Texte intégral
Depuis 30 ans, notre économie a connu de profondes transformations. La mondialisation a modifié les rapports sociaux et lancé de nouveaux défis aux entreprises comme aux pouvoirs publics. Si les premières doivent à chaque instant innover pour demeurer compétitives, les seconds ont la responsabilité de moderniser notre modèle social pour préserver la cohésion sociale de notre pays.
Dans les deux cas, il existe une méthode pour réussir les réformes dont nous avons besoin. Une méthode qui fait le choix pour ne pas dire le pari de la concertation et de la discussion pour affronter, ensemble, les grandes questions de notre temps.
Cette méthode, c'est le dialogue social.
Le dialogue social me parait être un préalable indispensable aux réformes importantes. Il est le choix de la confiance, de l'ouverture et de la responsabilité. Il permet d'expliquer, de s'expliquer, de comprendre et d'associer.
C'est pour ces raisons que le projet de loi soumis à votre Assemblée traduit, dans un chapitre préliminaire de notre code du travail, les principes exposés par le Président de la République le 10 octobre dernier devant le Conseil économique et social selon lesquels « il faut franchir une étape décisive : placer les partenaires sociaux au coeur de l'élaboration des normes et des réformes sociales... Il ne sera plus possible de modifier le code du travail sans que les partenaires sociaux aient été mis en mesure de négocier sur le contenu de la réforme engagée. Et aucun projet de loi ne sera présenté au Parlement sans que les partenaires sociaux soient consultés sur leur contenu ».
Par les principes qu'il met ainsi en oeuvre, ce texte marque une date importante dans l'histoire de nos relations sociales. Il représente un changement en profondeur de nos pratiques dans les relations qui se sont nouées depuis des décennies entre les partenaires sociaux et l'Etat.
Ce projet s'inscrit dans la continuité des actions du Gouvernement
Ce projet s'inscrit dans la continuité des actions législatives menées par le Gouvernement depuis 2002 qui visent à développer la place du dialogue social et de la négociation collective.
Cette évolution s'est, en premier lieu, concrétisée par une extension de la négociation collective dans la plupart des textes intéressant le champ des relations du travail. Je pense par exemple aux lois sur le temps de travail ou encore aux dispositions de la loi de cohésion sociale sur les mutations économiques et la gestion prévisionnelle des emplois.
Les textes qui ont été votées ces dernières années dans le champ du droit du travail organisent, selon des modalités diverses, un renvoi à la négociation collective, le plus souvent au niveau de l'entreprise, tout en préservant les exigences de l'ordre public.
Ceci se traduit, d'ailleurs, par une activité conventionnelle soutenue à tous les niveaux (44 accords interprofessionnels, 1 144 accords de branches et près de 20 000 accords d'entreprise selon le bilan annuel 2005 de la négociation collective).
La deuxième étape de cette évolution a été la loi du 4 mai 2004. On ne dira jamais assez qu'il s'agit là d'un texte essentiel dans le droit de la négociation collective. Dans la ligne de la « position commune » signée par la plupart des partenaires sociaux, ce texte introduit un principe majoritaire dans la signature des accords et donne davantage de place et d'autonomie aux accords d'entreprises, les plus proches des réalités et des contraintes concrètes de l'entreprise et de ses salariés.
Pour franchir une troisième étape, il était pour nous impératif d'associer étroitement les partenaires sociaux. Nous avons donc choisi d'élaborer ce projet de loi en concertation avec eux.
Nous avons décidé d'avancer ensemble progressivement, en nous appliquant la méthode que nous souhaitions organiser dans ce projet de loi.
Inspiré des préconisations contenues dans le rapport de Dominique-Jean Chertier (annoncé le 12 décembre 2005 devant la CNNC et remis au Premier ministre en avril 2006) et à la suite de ses échanges avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles en juillet dernier, le Premier Ministre a chargé Jean-Louis BORLOO et moi-même de poursuivre les travaux avec les partenaires sociaux, afin que puissent être très rapidement mises en oeuvre des améliorations significatives et concrètes pour moderniser le dialogue social dans notre pays.
Des rencontres bilatérales avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles se sont alors déroulées à partir de la fin août sur la base de fiches d'orientation présentant plusieurs scénarios d'évolution, poursuivies en octobre pour l'élaboration du projet.
Accompagné d'une délégation des partenaires sociaux, je me suis rendu aux Pays-Bas et en Espagne, deux pays qui ont su établir des relations sociales extrêmement vivantes et fructueuses.
Leur expérience nous a permis de comprendre qu'un dialogue social nourri et plus apaisé reposait d'abord sur la construction d'une relation de confiance entre les partenaires sociaux et l'Etat en vue de la recherche d'un consensus ou de convergences.
Est ainsi apparue la nécessité d'organiser un rendez-vous annuel au cours duquel puissent être échangées de part et d'autre des informations sur le contenu des orientations et négociations et sur les calendriers envisagés.
Enfin, la concertation s'est achevée par la présentation du projet devant la CNNC réunie le 6 novembre dernier. Cette réunion d'échange a permis d'opérer les derniers ajustements souhaités par certaines organisations syndicales et professionnelles.
Pour illustrer le souci de convergence et d'écoute, l'option qui avait été initialement envisagée de modifier dans ce texte l'architecture de nos instances de consultation, n'a pas été finalement retenue. Non que cette question ne se pose pas, mais les remarques des partenaires sociaux ont montré que c'était un exercice différent de celui, prioritaire, consistant à poser les principes de nouveaux rapports entre l'Etat et les partenaires sociaux.
Sans pouvoir prétendre à un caractère totalement consensuel, ce projet de loi constitue un point de convergence fort avec les organisations représentatives. Toutes - même celles qui auraient préféré aller plus loin sur tel ou tel aspect - ont reconnu qu'un pas important avait été franchi, au bénéfice de la rénovation des relations sociales dans notre pays.
Les objectifs et le contenu du projet de loi
Ce texte vise à modifier la pratique qui s'est instaurée dans les rapports entre les gouvernements et les partenaires sociaux. Alors que les pouvoirs publics ont le sentiment d'être très souvent en concertation ou en consultation sur les textes sociaux, les partenaires sociaux ont le sentiment inverse d'être trop souvent écartés ou tardivement concertés pour l'élaboration des textes essentiels qui régissent notamment les relations du travail. Cette situation est ancienne.
Cette réforme est donc un acte de confiance à l'égard du dialogue social, puisqu'elle repose sur la conviction que les partenaires sociaux sont à même de porter les évolutions nécessaires de notre modèle social.
Il fallait donc inventer de nouvelles règles du jeu. Elles sont en partie inspirées de celles applicables au niveau de l'Union européenne. Elles donneront un cadre clair et organisé au dialogue social articulé autour de trois axes : concertation, consultation et information.
La concertation : lorsque le Gouvernement envisage une réforme concernant les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle, il devra, dans un premier temps se concerter avec les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Cette concertation se fera sur la base d'un document d'orientation. Les partenaires sociaux pourront alors indiquer s'ils envisagent ou non de négocier, dans un délai imparti, un accord interprofessionnel.
Il appartiendra au Gouvernement de tirer toutes les conséquences de la réponse qui lui sera ainsi donnée. Il sera particulièrement attentif à la réponse et lorsqu'elle sera positive, sur le délai et le contenu de la négociation.
La consultation : les textes législatifs et réglementaires élaborés par le Gouvernement au vu des résultats de la concertation et de la négociation, devront être présentés devant les instances habituelles du dialogue social que sont la commission nationale de la négociation collective, le comité supérieur de l'emploi et le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie.
A cette occasion, je précise que nous comblons un vide de notre droit du travail qui ne prévoyait aucune consultation préalable obligatoire en cas de réforme portant sur le contrat de travail.
La compétence de la commission nationale de la négociation collective n'est donc plus cantonnée aux règles de la négociation mais est étendue aux relations individuelles du travail.
Par ailleurs, la compétence consultative du comité supérieur de l'emploi, qui était jusqu'alors facultative, devient obligatoire.
L'information : il est enfin prévu un rendez-vous régulier et annuel entre le Gouvernement et les partenaires sociaux devant la commission nationale de la négociation collective au cours duquel les pouvoirs publics et les organisations représentatives feront respectivement part de leur calendrier de réformes et de négociations.
Il s'agit d'une avancée importante dans la modernisation du dialogue social.
Les équilibres auxquels répond le projet qui vous est soumis
Le texte tend d'abord à respecter les équilibres de la négociation collective. Il vise le champ de la négociation nationale et interprofessionnelle ainsi que les organisations interprofessionnelles représentatives dans ce champ.
A cet égard, le lien entre les organisations visées et le niveau de la négociation est essentiel. La procédure de concertation, c'est-à-dire le fait de demander aux partenaires sociaux s'ils veulent négocier, n'a de sens que si elle vise des matières qui sont susceptibles de faire l'objet d'une négociation et qui présentent un caractère général et non pas seulement sectoriel.
Il respecte en outre les équilibres institutionnels. Le projet donne une portée normative aux principes fixés dans l'exposé des motifs de la loi du 4 mai 2004, sans pour autant modifier les équilibres institutionnels. Il n'affecte donc pas les attributions constitutionnelles du Gouvernement et du Parlement en matière d'initiative des lois et de procédure législative.
Il appartient en effet au seul Parlement de voter la loi. Le projet de loi ne vise pas le dépôt des projets et propositions de loi et les actes qui leur sont postérieurs.
Le projet n'affecte pas davantage les règles résultant des règlements des deux assemblées quant aux moyens d'instaurer un dialogue entre les parlementaires et les partenaires sociaux à l'occasion d'une loi transposant un accord interprofessionnel.
Enfin, pour le Gouvernement, se pose la question liée à la réserve que fait le texte en cas d'urgence. Je sais que ce point a suscité des interrogations.
Je voudrais être clair : la mention de l'urgence procède non pas de la volonté de réduire la portée du texte mais, au contraire, de prendre en compte le principe de réalité. Ce principe implique la nécessité de dérogations dans des cas où l'urgence déclarée interdit de respecter la procédure de concertation préalable.
En cela, le texte s'est inspiré d'un principe constant et habituel de notre droit public. D'ailleurs, la plupart des textes de procédure font une dérogation en faveur de l'urgence. A titre d'exemple, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration réserve les cas d'urgence, de même que la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs.
La référence à l'urgence n'est en rien exceptionnelle.
En réalité, ce n'est pas tant le principe de l'urgence qui est directement en cause mais les risques d'une utilisation abusive qui priverait de toute portée la réforme. A cet égard, les garanties contre les possibilités de dérive sont prévues par le texte lui-même et le rapporteur proposera de les renforcer, comme il nous l'a annoncé lors de mon audition devant la commission.
Je voudrais enfin rappeler que le dialogue social est par nature dynamique et vivant, et que ce projet n'a donc pas la prétention d'être un texte exhaustif.
D'autres questions devront être traitées dans un avenir proche. Je pense évidemment aux sujets soulevés par le rapport du président Hadas-Hebel, à propos desquels le Conseil économique et social vient de rendre un avis.
Cet avis du CES donne des orientations sur les évolutions qui devront intervenir sur les règles existantes en matière de représentativité des organisations syndicales, de validité des accords collectifs, de négociation collective dans les PME et de financement des organisations syndicales. Il constitue une étape importante pour poursuivre la recherche de compromis sur le choix des solutions à mettre en oeuvre.
Si le Gouvernement est conscient que ces questions devront faire l'objet de réformes, il ne paraît cependant pas opportun de les traiter dans le texte qui organise les rapports entre partenaires sociaux et les pouvoirs publics.
Du point de vue de la méthode, il serait paradoxal de mettre dans un texte organisant un nouveau mode de dialogue social entre partenaires sociaux et pouvoirs publics des dispositions qui sont essentielles pour les partenaires sociaux, et qui n'auraient pas été examinés, et discutés, de manière suffisamment approfondie avec eux et avec la commission !
Sur le fond, les propositions du CES ne sont pas simplement techniques et impliquent une transformation profonde du paysage syndical. Pour autant, elles se limitent à fixer des orientations qui sont à l'heure actuelle encore générales pour faire, en l'état, l'objet d'une transposition législative.
Il nous semble donc que nous devons procéder par étape.
C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a annoncé ce matin, lors de la remise de l'avis du CES, qu'il demandait à Jean Louis Borloo et moi-même de travailler, avec l'ensemble des organisations syndicales et professionnelles, pour permettre de régler les questions qui restent ouvertes.
Le critère de l'élection doit-il être exclusif ou être couplé avec d'autres critères ? Sur quelles élections fonder la représentativité ? Quel seuil faut-il retenir ? Quelle organisation et quel financement ? Ce sont des interrogations majeures, qui doivent être approfondies et sur lesquelles nous devons encore rapprocher les points de vue.
Les réunions de travail que nous lancerons prochainement permettront d'aborder tous ces sujets.
En conclusion, je voudrais insister sur le fait que le projet que nous vous proposons aujourd'hui pose le socle indispensable à la modernisation du dialogue social dans notre pays. Il a été conçu pour être « adaptable » aux réformes futures. Il ne constitue non seulement pas un frein aux prochaines réformes mais va même nous permettre d'être mieux armés pour les aborder.
Je vous remercie.Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 6 décembre 2006