. Les socialistes vous répondront très vite.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 novembre 2006