Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres
Mesdames et Messieurs les Parlementaires
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Je suis heureux de conclure cette journée de réflexion et de dialogue, consacrée à l'avenir de l'agriculture européenne. Pour la France, l'agriculture a toujours été une composante essentielle de l'ambition politique de l'Union européenne.
Au regard de nombreuses raisons que vous avez examinées, il est légitime d'affirmer sereinement, mais avec force, que l'Europe a besoin de son agriculture. Cette affirmation est l'expression d'objectifs à la fois politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Chacun de ces objectifs est essentiel à notre avenir de Français et d'Européens.
[ I. L'Europe a besoin de son agriculture forte ]
L'agriculture est une activité aux nombreuses spécificités et au croisement d'exigences diverses. Elle est certes une activité économique qui doit répondre au défi de la compétitivité et de la logique des marchés, mais aussi à un grand nombre de fonctions que la société lui assigne. A cet égard, l'agriculture européenne doit tout particulièrement contribuer à une occupation harmonieuse des territoires ruraux, au respect de l'environnement ; elle doit bien sûr assurer la qualité et la traçabilité de ses productions, ce dont l'OMC ne parle guère. Bien qu'elle souffre d'un déficit d'image, pour reprendre une expression consacrée, l'agriculture européenne a toujours su répondre aux objectifs qui lui étaient fixés et aux attentes de nos concitoyens.
J'en viens parfois à me demander si l'agriculture européenne n'a pas trop gâté les consommateurs, au point que ceux-ci considèrent l'abondance des denrées alimentaires comme allant de soi et oublient l'acte de production.
L'Europe a aujourd'hui cet atout, de disposer d'une agriculture européenne « économiquement forte et écologiquement responsable », suivant les mots du Président de la République. C'est à mes yeux une évidence : l'Europe a le devoir stratégique de continuer à assurer et à préserver son indépendance alimentaire, ce devoir pouvant se comprendre à la fois en termes de quantité et de qualité.
Je veux rappeler que l'Europe s'est en grande partie bâtie, depuis cinquante ans, sur une politique agricole commune aux Etats membres de l'Union. Ainsi, je vous le dit sans ambiguïté, la Politique Agricole Comme est toujours une « impérieuse obligation », suivant la formule du Général De Gaulle, car elle s'inscrit au coeur du projet politique européen, sur la base de ses trois principes fondateurs : l'unicité du marché, la préférence communautaire et la solidarité financière. Ce modèle communautaire doit non seulement être préservé, mais renforcé : les pays de l'Est qui nous ont rejoint en Europe sont venus pour relever le défi agricole. Si nous voulons que l'Europe économique et sociale soit toujours une réalité pour nos concitoyens, ce modèle doit être étendu à d'autres secteurs, dont les performances peuvent s'accompagner de fragilités structurelles ou passagères.
[II. L'Europe a besoin d'une agriculture européenne réactive et moderne. ]
J'ai pleinement confiance dans la capacité de l'agriculture et de la Politique Agricole Commune à faire face aux échéances et à en tirer profit. Mon optimisme repose sur deux grandes raisons.
La première relève d'un simple constat. Depuis 50 ans, l'agriculture européenne a su répondre à tous les défis qu'elle a rencontrés : le défi de la modernisation et de l'autosuffisance alimentaire, le défi de la maîtrise des productions et de la contrainte budgétaire, le défi de la compétitivité et des contraintes internationales qui se sont exacerbées. Plus récemment, nous avons répondu au défi posé par les nouvelles attentes de la société, avec la réforme de la PAC de 2003. Sa mise en oeuvre effective commence tout juste cette année, et ce n'est pas simple pour les agriculteurs.
La deuxième raison de cet optimisme que j'aimerais vous faire partager, c'est ma conviction que l'agriculture européenne sera capable d'apporter des réponses concrètes aux défis majeurs auxquels notre planète va être confrontée.
Le premier défi concerne la croissance démographique mondiale : c'est l'un des enjeux principaux des prochaines décennies, sinon des prochaines années, et je sais, Monsieur le Président (Pascal BONIFACE) que l'IRIS conduit un important travail de prospective sur ce thème. L'Inde, la Chine risque d'être profondément affectées par une déstabilisation de leur monde agricole et rural. L'Union européenne doit être présente sur ces marchés de demain, dans le Maghreb aussi, afin de pouvoir subvenir aux besoins des populations. Au regard des besoins alimentaires dans le monde, nous devons garder une capacité de production suffisante.
La question de l'énergie est le second défi. L'irruption de nouvelles puissances va peser de plus en plus sur les ressources naturelles mondiales. Nous devrons affronter des tensions sur les marchés agricoles. Vos travaux confirment l'hypothèse selon laquelle nous vivrons demain dans un monde où l'alimentation pourrait devenir plus rare et plus chère. Dans le secteur de l'énergie, l'agriculture peut contribuer à l'indépendance énergétique de l'Union européenne, grâce au développement des biocarburants. Le Gouvernement français conduit une politique volontariste en la matière : nous visons un taux de 3% d'incorporation l'année prochaine, de 7% en 2010. C'est un nouveau défi pour notre agriculture, c'est aussi une chance à saisir.
La question environnementale est un troisième défi. L'épuisement des ressources naturelles, le changement climatique, la question de l'eau, sont de grandes menaces à l'échelle de la planète. Une politique agricole adaptée et volontariste permettra de se doter d'outils pour y répondre. Ainsi, l'agriculture a toute sa place dans notre stratégie européenne de développement durable.
En matière agricole, les attentes de nos concitoyens s'articulent pour l'essentiel autour d'une demande de protection de l'environnement et d'une priorité accordée à la qualité. La demande de qualité est d'abord sanitaire, mais elle porte aussi sur l'alimentation, comme l'illustre le débat actuel sur l'obésité. Satisfaire ces attentes, c'est légitimer les soutiens à l'agriculture.
La PAC doit être légitime pour les agriculteurs eux mêmes. La PAC du futur devra revaloriser l'image du métier, ouvrir davantage le monde agricole à la société en fondant un contrat durable entre les agriculteurs et leurs concitoyens. En outre, il faudra continuer d'encourager l'esprit d'entreprise, que l'on bride actuellement avec des règles instables et complexes, ou que l'on berce avec la promesse d'une assistance généralisée et miraculeuse. Afin de rendre au travail agricole toute sa valeur, il faudra que les mesures de simplification soient poursuivies.
[III. L'agriculture européenne doit rester fondée sur des valeurs et des principes.]
Nous voulons que notre agriculture réponde aux défis que je viens de citer, mais sans renoncer aux valeurs qui fondent notre modèle agricole, et que la PAC du futur devra continuer d'incarner. Le modèle européen repose sur deux grandes valeurs : l'équité et la diversité.
A l'inverse de ce qui se passe dans d'autres régions du monde, nous considérons que les agriculteurs sont des citoyens et des actifs comme les autres. A qualification égale, à travail égal, à prise de risque égale voire supérieure, on doit avoir des conditions de vie et une rémunération comparables à celles des autres concitoyens. C'est l'objectif d'équité, inscrit dans les textes fondateurs, et sur lequel repose la PAC. En mettant cet objectif en avant, les fondateurs du Traité ont ainsi affirmé que l'agriculteur fait partie intégrante de la société européenne, et qu'elle ne doit pas être écartée de l'effort de croissance.
Nous sommes aussi attachés au respect de la diversité. Il n'existe pas un seul type d'exploitation en Europe, ni une seule stratégie gagnante. Notre modèle ne doit pas être un boulet pour ceux qui veulent la croissance de la taille des exploitations, ni, à l'inverse, un danger de mort pour ceux qui recherchent plutôt une spécialisation par la qualité. Je tiens à le souligner, l'objectif légitime de compétitivité ne doit pas se payer par le risque d'uniformité ou par une déprise territoriale. L'agriculture a un rôle structurant pour la gestion de l'espace. Notre capacité de gérer la diversité devient encore plus nécessaire dans une Europe élargie.
Un tel projet commun n'a de sens que s'il s'appuie sur une solidarité financière, pierre angulaire du développement d'une véritable politique commune à l'échelle du territoire de l'Union. La solidarité traduit le fait que la PAC est plus qu'une coordination des politiques agricoles nationales. La question est d'abord communautaire : nous voulons que l'on respecte strictement le cadre financier de la PAC jusqu'en 2013, tel qu'il a été arrêté en décembre 2005. Un « bilan de santé » n'est pas une opération lourde.
Que l'on ne nous dise pas que la PAC serait trop coûteuse : cette affirmation est fausse, à la fois du point de vue du consommateur et de celui du contribuable. Pour le consommateur, la PAC ne conduit pas à des prix élevés. La part de l'alimentation dans son budget ne cesse de diminuer : elle ne représente plus que 14% aujourd'hui pour les Français. En outre, la part des produits agricoles proprement dits dans le coût de cette alimentation n'est plus que de 16% environ.
C'est faux aussi du point de vue du contribuable. L'impôt communautaire compte parmi les plus faibles de ceux que nous payons au total. Dans le paquet financier 2007-2013, les dépenses du premier pilier de la PAC représenteront 32% du budget européen en 2013 contre 71% en 1984. En réalité, si l'on fait le bilan de toutes les politiques publiques, le poids des dépenses agricoles est inférieur à 0,5% du PIB européen, c'est-à-dire le quart de ce que pèsent aujourd'hui les budgets de la recherche au niveau européen (2% actuellement, avec un objectif affiché à 3%).
Consacrer 0,5% du PIB européen pour assurer notre sécurité alimentaire, en quantité et en qualité, ce n'est pas cher payé. En tout cas, la France est prête à continuer à payer ce prix, y compris après 2013.
[ IV. L'agriculture européenne ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de la mondialisation ]
Aujourd'hui, la politique agricole européenne est confrontée à des défis majeurs, posés dans le cadre des négociations engagées au sein de l'Organisation mondiale du commerce. Une libéralisation incontrôlée de nos marchés menacerait l'équilibre même de la PAC et sa capacité à répondre aux demandes que la société adresse à notre agriculture.
Les coûts de production qu'impose le modèle social européen, qui sont nécessaires si nous voulons maintenir un haut niveau d'exigence sanitaire, une attention soutenue à l'environnement et un niveau de vie acceptable pour nos agriculteurs, ne sont pas comparables avec les coûts de nos principaux concurrents d'Amérique latine ou d'Asie.
L'OMC montre dans l'affaire une fausse naïveté, en refusant de s'intéresser à tout ce qui fausse le jeu de la concurrence loyale : le non-respect de normes sociales honnêtes, les règles environnementales ou sanitaires, ou encore la manipulation des taux de change. L'agenda de la négociation, si elle devait reprendre, ne doit pas être guidé par la pression de certains pays exportateurs, qui contestent à l'Europe le droit d'avoir une politique agricole indépendante. L'opinion publique se laisse confondre parfois, se laisse convaincre par l'OMC ou par des associations subventionnées que les subventions sont un mal absolu. Cependant, l'agriculture latifundiaire des grands pays émergents est-elle le modèle que l'on veut promouvoir ? Depuis longtemps ce système agricole aurait pu être réformées et ce n'est pas à l'Union européenne de sacrifier le sien.
La France ne peut accepter des concessions qui remettraient en cause les équilibres socio-économiques communautaires et nous obligeraient à faire des sacrifices exorbitants. Le principe de la préférence communautaire est un élément fondateur de la construction européenne et le ciment du pacte que 27 Etats européens ont signé. Aucun Etat européen ne le regrette. Dans cette négociation, nous sommes tout à la fois sereins, vigilants et déterminés.
Nous sommes sereins. Si nos partenaires souhaitent que les négociations futures aboutissent, ils doivent se montrer réalistes dans leurs exigences. La suspension actuelle des négociations montre bien qu'à force de trop vouloir obtenir, on finit par tout perdre.
Nous sommes également vigilants. En effet, l'offre communautaire qui est sur la table, celle d'octobre 2005, reste conditionnelle. En matière de parallélisme, par exemple sur le volet concurrence à l'exportation, nous attendons des engagements réels de la part de pays qui se présentent comme des modèles de libéralisme. Nous demandons que nos indications géographiques soient reconnues et protégées, dans le cadre du futur accord global : les produits d'origine agricole, qui incluent un savoir-faire, un lien au terroir, des paysages, des hommes, doivent bénéficier du droit de la propriété intellectuelle. Notre offre est conditionnelle enfin dans le domaine des biens industriels. Il ne serait pas concevable que nos concessions en matière agricole ne reçoivent aucune contrepartie, de la part des grands pays émergents, et ne nous permette pas d'espérer de notre côté aussi des gains en termes d'emplois et de croissance.
Nos lignes rouges sont connues de tous. Elles ont été clairement exposées dans un mémorandum signé par 14 Etats membres en octobre 2005. Comme je l'ai déjà dit, nous préférons une absence d'accord plutôt qu'un mauvais accord qui conduirait à la fin de la PAC. Cette détermination à préserver les intérêts de l'Europe est d'ailleurs parfaitement égale à la détermination d'autres pays développés, comme les Etats-Unis, à préserver leurs intérêts agricoles.
Il est essentiel que les pays les moins avancés bénéficient davantage du commerce mondial, à l'inverse de ce qui s'est passé depuis l'Uruguay round, où les concessions européennes ont été détournées à leur profit par les grands exportateurs agricoles mondiaux. A contrario, le cycle de Doha doit permettre d'aider les pays les plus vulnérables à s'insérer dans le commerce mondial. L'Europe a mis en place des systèmes préférentiels très avantageux au profit des pays les plus pauvres, comme le système de préférences généralisées et l'initiative « Tout sauf les Armes ». Oui, nous devons aider le paysan de l'Afrique sub-saharienne.
Si les Membres de l'OMC sont réellement attachés à l'objectif de développement du cycle de Doha, il me semble que la meilleure façon de le démontrer serait qu'ils mettent en oeuvre l'engagement pris à Hong Kong, en reprenant à leur compte l'initiative « Tout sauf les Armes ». Avant de critiquer l'Union européenne, les autres pays de l'OCDE seraient bien inspirés de faire la même chose.
Conclusion
Les débats que nous aurons sur l'avenir de la PAC vont probablement se dérouler en grande partie sous la prochaine présidence française, au second semestre 2008. Nous aurons certainement à redéfinir notre projet agricole européen. Il faut anticiper, je me réjouis que cette journée ait apporté une importante contribution à l'édifice à venir.
L'agriculture est au coeur du projet politique de l'Europe. Faisons en sorte qu'elle soit l'affaire de tous les Européens. Nous accompagnerons les agriculteurs européennes, afin de relever ensemble les défis de demain en Europe et dans le monde. Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 15 décembre 2006