Texte intégral
Q- On va poser tout de suite votre question aux auditeurs de RMC, on y reviendra un petit peu plus tard.
R- Faut-il plus ou moins de syndicats ?
Q- Faut-il plus ou moins de syndicats en France ? Aujourd'hui, il y en
a cinq.
R- Cinq représentatifs et puis il y en a d'autres aussi.
Q- Il y en a d'autres. D'abord, l'actualité avec D. de Villepin, qui aujourd'hui va présenter des mesures d'aide pour la filière automobile, une filière automobile qui a des difficultés, avec une baisse des ventes, baisse du chiffre d'affaires, parfois des fermetures d'usines. Ces aides sont-elles vraiment efficaces ou c'est un petit pansement ? Est-ce que qu'il est encore logique et rentable de fabriquer des voitures en France ?
R- Oui, c'est encore logique et rentable même si cela peut poser quelques difficultés. Les difficultés d'ailleurs sont beaucoup chez les équipementiers automobiles, les sous-traitants.
Q- Les fournisseurs ?
R- Oui, les sous-traitants des grands groupes. Alors qu'il y ait des aides annoncées par le Premier ministre aujourd'hui, on va regarder le contenu de ces aides. Maintenant, comme dans tout, ce ne sont pas les aides en tant que telles qui garantissent l'avenir d'une entreprise. Regardez ! Á un moment, on a fait des aides dites "un plan textile", ce n'est pas pour cela que le textile n'a pas fermé des entreprises. Le problème c'est que pour les salariés qui sont dans ces entreprises, notamment chez les équipementiers automobiles, s'il faut les aider bien entendu à se recaser, il faut encore que derrière, il y ait un emploi, c'est ça le problème.
Q- Vous nous parlez du textile, du "plan textile" qui visiblement n'a pas servi à grand-chose, c'est peut-être là justement un petit pansement. On le voit aujourd'hui c'est une véritable hécatombe, notamment en lingerie, avec Aubade, Dim, Well qui délocalisent. Là, pour le coup, il n'est plus rentable de produire en France, nous sommes d'accord ?
R- Il y a des problèmes de rentabilité, ça c'est vrai. Mais là aussi, nous sommes demandeurs de ce que l'on appelle un conditionnement des aides. Quand des entreprises, à un moment donné, sollicitent des aides publiques, qu'il y ait des engagements de leur part. Quand je dis des engagements de leur part, c'est par exemple, s'engager pendant la période de l'aide, si l'aide dure quatre ou cinq ans, à ne pas délocaliser, s'engager sur des problèmes d'emploi. Aujourd'hui, ça n'est pas le cas. Donc il faut un conditionnement des aides. Maintenant, ces entreprises, ce sont des groupes. Il y a des entreprises qui, effectivement, sont dans une difficulté, sont dans le déficit, etc.
Q- Quand vous avez le chiffre d'affaires de Well qui baisse de 40 % en un an, en clair c'est rester ou mourir, rester c'est mourir ?
R- Pas obligatoirement, ça dépend aussi des technologies employées, des gains de productivité. Vous avez aussi aujourd'hui des entreprises textiles qui relocalisent parce qu'elles utilisent des techniques nouvelles qui sont intéressantes. Donc ce n'est pas aussi systématique que ça. Mais des entreprises qui n'ont pas investi depuis longtemps, par exemple, effectivement, à un moment donné, c'est le choix de délocaliser pour produire moins cher mais ce n'est pas systématique.
Q- D. de Villepin nous a préparé ces derniers jours à des chiffres du chômage un peu moins bons que pour les mois précédents notamment à cause de la croissance française qui a marqué une pause. Cela vous surprend, cela vous inquiète ou pas ces chiffres du chômage qui seront vraisemblablement stables ?
R- Non, je ne suis pas surpris et je pense que ça va continuer à diminuer le taux de chômage, parce que ça ne diminue pas parce qu'il y a des créations d'emplois, ça diminue pour des raisons démographiques, des raisons de traitement social du chômage. Maintenant, là, on est dans une période un peu particulière, en ce sens où il y a eu une croissance nulle, une croissance zéro au troisième trimestre de cette année et que ça pèse y compris sur l'emploi.
Q- Si la croissance est à zéro c'est pourquoi ? C'est parce qu'on a une mauvaise politique ?
R- Il y a une politique économique qui n'est pas adaptée selon moi, oui, la consommation est insuffisante. Il y a un deuxième problème - je ne suis pas souvent d'accord avec le ministre de l'économie et des finances mais là, je suis d'accord avec lui - quand, par exemple M. Breton proteste à Bruxelles sur le niveau de l'euro. Un euro trop fort ça pénalise de nombreux secteurs d'activités, par exemple toute l'aéronautique, celle qui exporte beaucoup et qui achète en dollars. Donc il y a toutes ces raisons de politique économique, qui ne sont pas adaptées, tant au niveau national qu'au niveau européen. Mais la consommation, nous ont dit : "pour que les gens consomment, encore faut-il que leur pouvoir d'achat augmente, pour que ça crée de l'activité de l'emploi", or ça n'est pas le cas en ce moment.
Q- Vous avez posé une question aux auditeurs de RMC : "faut-il plus ou moins de syndicats ?"... La représentativité des syndicats, on en parle, parce que le Conseil économique et social a proposé hier de casser 40 ans de statu quo. Aujourd'hui, seul le club des cinq gros syndicats a accès aux négociations, des accords collectifs notamment. Il voudrait que des plus petits syndicats parfois plus représentatifs dans certaines branches puissent gagner en représentativité. Vous avez voté contre à Force ouvrière. Vous avez peur de la concurrence ?
R- Pas du tout, non, nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous avons dit que nous étions prêts à mesurer la représentativité des syndicats. Maintenant, il faut savoir ce que l'on mesure. Nous, on considère que tous ceux qui sont concernés doivent pouvoir voter, cela veut dire les salariés du privé, les salariés du public, les chômeurs et les retraités salariés. A partir de là, il n'y a qu'un scrutin qui est possible selon nous : c'est un retour - ça existait avant mais ça a été supprimé - aux élections à la Sécurité sociale. Donc on est pour, on ne dit pas que l'on veut le statu quo. Maintenant vous savez, c'est un dossier beaucoup plus compliqué qu'il n'apparaît en premier ressort parce qu'il y a la question de la représentativité syndicale et entre nous, c'est le bal des hypocrites ce dossier.
Q- Pourquoi ?
R- Quand je dis c'est le bal des hypocrites...Tout le monde dit, enfin pense plus exactement et ne le dit pas : "quel paysage syndical pour demain ?" Alors faut-il plus de syndicats ou moins de syndicats ? Moi je ne pense pas que l'intérêt pour les salariés ce soit d'avoir un émiettement complet du paysage syndical. Certains pourraient dire : "plus on est de fous, plus on rie", ou "les employeurs ne pourront plus jouer s'il y a encore plus de syndicats demain"...
Q- En l'occurrence aujourd'hui, il n'y a que cinq syndicats vraiment puissants en France et on constate qu'ils ne représentent pas grand monde non plus.
R- Là aussi, attention à ce que l'on dit. Il y a un taux de syndicalisation plus faible en France, moi je ne le nie pas, comparé à l'Allemagne... Mais ceci étant, est-ce que les droits des salariés français comparés à ceux des salariés allemands ou danois sont inférieurs ? Non. Parce qu'au fil du temps, un système s'est construit - ce que j'appelle moi le modèle républicain - qui fait que quand on négocie au niveau le plus large, ça s'applique à tous les salariés du pays. Vous savez que la France est le pays où le nombre de salariés couverts par une convention collective est le plus important au monde, 97,7 %. Cela veut dire qu'il y a un système qui a fonctionné, on ne dit pas qu'il ne doit pas évoluer mais il a fonctionné et il fonctionne encore.
[...] Une question de José, auditeur de RMC.
Q- José : Ne faudrait-il pas obliger les salariés à être syndiquées, comme en Suède, pour que chacun d'entre nous soit devant ses responsabilités ?
R- Non, nous ne sommes pas partisans d'un syndicalisme obligatoire. Ce que dit l'interlocuteur n'est pas faux, mais c'est aussi au syndicat qui reçoit un salarié, qui est non syndiqué, pour l'aider, à lui expliquer qu'il faut se syndiquer.
Q- Sinon, vous ne l'aidez pas ?
R- Non, on est là aussi pour lui expliquer que si le syndicat peut l'aider, c'est parce qu'il a des adhérents et s'il a besoin d'être aidé il faut aussi qu'il adhère.
Q- Combien ça coûte d'adhérer à Force ouvrière aujourd'hui ?
R- Cela dépend du salaire que vous touchez.
Q- C'est proportionnel au salaire, il y a une fourchette ?
R- Disons que ça coûte à peu près en moyenne dans les 110-120 euros par an, ce qui n'est pas énorme, c'est important en même temps mais ce n'est pas énorme.
Q- Pour certains revenus, c'est beaucoup.
R- Pour certains revenus, bien sûr. Là, il y a une inéquité d'ailleurs.
Q- Si S. Royal demain est présidente, cela fait partie de ses projets. Si on est obligé d'adhérer au syndicat, est-ce que vous baisserez les prix des adhésions du coup ?
R- Non, justement. D'abord il faut savoir que ça n'est pas conforme à la
législation internationale, le syndicalisme obligatoire. Se syndiquer ça
doit être une liberté. Liberté de se syndiquer...
Q- Cela veut dire que la Suède est hors la loi ?
R- Alors là, Vous savez qu'il y a un problème. En Suède, ce n'est pas que le syndicalisme est obligatoire : quand vous êtes salarié, vous êtes obligé... Mais quand le syndicat existe dans l'entreprise, le principal syndicat, il négocie et les salariés sont obligés d'être adhérents à ce syndicat. Dans les pays nordiques, c'est comme ça que ça se passe. Des salariés nordiques ont porté plainte devant la Cour de justice des Communautés européennes en disant : "si je ne veux pas me syndiquer, je veux avoir cette liberté", ou "si je veux adhérer à un autre syndicat que celui de l'entreprise, je veux pouvoir le faire". Ils ont eu gain de cause.
Q- Pourquoi êtes-vous contre alors ?
R- Parce que le syndicat n'est pas un service public, ou un service privé. Quand on adhère à un syndicat, quel que soit le syndicat c'est aussi parce qu'on partage des valeurs, une nécessité. Les positions de l'organisation syndicale sont définies par les adhérents, ceux qui participent à l'organisation.
Q- Depuis le temps que l'on dit en France que les syndicats ne sont pas représentatifs, là au moins, ils deviendraient représentatifs.
R- Mais non, ce n'est pas parce que... En Suède par exemple, savez-vous pourquoi ? Le syndicat gère tout seul l'assurance chômage. Si vous êtes salarié, vous êtes - je ne critique pas, chacun son histoire - mais vous êtes obligatoirement adhérent, affilié au système d'assurance de chômage et de facto, vous êtes adhérent. Si demain, le système d'assurance-chômage suédois était géré différemment, ils auraient moins d'adhérents. Adhérer c'est un acte volontaire, on a le choix. Arrêtons de dire que les syndicats quels qu'ils soient ne sont pas représentatifs, les droits des salariés français sont équivalents en France à ce qu'ils sont en Allemagne où à des taux de syndicalisation plus élevés. Cela dépend des systèmes de relations sociales qui ont été mis en place.
[...]
Q- Une autre question, qui vient du "tchat" : est-ce que vous seriez prêt à remettre en cause les 35 heures pour relancer la croissance ?
R- Non, pour deux raisons. D'abord, là où elles existent, notamment dans les grandes entreprises, etc. personne ne veut les remettre en cause, parce que les salariés là ont payé pour les avoir : modération salariale, plus de flexibilité. Les retirer maintenant c'est la double peine. Il y a un problème là où elles n'existent pas encore. Donc il faut regarder comment on peut progressivement y arriver, mais les retirer maintenant, non.
Q- En Allemagne, qui était un pays précurseur en matière d'aménagement du temps de travail, ils sont en train de revenir en arrière ?
R- Pas partout.
Q- Oui mais c'est quand même une tendance en Allemagne.
R- En France, vous ne croyez pas que depuis deux ou trois ans, non pas sur la durée légale en tant que telle, c'est toujours 35 heures mais sur les modalités des heures supplémentaires, il y a eu beaucoup d'ouvertures faites vis-à-vis des employeurs par le Gouvernement ? Sur la rémunération des heures supplémentaires, sur le contingent des heures supplémentaires qui a été réévalué, encore faut-il qu'il y ait assez d'activités pour faire des heures supplémentaires. Il y a déjà pas mal de
souplesse d'introduite.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 novembre 2006