Déclaration de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, sur le dialogue social, la négociation collective et la concertation avec les partenaires sociaux, Paris le 8 décembre 2006.

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Circonstance : 33ème congrès de la CFE CGC le 8 décembre 2006

Texte intégral


Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Mesdames et Messieurs les députés,
C'est une grande joie pour moi d'intervenir ce matin devant vous dans le cadre du 33e congrès de la CFE-CGC. Vous avez choisi de consacrer une partie de la matinée à débattre du dialogue social dans notre pays. Je rejoins pleinement votre organisation lorsqu'elle affirme sa confiance dans les vertus d'une concertation approfondie entre l'Etat et les partenaires sociaux.
A mes yeux, le dialogue social est un impératif absolu. Il est la méthode qui permet d'avancer avec détermination, audace et confiance sur le chemin des réformes.
Personne ne conteste aujourd'hui la nécessité de refonder notre modèle social. Celui-ci doit s'adapter aux nouvelles problématiques d'une économie globalisée et ouverte comme la compétitivité des entreprises ou la sécurisation des parcours professionnels, pour préserver et renforcer la cohésion sociale de notre pays.
Le dialogue social est l'un des fondements de notre démocratie sociale. Il nous appartient à nous, hommes politiques et responsables des organisations syndicales et professionnelles, de le faire vivre et prospérer.
Vous vous interrogez ce matin sur l'enjeu que représente 2007 pour la réforme du dialogue social. Permettez-moi à ce propos de vous livrer mon sentiment et mes réflexions au moment où nous franchissons une étape importante avec le débat au Parlement du texte relatif à la réforme des procédures de concertation dans notre pays.
1. La réforme du dialogue social est une oeuvre progressive
La réforme du dialogue social est une démarche progressive. Il ne s'agit pas simplement de fixer des principes mais bien de bâtir une démarche et une dynamique fondée sur la confiance réciproque entre les différents acteurs.
Autrement dit une réforme du dialogue social s'inscrit dans un processus de longue période et prend appui sur des pratiques et des expériences.
C'est pourquoi le texte que j'ai la responsabilité de présenter au Parlement marque une étape importante dans l'histoire de nos relations du travail. Il prend sa source d'une part dans les actions engagées par le gouvernement depuis 2002 et d'autre part dans la concertation approfondie que j'ai pu conduire avec l'ensemble des partenaires sociaux depuis presque une année.
Comme je vous le disais à l'instant, ce projet s'inscrit dans la continuité des actions du gouvernement mené depuis 2002, qui visent à développer la place du dialogue social et de la négociation collective et vient donc compléter des évolutions profondes :
- l'extension du champ de la négociation collective : je pense par exemple aux lois sur le temps de travail ou encore aux dispositions de la loi de cohésion sociale sur les mutations économiques et la gestion prévisionnelle des emplois, qui renforcent le rôle de la négociation collective ;
- l'introduction du principe majoritaire dans la signature des accords et le renforcement de la place et de l'autonomie des accords d'entreprise : dans le prolongement de la position commune de 2001, ce sont les avancées de la loi Fillon du 4 mai 2004, dont on n'a sans doute pas assez dit à quelle point il s'agissait, là aussi, d'une étape considérable dans l'évolution du dialogue social dans notre pays.
La réforme sur la modernisation du dialogue social constitue donc une troisième étape importante pour laquelle nous avons choisi d'associer étroitement les partenaires sociaux au travers d'une concertation permanente avec eux. Nous avons décidé d'avancer ensemble progressivement, en nous appliquant la méthode que nous souhaitions organiser dans ce projet de loi.
Inspiré du diagnostic partagé contenu dans le rapport de Dominique-Jean Chertier et des préconisations qu'il formulait, avec Jean-Louis Borloo, j'ai poursuivi les travaux avec les partenaires sociaux, afin que puissent être très rapidement mises en oeuvre des améliorations significatives et concrètes pour moderniser le dialogue social dans notre pays.
De nombreuses rencontres bilatérales, un voyage d'études aux Pays-Bas et en Espagne, deux pays qui ont su établir des relations sociales extrêmement vivantes et fructueuses, nous ont permis d'aboutir à un texte tenant compte avec précision des différentes remarques exprimées par les Partenaires sociaux. Ce texte a été présenté à la CNNC le 6 novembre dernier. Celle-ci a conduit à des derniers ajustements, au terme desquels nous avons engagé la procédure législative.
Sans pouvoir prétendre à un caractère totalement consensuel, ce projet de loi constitue un point de convergence fort avec les organisations représentatives. Toutes - même celles qui auraient préféré aller plus loin sur tel ou tel aspect - ont reconnu qu'un pas important avait été franchi, au bénéfice de la rénovation des relations sociales dans notre pays.
Ces avancées respectent les équilibres institutionnels de notre démocratie sociale. Le rapport entre la loi et le contrat est conforté, et le dialogue social rénové prend appui sur les grandes organisations syndicales et professionnelles de notre pays.
Nous avons avancé sur trois points majeurs :
- La concertation : lorsque le Gouvernement envisage une réforme concernant les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle, il devra, dans un premier temps se concerter avec les organisations syndicales et professionnelles représentatives au niveau national et interprofessionnel. Cette concertation se fera sur la base d'un document d'orientation. Les partenaires sociaux pourront alors indiquer s'ils envisagent ou non de négocier, dans un délai imparti, un accord interprofessionnel.
- La consultation : les textes législatifs et réglementaires élaborés par le Gouvernement au vu des résultats de la concertation et de la négociation, devront être présentés devant les instances habituelles du dialogue social que sont la commission nationale de la négociation collective, le comité supérieur de l'emploi et le conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie.
- L'information : il est enfin prévu un rendez-vous régulier et annuel entre le Gouvernement et les partenaires sociaux devant la commission nationale de la négociation collective au cours duquel les pouvoirs publics et les organisations représentatives feront respectivement part de leur calendrier de réformes et de négociations.
Nous avons achevé mercredi soir l'examen du projet devant l'Assemblée nationale. Cet examen a été l'occasion d'apporter des améliorations, je pense notamment au recours à l'urgence qui devra désormais être motivé pour éviter tout risque de détournement de la procédure de concertation préalable des partenaires sociaux.
Il s'agit d'une étape. Cette réforme devra être prolongée. L'année 2007 est l'occasion de débattre de ces questions.
2. Prolonger la réforme : la question de la représentativité
Les questions principales qui devront être traitées dans un avenir proche sont liées aux sujets soulevés par le rapport du Président Hadas-Hebel, à propos desquels le Conseil économique et social vient de rendre un avis : représentativité des organisations syndicales, validité des accords collectifs, négociation collective dans les PME et de financement des organisations syndicales.
Permettez-moi de saluer tout d'abord le travail de concertation et de réflexion accompli par le Conseil économique et social, qui pose avec clarté le débat de la représentativité et qui formule des pistes d'évolution.
La question de la représentativité est pour moi essentielle, mais également très complexe. Elle engage profondément la structure de notre démocratie sociale et impose une démarche ouverte et progressive.
C'est pourquoi avec le Premier ministre et Jean-Louis Borloo nous avons jugé préférable de dissocier la question des procédures et des règles de concertation de celle de la représentativité. Ils nous semblaient nécessaire pour aboutir de discuter pas à pas et de prendre les problèmes un par un.
Je connais la position de votre organisation sur les pistes tracées par l'avis rendu par le CES. Elle est tout à fait légitime et elle soulève de vraies questions sur la nature du syndicalisme que les propositions du CES impliquent.
J'ai également connaissance de la proposition de votre organisation qui vise à réserver le bénéfice des accords collectifs aux seuls syndiqués. Elle pose quelques difficultés, vous le savez. Mais elle part d'une vraie question : comment renforcer le lien, aujourd'hui trop ténu, entre les salariés et leurs syndicats ? Je sais que votre confédération a commandé un rapport sur la faisabilité d'une telle mesure. Il contribuera, j'en suis certain, au débat.
Prenons le temps de la réflexion. Prenons le temps de la discussion. Prenons le temps d'approfondir. C'est la raison pour laquelle, conformément à l'annonce du Premier ministre lors de la remise de l'avis du CES mardi dernier, Jean-Louis Borloo et moi allons rencontrer très prochainement l'ensemble des partenaires sociaux pour régler les questions qui restent ouvertes. Sur le seul point de la représentativité, de nombreuses questions restent en suspens. Le critère de l'élection doit-il être exclusif ou être couplé avec d'autres critères ? Sur quelles élections fonder la représentativité ? Quel seuil faut-il retenir ? Quelle organisation et quel financement ? Ce sont des interrogations majeures, qui doivent être approfondies et sur lesquelles nous devons encore rapprocher les points de vue.
Et cela d'autant plus nous enracinons actuellement une méthode, celle du dialogue social, et que c'est par cette méthode que nous arriverons à avancer dans la confiance vers la modernisation.
3. Les classes moyennes et le pouvoir d'achat
Mais ces questions - le dialogue social, la représentativité - si elles sont essentielles, ne portent que sur la méthode. Et il ne faut pas perdre de vue l'objectif : améliorer sans cesse notre modèle social, dans l'intérêt de tous les salariés.
De ce point de vue, je ne veux pas laisser passer cette occasion d'évoquer, devant le syndicat des cadres, des réflexions que m'inspirent la situation des classes moyennes dans notre pays.
Les classes moyennes sont les grandes oubliées de notre époque. Pas assez pauvres pour bénéficier des aides de l'Etat et de la solidarité nationale, elles sont les premières confrontées à la mondialisation et aux nouvelles contraintes qui pèsent sur le pouvoir d'achat : augmentation du prix des transports, du poids de la fiscalité indirecte et notamment des impôts locaux et surtout du logement. Nous souffrons d'un déficit de logements intermédiaires pour ceux qui n'ont pas accès au logement social mais qui éprouvent de plus en plus de difficultés pour s'installer.
C'est précisément pour cette population que nous avons choisi de faire porter l'effort, d'un point de vue budgétaire, sur l'impôt sur le revenu. Mais je sais que cela ne suffit pas toujours à compenser les charges que vous subissez.
Parallèlement à cette évolution préoccupante du pouvoir d'achat, les responsabilités des cadres n'ont fait que croître.
Les entreprises se sont réorganisées et ont modifié leur fonctionnement hiérarchique dans le sens de la responsabilisation de l'encadrement intermédiaire. Elles font appel, de plus en plus, à votre sens de l'initiative et à votre autonomie. Cette évolution, indispensable dans une économie moderne et dynamique, est aussi porteuse de stress et parfois d'inquiétudes.
A partir du moment où des cadres à qui l'on demande toujours plus, ne voient pas leurs efforts, parfois même les risques qu'ils prennent, récompensés en termes de rémunérations et de progression de carrière, nous allons au devant d'incompréhensions et de mécontentements légitimes, qui rejaillissent sur la vie même de l'entreprise.
Je pense aussi et tout particulièrement aux jeunes diplômés qui ont vocation à intégrer l'entreprise comme cadres. Eux aussi subissent, parfois plus encore que d'autres, les conséquences du déclassement d'une partie de cette génération. Par rapport à des espoirs qui ont été construits et entretenus par tout un système éducatif et social, c'est une cruelle désillusion.
Je voudrais m'adresser à ces jeunes cadres, ou à ces jeunes tout court, qui cherchent le chemin des entreprises. J'ai conscience de toutes les embûches sur le parcours qu'ils ont à se construire - parcours souvent fait de stages, de contrats en alternance. Ces étapes sont souvent nécessaires, parfois indispensables : mais si elles cessent d'être des étapes pour devenir des impasses, alors ce sont les promesses de toute une société qui ne sont pas tenues. Je n'accepte pas cette fatalité.
A terme, si nous ne répondons pas à l'attente de l'encadrement, notamment l'encadrement moyen, qui représente réellement le pivot de nos entreprises - et plus largement, si nous ne rétablissons pas cette promesse de promotion sociale pour les classes moyennes de notre pays, alors c'est tout notre modèle social qui vacille.
On a considérablement sous-estimé les attentes et les insatisfactions des Français en matière de pouvoir d'achat. Au point que je suis persuadé que cette question sera au coeur de la campagne de 2007.
Je ne suis pas ici pour faire le procès des 35 heures, mais je crois qu'il faut dire la vérité. Depuis 5 ans, les 35 heures ont eu un effet mécanique : en réduisant le travail fourni par les Français, elles ont également diminué la rémunération à laquelle ils pouvaient aspirer malgré leurs efforts de production.
Dans ce contexte, et pour des raisons évidentes, le gouvernement a concentré ses efforts sur les bas revenus :
- le SMIC a augmenté de 25% sur la législature ce qui est considérable ;
- la prime pour l'emploi représente pour un salarié au SMIC un véritable 13e mois.
Ces efforts étaient nécessaires mais ils ont conduit à un phénomène incontestable : le tassement des grilles de salaire. Aujourd'hui, les classes moyennes se sentent avec raison victime d'un déclassement et ont perdu foi dans la promotion sociale.
Cette semaine, « Liaisons sociales » titrait que 4 millions de Français seraient bientôt rémunérés au niveau du SMIC.
Ce n'est pas la France que je veux !
Il s'agit d'un problème politique majeur. Une société qui ne récompense pas le travail, l'effort et l'imagination se fige et se morfond dans la rancoeur et la rancune.
C'est fort de cette conviction que j'ai engagé la relance des négociations salariales de branche. Celle-ci a produit des effets extrêmement significatifs, comme vous le savez.
A l'avenir, nous devrons mettre tous nos efforts pour examiner l'ensemble des grilles, et pas seulement les premiers échelons. C'est une nécessité vitale pour que certaines catégories de salariés - notamment celle que vous représentez - ne se sente pas les oubliés du pouvoir d'achat.
Mais au-delà de la question des grilles salariales, nous devons aujourd'hui aller plus loin en engageant une véritable réflexion sur la progression salariale et professionnelle. Et c'est le dialogue social qui nous le permettra.
Cela signifie que nous devons valoriser tout ce qui permet d'améliorer et de sécuriser les parcours professionnels : je pense à la formation, je pense à la validation des acquis de l'expérience, je pense à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, je pense à l'accompagnement de ceux qui connaissent des accidents dans leurs carrières. Ce sont des enjeux majeurs pour les années à venir.
Nous avons un défi : redonner espoir aux classes moyennes.
Nous avons un cap : accroître leur pouvoir d'achat.
Nous avons une méthode : le dialogue social.
Nous avons avant tout des partenaires qui partagent ce diagnostic.
Travaillons ensemble !
Je vous remercie.Source http://www.cfecgc.org, le 11 décembre 2006