Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de conclure les Assises de l'Agriculture, un moment de réflexion et de débat qui nous a permis de mieux appréhender les principaux défis que ce secteur doit affronter. L'agriculture n'est pas une activité comme une autre. Certes, c'est un secteur économique soumis aux impératifs de la compétitivité, dépendant de la logique des marchés et des habitudes des consommateurs, mais c'est aussi une activité à part, en raison du très grand nombre de fonctions que l'homme et la société lui assignent : fournir des aliments sains et de qualité, préserver la santé et l'environnement, assurer la vitalité des territoires ruraux.
Ce temps de la réflexion aura été utile pour mieux saisir les contraintes qui naissent de l'évolution des marchés et de la réglementation, faire le point sur les exigences de la société et élaborer des scénarios pour l'avenir. Le métier d'agriculteur est un métier difficile. La question n'est pas de savoir si nous devons être optimistes ou pessimistes. Nous devons avant tout être réalistes et réactifs. Comme le souligne Michel GRIFFON, la production alimentaire mondiale devra doubler en moins d'un demi-siècle, ce qui fait de l'agriculture l'un des principaux défis que nous aurons à relever. L'eau et les terres disponibles deviennent plus rares, le coût écologique et économique croissant des engrais constitue un handicap, la productivité reste faible sur la majorité des terres cultivées. Jean-Paul BETBEZE et Philippe CHALMIN rappellent que de plusieurs facteurs sont susceptibles de modifier durablement l'équilibre entre l'offre et la demande mondiales de produits alimentaires, et que : le marché est loin de converger vers une situation d'équilibre. Par conséquent, il faut pouvoir définir ensemble le bon dosage d'ouverture et de protection.
Dès maintenant, nous devons définir les orientations que prendra notre pays afin de créer dès maintenant une logique gagnante, grâce à l'agriculture, et pour elle. En effet, tous ont à gagner d'une agriculture solide et prospère : les agriculteurs bien sûr, les consommateurs, l'économie française et l'emploi dans notre pays - un emploi agricole, c'est au moins un emploi induit en milieu rural. Il est évident, comme le souligne Marion GUILLOU, que sans la maîtrise de notre politique agricole, les politiques de santé resteront insuffisantes et que nous ne pourrons pas améliorer l'alimentation, premier pilier de la santé des consommateurs.
Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants qui ont su éclairer l'avenir de manière si pertinente, si diverse et si animée. Je remercie particulièrement Nelly OLIN, Laurence PARISOT, Jean-Paul BETBEZE, Yves TAVERNIER, Yves-Thibault DE SILGUY pour leurs témoignages très stimulants, Christian de BOISSIEU et les membres du COPEIAA pour leur implication. Je me réjouis que le fil rouge de ces débats ait été le respect de la simplicité et de la clarté : l'expertise est restée en quelque sorte la face cachée de l'iceberg, et l'objectif d'une ouverture du débat au-delà du cercle des spécialistes a été pleinement rempli.
I. Je veux réaffirmer combien la prospective est importante pour l'agriculture.
1. Au regard du calendrier
J'insiste sur l'importance de ce travail prospectif que nous venons d'accomplir ensemble. Ce travail doit être un atout pour la France, d'autant plus que le contexte nous y invite : élections politiques en France en 2007 et présidence de l'Union européenne par la France en 2008. Un examen de santé de la PAC interviendra en 2008 : d'intenses discussions sont au programme et nous voyons déjà poindre l'échéance de 2013. Nous avons une responsabilité particulière dans ce contexte : l'action politique doit être au rendez-vous, il faut anticiper.
« Ne pas prévoir, c'est déjà gémir » disait Léonard de Vinci.
L'objectif des Assises est d'élaborer des scénarios pour l'avenir et de privilégier les options susceptibles de contribuer à l'intérêt de tous. Nous devons élaborer nous-mêmes les évolutions qui se dessinent afin de ne pas les subir, tant sur le plan réglementaire (national, communautaire ou multilatéral) que sur le plan technologique, avec le développement des biocarburants et des biomatériaux. Ainsi, par exemple, l'agriculture française devrait être productrice nette d'énergie en 2010 : c'est une hypothèse de travail sérieuse, porteuse de multiples implications sur lesquelles nous devons travailler.
Je tiens à préciser que cet objectif ne menace pas les besoins alimentaires : 2 millions d'hectares seront nécessaires pour atteindre l'objectif de 7% d'incorporation de biocarburants, soit 15% des surfaces actuellement cultivées en céréales, betteraves et oléagineux. Ce développement se fera par la remise en culture de jachères, qui représentent plus d'1 million d'hectares, mais aussi par la substitution aux cultures destinées aux exportations, qui seront limitées à l'avenir en raison des engagements pris par l'Union européenne en la matière. La surface consacrée en France aux débouchés hors Union européenne est d'environ 6 millions d'hectares, soit une part équivalente à celle qui servait à nourrir les chevaux au 19e siècle. Ces chiffres montrent que les objectifs fixés au niveau national pour les biocarburants sont réalistes, et que l'agriculture française est capable de les atteindre tout en alimentant normalement les marchés alimentaires européens.
Anticiper les évolutions, s'y préparer dès maintenant, c'est permettre à la France de ne pas se voir dicter sa politique agricole par d'autres et notamment par ceux qui ne considèrent la PAC qu'à travers le prisme budgétaire.
Comme l'ont souligné Yves-Thibault DE SILGUY et Henri NALLET, la PAC a atteint les objectifs que ses fondateurs lui avait fixés, tout en s'adaptant au contexte international. Aujourd'hui, la PAC n'a pas que des menaces à affronter : elle a aussi d'extraordinaires opportunités à saisir. Avec douze Etats membres de l'Union, la France a présenté au mois de mars 2006 un memorandum sur la mise en oeuvre de la PAC réformée et l'avenir de la PAC. Le travail auquel nous nous sommes livrés aujourd'hui me donne confiance pour l'avenir : continuons à garder la main, cultivons notre pouvoir d'initiative.
2. Au regard de l'économie, de l'emploi et de la qualité de vie dans notre pays, nous devons accorder une place importante à l'agriculture.
Au regard des enjeux mondiaux, en particulier démographiques et environnementaux, l'agriculture ne peut pas être caractérisée comme une activité du passé comme l'avait affirmé Tony BLAIR. Les agriculteurs sont d'abord des chefs d'entreprise, a rappelé ce matin Laurence PARISOT. Au regard de l'économie et de l'emploi dans notre pays, je ne citerai que quelques chiffres significatifs : la production agricole française représente 63 milliards d'euros, pour 370 000 exploitations professionnelles. La France exporte pour 40 Milliards d'euros de produits agricoles et transformés, avec un solde commercial positif de 8 Milliards, solde qui sera amélioré en 2006. Un million huit cent mille personnes, en France, travaillent dans les secteurs de l'agriculture, des industries agroalimentaires, de la sylviculture et de la pêche. Cela représente 7,5% de nos emplois. Ces chiffres montrent bien tout l'enjeu du développement d'une agriculture innovante, d'une production agricole de qualité, présente sur les marchés internationaux. Je ne parle pas ici du rôle que remplit l'agriculture sur nos territoires ruraux, et que les Parlementaires ici présents connaissent à fond.
Nous avons marqué aujourd'hui notre attachement au maintien d'une politique agricole ambitieuse, c'est-à-dire moderne et capable d'affronter la concurrence, mais aussi capable de relever les défis d'ordre environnemental et sanitaire. Comme le souligne Nelly OLIN, en matière écologique comme en matière économique, nous devons prévoir sur le long terme afin de pouvoir agir à temps, et vite. La France est également volontaire pour continuer à participer à la régulation des activités agricoles au niveau mondial, améliorer la productivité et les conditions de vie des paysans qui sont paradoxalement les plus touchés par la faim. Je tiens à saluer le travail accompli par Henri ROUILLÉ D'ORFEUIL, aujourd'hui Président de Coordination Sud qui rassemble les ONG françaises de solidarité internationale, en faveur du développement agricole durable dans le monde. La coopération agricole et le rééquilibrage des rapports Nord-Sud est aussi l'un des défis que nous devons continuer à relever.
3. Le travail de prospective doit être relayé par une action politique, collective et responsable.
Si l'agriculture est bien une tradition en France, c'est grâce à sa capacité à s'adapter et à relever les défis auxquels elle a toujours été confrontée. Afin de pouvoir relever les principaux défis, la logique du marché est insuffisante. L'Europe agricole s'est en grande partie construite sur ce postulat, avec les principes du marché commun, de la préférence communautaire et de la solidarité financière. Si le budget de l'agriculture est toujours le premier, ce n'est pas parce que l'on accorde trop d'importance à l'agriculture, rappelle Henri NALLET : la politique agricole commune, en ayant su répondre aux objectifs qui lui étaient assignés (autosuffisance alimentaire de l'Europe, politique d'investissements et de modernisation en faveur d'une croissance de la productivité, soutien au revenu des agriculteurs) et en ayant démontré sa capacité à se réformer, constitue toujours un modèle. Il serait absurde de vouloir le détruire. En effet, seule une politique agricole à l'échelle de l'Europe est capable d'offrir aux agriculteurs une lisibilité à long terme de leur activité. Dans les négociations internationales, en parlant avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou la Pologne, la France parle d'une voix plus forte et nos propositions peuvent être mieux entendues.
Dans la continuité de l'esprit de concertation qui doit présider aux politiques agricoles, la tenue des Assises est un signe encourageant, afin que nous puissions à l'avenir mettre en oeuvre une action aussi éclairée et responsable que possible, capable d'encourager ce qui fonctionne bien, et d'apporter ce qui manque lorsque c'est nécessaire.
3.1.Nécessité d'une action collective, dans le cadre communautaire
L'agriculture est l'un de ces nombreux domaines où, pour bien jouer, il faut jouer collectif. Le cadre communautaire est un atout d'autant plus fort que les agriculteurs français se voient évoluer depuis longtemps en pleine économie de marché et ne pensent plus en termes franco-français. Cependant, la politique agricole commune est souvent perçue de manière négative, à travers une évolution trop rapide et trop contraignante de la réglementation. Nous devons continuer l'effort sur la simplification des démarches administratives, sécuriser le cadre réglementaire et faire comprendre les nombreux aspects positifs, trop souvent oubliés parce que l'on considère aujourd'hui qu'ils vont de soi. Je remercie Jean-Louis DUVAL d'avoir souligné avec force combien le développement agricole a besoin d'une politique agricole ambitieuse. Sans la stabilisation des revenus offerte aujourd'hui par la PAC, quel jeune investirait dans l'agriculture ?
La politique agricole ne se limite pas au cadre communautaire : c'est aussi une action collective qui doit mobiliser davantage la société. Le souhait qu'expriment les agriculteurs, comme l'ont montré les témoignages préalables aux tables-rondes, c'est d'abord que leur travail soit mieux reconnu. Un meilleur partage de la valeur ajoutée et un système de prix plus rémunérateur, voilà l'un des principaux défis économiques qu'il nous faut relever dès maintenant. Nous devons privilégier les dispositifs économiques les plus favorables, mettre en oeuvre une organisation collective capable de préparer un véritable soutien par les prix, et prendre en compte les fonctions non marchandes de l'agriculture. La puissance publique a un rôle essentiel à jouer à l'égard des fonctions environnementales, territoriales, nutritionnelles et sanitaires de l'agriculture, qui ne sont pas prises en considération par le marché : Marion GUILLOU et Charles DE COURSON ont souligné à cet égard l'importance de la recherche et des dispositifs fiscaux. Je réponds positivement à la demande de Nelly OLIN, de pouvoir travailler ensemble afin d'intégrer davantage les fonctions environnementales de l'agriculture dans les réformes à venir de la PAC. Je remercie Marcel DENEUX et Yves TAVERNIER d'avoir mis l'accent sur le risque d'un détournement du capital foncier agricole de sa mission première de production. Là aussi, il faut anticiper, se concerter et se mobiliser, d'autant plus que le renversement de la tendance démographique en milieu rural ne fait plus de doute et que de nombreux urbains devraient s'y installer dans les années qui viennent.
3.2. Nécessité de développer de nouveaux outils de politique agricole, concernant le risque et les crises
L'agriculture est fortement exposée à l'impact des changements climatiques, aux maladies émergentes et à la limitation de certaines ressources naturelles. Cette exposition aux risques exige davantage d'outils et de moyens, afin que les agriculteurs puissent se prémunir contre les risques et se protéger en situation de crise. La gestion de risque et de gestion de crise - il ne faut d'ailleurs par confondre ces deux aspects car la bonne gestion du risque permet d'éviter les situations de crise - correspondent déjà à des dispositifs et opérationnels, en France ou à l'étranger. Il revient aux pouvoirs publics d'accompagner ces dispositifs afin que nous puissions forger un véritable modèle français de gestion du risque agricole. La recherche d'une politique agricole plus efficace en la matière est abordée dans le mémorandum « Fruits et légumes » et dans le mémorandum « viticulture », que nous avons remis récemment à la Commission européenne.
3.3. Nécessité de poursuivre l'effort en matière de simplification
Le plus important, aux yeux des agriculteurs et de la société, c'est de permettre aux agriculteurs de se consacrer pleinement à leur métier. Les nouveaux dispositifs mis en place par la Loi d'Orientation Agricole du 5 janvier 2006, comme la reconnaissance du fonds agricole ou la possibilité de conclure un bail cessible, favorisent la démarche d'entreprise et l'installation des jeunes autour d'un projet économique. Je tiens à ce sujet à remercier Antoine HERTH pour son implication. Le crédit d'impôt transmission favorise l'installation des jeunes et les résultats positifs sont au rendez-vous.
La simplification de la PAC reste un impératif, comme le rappelle Joseph DAUL, Président de la Commission Agriculture et Développement Rural au Parlement européen, retenu aujourd'hui à Bruxelles. Face à la complexité réglementaire et aux critiques qui viennent du terrain, les Etats-membres, dont la France, ont engagé une action énergique en faveur de la simplification. La PAC est une politique par nature complexe, qui reflète la diversité des situations du monde agricole, et des exigences nouvelles comme l'éco-conditionnalité et le bien-être animal. Cependant, cette politique agricole n'aurait pas de sens, si elle ne semblait pas profiter aux agriculteurs eux-mêmes, en les détournant de leur métier. Je me joins à l'appel de Joseph DAUL en faveur d'une démarche pragmatique, qui place l'agriculteur au centre de la démarche de simplification.
Bien préparer les orientations que nous allons prendre, en mobilisant un grand nombre d'acteurs, responsables publics, agriculteurs, spécialistes ou acteurs de la société civile, c'est la condition pour que notre politique agricole soit crédible et profitable à tous.
II En clôturant ces Assises, je tiens à souligner l'importance de l'ouverture et du dialogue pour l'agriculture française.
Les Assises ont permis de rassembler un public beaucoup plus large que celui des experts, et de tisser un lien plus étroit entre le monde agricole et le reste de la société. En préparation à cette journée, une étude réalisée par mes services et par l'institut de sondages IPSOS concernait sur les attentes réciproques des agriculteurs et du grand public. L'enjeu était de mieux cerner les différences, mais aussi les points de convergence. Nous continuerons dans cette voie, dans laquelle les collectivités locales notamment ont un rôle important à jouer.
Recentrage sur la qualité, reconnaissance du rôle que jouent les agriculteurs dans la structuration des territoires, défense de la propriété intellectuelle à travers les signes de l'origine et de la qualité, telles sont les directions les plus consensuelles qui se dégagent aujourd'hui des attentes de la société française et des agriculteurs. Ainsi, l'excellente réputation dont jouissent les signes d'origine et de qualité auprès des consommateurs montre que nous avons là un patrimoine d'une grande diversité et d'une grande richesse, et que nous devons nous engager pour en assurer la protection et le développement au niveau international. Il faut qu'un produit d'origine agricole puisse être relié à un terroir, et représenter, pour l'agriculteur qui le produit, la garantie d'une plus forte valeur ajoutée. Nous devrons nous battre sur cette question et ne pas céder aux pressions de l'OMC, qui nous conduiraient ici à un nivellement par le bas.
En matière écologique, il est à la fois essentiel de reconnaître les progrès accomplis et d'accompagner ceux qui restent à faire. Afin de répondre aux défis alimentaire et au défi écologique, une nouvelle révolution verte est nécessaire. Celle-ci doit donner naissance à une agriculture intensive et plus productive, non plus sur la base de molécules de synthèse, mais de fonctionnalités écologiques et d'utilisation des bio-ressources. Cette agriculture a besoin de nouvelles connaissances : les solutions les plus efficaces au défi environnemental, rappelle Michel GRIFFON, viennent du domaine de la recherche agronomique et de l'écologie scientifique. Ces connaissances pourront être diffusées jusqu'aux agriculteurs grâce au réseau constitué, sur tout le territoire, par les instituts techniques de développement, les lycées agricoles, les centres de formation professionnelle et les grandes écoles agronomiques et vétérinaires. C'est un atout pour l'agriculture française de pouvoir s'appuyer sur un dispositif performant, capable de soutenir et de traduire dans la pratique la recherche, la formation et le développement agricoles.
Nous nous sommes réunis aujourd'hui afin de préparer la compréhension des objectifs que nous devons atteindre, si nous voulons relever les défis auxquels se trouve confrontée l'agriculture française. C'est une première étape. La seconde étape, comme je l'annonçais à l'instant, c'est la traduction de ces objectifs dans l'action politique et collective, une action que je souhaite aussi éclairée et responsable que possible. Je vous remercie d'y avoir apporté de précieuses contributions.
Conclusion
Nous extrairons de ces débats les propositions, avec l'aide notamment des membres du COPEIAA. Je remercie à ce titre Bernard BACHELIER, Jean-Paul BETBEZE, Jean-Christophe DEBAR, Christian de BOISSIEU, ainsi que tous les agriculteurs venus aujourd'hui nombreux. Je remercie également Luc GUYAU d'avoir bien voulu accueillir les participants à cette journée au siège du Conseil Economique et Social.
Les actes des Assises de l'Agriculture seront publiés et constitueront je l'espère un document de référence. Les principales pistes de réflexion ouvertes seront abordées lors du prochain Conseil Supérieur d'Orientation avec les organisation professionnelles agricoles.
Je vous remercie pour votre participation et votre attention.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 23 novembre 2006
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureux de conclure les Assises de l'Agriculture, un moment de réflexion et de débat qui nous a permis de mieux appréhender les principaux défis que ce secteur doit affronter. L'agriculture n'est pas une activité comme une autre. Certes, c'est un secteur économique soumis aux impératifs de la compétitivité, dépendant de la logique des marchés et des habitudes des consommateurs, mais c'est aussi une activité à part, en raison du très grand nombre de fonctions que l'homme et la société lui assignent : fournir des aliments sains et de qualité, préserver la santé et l'environnement, assurer la vitalité des territoires ruraux.
Ce temps de la réflexion aura été utile pour mieux saisir les contraintes qui naissent de l'évolution des marchés et de la réglementation, faire le point sur les exigences de la société et élaborer des scénarios pour l'avenir. Le métier d'agriculteur est un métier difficile. La question n'est pas de savoir si nous devons être optimistes ou pessimistes. Nous devons avant tout être réalistes et réactifs. Comme le souligne Michel GRIFFON, la production alimentaire mondiale devra doubler en moins d'un demi-siècle, ce qui fait de l'agriculture l'un des principaux défis que nous aurons à relever. L'eau et les terres disponibles deviennent plus rares, le coût écologique et économique croissant des engrais constitue un handicap, la productivité reste faible sur la majorité des terres cultivées. Jean-Paul BETBEZE et Philippe CHALMIN rappellent que de plusieurs facteurs sont susceptibles de modifier durablement l'équilibre entre l'offre et la demande mondiales de produits alimentaires, et que : le marché est loin de converger vers une situation d'équilibre. Par conséquent, il faut pouvoir définir ensemble le bon dosage d'ouverture et de protection.
Dès maintenant, nous devons définir les orientations que prendra notre pays afin de créer dès maintenant une logique gagnante, grâce à l'agriculture, et pour elle. En effet, tous ont à gagner d'une agriculture solide et prospère : les agriculteurs bien sûr, les consommateurs, l'économie française et l'emploi dans notre pays - un emploi agricole, c'est au moins un emploi induit en milieu rural. Il est évident, comme le souligne Marion GUILLOU, que sans la maîtrise de notre politique agricole, les politiques de santé resteront insuffisantes et que nous ne pourrons pas améliorer l'alimentation, premier pilier de la santé des consommateurs.
Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants qui ont su éclairer l'avenir de manière si pertinente, si diverse et si animée. Je remercie particulièrement Nelly OLIN, Laurence PARISOT, Jean-Paul BETBEZE, Yves TAVERNIER, Yves-Thibault DE SILGUY pour leurs témoignages très stimulants, Christian de BOISSIEU et les membres du COPEIAA pour leur implication. Je me réjouis que le fil rouge de ces débats ait été le respect de la simplicité et de la clarté : l'expertise est restée en quelque sorte la face cachée de l'iceberg, et l'objectif d'une ouverture du débat au-delà du cercle des spécialistes a été pleinement rempli.
I. Je veux réaffirmer combien la prospective est importante pour l'agriculture.
1. Au regard du calendrier
J'insiste sur l'importance de ce travail prospectif que nous venons d'accomplir ensemble. Ce travail doit être un atout pour la France, d'autant plus que le contexte nous y invite : élections politiques en France en 2007 et présidence de l'Union européenne par la France en 2008. Un examen de santé de la PAC interviendra en 2008 : d'intenses discussions sont au programme et nous voyons déjà poindre l'échéance de 2013. Nous avons une responsabilité particulière dans ce contexte : l'action politique doit être au rendez-vous, il faut anticiper.
« Ne pas prévoir, c'est déjà gémir » disait Léonard de Vinci.
L'objectif des Assises est d'élaborer des scénarios pour l'avenir et de privilégier les options susceptibles de contribuer à l'intérêt de tous. Nous devons élaborer nous-mêmes les évolutions qui se dessinent afin de ne pas les subir, tant sur le plan réglementaire (national, communautaire ou multilatéral) que sur le plan technologique, avec le développement des biocarburants et des biomatériaux. Ainsi, par exemple, l'agriculture française devrait être productrice nette d'énergie en 2010 : c'est une hypothèse de travail sérieuse, porteuse de multiples implications sur lesquelles nous devons travailler.
Je tiens à préciser que cet objectif ne menace pas les besoins alimentaires : 2 millions d'hectares seront nécessaires pour atteindre l'objectif de 7% d'incorporation de biocarburants, soit 15% des surfaces actuellement cultivées en céréales, betteraves et oléagineux. Ce développement se fera par la remise en culture de jachères, qui représentent plus d'1 million d'hectares, mais aussi par la substitution aux cultures destinées aux exportations, qui seront limitées à l'avenir en raison des engagements pris par l'Union européenne en la matière. La surface consacrée en France aux débouchés hors Union européenne est d'environ 6 millions d'hectares, soit une part équivalente à celle qui servait à nourrir les chevaux au 19e siècle. Ces chiffres montrent que les objectifs fixés au niveau national pour les biocarburants sont réalistes, et que l'agriculture française est capable de les atteindre tout en alimentant normalement les marchés alimentaires européens.
Anticiper les évolutions, s'y préparer dès maintenant, c'est permettre à la France de ne pas se voir dicter sa politique agricole par d'autres et notamment par ceux qui ne considèrent la PAC qu'à travers le prisme budgétaire.
Comme l'ont souligné Yves-Thibault DE SILGUY et Henri NALLET, la PAC a atteint les objectifs que ses fondateurs lui avait fixés, tout en s'adaptant au contexte international. Aujourd'hui, la PAC n'a pas que des menaces à affronter : elle a aussi d'extraordinaires opportunités à saisir. Avec douze Etats membres de l'Union, la France a présenté au mois de mars 2006 un memorandum sur la mise en oeuvre de la PAC réformée et l'avenir de la PAC. Le travail auquel nous nous sommes livrés aujourd'hui me donne confiance pour l'avenir : continuons à garder la main, cultivons notre pouvoir d'initiative.
2. Au regard de l'économie, de l'emploi et de la qualité de vie dans notre pays, nous devons accorder une place importante à l'agriculture.
Au regard des enjeux mondiaux, en particulier démographiques et environnementaux, l'agriculture ne peut pas être caractérisée comme une activité du passé comme l'avait affirmé Tony BLAIR. Les agriculteurs sont d'abord des chefs d'entreprise, a rappelé ce matin Laurence PARISOT. Au regard de l'économie et de l'emploi dans notre pays, je ne citerai que quelques chiffres significatifs : la production agricole française représente 63 milliards d'euros, pour 370 000 exploitations professionnelles. La France exporte pour 40 Milliards d'euros de produits agricoles et transformés, avec un solde commercial positif de 8 Milliards, solde qui sera amélioré en 2006. Un million huit cent mille personnes, en France, travaillent dans les secteurs de l'agriculture, des industries agroalimentaires, de la sylviculture et de la pêche. Cela représente 7,5% de nos emplois. Ces chiffres montrent bien tout l'enjeu du développement d'une agriculture innovante, d'une production agricole de qualité, présente sur les marchés internationaux. Je ne parle pas ici du rôle que remplit l'agriculture sur nos territoires ruraux, et que les Parlementaires ici présents connaissent à fond.
Nous avons marqué aujourd'hui notre attachement au maintien d'une politique agricole ambitieuse, c'est-à-dire moderne et capable d'affronter la concurrence, mais aussi capable de relever les défis d'ordre environnemental et sanitaire. Comme le souligne Nelly OLIN, en matière écologique comme en matière économique, nous devons prévoir sur le long terme afin de pouvoir agir à temps, et vite. La France est également volontaire pour continuer à participer à la régulation des activités agricoles au niveau mondial, améliorer la productivité et les conditions de vie des paysans qui sont paradoxalement les plus touchés par la faim. Je tiens à saluer le travail accompli par Henri ROUILLÉ D'ORFEUIL, aujourd'hui Président de Coordination Sud qui rassemble les ONG françaises de solidarité internationale, en faveur du développement agricole durable dans le monde. La coopération agricole et le rééquilibrage des rapports Nord-Sud est aussi l'un des défis que nous devons continuer à relever.
3. Le travail de prospective doit être relayé par une action politique, collective et responsable.
Si l'agriculture est bien une tradition en France, c'est grâce à sa capacité à s'adapter et à relever les défis auxquels elle a toujours été confrontée. Afin de pouvoir relever les principaux défis, la logique du marché est insuffisante. L'Europe agricole s'est en grande partie construite sur ce postulat, avec les principes du marché commun, de la préférence communautaire et de la solidarité financière. Si le budget de l'agriculture est toujours le premier, ce n'est pas parce que l'on accorde trop d'importance à l'agriculture, rappelle Henri NALLET : la politique agricole commune, en ayant su répondre aux objectifs qui lui étaient assignés (autosuffisance alimentaire de l'Europe, politique d'investissements et de modernisation en faveur d'une croissance de la productivité, soutien au revenu des agriculteurs) et en ayant démontré sa capacité à se réformer, constitue toujours un modèle. Il serait absurde de vouloir le détruire. En effet, seule une politique agricole à l'échelle de l'Europe est capable d'offrir aux agriculteurs une lisibilité à long terme de leur activité. Dans les négociations internationales, en parlant avec l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou la Pologne, la France parle d'une voix plus forte et nos propositions peuvent être mieux entendues.
Dans la continuité de l'esprit de concertation qui doit présider aux politiques agricoles, la tenue des Assises est un signe encourageant, afin que nous puissions à l'avenir mettre en oeuvre une action aussi éclairée et responsable que possible, capable d'encourager ce qui fonctionne bien, et d'apporter ce qui manque lorsque c'est nécessaire.
3.1.Nécessité d'une action collective, dans le cadre communautaire
L'agriculture est l'un de ces nombreux domaines où, pour bien jouer, il faut jouer collectif. Le cadre communautaire est un atout d'autant plus fort que les agriculteurs français se voient évoluer depuis longtemps en pleine économie de marché et ne pensent plus en termes franco-français. Cependant, la politique agricole commune est souvent perçue de manière négative, à travers une évolution trop rapide et trop contraignante de la réglementation. Nous devons continuer l'effort sur la simplification des démarches administratives, sécuriser le cadre réglementaire et faire comprendre les nombreux aspects positifs, trop souvent oubliés parce que l'on considère aujourd'hui qu'ils vont de soi. Je remercie Jean-Louis DUVAL d'avoir souligné avec force combien le développement agricole a besoin d'une politique agricole ambitieuse. Sans la stabilisation des revenus offerte aujourd'hui par la PAC, quel jeune investirait dans l'agriculture ?
La politique agricole ne se limite pas au cadre communautaire : c'est aussi une action collective qui doit mobiliser davantage la société. Le souhait qu'expriment les agriculteurs, comme l'ont montré les témoignages préalables aux tables-rondes, c'est d'abord que leur travail soit mieux reconnu. Un meilleur partage de la valeur ajoutée et un système de prix plus rémunérateur, voilà l'un des principaux défis économiques qu'il nous faut relever dès maintenant. Nous devons privilégier les dispositifs économiques les plus favorables, mettre en oeuvre une organisation collective capable de préparer un véritable soutien par les prix, et prendre en compte les fonctions non marchandes de l'agriculture. La puissance publique a un rôle essentiel à jouer à l'égard des fonctions environnementales, territoriales, nutritionnelles et sanitaires de l'agriculture, qui ne sont pas prises en considération par le marché : Marion GUILLOU et Charles DE COURSON ont souligné à cet égard l'importance de la recherche et des dispositifs fiscaux. Je réponds positivement à la demande de Nelly OLIN, de pouvoir travailler ensemble afin d'intégrer davantage les fonctions environnementales de l'agriculture dans les réformes à venir de la PAC. Je remercie Marcel DENEUX et Yves TAVERNIER d'avoir mis l'accent sur le risque d'un détournement du capital foncier agricole de sa mission première de production. Là aussi, il faut anticiper, se concerter et se mobiliser, d'autant plus que le renversement de la tendance démographique en milieu rural ne fait plus de doute et que de nombreux urbains devraient s'y installer dans les années qui viennent.
3.2. Nécessité de développer de nouveaux outils de politique agricole, concernant le risque et les crises
L'agriculture est fortement exposée à l'impact des changements climatiques, aux maladies émergentes et à la limitation de certaines ressources naturelles. Cette exposition aux risques exige davantage d'outils et de moyens, afin que les agriculteurs puissent se prémunir contre les risques et se protéger en situation de crise. La gestion de risque et de gestion de crise - il ne faut d'ailleurs par confondre ces deux aspects car la bonne gestion du risque permet d'éviter les situations de crise - correspondent déjà à des dispositifs et opérationnels, en France ou à l'étranger. Il revient aux pouvoirs publics d'accompagner ces dispositifs afin que nous puissions forger un véritable modèle français de gestion du risque agricole. La recherche d'une politique agricole plus efficace en la matière est abordée dans le mémorandum « Fruits et légumes » et dans le mémorandum « viticulture », que nous avons remis récemment à la Commission européenne.
3.3. Nécessité de poursuivre l'effort en matière de simplification
Le plus important, aux yeux des agriculteurs et de la société, c'est de permettre aux agriculteurs de se consacrer pleinement à leur métier. Les nouveaux dispositifs mis en place par la Loi d'Orientation Agricole du 5 janvier 2006, comme la reconnaissance du fonds agricole ou la possibilité de conclure un bail cessible, favorisent la démarche d'entreprise et l'installation des jeunes autour d'un projet économique. Je tiens à ce sujet à remercier Antoine HERTH pour son implication. Le crédit d'impôt transmission favorise l'installation des jeunes et les résultats positifs sont au rendez-vous.
La simplification de la PAC reste un impératif, comme le rappelle Joseph DAUL, Président de la Commission Agriculture et Développement Rural au Parlement européen, retenu aujourd'hui à Bruxelles. Face à la complexité réglementaire et aux critiques qui viennent du terrain, les Etats-membres, dont la France, ont engagé une action énergique en faveur de la simplification. La PAC est une politique par nature complexe, qui reflète la diversité des situations du monde agricole, et des exigences nouvelles comme l'éco-conditionnalité et le bien-être animal. Cependant, cette politique agricole n'aurait pas de sens, si elle ne semblait pas profiter aux agriculteurs eux-mêmes, en les détournant de leur métier. Je me joins à l'appel de Joseph DAUL en faveur d'une démarche pragmatique, qui place l'agriculteur au centre de la démarche de simplification.
Bien préparer les orientations que nous allons prendre, en mobilisant un grand nombre d'acteurs, responsables publics, agriculteurs, spécialistes ou acteurs de la société civile, c'est la condition pour que notre politique agricole soit crédible et profitable à tous.
II En clôturant ces Assises, je tiens à souligner l'importance de l'ouverture et du dialogue pour l'agriculture française.
Les Assises ont permis de rassembler un public beaucoup plus large que celui des experts, et de tisser un lien plus étroit entre le monde agricole et le reste de la société. En préparation à cette journée, une étude réalisée par mes services et par l'institut de sondages IPSOS concernait sur les attentes réciproques des agriculteurs et du grand public. L'enjeu était de mieux cerner les différences, mais aussi les points de convergence. Nous continuerons dans cette voie, dans laquelle les collectivités locales notamment ont un rôle important à jouer.
Recentrage sur la qualité, reconnaissance du rôle que jouent les agriculteurs dans la structuration des territoires, défense de la propriété intellectuelle à travers les signes de l'origine et de la qualité, telles sont les directions les plus consensuelles qui se dégagent aujourd'hui des attentes de la société française et des agriculteurs. Ainsi, l'excellente réputation dont jouissent les signes d'origine et de qualité auprès des consommateurs montre que nous avons là un patrimoine d'une grande diversité et d'une grande richesse, et que nous devons nous engager pour en assurer la protection et le développement au niveau international. Il faut qu'un produit d'origine agricole puisse être relié à un terroir, et représenter, pour l'agriculteur qui le produit, la garantie d'une plus forte valeur ajoutée. Nous devrons nous battre sur cette question et ne pas céder aux pressions de l'OMC, qui nous conduiraient ici à un nivellement par le bas.
En matière écologique, il est à la fois essentiel de reconnaître les progrès accomplis et d'accompagner ceux qui restent à faire. Afin de répondre aux défis alimentaire et au défi écologique, une nouvelle révolution verte est nécessaire. Celle-ci doit donner naissance à une agriculture intensive et plus productive, non plus sur la base de molécules de synthèse, mais de fonctionnalités écologiques et d'utilisation des bio-ressources. Cette agriculture a besoin de nouvelles connaissances : les solutions les plus efficaces au défi environnemental, rappelle Michel GRIFFON, viennent du domaine de la recherche agronomique et de l'écologie scientifique. Ces connaissances pourront être diffusées jusqu'aux agriculteurs grâce au réseau constitué, sur tout le territoire, par les instituts techniques de développement, les lycées agricoles, les centres de formation professionnelle et les grandes écoles agronomiques et vétérinaires. C'est un atout pour l'agriculture française de pouvoir s'appuyer sur un dispositif performant, capable de soutenir et de traduire dans la pratique la recherche, la formation et le développement agricoles.
Nous nous sommes réunis aujourd'hui afin de préparer la compréhension des objectifs que nous devons atteindre, si nous voulons relever les défis auxquels se trouve confrontée l'agriculture française. C'est une première étape. La seconde étape, comme je l'annonçais à l'instant, c'est la traduction de ces objectifs dans l'action politique et collective, une action que je souhaite aussi éclairée et responsable que possible. Je vous remercie d'y avoir apporté de précieuses contributions.
Conclusion
Nous extrairons de ces débats les propositions, avec l'aide notamment des membres du COPEIAA. Je remercie à ce titre Bernard BACHELIER, Jean-Paul BETBEZE, Jean-Christophe DEBAR, Christian de BOISSIEU, ainsi que tous les agriculteurs venus aujourd'hui nombreux. Je remercie également Luc GUYAU d'avoir bien voulu accueillir les participants à cette journée au siège du Conseil Economique et Social.
Les actes des Assises de l'Agriculture seront publiés et constitueront je l'espère un document de référence. Les principales pistes de réflexion ouvertes seront abordées lors du prochain Conseil Supérieur d'Orientation avec les organisation professionnelles agricoles.
Je vous remercie pour votre participation et votre attention.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 23 novembre 2006