Texte intégral
Q - Après avoir vu les principaux responsables politiques libanais, est-ce que vous les avez sentis déterminés ?
R - De cette journée, je retiendrai d'abord, bien sûr, une énorme émotion dans tout le Liban et, en même temps, une envie, une nécessité, de trouver un consensus pour développer, pour sauver l'indépendance, la souveraineté, tout simplement l'Etat de droit, du Liban. J'ai rencontré le responsable de la majorité parlementaire, Saad Hariri. J'ai également rencontré le Premier ministre et le président du Parlement, Nabih Berry. Je leur ai fait passer un message : il faut répondre à la lâcheté par le courage et le courage, aujourd'hui, c'est de reprendre le dialogue politique entre eux. Le Liban ne peut pas renoncer aujourd'hui au dialogue intra-libanais. C'est aux Libanais, avant tout, d'assurer leur avenir.
Q - C'est le courage des Libanais qui peut leur permettre de se protéger d'une sorte de coup d'Etat rampant qui a lieu en ce moment ? Vous avez senti la peur, vous avez senti la peur des Libanais ?
R - Il y a une peur parce qu'il y a un désir d'intimidation des criminels qui se cachent derrière leur lâcheté. Et les attentats, aussi lâches, poursuivent l'objectif de déstabiliser le pays, évidemment. La France était là, comme l'ensemble de la communauté internationale, lors de son vote unanime, pour dire qu'il fallait un tribunal international pour qu'enfin ces criminels paient leurs crimes. Eh bien, c'est tout cet enjeu, aujourd'hui, qui est devant nous au Liban. Il faut qu'il y ait un sursaut, un dialogue intra-libanais avec un consensus, qui permettra d'être au rendez-vous de ce courage, sinon, ce pays n'existera plus. L'avenir du Liban passe, évidemment, par l'expression de sa souveraineté : c'était le cas, pour la première fois depuis longtemps, l'été dernier, avec un déploiement de l'armée libanaise au Liban-Sud, où elle était absente jusque là. La souveraineté, c'est également de pouvoir faire qu'il y ait une justice.
Q - Depuis hier, les Espagnols, les Italiens, le ministre britannique aussi, disent qu'on ne peut pas avancer sans dialogue avec la Syrie et que la Syrie n'est pas forcément coupable de l'attentat qui a eu lieu avant-hier. Est-ce que vos interlocuteurs libanais vous ont dit qu'il fallait reprendre, que la France reprenne, le dialogue avec les Syriens ?
R - Je ne veux pas présumer ou présager de quoi que ce soit. Ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui il y a une entreprise de déstabilisation de l'Etat libanais. Il est de notre devoir de tout faire pour arrêter ces criminels. Nous, c'est la communauté internationale.
Je crois que la France a toujours poursuivi une seule idée, se battre pour la souveraineté, pour le respect de l'indépendance des peuples et des Etats. C'est vrai pour le Liban, quel que soit le voisin. Quel que soit le pays qui essaierait d'atteindre sa souveraineté et son indépendance, eh bien, il faut le combattre.
Q - Est-ce que le chef de la diplomatie française pense qu'il faut avoir une politique étrangère, une politique extérieure ? Est-ce que vous pensez qu'il faut que maintenant la France parle avec les autorités syriennes, est-ce que l'on peut continuer à tenir la Syrie complètement hors jeu ?
R - Je suis persuadé d'une chose, c'est que vous ne pouvez avoir des relations diplomatiques uniquement avec des personnes dans lesquelles vous avez confiance. Et si vous n'avez pas confiance dans les autorités d'un pays - je ne parle pas des peuples, je ne parle que des pays par définition - à quoi cela sert après tout de leur demander quelque chose, si vous savez que derrière cela n'est pas suivi d'effets ? C'est ce qui est arrivé à mon collègue Miguel Angel Moratinos, le ministre des Affaires étrangères espagnol. C'est ce qui est arrivé récemment à un émissaire du Premier ministre britannique. A quoi cela sert-il d'aller voir des responsables syriens, de se mettre d'accord pendant une heure dans un bureau, si une demi-heure après le président syrien dit exactement le contraire de ce qu'il a dit à cet homologue européen qui est allé le voir. Donc je crois que c'est un problème de confiance. A partir de là, si la confiance est là, oui nous pouvons évidemment parler avec tous les pays du monde.
Q - Ce matin vous avez été acclamé dans les rues de Beyrouth par la foule, on vous a applaudi, on a crié "Vive la France !" Cela vous a fait quoi ?
R - Le dossier libanais montre à quel point la France a une influence au Moyen-Orient. Et cette influence, parce que le Président de la République l'a souhaité ainsi, est une influence qui est due à l'unique fait que nous ne sommes alignés sur aucune puissance, aussi grande soit-elle. La valeur essentielle que nous portons, c'est de nous battre pour la souveraineté, pour l'indépendance et pour l'Etat de droit des pays. C'était l'Irak en 2003, 2004, c'est aujourd'hui le Liban, d'autant plus que nous entretenons avec ce pays des liens historiques et culturels séculaires.
Q - Vous avez été surpris que les gens crient "Vive la France !" Et vous applaudissent en attendant le cercueil de Pierre Gemayel ?
R - C'était en effet extrêmement émouvant pour moi, que t'entendre cette foule scander le nom de mon pays, et crier "Vive la France !" ici, au Moyen-Orient, au Liban. C'était aussi pour moi très fort, parce que j'ai participé au mois d'août aux décisions du chef de l'Etat, qui a une vision dans cet endroit du monde. Je pense au respect de la souveraineté, de l'indépendance d'un pays comme celui du Liban, d'autant plus que nous sommes amis avec ce pays. Et en définitive, le peuple libanais ne s'y trompe pas.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 novembre 2006