Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur les vingt ans du SPACE (salon international de l'élevage, la crise de la filière avicole, la situation de l'élevage en France et la réforme de la PAC.

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Circonstance : 20ème SPACE (salon internationla de l'élevage) à Rennes du 12 au 15 septembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Ministre de l'Agriculture,
Madame la Ministre de l'Elevage du Sénégal,
Monsieur le Ministre des Ressources animales du Burkina-Faso,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,
Mesdames et Messieurs les exposants,
Chers amis,
Nous venons d'inaugurer officiellement le SPACE 2006.
2006, une année historique pour notre Salon : c'est en effet la 20ème édition du SPACE qui s'est ouverte aujourd'hui.
20ème SPACE, déjà ! Que de chemin parcouru en 20 ans ! C'est en effet en septembre 1986 qu'a germé ce projet.
20 ans où le SPACE a connu une évolution exceptionnelle.
Quand avec quelques pionniers (Marcel DAUNAY, François GUEZOU, le docteur PORET, Georges LETELLIER, Jules ROBERT, Joseph JOUZEL,
Jean PINEL), nous avons organisé le 1er SPACE en 1987, qui aurait pu imaginer le succès sans cesse renouvelé jusqu'à aujourd'hui ?
La progression a en effet été spectaculaire. A sa mise sur orbite en 1987, la planète Elevage a accueilli 260 Exposants sur 7 500 m2 nets d'exposition et 32 000 visiteurs.
En 2006, nous accueillons près de 1 300 exposants, représentant plus de 1 800 marques, sur plus de 53 000 m2 nets d'exposition. Et nous attendons plus de 100 000 visiteurs professionnels, comme c'est le cas régulièrement depuis plusieurs années.
Cette progression est le fruit de l'action relayée des successeurs des fondateurs, Jean SALMON et Michel DAVID et du Président du Parc-Expo Jean-Pierre PIGEAULT, qui a su investir et soutenir nos investissements.
En 20 ans, le SPACE a traversé toutes les crises qu'ont subies les éleveurs et filières animales : crises liées aux marchés ou crises dues à des problèmes sanitaires.
Le SPACE les a toutes surmontées pour s'installer durablement parmi les plus grands Salons professionnels de l'élevage au niveau mondial.
Ce succès, jamais démenti depuis 20 ans, n'est pas dû tout à fait au hasard.
Organisé par des professionnels de l'élevage pour les professionnels de l'élevage, le SPACE se veut un outil au service de la promotion des productions animales et de leur développement. Et s'il a connu ce véritable boom en 20 ans, c'est que nous, les organisateurs, nous nous sommes toujours efforcés d'être à l'écoute de nos exposants et de nos visiteurs, et que nous avons fait évoluer le Salon en tenant compte de leurs avis, de leurs suggestions, de leurs attentes.
C'est ainsi que le SPACE, année après année, a grandi, s'est transformé, s'est professionnalisé, s'est internationalisé, tout en conservant la convivialité de ses débuts, convivialité que les professionnels de l'élevage savent entretenir quand ils se retrouvent ici, à Rennes, dans leur Salon.
Le SPACE répond donc aux besoins croisés des exposants et des visiteurs.
Des exposants français et étrangers motivés, parce qu'ils ont l'assurance d'y rencontrer les clients qu'ils attendent et aussi de contacter de nombreux nouveaux clients et prospects. Des exposants motivés encore, parce qu'ils trouvent au SPACE les moyens de promouvoir leurs nouveautés, fruits de leurs recherches. Vous avez pu vous en rendre compte, Monsieur le Ministre, lors de la visite, sur les stands des exposants qui présentent des INNOV'SPACE. Et vous aurez l'occasion tout à l'heure, au cours de la soirée des Exposants, de remettre les trophées INNOV'SPACE à ces dirigeants d'entreprises passionnés par leur métier, toujours à l'affût des innovations permettant aux exploitations animales de s'adapter, de progresser, d'améliorer leurs performances technico-économiques ou les conditions de travail des éleveurs.
Ces innovations suscitent l'intérêt des visiteurs, auxquels le SPACE offre une gamme très complète des produits, équipements et services nécessaires aux exploitations d'élevage, toutes espèces confondues. Tout éleveur qui réfléchit à l'avenir de son exploitation, qui a des projets, qui veut investir, peut trouver ici des réponses à tous ses besoins et un large éventail de fournisseurs potentiels. Il peut s'informer, discuter, comparer et choisir.
Les visiteurs du SPACE sont aussi attirés par les présentations animales et les concours qui constituent un plateau de qualité exceptionnelle pour la promotion de notre génétique, et par la plate-forme " Recherche et Développement ", qui propose cette année, une fois de plus, des pistes d'avenir, en valorisant les énergies positives de l'élevage.
Parmi les visiteurs du SPACE, les étrangers sont attendus par de nombreux exposants, convaincus que leur développement passe pour partie par leur présence active sur les marchés internationaux. Plus de 150 délégations étrangères sont annoncées cette année, dont les ministres africains ici présents sont les brillantes illustrations. Plusieurs délégations bénéficient du soutien d'UBI-France et de l'ADEPTA, grâce à des crédits du Ministère de l'Agriculture. Merci, Monsieur le Ministre, de votre contribution. Merci aussi au Conseil Régional de Bretagne pour son appui indéfectible, chaque année depuis 20 ans, à la promotion internationale du SPACE.
Ces visiteurs étrangers pourraient être encore plus nombreux si les capacités d'hébergement de RENNES et de ses alentours étaient plus importantes et aussi si, dans bon nombre de pays, il n'y avait pas autant de visas refusés à des professionnels qui présentent pourtant toutes les garanties de sérieux. C'est un réel problème auquel nous sommes confrontés, Monsieur le Ministre. Certains de ces interlocuteurs, privés de la visite du SPACE, n'hésitent pas à nous dire qu'ils iront finalement dans d'autres Salons européens, pour lesquels ils ne semblent pas avoir autant de difficulté à obtenir un visa, privilégiant ainsi les fournisseurs d'autres pays. Cette situation risque de pénaliser les fournisseurs français spécialisés dans l'agro-équipement des exploitations animales.
Pourtant, l'export est vital pour nos filières animales. La filière avicole, en particulier, en aura fait l'amère expérience cette année. Si la baisse de la consommation des volailles en France a été la première conséquence de la grippe aviaire, la fermeture des marchés étrangers a été tout aussi dramatique, pour les entreprises de transformation et donc pour les éleveurs et les salariés, mais aussi pour l'ensemble des fournisseurs de la filière, en particulier le secteur de l'accouvage.
La crise n'est pas finie, loin de là. On a vu des dépôts de bilan, voire des liquidations judiciaires. Pour les éleveurs, qui restent malgré eux le levier d'ajustement de l'offre à la demande, l'allongement des vides sanitaires ou le stockage des animaux sur pied entraînent des pertes de revenus importantes, jusqu'à 20 000 euros de marge brute pour un élevage classique de 3 200 m2, selon l'étude réalisée par les Chambres d'agriculture de l'Ouest sur des lots abattus entre juillet 2005 et mai 2006. Sur les 5 premiers mois de l'année, les abattages de poulets ont baissé de 14% en France et de 20 % en Bretagne.
Face à cette situation très difficile, le plan d'aide doit être mis en oeuvre intégralement et prolongé, pour tenir compte notamment des préjudices subis après le 30 avril. Pour l'heure, beaucoup d'éleveurs n'ont touché que la première avance de 1 000 euros.
Monsieur le Ministre, il faut respecter les engagements pris : l'intégralité des préjudices des éleveurs doit être indemnisée. Il avait été convenu, avant l'été, qu'un bilan précis serait fait au moment du SPACE. Eh bien, nous y sommes.
C'est le moment de faire le point. C'est le moment de nous faire part de vos intentions et de vos décisions.
Dans un tel contexte, il est évident que l'urgence n'est pas à la mise en oeuvre des nouvelles normes bien-être proposées par la Commission européenne pour les volailles de chair. Avec d'autres ministres, vous avez fait prévaloir le bon sens et la raison jusqu'à présent dans ce dossier. Cette attitude de sagesse doit être maintenue.
Au-delà de la crise, l'avenir et la pérennité de la filière avicole méritent une réflexion commune et un engagement de tous les partenaires. Je leur lance un nouvel appel pour mettre en place une véritable interprofession avicole, dont la nécessité apparaît plus criante que jamais.
L'aviculture subit aussi, comme toutes les productions, la hausse du prix de l'énergie. Sur les cinq premiers mois de 2006, les charges variables, du fait principalement de la hausse du gaz, ont bondi de 17 % en poulet export et de 41 % en dinde.
La plate-forme " Recherche et Développement " du SPACE que nous avons visitée montre qu'il y a de multiples voies d'avenir pour économiser et produire de l'énergie dans les élevages. A l'instar du plan énergie mis en place pour les investissements des serristes en économies d'énergie, des mesures analogues seraient les bienvenues pour l'élevage.
Toute l'agriculture française est frappée par la hausse du coût de l'énergie. Pour la ferme France, le surcoût en 2005 par rapport à 2002 est de 800 Millions d'Euros. Depuis le début de l'année, les choses ne se sont pas arrangées, au contraire ! Le surcoût pourrait donc bien dépasser 1 milliard d'Euros en 2006, soit une perte de près de 10 % du revenu agricole.
Ces charges supplémentaires sont insupportables. Il est urgent de procéder au remboursement des taxes sur l'énergie pour le premier semestre. Et le dispositif doit être absolument reconduit pour le 2ème semestre. Nous attendons que vous confirmiez votre engagement sur ce point, Monsieur le Ministre.
Au-delà de ce remboursement des taxes, l'ampleur de la hausse du coût de l'énergie, pas seulement du carburant, mais aussi des engrais, des produits phytosanitaires, des plastiques, des transports, justifie la mise en place d'un " chèque Energie " qui permette d'apporter les compensations nécessaires pour soutenir le revenu de l'ensemble des agriculteurs et passer ce cap difficile.
Dans ce contexte, le plan bio-carburants, auquel le Premier Ministre avait fixé ici même, il y a un an, de nouveaux objectifs, trouve toute sa justification et mérite même d'être encore accéléré.
Toujours dans le domaine des charges, certaines dispositions attendent leur application. Je pense en particulier à la publication du décret fixant la durée de la mise en oeuvre des taux réduits de cotisations sociales pour les travailleurs occasionnels, décidés par la loi d'orientation agricole.
Pour les exploitations employeuses de main-d'oeuvre, ce retard d'application est pénalisant.
Les agriculteurs de nombreuses régions sont aussi fortement inquiets des conséquences de la sécheresse de cet été, avec des baisses significatives de rendements (- 3, 6 % pour le blé, 19, 5 % pour le colza, - 17 % pour l'herbe). Les éleveurs ont entamé les stocks fourragers d'hiver. La note va être sévère.
Des missions d'enquête ont été demandées dans 54 départements, dans le cadre de la procédure des calamités agricoles. L'Etat devra prendre en compte la pleine mesure des déficits lors de la prochaine Commission nationale des calamités agricoles.
Paradoxalement, dans le Nord-Est de la France, c'est un excès de pluviosité qu'ont subi les agriculteurs. Et comme si cela ne suffisait pas, c'est cette même région qui est touchée par la fièvre catarrhale et les mesures mises en place sur le plan sanitaire, principalement les restrictions de mouvements d'animaux. La sévérité de ces mesures est sans doute justifiée pour circonscrire l'expansion de la maladie et préserver les autres régions. C'est ainsi, par exemple, que nous avons pu maintenir normalement les présentations animales du SPACE.
Mais il ne faudrait pas aller au-delà des protections indispensables, surtout quand on voit la rapidité avec laquelle le premier animal touché en France s'est rétabli. En tout état de cause, il faudra prendre en compte les pertes économiques subies par les éleveurs concernés (plus de 20 000 éleveurs de bovins dans le périmètre sanitaire) et tout faire pour ne pas entamer inutilement la confiance des consommateurs.
Toutes ces difficultés qui s'accumulent rendent encore plus nécessaires le paiement anticipé des aides PAC à la mi-octobre, pour soulager la trésorerie, mais aussi le moral des agriculteurs.
En effet, leur moral n'est pas au beau fixe. Beaucoup s'interrogent sur l'avenir.
Les producteurs de lait, par exemple, se demandent de quoi demain sera fait quand ils voient les mouvements divers qui interviennent dans cette filière. Le prix du lait reste à un niveau insuffisant pour faire face à l'augmentation des charges. Ce n'est pas seulement un problème franco-français. Il se pose partout en Europe. Patrick WALSHES, mon homologue irlandais, ne cesse de m'en parler depuis hier.
Pour mieux valoriser le lait, l'adaptation de la filière et la restructuration des entreprises doivent être poursuivies, en prenant en compte notamment les difficultés des entreprises liées à la production de beurre, de poudre et de produits industriels.
J'en appelle au sens des responsabilités et à la solidarité de tous les partenaires de la filière. Elle en a absolument besoin pour relever les défis de demain.
Les producteurs de lait en ont aussi besoin pour avoir des perspectives d'avenir, comme tous les agriculteurs ont besoin de lisibilité pour retrouver une certaine confiance et pour favoriser l'installation des jeunes.
Les agriculteurs ont besoin de savoir que l'Europe ne bradera pas leur avenir sur l'autel du libre-échange mondial. Les dernières discussions qui ont eu lieu dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, en juillet dernier, ont échoué, et heureusement, compte tenu des bases qui étaient sur la table pour un accord éventuel. Mais l'inquiétude demeure, surtout quand on voit l'acharnement de certains négociateurs, y compris le Commissaire européen Peter MANDELSON, à vouloir relancer les discussions sur les mêmes mauvaises bases pour l'agriculture.
Les filières animales présentes au SPACE, en sont particulièrement inquiètes.
Les agriculteurs ont besoin de savoir que les grandes lignes de la réforme de la PAC, décidée en 2003 et mise en oeuvre pour la première fois cette année en France, ne seront pas remises en cause avant 2013 et que toute tentative de révision anticipée sera bloquée, sur la base du mémorandum que vous avez défendu à Bruxelles, Monsieur le Ministre, conformément au mandat que le Premier Ministre vous avait confié ici il y a un an.
Les agriculteurs ont besoin de savoir s'ils seront accompagnés dans la nécessaire modernisation de leurs outils de production pour les conforter. Pour
les éleveurs, cela passe notamment par la pérennisation du plan Bâtiment, la mobilisation des crédits nécessaires, son élargissement à d'autres espèces animales. N'oubliez pas non plus le plan végétal annoncé ici même par le Premier Ministre l'an dernier.
La modernisation de notre agriculture passe aussi par l'innovation et la recherche. Maîtriser les biotechnologies, c'est créer les plantes de l'avenir, c'est répondre aux besoins des hommes en matière d'alimentation, d'énergie, de santé.
Et quand je vois que des chercheurs français sont contraints d'aller à l'étranger parce qu'ils ne peuvent pas faire leur travail en France, je me dis que c'est notre avenir qu'on menace.
Les agriculteurs ont besoin de savoir si l'agriculture demeure une priorité pour notre pays : nous voulons rester un maillon fort de l'économie française.
Monsieur le Ministre, nous attendons que votre intervention ici au SPACE apporte quelques éclaircissements aux agriculteurs, en particulier aux éleveurs et à leurs partenaires économiques des filières animales, passionnés par leur métier et fiers de leur métier.
Revenu et lisibilité de la politique agricole seront toujours les maîtres mots de la confiance du monde paysan en son avenir.Source http://www.fnsea.fr, le 3 octobre 2006