Interview de M. Bernard van Craeynest, président de la CFE CGC à Radio Classique le 5 décembre 2006, sur le projet de loi sur la modernisation du dialogue social, notamment les relations entre l'Etat et les partenaires sociaux.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


Q- L'assemblée nationale entame aujourd'hui l'examen du projet de loi sur la modernisation du dialogue social. Il s'agit, pour reprendre les termes du texte, de changer en profondeur les règles du jeu dans ce domaine, notamment en tirant les leçons de la crise du CPE qui avait secoué la France au printemps dernier. Qu'est-ce que vous attendez de ce débat au Parlement ?
R- Eh bien, déjà que le projet de loi soit voté et avant la fin de la session parlementaire qui, je vous le rappelle, interviendra le 22 février pour cause de campagne présidentielle. Donc, le temps est compté, et nous souhaitons, bien entendu, que ce texte soit adopté car il permet de clarifier les relations entre l'Etat d'une part, et les partenaires sociaux. Le fait que le Premier ministre - ou le Gouvernement - vienne chaque année devant les partenaires sociaux pour présenter ces projets de réforme du code du travail, laissant ainsi la possibilité aux partenaires sociaux de s'emparer de tout ou partie des thèmes évoqués pour négocier, nous semble un élément positif.
Q- Oui, parce que la principale nouveauté du texte c'est l'obligation pour le Gouvernement de créer ce qu'on appelle une concertation préalable avec les partenaires sociaux en vue d'une négociation interprofessionnelle avant tout projet de réforme portant sur le droit du travail ou l'emploi. Ça ressemble quand même un peu à une usine à gaz : on va se rencontrer, on va discuter, on va pré discuter, on va négocier sur une éventuelle réforme, etc. Ça va prendre plus de temps, non, que d'habitude ?
R- Pas forcément. Vous savez, des fois prendre quelques précautions, préparer le terrain, permet d'en gagner beaucoup ensuite. Nous l'avons vu avec le CPE. Dans ce pays qui a besoin de réformes, il est clair qu'il s'agit déjà de faire oeuvre de clarification et de pédagogie pour que tout le monde comprenne bien les enjeux et l'objectif et le but à atteindre.
Q- Le Gouvernement dit que le texte est le fruit de près d'un an de concertation. Vous avez, vraiment... il y a eu une concertation, alors pour le coup préalable à l'élaboration de ce texte ?
R- Il y a eu surtout une concertation entre début juillet et fin octobre. C'est vrai que nous avons rencontré dans un premier temps le Premier ministre, avec messieurs Borloo, Larcher et Jacob, début juillet, pour faire l'état des lieux, et ensuite nous avons eu de nombreux échanges avec le ministre délégué au Travail pour affiner le texte. Ce que je peux dire, c'est ce que je regrette un petit peu d'ailleurs, c'est que nous arrivons à une formule que l'on peut résumer comme étant le plus petit dénominateur commun.
Q- Donc, tout est à prendre dans ce texte, il n'y a pas quelques éléments quand même un petit peu embêtants pour vous, enfin pour la CFE-CGC en l'occurrence ?
R- Ah, pas du tout. Vous savez, ce texte est fort simple, il comprend deux articles, je crois qu'il doit faire une page et demie à peine. Pour une fois, c'est ce que j'appellerais vraiment une loi simple.
Q- Bon, d'accord. Donc, vous signez à 100 % ?
R- Eh bien, si effectivement les parlementaires retiennent le texte tel qu'il est, c'est-à-dire qu'il ne le modifie pas en profondeur - de toute façon je crois qu'ils n'en auront pas trop le temps - nous le prenons en l'état.
Q- Alors, pendant que les députés examineront le projet de loi sur le dialogue social, vous, syndicats, vous irez aujourd'hui au siège du Medef pour une nouvelle réunion destinée cette fois à tenter de remettre à flot la situation financière du régime de retraite complémentaire des cadres, l'AGIRC, qui sera en déficit à partir de 2009 ; il l'est même de manière virtuelle depuis déjà trois ans. L'avenir de l'AGIRC est-il malgré tout assuré, aujourd'hui, B. Van Craeynest ?
R- Il le sera d'autant plus que l'ensemble des salariés qui relèvent du régime des cadres seront convenablement rémunérés. Le problème auquel nous sommes confrontés c'est que depuis une bonne douzaine d'années, nous voyons le plafond de la Sécurité Sociale évoluer plus vite que l'inflation et plus vite que la richesse nationale. Si bien que nous avons une part croissante d'ingénieurs, cadres, techniciens, agents de maîtrise qui relèvent de l'AGIRC, qui sont rémunérés en-dessous du plafond de la Sécurité Sociale et qui donc ne cotisent pour ce régime.
Q- L'enjeu est quand même important, vous le dites d'ailleurs, pour les cadres puisque la retraite complémentaire versée par l'AGIRC représente environ 45 % de la retraite totale.
R- Non, en moyenne, aujourd'hui, c'est un peu plus de 30 %.
Q- D'accord.
R- Mais c'est énorme, bien entendu.
Q- Concrètement, est-ce que vous êtes prêts à des concessions sur ce dossier ?
R- Ah, nous sommes prêts à examiner l'ensemble de la situation et c'est en particulier le fait d'assurer à l'ensemble des salariés une retraite complémentaire qui ne tire pas les retraites vers le bas.
Q- Quels sont vos leviers d'action ?
R- Eh bien, d'une part, faire en sorte que les salariés des classes moyennes soient reconnus à leur juste valeur et qu'enfin on tire un peu plus les salaires vers le haut plutôt que de focaliser systématiquement sur les salaires autour du SMIC. Et puis, d'autre part, il est évident qu'il faudra que nous revoyions ce qui relève de l'ARRCO d'une part, c'est-à-dire les retraites complémentaires au premier franc, et de l'ARGIC. Il n'est pas exclu que nous réfléchissions au fait de faire cotiser la population de l'encadrement au premier franc plutôt qu'à partir du plafond de la Sécurité Sociale.
Q- Donc, on ne pourra pas passer à côté d'une hausse des cotisations.
R- Pas forcément. Bien sûr que la hausse des cotisations est un des éléments et un des bras de levier sur lequel nous pouvons jouer, mais vous savez qu'on joue par ailleurs sur d'autres paramètres qui sont en particulier la durée de travail pour bénéficier d'une retraite à taux plein, celle-ci étant inscrite dans la loi Fillon de 2003 avec 41 annuités exigées pour 2012, 42 en 2019, mais de toute façon nous referons le point sur ce dossier dès 2008.
Q- Aujourd'hui, cet après-midi au Medef, c'est une réunion technique.
R- Absolument ! C'est un rendez-vous qui était programmé depuis 2003. On continue à étudier tous les paramètres du régime parce que nous nous apercevons, malheureusement, que les prévisions qui avaient été faites en 2003 s'avèrent pour partie inexactes. On n'a pas pris en compte suffisamment l'impact des retraités - enfin, des salariés qui partent en retraite aujourd'hui et - qui alourdissent donc les charges du régime, et le fait que malheureusement la masse salariale a tendance à stagner du fait des problèmes de l'emploi et du tassement des salaires.
Q- Au sujet de cette question des retraites, ce sera évidemment un gros dossier, l'un des gros dossiers pour le prochain président de la République, ça devrait déjà l'être aujourd'hui d'ailleurs. On peut regretter que ça n'aille pas plus vite sur ce dossier des retraites ?
R- Je crois que la réforme de 2003 a permis une prise de conscience et a permis d'enclencher un mécanisme qui fait que c'est un gros dossier qui sera présent de manière permanente et récurrente durant les vingt ou trente prochaines années. Donc, ce n'est pas seulement...
Q- ... B. Van Craeynest, président de la CFE-CGC, est-ce qu'aujourd'hui il y a une réelle volonté politique de vouloir régler cette question des retraites ?
R- Je pense qu'elle existe mais peut-être pas de manière suffisamment dynamique puisque, encore une fois, en trois ans, depuis la réforme Fillon, on a pris conscience qu'il y avait un certain nombre de paramètres qui étaient inexacts, et aujourd'hui, il convient de l'acter et de faire en sorte de s'adapter à la nouvelle donne.
Q- La CFE-CGC réunit à partir de demain son 33e congrès, à la Plaine Saint-Denis. Pour certains observateurs, ce sera le congrès de la survie - c'est une allusion directe à l'avis rendu ces derniers jours par le Conseil Economique et Social. Je rappelle que le CES s'est prononcé en faveur de la remise en cause du monopole syndical. Depuis 66, cinq centrales, en France, sont dites représentatives des salariés, et au fil des ans, c'est vrai que d'autres syndicats naissent et demandent à être reconnus comme tel. C'est une menace directe pour une centrale comme la CFE-CGC, non ?
R- Je pense que nous avons notre destin entre nos mains. Nous représentons celles et ceux qui dans l'entreprise créent une oeuvre, gèrent, coordonnent, animent, bref les locomotives des entreprises et de notre économie. Je suis frappé par le fait que les Français sont tout à fait prêts à se mobiliser pour de grandes causes humanitaires ou pour venir en aide suite à des grandes catastrophes naturelles...
Q- ... mais il y a une érosion quand même de tous les adhérents.
R- ... mais, ils ne se mobilisent pas pour l'un des éléments clés de leur vie, c'est-à-dire la vie au travail. Et je pense qu'ils nous appartient d'aller davantage à leur rencontre pour leur faire prendre conscience de l'intérêt qu'il y a à s'engager dans le dialogue social, dans la représentation du personnel pour essayer de trouver de nouveaux équilibres et de nouvelles solutions aux problèmes qui nous sont posés.
Q- Ça, c'est la volonté, mais il y a les chiffres : aux prud'hommales de 2002 par exemple, la CFE-CGC est arrivée en 5e position, 7 % des voix. Ça risque de s'effriter encore plus, sans compter avec la CFDT qui grignote de plus en plus chez les cadres. Comment vous réagissez face à ça ?
R- Je vous ferai remarquer qu'en 2002, nous avons progressé. 7 %, c'est tous collèges, toutes sections confondues...
Q- ...il y a la manière d'analyser les chiffres, c'est sûr.
R- Non, mais en 97, nous avions fait 5,9, donc en 2002 7,01 %, c'est un progrès, et j'espère que nous sommes sur cette dynamique et mon but est bien évidemment de tout mettre en oeuvre pour faire en sorte qu'aux prochaines échéances prévues dans deux ans, nous continuions cette progression. Mais, notre préoccupation c'est, encore une fois, à l'heure où on légifère sur le dialogue social, c'est très bien, mais le problème c'est de savoir qui va animer ce dialogue social ? Qui il y aura demain autour de table, que ça soit au niveau national, territorial, dans les entreprises ? Et, ce qui me paraît essentiel pour toutes les organisations, vous le souligniez tout à l'heure, il y a un effritement des taux de syndicalisation. Le problème de fond, c'est de faire en sorte de retrouver des adhérents, des gens qui s'engagent, car c'est parmi les adhérents que l'on trouve les militants pour être autour de la table pour animer le dialogue social.
Q- Que pensez-vous des dernières déclarations politiques qui ont eu lieu sur la représentativité syndicale ?
R- Ce que je constate c'est que les déclarations politiques sont pleines de bonnes intentions mais que bien souvent, nos interlocuteurs qui eux-mêmes n'ont pas beaucoup fréquenté l'entreprise ne se rendent pas bien compte de la réalité de ce qui se passe sur le terrain, dans les bassins d'emploi, dans les sites de production, dans les sites commerciaux ou artisanaux, et ce que je souhaiterais, c'est que nous soyons davantage en relation pour d'une part partager les constats et faire en sorte de trouver les meilleures solutions pour aller vers les salariés et faire en sorte que nous travaillons ensemble.
Q- Le fait que la représentativité syndicale ne soit pas incluse, justement, au texte qui vient aujourd'hui devant l'assemblée, le projet de loi sur la modernisation du dialogue social, pour vous c'est quoi, c'est un manque, c'est une erreur ?
R- C'est tout simplement le fait que ça vient trop tard dans cette législature. Nous sommes, encore une fois, à deux mois de la fin de la session parlementaire. Le travail qui a été fait est important et pertinent, il convient maintenant de le faire partager et de voir comment on va pouvoir le mettre en musique, car je vous rappelle que l'avis du Conseil Economique et Social trace des pistes et donne deux ans aux partenaires sociaux pour examiner la suite à donner. Donc, là aussi c'est un dossier qu'il appartiendra au prochain Gouvernement de reprendre pour faire en sorte de clarifier la situation.
Q- B. Van Craeynest, en tant que président de la CFE-CGC, vous voulez remettre votre centrale en ordre de marche à l'occasion de ce 33e congrès. Vos perspectives, je dirais vos ambitions en termes d'adhérents c'est de passer de combien ? Aujourd'hui, 160 000 ?
R- Oui.
Q- A combien et en combien de temps ?
R- Oh, je souhaite, bien évidemment, que nous franchissions le cap des 200.000 dans la mandature qui va s'ouvrir après demain, c'est-à-dire pour les trois ans qui viennent, mais c'est un objectif minimal. A mon sens, dans la stratégie du développement du syndicalisme d'adhésion qui est la nôtre, il me semble urgent que nous soyons en capacité d'aller au devant des salariés, d'en convaincre le plus grand nombre et de faire en sorte que nous nous fixions un cap 300.000 au début de la prochaine décennie.
Q- Le 14 décembre prochain, il y aura la conférence sur les revenus. La CFE-CGC entend y défendre le principe du SMIP, c'est le Salaire Minimum Interprofessionnel Plancher. Qu'est-ce que le différencie du SMIC ?
R- C'est un élément qui a pour but de frapper les esprits, car dans notre pays nous focalisons depuis des années autour du SMIC et on a une tendance à tirer systématiquement vers le bas. Je crois que pour redynamiser notre pays, pour relancer la croissance, il faut donner des perspectives d'avenir, partir sur une spirale vertueuse.
Q- Alors, ça marche comment ce SMIP ?
R- Eh bien, comme je le disais tout à l'heure à propos des retraites, le problème se situe autour du plafond de la Sécurité Sociale qui est aujourd'hui à 2.589 euros/mois. Encore une fois, quand on est cadre ou relevant du statut cadre et cotisant à l'AGIRC, il est quand même paradoxal de voir qu'on est rémunéré en dessous du plafond de la Sécurité Sociale. Et, nous avons voulu - parce que bien évidemment le salaire est un élément important de la motivation des salariés - attirer l'attention sur la nécessité de relever les salaires, mais ça n'est pas le seul élément de reconnaissance de l'ensemble des salariés.
Merci beaucoup B. Van Craeynest, et puis bon congrès, donc à partir de
demain, le 33e du nom.
Merci à vous.
...C'est à la Plaine Saint-Denis. Bonne journée.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 décembre 2006