Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à France 5 le 10 décembre 2006, sur sa personnalité, ses propositions de candidat à l'élection présidentielle de 2007, le pouvoir d'achat et la précarité, et le projet de loi sur la prévention de la délinquance, les magistrats et l'application des peines.

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Circonstance : Emission "Ripostes", France 5 le 10 décembre 2006

Média : France 5

Texte intégral

Serge MOATI - Bonsoir, vous êtes bien, vous êtes vraiment bien sur
FRANCE 5, et c'est " Ripostes " numéro 277 - déjà, eh oui ! Donc,
Monsieur le ministre de l'Intérieur, Monsieur le président de l'UMP,
Monsieur le candidat à la présidentielle - tout cela, et bien plus
encore -, ravi de vous accueillir sur le plateau de " Ripostes ". Merci
beaucoup d'être venu.
Nicolas SARKOZY - Merci de m'avoir invité.
Serge MOATI - Ah, mais ça me fait très plaisir. Vous dites...
Nicolas SARKOZY - Mais moi aussi ! Je regarde votre émission.
Serge MOATI - C'est gentil ! Vous dites : ce qui fait perdre la droite
depuis des années, c'est qu'elle ne cesse de regretter de ne pas être
la gauche. Allons bon ! Alors d'abord, c'est gentil pour vos aînés, y
compris Jacques CHIRAC, hein ! Y aurait-il un complexe de droite ? Et
si oui - à développer un peu -, qui est-ce qui l'incarnerait
aujourd'hui, ce complexe, selon vous : ceux qui, dans votre famille,
n'aiment pas trop l'idée de rupture - " rupture ", entre guillemets,
votre mot : " rupture tranquille ", " rupture " -, comme Dominique de
VILLEPIN, il n'aime pas trop le mot " rupture ", ou le même Jacques
CHIRAC, qui s'est, le 14 juillet dernier, posé en défenseur du modèle
social - ni efficace, ni périmé, selon lui ? Monsieur SARKOZY, je vous
écoute.
Nicolas SARKOZY - C'est difficile, parce que vous m'avez posé au moins
12 questions...
Serge MOATI - Non, non, non...
Nicolas SARKOZY - Alors si vous remettez un tout petit peu d'ordre là-
dedans, et me demandez de répondre à une question, je le ferai avec le
plus grand plaisir.
Serge MOATI - La droite regrette de ne pas être la gauche ?
Serge MOATI - Oui. Elle a regretté... plus exactement, la droite s'est
longtemps excusée d'être ce qu'elle était. Et ce faisant, elle s'est
inclinée devant une pensée unique, plutôt à gauche, qui l'a empêchée de
parler des problèmes qui préoccupaient les Français. Beau résultat !...
Serge MOATI - C'est quoi, la pensée unique de gauche ?
Nicolas SARKOZY - Non, mais...
Serge MOATI - Voilà, c'est quoi ? Allez-y.
Nicolas SARKOZY - Par exemple, pendant 25 ans, on n'a pas pu prononcer
le mot " immigration ". Celui, Monsieur MOATI, qui prononçait le mot "
immigration ", était immédiatement catalogué...
Serge MOATI - Front national...
Nicolas SARKOZY - ...Front national, raciste, ami de LE PEN, piétinant...
Serge MOATI - Ça a beaucoup changé, avouez ?
Nicolas SARKOZY - Oui, mais qu'est-ce qui s'est passé avec ça ? La
France, patrie des droits de l'Homme, la France qui a des valeurs
universelles, s'est trouvée depuis 1983 - ce n'est pas rien, quand même
- comme le pays d'Europe qui a l'extrême droite la plus puissante, avec
un ou deux. Beau résultat ! Pourquoi ? Parce que des millions de
Français, qui se reconnaissaient dans les valeurs de la droite
républicaine et du centre, désespérés de voir ceux pour qui ils avaient
voté ne pas mettre en oeuvre la politique qu'ils avaient indiquée avant
l'élection qu'ils mettraient en oeuvre, se sont, par désespoir, réfugiés
dans l'impasse du Front national, comme un cri de désespoir. Voilà le
résultat. Mais il y a d'autres...
Serge MOATI - Mais vous êtes là, c'est ça ?
Nicolas SARKOZY - Non...
Serge MOATI - Non, non, non, mais attendez... non, ça m'intéresse, parce
que l'histoire du complexe de droite - c'est la deuxième partie de ma
question, qui vous paraissait si étrange et si longue -, le complexe de
droite...
Nicolas SARKOZY - Non, non, mais je voudrais terminer, si vous
permettez, juste terminer. Donc, nous n'avons pas défendu nos valeurs
avec assez de force. On s'est excusé de croire en la nation, on s'est
trop excusé de croire dans le travail, dans le mérite, dans l'effort,
dans la promotion sociale. Moi, mes valeurs ne sont pas l'égalitarisme,
le nivellement...
Serge MOATI - Jamais ? Depuis que vous êtes petit, depuis que vous
êtes...
Nicolas SARKOZY - Non mais, ce n'est pas... chacun a son panthéon de
valeurs...
Serge MOATI - ...vous n'avez jamais été tenté par quelque chose qui
ressemblait à...
Nicolas SARKOZY - Non, franchement, par le nivellement et l'assistanat...
Serge MOATI - Non, non, non, mais je n'ai pas compris le nivellement,
mais une idée de gauche ?
Nicolas SARKOZY - Attendez, justement...
Serge MOATI - Alors justement ?
Nicolas SARKOZY - Comme la droite républicaine n'était pas assez, me
semble-t-il, ferme dans la défense de ses valeurs, elle était en même
temps - et c'est un paradoxe - trop rigide pour appréhender de
nouvelles valeurs et de nouvelles idées. Et j'en prends un exemple :
99, le Pacs, la réaction de la droite est trop rigide, pas assez
ouverte, pas assez humaine. Ce qui fait que nous avons perdu des deux
côtés : d'un côté nous n'étions pas assez - comment dit-on ? -
identitaires, de l'autre, trop rigides pour être assez modernes ; parce
que seuls ceux qui sont confiants dans leurs valeurs peuvent accepter
les idées nouvelles. Et j'ai voulu décomplexer la droite républicaine...
Serge MOATI - La repeindre.
Nicolas SARKOZY - ...et en même temps, je lui ai dit, à cette droite
républicaine : nous n'avons pas le droit de nous caricaturer. C'est
tout le combat que je mène, sur la justice, sur le mouvement, sur la
nécessité de remettre la France en marche.
Serge MOATI - Mais en même temps, en même temps, vous faites peur avec
votre rupture, vous le savez bien, ça fait peur. Il y en a qui disent :
ben non, on n'aime pas le mot " rupture " - je citais Dominique de
VILLEPIN, Jacques CHIRAC, qui défend le modèle social le 14 juillet.
Alors, vous faites peur, et pourquoi vous faites peur ? C'est quoi,
cette rupture ?
Nicolas SARKOZY - Enfin...
Serge MOATI - " Rupture tranquille ", vous avez dit - c'est un oxymore,
comme dirait Dominique de VILLEPIN...
Nicolas SARKOZY - Oui !...
Serge MOATI - ...c'est-à-dire, c'est " l'obscure clarté ", c'est des
mots...
Nicolas SARKOZY - Quelle référence !
Serge MOATI - L'oxymore, c'est formidable, c'est un mot très populaire,
très facile. Alors ?
Nicolas SARKOZY - Oui, on voit que vous êtes en confiance, en tout cas
en citant l'auteur que vous citez. Mais là-dessus, c'est intéressant,
allons un peu plus loin. Que Jacques CHIRAC défende l'action qu'il a
conduite, mais c'est tout à fait normal ! Qui peut lui en faire le
reproche ? Mais nous ne sommes pas les mêmes. On peut dire ça sans être
agressif à l'endroit de qui que ce soit. Quelle est l'analyse que je
fais de tout ça ? Parce qu'il y a une explication. Les querelles d'ego
n'ont aucun sens. L'analyse que je fais est la suivante : il y a un
Français sur deux qui ne vote pas, et il y a un quart de ceux qui
votent qui votent pour les extrêmes.
Serge MOATI - Oui.
Nicolas SARKOZY - Bon. Est-ce qu'on peut se satisfaire de cette
situation ? Est-ce que je dois dire, moi responsable politique : allez,
on ne change rien, on ne bouge rien, on ne croit en rien, et on
continue comme ça ? Mieux que ça, Monsieur MOATI : la France, pays
fondatrice, pays fondateur de l'Union européenne, vote non à 55 % à la
pourtant remarquable constitution de Valéry GISCARD d'ESTAING...
Serge MOATI - Donc il faut rompre ?
Nicolas SARKOZY - Non, non, non, n'allez pas si vite...
Serge MOATI - Mais si, alors quoi ?
Nicolas SARKOZY - ...donc il faut changer. Donc il faut changer. Parce
que si...
Serge MOATI - Mais pas changer...
Nicolas SARKOZY - Mais, qu'est-ce qu'il faut changer ? Cela fait trop
longtemps, me semble-t-il, que, du fait de la mondialisation, tant de
Français se disent : à quoi bon voter, puisque de toute façon les
responsables politiques n'y peuvent rien ? La fatalité s'est abattue
sur le débat des idées. Et j'ai voulu...
Serge MOATI - Une sorte de malédiction ?
Nicolas SARKOZY - ...que la fatalité, ça n'existe que pour ceux qui ont
décidé de ne pas lutter, de ne pas combattre, de ne pas porter une
alternative. Et qu'est-ce qu'on peut me reprocher ? Je veux tirer les
conséquences d'un échec - un Français sur deux qui ne vote pas -, pour
faire et pour porter les conditions d'un nouveau débat démocratique. Je
crois aux idées.
Serge MOATI - D'accord. Vous exprimez cette droite républicaine,
relookée à vos couleurs, et pas...
Nicolas SARKOZY - Non mais, je parle aussi à des gens qui sont à
gauche...
Serge MOATI - Oui !
Nicolas SARKOZY - ...parce qu'il y a des gens qui sont à gauche...
Serge MOATI - Mais vous y allez sec, d'aller recherche du côté de la
gauche, là, en ce moment !...
Nicolas SARKOZY - Moi je ne vais rien chercher...
Serge MOATI - Mais si, mais si, mais si ! Vous savez bien que vous êtes
trop marqué du côté du Front national à un moment...
Nicolas SARKOZY - Non, c'est une conviction...
Serge MOATI - ...mais si. On sait très bien que, à un moment, vous vous
êtes dit : il faut que j'ouvre plus large - que j'ouvre plus large.
Comme dirait BAYROU, hémisphère gauche, hémisphère droit, vous savez,
on peut être les deux à la fois, comme si on pouvait être les deux à la
fois...
Nicolas SARKOZY - Alors après de VILLEPIN, BAYROU !
Serge MOATI - Mais oui ! Mais je cite les gens que j'ai reçus et qui
m'ont fait l'honneur de venir sur ce plateau. Comme vous, après, je
vous citerai vous, lorsque Ségolène ROYAL viendra.
Nicolas SARKOZY - Ah ça, je ne peux pas l'imaginer !
Serge MOATI - Si, si, je le ferai, je vous le promets !
Nicolas SARKOZY - Franchement... bon, très bien !
Serge MOATI - Dites-moi, alors on peut être les deux à fois ? Donc,
alors...
Nicolas SARKOZY - Non, je veux dire une chose, c'est qu'il y a des gens
qui sont à gauche, parce qu'ils croient à l'ordre, parce qu'il n'y a
pas de société démocratique sans ordre, mais ils pensent que l'ordre ne
peut exister qu'avec le mouvement...
Serge MOATI - Oui... l'ordre ce n'est pas un privilège de la droite... mais
ce n'est pas le privilège de la droite ?
Nicolas SARKOZY - Mais bien sûr...
Serge MOATI - D'accord.
Nicolas SARKOZY - ...mais que l'ordre ne peut exister qu'avec le
mouvement. Or, force est de constater que le Parti socialiste est
devenu le nouveau parti conservateur de France...
Serge MOATI - Et la droite, le mouvement, c'est ça que vous dites ?
Nicolas SARKOZY - Moi je veux que la droite...
Serge MOATI - Alors ça, ça fait frémir, ça fait s'évanouir les gens de
gauche qui nous regardent !
Nicolas SARKOZY - Eh bien, il faut les réanimer tout de suite, parce
que je pense que...
Serge MOATI - Mais ils vont être réanimés !
Nicolas SARKOZY - ...je pense que sur un certain nombre de sujets, par
exemple : comment fait-on reculer les injustices en France ? Jamais on
n'a donné tant d'argent, et pourtant il y a toujours des injustices. Ce
n'est pas une petite question. Comment démocratise-t-on l'école
républicaine française ? Ce n'est pas une petite question...
Serge MOATI - Mais il y a beaucoup de réponses. Il y a beaucoup de
réponses.
Nicolas SARKOZY - ...comment réussit-on l'intégration...
Serge MOATI - Il y a beaucoup de réponses, et de gauche !
Nicolas SARKOZY - Bon, mais, eh bien je souhaite que la campagne
présidentielle...
Serge MOATI - Soit l'objet d'un débat ?
Nicolas SARKOZY - ...permette à la France de choisir, projet côte à côte
avec d'autres projets, alternative contre alternative, pour que les
Français puissent enfin se dire...
Serge MOATI - Vous irez jusqu'à dire : société contre société ?
Nicolas SARKOZY - Non, société, il ne faut pas être grandiloquent non
plus. Mais il faut simplement que les Français se disent, au moment de
voter : je sais pour qui je vote, et je sais ce qu'il fera. Et moi je
vais vous dire une chose : je dirai tout avant l'élection...
Serge MOATI - Et vous ferez tout ce que vous... ?
Nicolas SARKOZY - ...parce que si les Français m'élisent président de la
République, je ferai tout ce que j'ai dit avant.
Serge MOATI - Y compris... tout, tout, tout ? Y compris le choix de votre
gouvernement, tout ça, etc. ? Vous direz avant ?
Nicolas SARKOZY - Oh, il ne s'agit pas de se partager les postes avant
que les Français vous aient fait confiance...
Serge MOATI - Non, mais enfin...
Nicolas SARKOZY - ...mais incontestablement, je pense qu'il faut
présenter les grandes lignes d'une équipe.
Serge MOATI - Alors Michèle ALLIOT-MARIE, elle ne pense pas du tout
qu'il y a un vrai débat. On a reçu une dépêche cet après-midi - hier
vous avez débattu avec elle au sein de l'UMP -, elle dit : ça ne
faisait pas tellement débat, elle dit. " Les règles du jeu ont été
changées au dernier moment, j'ai respecté les règles, d'autres ne l'ont
pas fait - d'autres, je ne sais pas qui c'est, peut-être vous, je ne
sais pas -, d'autres ne l'ont pas fait, et si les débats ne devaient
pas apporter quelque chose, je ne vois pas pourquoi j'y participerai ",
dit Michèle ALLIOT-MARIE après avoir passé deux, trois heures avec vous
hier.
Nicolas SARKOZY - Moi j'ai trouvé que c'était un débat de très bonne
qualité...
Serge MOATI - Elle, pas.
Nicolas SARKOZY - Le problème, Monsieur MOATI, c'est que, quand la
droite s'affronte, l'ensemble de la classe politico-médiatique dit : la
droite explose. Hier nous avons donné le sentiment d'une famille
politique unie, dont les différences sont minces, où chacun a pu s'
exprimer dans de très bonnes conditions. On dit : ah, le débat, dans ce
cas-là, c'était un peu triste. Eh bien, il faut s'y habituer. Moi, pour
moi, Michèle ALLIOT-MARIE c'est une femme de grande qualité, que j'ai
vue d'ailleurs longuement avant le débat, que je reverrai également,
qui a toute sa place dans la famille politique qui est la nôtre, et
donc j'ai besoin. Parce qu'elle représente une sensibilité, et il n'y a
aucun problème d'aucune nature qui soit. Et on débattra à Lyon, on
débattra également à Bordeaux...
Serge MOATI - Ça se passera mieux ?
Nicolas SARKOZY - Mais ça s'est très bien passé...
Serge MOATI - Mais elle n'a pas l'air de le dire : " Les règles du jeu
n'ont pas été respectées, je ne vois pas pourquoi je continuerais à
participer... "
Nicolas SARKOZY - Mais si, mais si. Invitez-la, et vous verrez qu'elle
pense que ça s'est bien passé. D'ailleurs ce n'est pas la seule.
Serge MOATI - En tout cas elle le dit, et elle le dit publiquement.
Voilà.
Nicolas SARKOZY - Mais qu'est-ce que vous voulez que je dise à ça ? Je
ne vais pas faire le commentaire de tout ce que peuvent dire les uns ou
les autres. Michèle a voulu parler, elle a parlé, a voulu débattre,
elle a débattu, elle l'a fait d'ailleurs dans des conditions
extrêmement respectables, elle a dit des choses qui sont importantes -
et donc par ailleurs je tiendrai compte.
Serge MOATI - Tout le monde se souvient de vos petites phrases, là,
vous savez, évidemment sous forme de confession, c'était une forme de
confession, dans " 100 minutes pour convaincre ", il y a quelque temps
: " oui, je n'y pense pas qu'en me rasant ", auriez-vous dit au sujet
de l'élection présidentielle - avez-vous dit. En allant plus loin dans
la révélation de votre intimité matinale, enfin, en vous rasant
toujours, pensez-vous de temps en temps à Ségol??ne ROYAL ?
Nicolas SARKOZY - Bien sûr.
Serge MOATI - Qu'est-ce que vous vous dites, comme ça, en vous rasant,
comme ça ?
Nicolas SARKOZY - Je dis qu'il n'y a pas de secret : quelqu'un qui a
réussi à franchir toutes ces embûches que lui ont mises ses propres
amis, c'est certainement quelqu'un qui a des qualités.
Serge MOATI - D'accord. Et vous, vous avez plutôt plaisir à la
rencontrer bientôt - si les choses se passent normalement ?
Nicolas SARKOZY - Oh, ce n'est pas une question de plaisir...
Serge MOATI - D'intérêt ?
Nicolas SARKOZY - De toute façon, quand on est candidat, et je suis le
président d'une grande famille politique, je suis le candidat de grands
courants de pensée, si les Français devaient me désigner pour être
présent au deuxième tour, eh bien on se rencontrerait à ce moment-là.
Ce n'est pas une question de plaisir. C'est une question... on doit
débattre, on doit éclairer les Français. C'est quelqu'un qui...
Serge MOATI - Elle vous intéresse ?
Nicolas SARKOZY - Bien sûr. Bien sûr.
Serge MOATI - Sa façon d'exprimer les choses, sa façon de faire de la
politique ?
Nicolas SARKOZY - Mais bien sûr. Mais d'une certaine façon, elle
représente à gauche, comme j'ai essayé de le représenter à droite, une
nouvelle façon de faire de la politique. Et ce n'est pas la guerre, la
politique. On peut se lancer dans un débat démocratique, on peut
espérer porter les aspirations d'un pays, et ne pas considérer que l'
autre, forcément, a tort sur tout, a moins de talent que vous,
travaille moins que vous. C'est quelqu'un que je respecte. D'ailleurs,
j'avais dit, bien avant qu'elle ne soit désignée, que c'était quelqu'un
de qualité. Et d'ailleurs, vous savez, le débat qui a eu lieu au Parti
socialiste, monsieur STRAUSS-KAHN et monsieur FABIUS, c'est également
des gens de qualité...
Serge MOATI - Un bon débat ?
Nicolas SARKOZY - Mais forcément, mais pour qu'il y ait un débat, il
faut qu'il y ait des candidats...
Serge MOATI - Et les règles ont été respectées ?
Nicolas SARKOZY - Très bien, et puis... dans la douleur.
Serge MOATI - Elles ont été respectées.
Nicolas SARKOZY - Dans la douleur. Mais chez nous aussi.
Serge MOATI - C'est un grand débat qui fait rêver. On se dit : ah, il
faudrait faire la même chose, peut-être. Non ?
Nicolas SARKOZY - Non, je ne rêve pas de ça. Mais écoutez, je ne vais
quand même pas m'excuser de faire en sorte que, dans les sondages,
depuis cinq ans, ou dans l'appréciation des adhérents d'une famille, il
semble - il semble - que j'aie une majorité ! Ecoutez, franchement, ce
n'est pas à moi... si d'autres veulent porter les couleurs de notre
famille, eh bien, qu'ils en tirent les conséquences.
Serge MOATI - D'accord.
Nicolas SARKOZY - Je ne peux pas être à la fois celui qui est candidat
pour lui-même et candidat pour les autres ! Ça me paraît assez
difficile. S'il y en a qui veulent être candidats, qu'ils le soient, ça
ne pose aucun problème. Moi je considère... j'ai toujours vécu avec la
concurrence, et je considère que les ambitions des autres sont
légitimes.
Serge MOATI - Alors quand on écoute justement Ségolène ROYAL, et il
faut l'écouter sérieusement, lorsqu'elle déclare en Israël que l'Iran,
l'Iran du débonnaire AHMADINEJAD - je n'arrive jamais à le dire, ce nom
! - ne doit pas pouvoir posséder le nucléaire civil - voilà un homme
qui veut rayer Israël de la carte, et réunit à Téhéran un congrès
révisionniste mettant en doute la réalité de la Shoah -, elle n'a pas
tort, quand même, de dire ça ? Vous devez écouter ça avec sérieux ?
Elle n'a pas tort de dire ça ?
Nicolas SARKOZY - Mais d'abord, j'écoute avec sérieux les choses, mais...
Serge MOATI - Il faut prendre au sérieux les menaces d'AHMADINEJAD ?
Nicolas SARKOZY - Non mais, ne me montrez pas du doigt comme ça...
Serge MOATI - Mais je montre du doigt, je ne sais pas qui...
Nicolas SARKOZY - ...je ne suis pas monsieur...
Serge MOATI - ...je montre du doigt AHMADINEJAD, comme s'il était là,
tiens !
Nicolas SARKOZY - Non mais, nous avons, Madame ROYAL et moi, deux
différences en la matière, et qui peuvent aider au débat démocratique.
D'abord, je pense, Monsieur MOATI, qu'on ne discute pas avec tout le
monde sans conditions. Le fait que le Hamas ait été élu, le fait que le
Hezbollah ait des députés, le fait que le président iranien ait été
élu, ne leur donne pas pour autant un brevet de légitimité. Et je
rappelle, HITLER a été lui-même élu. La communauté internationale - ça
compte, Monsieur MOATI - a posé des conditions. Pour discuter avec le
Hezbollah, pour discuter avec le Hamas, il faut que ceux-ci
reconnaissent quelque chose qui me semble indispensable : le fait qu'on
ne peut pas rayer Israël de la carte. Ce n'est pas être rangé derrière
les Israéliens de façon inconditionnelle que de dire qu'il y a un droit
à l'existence d'Israël. Le Hezbollah comme le Hamas le contestent. On
ne discute pas avec eux tant qu'ils ne reconnaissent pas le droit d'
Israël de vivre. La Shoah, ça a compté. Alors, premier désaccord avec
madame ROYAL : elle, elle pense...
Serge MOATI - Parce que vous croyez qu'elle ne conteste pas ça ?
Nicolas SARKOZY - Non mais...
Serge MOATI - Enfin, c'est lui faire injure que de croire qu'elle
discute en étant d'accord avec quoi que ce soit...
Nicolas SARKOZY - Non, Monsieur MOATI, je ne fais injure à...
Serge MOATI - Non mais, vous êtes d'accord, c'est grave ?
Nicolas SARKOZY - Non, non, Monsieur MOATI, non, non, je ne fais injure
à personne, d'abord. Elle a dit...
Serge MOATI - Parce que les Français ont tellement discuté avec le
Hezbollah, les représentants du Hezbollah, vous le savez très bien.
Nicolas SARKOZY - Si je peux juste développer cette idée...
Serge MOATI - Vous pouvez, seulement... j'ai grand plaisir de vous
entendre.
Nicolas SARKOZY - ...elle a dit qu'elle avait la volonté de discuter avec
tout le monde. La communauté internationale a posé des conditions ; si
j'étais élu président de la République, je respecterais ces conditions.
Deuxième problème sérieux, c'est l'affaire du nucléaire civil. C'est un
traité de 1968...
Serge MOATI - Le monde n'était pas le même.
Nicolas SARKOZY - ...c'est un traité signé depuis 1968, que la communauté
internationale, dans le monde entier, essaie de respecter. Il n'y a pas
une personne dans le monde qui conteste cette idée que le droit à l'
énergie du futur qu'est le nucléaire civil, c'est un droit pour tous
les peuples...
Serge MOATI - Tous pareil ? Y compris quelqu'un comme cet Iranien, qui
dit des choses hallucinantes ?
Nicolas SARKOZY - Mais bien sûr, c'est justement cela... mais bien sûr,
c'est justement pour cela, Monsieur MOATI, c'est justement pour ça.
Parce que c'est la différence que nous faisons entre le nucléaire civil
et le nucléaire militaire. Si vous interdisez à l'Iran d'avoir le
nucléaire civil, vous allez ranger 70 millions d'Iraniens derrière ce
monsieur, qui n'est rien d'autre qu'un dictateur. Et bien plus grave :
derrière, il y a un milliard de musulmans dans le monde, à qui vous
donnerez le sentiment que, pour eux, à la différence de l'Occident, il
n'y a pas d'accès à l'énergie du futur. La communauté internationale,
encore elle, cet article 4 du traité de non-prolifération... mais dans le
monde entier les gens réfléchissent : si l'unanimité de la communauté
internationale s'est fait sur la différence entre le nucléaire
militaire et le nucléaire civil, c'est qu'il y a bien une raison,
Monsieur MOATI...
Serge MOATI - Oui, mais...
Nicolas SARKOZY - ...on n'a pas attendu madame ROYAL. La communauté
internationale a posé cette règle de base ; eh bien, je souhaite qu'
elle soit respectée.
Serge MOATI - Bon, on revient à la France...
Nicolas SARKOZY - Mais vous savez, ce sont des vrais débats. Ce n'est
pas des petits débats.
Serge MOATI - Mais je sais que ce sont des vrais... mais non, mais c'est
un débat capital.
Nicolas SARKOZY - J'ajoute une troisième chose, si vous me permettez :
je crois à l'indépendance du Liban. Le Liban, c'est un miracle, dans
cette région...
Serge MOATI - Bien sûr, c'est un exemple... un exemple, bien sûr.
Nicolas SARKOZY - ...bon, qu'est-ce qui s'est passé, dans le dernier
affrontement ? C'est le Hezbollah, qui a pris une responsabilité très
grave...
Serge MOATI - Et qui peut-être la prend en ce moment, aujourd'hui même,
au moment où on parle.
Nicolas SARKOZY - ...qui cause bien des ennuis au gouvernement de
monsieur SINIORA...
Serge MOATI - Bien sûr.
Nicolas SARKOZY - ...que nous soutenons, et qui doit être soutenu par
ailleurs. Voilà. Qu'a fait le Hezbollah ? Le Hezbollah a lancé des
missiles sur des villes, des villes israéliennes, pour atteindre des
civils israéliens. Il n'y avait même pas le prétexte d'un objectif
militaire ! Quand on fait ça, on a un comportement terroriste. Et le
Hezbollah...
Serge MOATI - Mais il faut appeler un chat un chat !
Nicolas SARKOZY - Eh bien, c'est ce que je fais.
Serge MOATI - Oui, d'accord, on est d'accord.
Nicolas SARKOZY - Le Hezbollah a donc conduit le Liban dans une sorte
de guerre civile, qui nuit d'abord à l'intérêt des Libanais.
Serge MOATI - Du Liban.
Nicolas SARKOZY - Voilà. Ça c'est une réalité. Alors pour autant, moi
j'ai considéré que la riposte du gouvernement de monsieur OLMERT était
exagérée. Mais je veux dire qu'il y a eu un agresseur, qui était le
Hezbollah, et qu'il y a eu une victime. Et par la suite, on s'est
trouvé dans un engrenage. Eh bien, moi je n'accepterais pas qu'un
député du Hezbollah compare Israël et les nazis. Je ne l'accepterais
pas. Parce que...
Serge MOATI - Elle ne l'a pas entendu, dit-elle. Vous savez bien qu'
elle ne l'a pas entendu. Il paraît qu'il y a eu un problème de
traduction. Mais enfin...
Nicolas SARKOZY - Eh bien, si elle ne l'a pas entendu...
Serge MOATI - L'ambassadeur, aussi. Notre ambassadeur dit la même chose
que Ségolène ROYAL.
Nicolas SARKOZY - ...si elle ne l'a pas entendu... moi j'ai lu ce qui avait
été dit dans la presse écrite...
Serge MOATI - Non mais, d'accord, mais l'ambassadeur... vous ne pouvez
pas mettre en doute la parole d'un ambassadeur qui représente notre
pays ?
Nicolas SARKOZY - ...Monsieur MOATI, non mais, il y a mieux : il y a le
député Hezbollah qui a dit : oui, je l'ai dit. Alors moi, peu importe,
je ne veux pas faire de polémique, ça a déjà fait assez de...
Serge MOATI - Mais la vérité...
Nicolas SARKOZY - ...je ne parle pas de madame ROYAL. Je dis que si j'
avais été dans la même situation...
Serge MOATI - Mais si vous n'aviez pas entendu, on aurait dit : SARKOZY
soutient, est d'accord avec certains points...
Nicolas SARKOZY - ...si vous acceptez que je termine ma phrase...
Serge MOATI - Oui, oui.
Nicolas SARKOZY - ...je vais vous dire, si je m'étais trouvé dans la même
situation, je me serais levé et j'aurais quitté la salle. Parce qu'il y
a des choses qu'on ne dira pas devant moi. Parce que la Shoah, parce
que les nazis, parce que ce qui s'est passé en Europe à cette époque-
là, ça a pesé lourd, et que le devoir de la génération qui est la
mienne...
Serge MOATI - C'est même un euphémisme, de dire que ça a pesé lourd !
Nicolas SARKOZY - ...qui n'avons pas connu la guerre, qui n'avons pas
connu ces horreurs, ce devoir, c'est de ne jamais oublier.
Serge MOATI - Bien sûr, ne jamais oublier. Jamais, jamais, jamais. Et
ne jamais transiger avec ça, d'accord.
Nicolas SARKOZY - ...et on ne peut pas transiger avec ça. Voilà, c'est
tout. Alors moi je ne dis pas... je n'étais pas là, je ne sais pas ce qui
s'est passé avec madame ROYAL, et quels sont les problèmes - j'ai vu
tout un tas de polémiques sur son voyage. Je dis simplement, Monsieur
MOATI : si j'avais été dans la même situation, voilà ce que j'aurais
fait.
Serge MOATI - Vous auriez quitté la salle. Alors on revient en France,
s'il vous plait, et Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005. Deux gamins -
deux gamins - Ziad BENNA, 17 ans, et Bouna TRAORE, 15 ans, meurent
électrocutés dans un transformateur EDF, alors qu'ils sont poursuivis
par des policiers. Tout commence : le deuil et la révolte. Regardons
ces images.
(...) Images de la marche de recueillement pour Ziad BENNA et Bouna
TRAORE
Serge MOATI - On le sait, on le sait tous, le métier de policer est
difficile, exposé, dangereux souvent. Nous avons vu assister à des
enterrements... des enfants, des victimes, et on est d'accord, il n'y a
pas de bonnes et de mauvaises victimes. L'IGS, l'Inspection générale
des services, vient de rendre un rapport qui met en cause - je le cite
- " le comportement d'une légèreté et d'une distraction surprenante... "
Nicolas SARKOZY - Non.
Serge MOATI - Comment, non ?
Nicolas SARKOZY - Non.
Serge MOATI - Ah, si : " ...de certains policiers. "
Nicolas SARKOZY - Je me permets...
Serge MOATI - Comment, vous dites non ?
Nicolas SARKOZY - Parce que j'ai vu le rapport, moi.
Serge MOATI - Oui, mais nous, on a ce qu'on a à notre disposition. Et
le directeur des services de l'IGS... comment s'appelle-t-il ?
Nicolas SARKOZY - Monsieur BRIAND (phon).
Serge MOATI - ...monsieur BRIAND, a dit : mais pas du tout, ça a été
déformé, etc. Alors, au-delà de cette polémique, que je ne trouve pas...
Nicolas SARKOZY - Non, non, mais je vais m'en expliquer. C'est mon
devoir, d'ailleurs...
Serge MOATI - Il faut, il faut vraiment, parce qu'on ne peut pas
laisser ça, et puis... polémique, on a dit ça, on n'a pas dit ça, enfin
bon.
Nicolas SARKOZY - ...Monsieur MOATI, non, non, non. Il y a 150.000
policiers, c'est la police de la République, je suis aussi responsable
devant eux de leur image. Lorsque l'IGS parle de légèreté, c'est la
légèreté d'un fonctionnaire au standard, qui aurait dû prévenir. Ce n'
est absolument pas la légèreté des policiers. D'abord, il y a eu une
première polémique : y avait-il eu une tentative de vol ? Le rapport de
l'IGS le confirme, il y a eu une tentative de vol. Pour le reste, c'est
un drame. Que deux gamins meurent, quels qu'ils soient, c'est atroce,
et c'est un drame. C'est la première remarque. Deuxième remarque : j'
aimerais tellement qu'on comprenne que dans la République française,
quand la police veut vous contrôler, le raisonnement normal, c'est d'
accepter ce contrôle, et de ne pas fuir, enfin, se cacher...
Serge MOATI - Enfin !...
Nicolas SARKOZY - Non mais, Monsieur MOATI, c'est quelque chose qui
existe. Il y a eu un rapport, il y a une enquête - on verra ce que dit
la justice, et chacun le respectera. Mais je voudrais dire deux choses.
La profession de policier est une profession dangereuse. Chaque année,
il y a 5 % des policiers qui vont à l'hôpital. Et deuxièmement, le
corps de la police républicaine française, c'est le corps le plus
contrôlé de France.
Serge MOATI - Heureusement.
Nicolas SARKOZY - Mais, naturellement qu'heureusement.
Serge MOATI - Hein, heureusement. Ils sont armés, contrairement aux
postiers !
Nicolas SARKOZY - Oui, mais pas simplement quand on fait usage d'arme.
Je n'accepte aucune dérive, je n'accepte pas la familiarité...
Serge MOATI - Le tutoiement, etc.
Nicolas SARKOZY - ...je n'accepte pas le tutoiement. Je n'accepte pas
toute forme qui, de près ou de loin, pourrait s'apparenter à du racisme
ou à des injures basées sur des discriminations.
Serge MOATI - Et faire passer notre pays pour un Etat policier.
Nicolas SARKOZY - Mais franchement, dans toute cette affaire -
bouleversante, parce qu'il y a deux jeunes qui sont morts -, faire
porter la responsabilité de ces morts sur la police, c'est, me semble-
t-il, très injuste et très disproportionné. J'ajoute que faire porter
la responsabilité des 27 nuits d'émeute sur ce qui s'est passé à
Clichy, c'est ridicule, et c'est outrancier. Ce qui s'est passé dans un
certain nombre de nos quartiers, c'est une chose malheureusement qui
est le produit d'une société qui n'a pas voulu se pencher sur la
question de l'immigration. On a laissé venir tout le monde, sans se
préoccuper le moins du monde des conditions d'intégration, de logement
et de travail. Eh bien...
Serge MOATI - Qui les a fait venir, aussi ! Tellement de... on sait bien...
Nicolas SARKOZY - ...que nous soyons tous responsables, ça c'est sûr !...
Serge MOATI - Tout le monde est responsable ! Ça arrangeait bien, qu'
ils viennent...
Nicolas SARKOZY - ...mais ça c'est sûr ! C'est bien pour ça qu'il faut
changer les choses.
Serge MOATI - D'accord.
Nicolas SARKOZY - Parce que, si l'on ne contrôle pas l'immigration, on
ne peut pas intégrer. Et la machine à intégrer de la République
française, elle s'est arrêtée...
Serge MOATI - Elle s'est enrouée, oui.
Nicolas SARKOZY - ...elle s'est arrêtée pourquoi ? Parce que, sous le
nombre, nos systèmes n'ont plus fonctionné.
Serge MOATI - S'il y a des sanctions à prendre contre des policiers,
vous les prendrez ?
Nicolas SARKOZY - Mais bien sûr...
Serge MOATI - Très bien.
Nicolas SARKOZY - ...mais Monsieur MOATI, chaque année je prends quelques
dizaines de sanctions, parce qu'il y a des comportements qui sont
parfaitement inadmissibles.
Serge MOATI - J'ai une lettre pour vous. J'ai une lettre pour vous, c'
est Marc LAMBRON, qui est un magnifique écrivain, vous savez, qui a
écrit un livre sur Ségolène ROYAL : " Mignonne, allons voir si la rose...
", qui est publié chez GRASSET, et qui là, pour une fois, n'écrit pas à
Ségolène, mais à vous. Et si vous voulez bien vous retournez, Monsieur
SARKOZY, là il y a une lettre... si vous voulez bien avoir la gentillesse
de la lire, ça nous fera plaisir.
Nicolas SARKOZY - Alors : " Monsieur le ministre, Winston CHURCHILL a
dit : ''J'ai commencé par ambition, et j'ai continué par colère' ; de
ces deux mots, l'ambition et la colère, lequel a plus de sens pour vous
? Veuillez agréer... ", etc. Eh bien, si j'avais à en choisir un, je n'en
choisirais aucun.
Serge MOATI - Ni ambition, ni colère ?
Nicolas SARKOZY - Oui. Parce que la colère n'est pas bonne conseillère.
Et parce que l'ambition, c'est ce qu'on a quand on est jeune ; quand
les années passent, si on n'a que de l'ambition, soi-même, on ne va pas
au bout. Moi, ce que j'aurais préféré, c'est la volonté, c'est le
volontarisme, c'est l'exigence, c'est l'espérance. Volonté et
espérance, ça ce sont deux mots qui comptent plus pour moi qu'ambition
et colère. Je n'ai aucune colère en moi. Je n'ai aucune colère, pour
une raison assez simple : c'est que je sais trop que la vie, ça ne va
pas avec la colère. Parce que celui qui est en colère, il se condamne à
l'impuissance, et je n'aime pas l'impuissance. L'ambition, j'en ai eu
beaucoup...
Serge MOATI - Oui.
Nicolas SARKOZY - ...quand j'étais plus jeune. Et puis la vie...
Serge MOATI - Vous n'en êtes quand même pas totalement dépourvu,
maintenant ?
Nicolas SARKOZY - Ah, j'ai beaucoup changé, Monsieur MOATI. L'ambition...
Serge MOATI - On ne le mesure pas.
Nicolas SARKOZY - ...mais non, mais vous me posez une question, peut-être
que...
Serge MOATI - Mais je vous écoute, je n'arrête pas de vous écouter !
Nicolas SARKOZY - ...peut-être que vous ne me fréquentez pas assez pour
le mesurer !
Serge MOATI - Je le déplore ! Je le déplore ! Trouvons des occasions !...
Nicolas SARKOZY - L'ambition, c'est quelque chose que j'avais quand j'
étais plus jeune, et puis je me suis rendu compte que le pouvoir, que
les responsabilités, que le destin d'un pays, c'était beaucoup plus
grave que je ne l'imaginais, et que ça ne pouvait pas se résumer à une
ambition.
Serge MOATI - Vous répondrez à Marc LAMBRON, si vous en avez la
possibilité ? Très bien, voilà...
Nicolas SARKOZY - Ah écoutez, puisqu'il a eu la gentillesse de me faire
une lettre, de surcroît manuscrite, si vous me la laissez, je lui
répondrai.
Serge MOATI - Et lisez son livre.
Nicolas SARKOZY - Et puis je lui dirai de réfléchir à l'espérance !
Serge MOATI - Oui. Mais vous dites, vous avez déclaré...
Nicolas SARKOZY - Qui n'est pas forcément la rose.
Serge MOATI - ...vous avez déclaré : " Mon pire ennemi, c'est moi-même. "
Nicolas SARKOZY - Ah, je ne me souviens pas d'avoir déclaré ça.
Serge MOATI - Eh bien pourtant vous l'avez dit, je vous cite, entre
guillemets...
Nicolas SARKOZY - Disons que ça a été dit dans la presse.
Serge MOATI - Ah, oui, mais alors, qui croire ? Si on ne peut plus se
fier à personne ! Qu'est-ce que vous voulez dire, " mon pire ennemi est
moi-même ? "
Nicolas SARKOZY - Oui, oh... à vos collègues de la presse ? Qui croire,
si on ne les croit pas, eux ?
Serge MOATI - Enfin, arrêtez ! Dans quel monde vivons-nous, si on ne
peut plus faire...
Nicolas SARKOZY - Ah, Monsieur MOATI, c'est un grand moment de naïveté...
Serge MOATI - Oui, mais enfin, sincère !
Nicolas SARKOZY - ...qui vous rend sympathique. Oh oui, ça, on n'en doute
pas !
Serge MOATI - Enfin ! Enfin, je me rends sympathique à vos yeux !
Alors...
Nicolas SARKOZY - Ah non, vous l'êtes !
Serge MOATI - ...non mais, qu'est-ce que vous voulez dire - si vous l'
avez dit ! -, " mon pire ennemi c'est moi-même " ?
Nicolas SARKOZY - Non, non, je ne l'ai pas dit. De surcroît...
Serge MOATI - Non ? Si, alors je vais vous citer...
Nicolas SARKOZY - Allez-y.
Serge MOATI - ...vous dites : " Trop boulimique, trop empressé ". C'est
dans votre livre " Témoignage " que vous dites tout ça. Je l'ai quelque
part, je vous le jure... je l'envoie à chaque spectateur !...
Nicolas SARKOZY - Ah, écoutez...
Serge MOATI-
Non, non, ça va me coûter une fortune ! Non, mais enfin... vous dites de
vous-même : " Je suis trop empressé, trop boulimique, tout ça ", etc.,
mais enfin...
Nicolas SARKOZY - Non, non, je ne crois pas que j'avais écrit ça...
Serge MOATI - Si, alors ça... pari pris !
Nicolas SARKOZY - Très bien. Peut-être ai-je écrit que lorsque j'étais
trop jeune, j'étais trop pressé, que je voulais trop de choses en même
temps. Et puis les années ont passé, les épreuves sont arrivées, et j'
ai appris de la vie, comme chacun d'entre nous.
Serge MOATI - Quelle épreuve, surtout ?
Nicolas SARKOZY - Toutes.
Serge MOATI - Toutes ?
Nicolas SARKOZY - Les épreuves professionnelles, les épreuves
personnelles, les soucis de la vie. La vie vous réserve beaucoup de
difficultés. Et lorsqu'on veut aller jusqu'au bout d'un métier qu'on a
choisi, sur ce chemin vous est réservé beaucoup d'attaques, beaucoup de
moments difficiles, beaucoup de moments où il faut dominer ses propres
sentiments...
Serge MOATI - On a voulu vous casser souvent, et on continue ?
Nicolas SARKOZY - Oui, incontestablement. Mais je considère que c'est
d'ailleurs une règle du jeu qui est acceptable. Je ne m'en plains pas.
Serge MOATI - Regardez ces images. Regardez ces images, Nicolas SARKOZY
: vous aviez 20 ans, le monde était jeune, on était en 1981.
Nicolas SARKOZY - C'est toujours difficile pour moi de regarder ces
images...
Serge MOATI - Allons ! Regardez ces images.
(...) Images d'un reportage de TF1 du 24/03/1981
Serge MOATI - Je trouve que vous n'avez pas tellement changé, pas
changé...
Nicolas SARKOZY - Non mais attendez, c'est une blague ? Personne ne va
croire à votre sincérité, Monsieur MOATI !
Serge MOATI - Mais si, mais si, mais si...
Nicolas SARKOZY - C'est un désastre !
Serge MOATI - Mais pas du tout, alors ! Et à ce moment-là vous avez
écrit - alors là je le garantis aussi : " Je n'ai pas choisi de faire
de la politique, j'ai toujours voulu faire de la politique, c'est un
appel plus profond que moi, c'était mon chemin. " C'est ça que vous
dites. Comment, une vocation presque religieuse, comme ça, de faire de
la politique, comme d'entrer dans les ordres, comme ça ? Vous vous
sentiez appelé ?
Nicolas SARKOZY - Pourquoi dire " une vocation presque religieuse " ?
Vocation tout court.
Serge MOATI - Vocation tout court. Mais qu'est-ce qui vous a appelé ?
Nicolas SARKOZY - Parce que, très jeune, j'ai eu le privilège de ne pas
avoir à m'interroger sur ce que je voulais que soit mon avenir. Mais
c'est un privilège fantastique, d'avoir 16 ans, 17 ans, 18 ans, et de
savoir ce qu'on veut faire. Ce n'est pas donné à tout le monde. Peut-
être que vous-même, déjà à cette époque-là, vous vouliez être
journaliste, vous vouliez faire quelque chose d'utile de votre vie,
vous vouliez vivre une aventure collective passionnante ? Eh bien, moi,
c'est une vocation.
Serge MOATI - J'aimerais tellement ! Alors cette phrase sur votre
vocation, qui résonne, moi, pour moi, quasi religieusement, mais enfin...
parlez-moi de votre grand-père maternel, Benedict ? Alors Benedict,
Benedict MALLAH, c'est un Juif, grec, un médecin étranger arrivé en
France entre 1912 et 1917, et viscéralement gaulliste, hein ? Alors,
juif, gaulliste, la foi, l'engagement. Qu'est-ce qu'il vous reste ?
Qu'est-ce qu'il vous reste, de sa ferveur, à Benedict, que vous avez
tant aimé, votre grand-père ?
Nicolas SARKOZY - Il me reste un souvenir merveilleux. C'est un homme
que j'aimais beaucoup, qui a beaucoup compté pour moi. J'ai vécu avec
lui, il m'a élevé. Il me reste une chose, c'est qu'il parlait très peu,
qu'il parlait très peu. Et c'est quelqu'un qui me touchait énormément.
Le jeudi, on allait toujours faire une promenade ensemble. Ça paraît le
Moyen Âge, mais les promenades qu'on faisait avec mon grand-père, c'
était très simple : on prenait deux tickets de métro, on prenait la
première station à côté de chez nous, on prenait une ligne au hasard,
on allait jusqu'au terminus ; on sortait du terminus, on cherchait le
premier café - on allait dans le premier, pas le second : le premier...
Serge MOATI - Et ?
Nicolas SARKOZY - ...et on prenait la même chose : un café pour lui, une
orange pressée pour moi, avec une tartine beurrée. On rentrait...
Serge MOATI - Et le monde était beau, oui.
Nicolas SARKOZY - Ecoutez, ça paraît une société tellement...
Serge MOATI - Non, non, non...
Nicolas SARKOZY - ...tellement démodée par rapport à aujourd'hui. Et
pourtant, c'était ça, le quotidien. Et c'est ça que j'ai aimé chez lui.
Et en même temps, il y avait quelque chose qui était absolument
bouleversant, c'est que tout ça était très simple, mais l'avenir était
une espérance. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus d'occasion de s'
amuser, il y a beaucoup de choses différentes à faire, mais l'avenir
est devenu une menace. Et peut-être que nous, à cette époque, on était
plus heureux que les jeunes d'aujourd'hui, parce qu'on se disait : on
va vivre dans une société où il y aura des découvertes extraordinaires...
Serge MOATI - Oui, oui...
Nicolas SARKOZY - ...aujourd'hui, tout le monde se demande ce qui va lui
tomber sur la tête. Et mon projet, c'est justement, en référence à ce
souvenir, refaire de la France le pays de tous les possibles. Refaire
de l'avenir une espérance, alors qu'il est devenu une menace. C'était
rien, c'était peu de chose, mais pour moi c'est tout.
Serge MOATI - Vous savez, tout est possible, ça, on aimerait vous
entendre, on aimerait y croire, parce que tout le monde a envie de ça,
pour ses enfants, pour soi, enfin, tout le monde, tout le monde, tout
le monde. Ça semble facile et beau, à vous entendre. Et regardez, on a
filmé des images, hier, dans la rue, et au centre de l'association
Emmaüs. Regardez, Monsieur le ministre.
(...) Images et commentaire sur les SDF dans Paris
Serge MOATI - Voilà, ces images ont été filmées hier, hier, dans la
rue, et donc près d'Emmaüs. Cette peur, là, un Français sur deux qui
dirait : " j'ai peur, j'ai peur de devenir SDF ", qu'est-ce qu'elle
vous inspire, Nicolas SARKOZY ?
Nicolas SARKOZY - C'est une catastrophe. C'est la société française qui
perd confiance en elle-même. C'est-à-dire, ceux qui ont un petit
quelque chose, se dire : on va le perdre. Et ceux qui n'ont rien se
disent : on n'a aucune chance de construire une vie où il y aura
quelque chose. Et qu'est-ce qu'il y a entre les deux ? Il y a la
dévalorisation d'une valeur essentielle, qui est le travail. Qu'est-ce
qu'on a fait de plus catastrophique en France, toutes ces dernières
années ? On a fait en sorte que le travail ne paye plus - si vous me
permettez cette expression populaire -, parce que c'est le travail, l'
absence de travail, le travail qui n'est pas assez récompensé, les
problèmes du pouvoir d'achat, du montant des salaires, qui font que
notre société crée tant de précarité ; parce qu'il y a aujourd'hui des
pauvres sans travail, et des travailleurs pauvres. Et le coeur de mon
projet, c'est de redonner au travail la place qu'il est indispensable
de lui redonner. Et à partir de ce moment-là, tout peut devenir
possible.
Serge MOATI - Est-ce que vous auriez soupçonné une telle détresse
perçue dans ce sondage ? Quand même c'est extraordinaire ! Vous avez
été étonné, Martin HIRSCH, président d'EMMAÜS quand même ?
Martin HIRSCH - Ce n'est pas ce qui m'a le plus étonné. Ce que je
trouve le plus étonnant comme statistique, c'est celle qui montre qu'un
tiers des SDF travaillent. Je parle au nom effectivement d'une
association qui depuis cinquante ans se dit que les gens doivent
retrouver leur dignité par le travail plutôt que par les allocations et
plutôt que par la solidarité. Je parle aussi au nom de quelqu'un...
d'un groupe qui a fait un rapport sur comment est-ce qu'on peut faire
sortir les enfants de la pauvreté par le travail et en ce moment, on
travaille avec des conseils généraux pour essayer d'innover et de
trouver des nouvelles voies pour s'en sortir. Alors en faisant ça, j'ai
été piocher... je regarde les programmes des candidats à l'élection
présidentielle, des différents partis, les discours et les actes et
j'essaie de voir si derrière les slogans on trouve véritablement les
leviers pour répondre à la pauvreté d'aujourd'hui...
Serge MOATI - Alors réponse, vous les trouvez ou pas ?
Martin HIRSCH - On ne les trouve pas. Je vais vous donner trois
exemples. Quand aujourd'hui, on discute avec un allocataire du RMI qui
travaille quelques heures pour aider une personne handicapée, il n'a
pas un centime de plus qu'un autre allocataire du RMI qui ne travaille
pas ces heures-là, premier exemple. Deuxième exemple, les gens dans nos
foyers pour lesquels le coût du logement représente un coût
insurmontable...
Serge MOATI - Martin, vous voulez dire quoi ? Qu'au fond, on s'émeut
des SDF quand c'est Noël et puis après on oublie ?
Martin HIRSCH - Il y a un côté soit compassion soit effectivement des
logiciels qui marchent sur la pauvreté d'il y a vingt ans et qui n'ont
pas été réadaptés à la pauvreté d'aujourd'hui qui est effectivement la
pauvreté du travail, la pauvreté des jeunes, la pauvreté des actifs ;
et moi j'attends de savoir si les candidats à la présidentielle, si
vous-même Monsieur le Ministre, vous vous engagerez par exemple à ce
qu'il y ait - vous savez qu'il y a deux millions d'enfants pauvres en
France - est-ce que vous vous engagez si vous êtes élu, que cinq ans
après, il y ait 25% d'enfants pauvres en moins grâce à ce qui pourra
être fait pour que les gens ne reperdent pas d'argent en travaillant ?
Serge MOATI - Est-ce qu'on pourrait peut-être compléter aussi...
Nicolas SARKOZY - Juste un mot, c'est très important ce que vient de
dire Martin HIRSCH, en plus c'est quelqu'un qui fait un travail tout à
fait remarquable et que je suis depuis longtemps ; il mérite une
réponse précise. L'objectif, Monsieur le Président, n'est pas de dire
"il y aura 25% d'enfants pauvres en moins" comme Lionel JOSPIN avait
promis qu'il n'y ait plus un seul SDF... l'objectif... pardon, parce
que même dire 25% d'enfants en moins, ça veut dire qu'il en resterait
75%, quel objectif ! L'objectif, il est quoi pour moi ? C'est que
chaque personne ait intérêt à travailler plutôt qu'à rester dans la
dépendance et dans l'assistance ; c'est ça l'objectif parce
qu'aujourd'hui, il n'y a aucune motivation pour quelqu'un de reprendre
un travail puisque le système est construit pour engager un certain
nombre de gens dans l'assistance. Prenons un exemple...
Serge MOATI - Vous croyez ça vraiment, que les gens ont envie de
rester... ce discours-là me paraît être une vision de la société ...
des fainéants quoi ! Des fainéants...
Nicolas SARKOZY - Monsieur MOATI... mais non... n'employez pas des mots
qui peuvent blesser...
Serge MOATI - Mais si ! Il vaut mieux être dans l'assistance que dans
le travail, dites-vous.
Nicolas SARKOZY - Non Monsieur MOATI. Prenons l'exemple des
quinquagénaires. La France dépense chaque année cinq milliards d'euros
pour financer des préretraites pour conduire des gens qui ont encore de
la force et une volonté, vers la préretraite plutôt que vers le
travail. Je dis que c'est une erreur.
Serge MOATI - Alors Gérard FILOCHE... un peu de contradiction... Gérard
FILOCHE qui est inspecteur du Travail...
Nicolas SARKOZY - Je voudrais terminer sur Martin HIRSCH ; et ce qui
est vrai pour les quinquagénaires l'est également pour les plus jeunes.
La religion du non-travail a fait des ravages en France.
Serge MOATI - Et d'où elle vient, cette religion du non-travail ? Il y
a des prêtres de cette religion ? Il y a des adeptes ?
Nicolas SARKOZY - Nos jeunes rentrent dans le monde du travail plus
tard que nous-mêmes nous y rentrions. Nos anciens, les quinquagénaires,
j'en suis moi, sortent du monde du travail plus tôt qu'on n'en sortait
avant et entre-temps quand on est au travail, on a construit, seul pays
au monde, le système rigide des 35 heures. Ca s'appelle dévaloriser le
travail. Tout mon projet consiste à dire qu'on va revaloriser le
travail. Je prends un exemple : 45 minutes de travail de plus par jour
pour un smicard, c'est 15% d'augmentation de salaire de plus. C'est
considérable.
Serge MOATI - Monsieur SARKOZY, c'est une religion, les 35 heures...
Gérard FILOCHE - Les salariés de ce pays sont 16 millions dans le
privé, 5 millions dans le public ; on a le taux de production horaire
le plus élevé au monde ; on travaille beaucoup mais ils ne reçoivent
pas le salaire qu'ils méritent en échange de ce qu'ils produisent,
c'est-à-dire que l'essentiel de cet argent va maintenant au capital
financier, vous le savez et qu'il y a une distribution des richesses
qui est totalement inégale. Vous, vous êtes assez... comment dire...
dur avec les faibles, ceux qui ne travaillent pas mais vous êtes assez
complaisant avec les forts, c'est-à-dire ceux qui encaissent ; et quand
vous me dites : s'il y a quelqu'un qui travaille plus, il va gagner
plus, ce n'est même pas vrai. Il y a des millions de gens qui
travaillent aujourd'hui dans tous les secteurs - le bâtiment, la
restauration, l'agriculture, le transport - qui travaillent 45 heures,
50 heures par semaine et dont les heures supplémentaires ne sont déjà
pas payées ni majorées ni cotisées.
Serge MOATI - Donc il n'y a pas une religion du non-travail.
Gérard FILOCHE - Non mais la religion de monsieur SARKOZY c'est de dire
: le libre choix de travailler plus pour gagner plus. Mais ce qu'il
propose, c'est le contraire parce qu'il n'y a pas un salarié de ce pays
qui a le libre choix de déterminer son propre horaire, c'est
l'employeur qui le décide. Deuxièmement, les mesures qui ont été prises
depuis cinq ans, dont vous êtes co-gérant, ont allongé les durées du
travail, le contingent annuel, permis de racheter le compte-épargne
temps ; elles ont permis de baisser les heures supplémentaires déjà
pour les petites entreprises de moins de 20 jusqu'à 2008 à seulement
10% ; elles ont permis des forfaits jour et tout ça fait que les gens
travaillent déjà plus mais ne gagnent pas plus et j'ai bien écouté,
j'ai lu votre programme... votre discours d'Agen, Monsieur SARKOZY...
si les salariés lisent votre discours, ils ne vont pas vous donner de
voix, pas une voix !
Nicolas SARKOZY - Monsieur FILOCHE, avec votre autorisation, je
respecte beaucoup ce que vous pensez et ce que vous êtes, je vous
demande le même respect...
Gérard FILOCHE - Je parle du fond Monsieur, je n'ai pas parlé de
respect...
Nicolas SARKOZY - Je vous demande le même respect et quand vous dites
que je suis dur avec les faibles et faible avec les forts, c'est une
formule, vous valez mieux que ça Monsieur FILOCHE, permettez-moi de
vous le dire, ça ne fait pas avancer le débat, ce sont des caricatures
et il y en a bien assez des caricatures...
Serge MOATI - Vous êtes bouleversé par les propos de monsieur
SARKOZY...
Gérard FILOCHE - Non, non, j'écoute l'argument du fond... j'attends le
fond...
Nicolas SARKOZY - Monsieur FILOCHE, permettez-moi de vous le dire :
c'est inutile. La France a rendez-vous avec un débat beaucoup plus
important que ça et on n'a pas besoin de s'envoyer des choses comme ça
quel que soit votre engagement politique, ça ne sert à rien, premier
point. Qu'est-ce que je propose ? Je propose une véritable révolution
économique ; aujourd'hui, tout est fait pour décourager l'octroi
d'heures supplémentaires aux salariés français. Pourquoi ? Souffrez que
je m'en explique... je vais vous expliquer pourquoi. Pourquoi ? Parce
que les cotisations sociales qu'on paie sur les heures supplémentaires
qui sont déplafonnées et le prix des heures supplémentaires fait qu'on
n'a aucun intérêt à donner des heures supplémentaires. C'est une
réalité. Je propose d'exonérer les heures supplémentaires de toute
cotisation sociale et même de toute imposition pour que celui qui
travaille plus, gagne plus...
Gérard FILOCHE - Ca veut dire moins...
Nicolas SARKOZY - Je vais vous dire pourquoi Monsieur FILOCHE, parce
que pour moi, les RTT quand on n'a pas les moyens de payer des vacances
à ses enfants et les week-ends... quand on n'a pas les moyens de passer
des week-ends avec sa famille et de les emmener, ça ne sert à rien.
Quand on gagne 1.500 euros par mois, ce dont on a besoin, c'est d'un
salaire plus important, c'est d'un pouvoir d'achat...
Serge MOATI - ... Formidable débat...
Nicolas SARKOZY - Ca veut donc dire qu'un chef d'entreprise qui
donnerait des heures supplémentaires, ne paierait pas de cotisations
sociales sur ces heures supplémentaires, c'est-à-dire qu'il serait
encouragé à donner des heures supplémentaires, ce qui permettrait de
payer ces heures supplémentaires plus cher pour le salarié, ce qui
donnerait un pouvoir d'achat et un salaire supplémentaire pour les
salariés français parce qu'il y a un problème gigantesque de pouvoir
d'achat dans notre économie aujourd'hui et nous aurions alors un
système gagnant-gagnant là où nous avons un système perdant-perdant.
D'ailleurs Monsieur MOATI, je pose une dernière question : comment se
fait-il que des années après les 35 heures à la française, aucun pays
au monde ne se soit doté du même arsenal ?
Serge MOATI - Il n'y a pas d'effet contagieux vous voulez dire, ça ne
s'est pas répandu comme une traînée de poudre.
Nicolas SARKOZY - C'est la seule idée à jamais inexportable.
Gérard FILOCHE - Ce qui est exportable, c'est la réduction du temps de
travail ! Parce que ça, c'est historique, partout ça se passe, même en
Corée, même en Chine et la tendance du progrès, c'est de réduire la
durée du travail, ce n'est pas de l'allonger !
Nicolas SARKOZY - Alors Monsieur FILOCHE... débat passionnant si vous
me permettez...
Serge MOATI - Mais attendez, vous faites comme RAFFARIN, vous menez les
débats à l'UMP ! Non non moi je suis en concurrence nette là !
Nicolas SARKOZY - Surtout pas...
Serge MOATI - Surtout pas, vous dites !
Nicolas SARKOZY - Monsieur MOATI, je ne me sens pas à l'UMP, ça c'est
le moins qu'on puisse dire et tant mieux d'ailleurs mais bon...
Serge MOATI
Eh bien non on est sur un plateau démocratique de télévision.
Nicolas SARKOZY - Mais là-dessus, c'est un sujet passionnant car mon
idée, c'est justement de laisser la liberté de choisir aux gens.
Prenons l'exemple...
Serge MOATI - Attendez, il faut qu'on avance... Sylvie PIERRE-
BROSSOLETTE...
Nicolas SARKOZY
... Le 24 décembre est un dimanche ; est-ce qu'on a le droit de
travailler un dimanche 24 décembre ? Ma réponse est oui, sur la base du
volontariat...
Serge MOATI - Monsieur FILOCHE... je vous le demande comme un service
personnel, arrêtez... Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE, rédactrice en chef du
FIGARO MAGAZINE.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Est-ce qu'on peut élargir le débat à propos
de cette crise de confiance, cette peur qu'ont les Français et de ses
causes ? Bien sûr il y a ce problème du travail qui est évidemment
fondamental. Il n'y a sans doute pas que ça et il y a peut-être aussi
un sentiment - on parlait des faibles et des forts - que la société, la
politique est plus faite pour les forts que les faibles. Je prendrai un
premier point d'application, la justice. Est-ce que certains
justiciables n'ont pas l'impression qu'il n'y a pas une justice à deux
vitesses, que par exemple elle est plus sympathique pour des puissants
que pour des faibles et je voulais vous demander une question précise :
si vous êtes élu président de la République, il se posera un problème
très précis au sujet du chef de l'Etat ; est-ce que vous pensez qu'il
est normal et souhaitable que la justice suive son cours comme c'est
prévu par l'arrêt de la Cour de cassation à la minute où il redevient
citoyen ordinaire ou est-ce que vous pensez que pour épargner la
fonction d'un ancien chef de l'Etat français, il faudrait procéder à
une forme ou une autre d'amnistie ? Qu'est-ce qu'on fait ? Donc justice
normale ou justice spécifique pour un cas pareil ?
Serge MOATI - Question - réponse.
Nicolas SARKOZY - Les choses sont très simples, je répondrai trois fois
: d'abord pas d'amnistie et je suis même celui qui a proposé que le
président de la République n'ait plus le droit d'amnistie. De même que
le droit de grâce. Je ne vois pas pourquoi dans une République un homme
fût-il élu, aurait le droit de décider d'une grâce ou d'une amnistie.
Première réponse. Deuxième réponse : il est parfaitement normal qu'il y
ait un statut du chef de l'Etat...
Serge MOATI - Qui le protège...
Nicolas SARKOZY - Durant l'exercice de ses fonctions... Non qui ne le
protège pas Monsieur MOATI, qui protège la fonction... c'est-à-dire qui
suspend des procédures... ce que j'essaie de dire, d'être raisonnable
pour que le chef de l'Etat ne soit pas obligé de répondre à toutes les
convocations durant son mandat. Mais ça n'a d'importance et d'impact
que dans la mesure où ça ne rentre pas chère Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE,
dans le cadre de la prescription, que ce temps est mis entre
parenthèses et que l'ensemble des procédures recommencent à la minute
où celui-ci n'est plus chef de l'Etat...
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Donc la justice recommence normalement.
Nicolas SARKOZY - Est-ce que j'ai répondu à votre question ?
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Donc la justice recommence normalement, on
est d'accord ?
Nicolas SARKOZY - Oui parfaitement, c'est ce que j'ai dit en trois
points, c'est parfaitement clair.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Autre élément de vérité, vous voulez parler
vrai, sans tabou, dire aux Français ce que vous ferez si vous êtes élu
; vous avez répondu très vite à Serge MOATI tout à l'heure sur votre
engagement sur qui serait au gouvernement ; est-ce que vous annoncerez
oui ou non avant d'être élu qui sera votre Premier ministre et vos
principaux ministres comme vous l'avez écrit dans votre livre ?
Nicolas SARKOZY - Je présenterai l'essentiel de l'équipe sans la
répartition des compétences pour une raison très simple, c'est que tant
qu'on n'est pas élu, on n'a pas à choisir.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Mais vous direz les noms.
Nicolas SARKOZY - Je dirai les noms des principaux membres de l'équipe.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Ca peut être une femme le Premier ministre
?
Serge MOATI - Ségolène ROYAL ? Non !
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - On pense à une autre à l'UMP...
Nicolas SARKOZY - Enfin définir la qualité d'une fonction en fonction
du sexe de la personne, ça me semble un peu court.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Dernière petite question sur votre pratique
future de la démocratie si vous êtes élu ; est-ce que vous pratiquez le
référendum sur les grandes questions pour trancher... faire trancher
par les Français les grandes questions et si jamais vous étiez battu à
un référendum, est-ce que vous trouveriez logique de vous en aller ?
Nicolas SARKOZY - D'abord je considère que le quinquennat a
profondément changé le fonctionnement de nos institutions. Le Général
de GAULLE a créé le référendum pour aérer le septennat. A partir du
moment où on aura voté en mai pour le président de la République, en
juin pour les députés puis viendront les municipales, les cantonales,
les régionales, je ne vois pas l'utilité de provoquer un référendum.
J'ajoute sur la question du référendum, que j'aurais souhaité qu'il y
ait un référendum sur l'abandon ou pas du service national mais que je
ne suis pas persuadé que la question du référendum ait été la mieux
adaptée pour adopter une Constitution de quelque 450 articles. Pour
autant, je souhaite un président de la République qui s'engage, qui
prenne ses responsabilités et qui les assume parce que je pense que
celui qui est élu, doit assumer ses responsabilités mais je veux
l'équilibre des pouvoirs et je souhaite changer profondément, Sylvie
PIERRE-BROSSOLETTE, le système des nominations dans la République
française. Ainsi pour nommer le président d'EDF, je ne verrais que des
avantages... et je proposerais que la nomination soit soumise aux
commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat et ratifiée par une
majorité qualifiée pour que majorité et opposition se mettent d'accord
sur un nom responsable.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Même chose pour les ambassadeurs ?...
Serge MOATI - Sylvie, Sylvie... revenons sur l'emploi, justement on
parle d'emploi...
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Non mais c'est important ça...
Nicolas SARKOZY - Je ne pense pas qu'il faut pour les ambassadeurs et
les préfets faire la même chose puisqu'ils ont à appliquer une
politique fixée par le gouvernement, il n'est pas anormal que ce soit
le gouvernement qui désigne ceux qui appliquent cette politique. Mais
je veux sortir d'un système d'une nomination où quand la gauche est là
ou quand la droite est là, une espèce de spoil system, moi je ne veux
plus de nominations qui soient des nominations de complaisance et je
pense que dans une démocratie libre, honnête et transparente, la
majorité et l'opposition doivent se mettre d'accord. Le président
proposera au conseil des ministres ; le conseil des ministres proposera
aux commissions, c'est un point extrêmement important.
Serge MOATI - Revenons sur l'emploi s'il vous plaît...
Martin HIRSCH - J'ai beaucoup de respect pour les ambassadeurs et la
protection du chef de l'Etat mais il y a une question de protection de
millions de personnes qui mérite plus qu'une minute quinze ; vous avez
parlé des heures supplémentaires pour un certain nombre de gens mais
ceux qu'on voit aujourd'hui, c'est ceux qui n'arrivent même pas à
franchir la première marche, c'est-à-dire ceux qui sont aujourd'hui au
RMI et je sais que vous voyez comme président de conseil général dans
un département que c'est difficile de les faire diminuer, ça augmente
extrêmement vite et ceux-là, ils ont envie de travailler à plein temps,
ils ont envie de pouvoir gagner plus d'argent quand ils travaillent que
quand ils sont au RMI et ils sont confrontés à toute une série de
contrats qu'on appelle contrats d'avenir et contrats... qui leur
interdit même d'aller travailler jusqu'à 35 heures. Et moi j'ai été
très étonné parce qu'on essaie d'expérimenter... vous, vous vous battez
pour un contrat unique pour les salariés ; nous, on essaie juste
modestement d'expérimenter le contrat unique d'insertion pour les
érémistes...
Serge MOATI - Est-ce que vous avez une question Malek BOUTIH qui
pourrait rejoindre celle de Martin HIRSCH ?
Malek BOUTIH - Oui, je pense... Monsieur le Ministre de l'Intérieur,
vous avez pris la responsabilité d'être candidat à l'élection
présidentielle et dans les premiers jugements qui ont eu lieu et la
première partie de l'émission que j'ai écoutée aussi, il y a une chose
qui me frappe, c'est que vous avez souvent des exemples frappants et
qui tombent sous le coin du bon sens mais quand même il y a les
problèmes posés - je vais prendre l'économie parce que c'est le sujet
mais sans être un expert parce que les Français ne sont pas tous des
experts - mais votre vision, hormis quelques points qu'on connaît dans
le dialogue politique, c'est la faute aux socialistes, les 35 heures
etc, il y a quand même un problème, c'est-à-dire que le problème qui
est posé pour les Français est le suivant : vous dites "la valeur
travail" mais est-ce que vous n'avez pas le sentiment que premièrement
les pays qui appliquent déjà les règles que vous proposez, n'ont pas
des millions de pauvres et plein de difficultés et donc quand même les
Français le savent qu'il y a des pays où il n'y a pas les 35 heures, où
il n'y a pas de protection sociale et où il y a quand même des gens
très pauvres et plein de gens qui ne s'en sortent pas parce qu'il faut
aussi s'intéresser aux gens qui travaillent et qui ont peu d'argent à
la sortie de tout ça ; et deuxième question, c'est est-ce que vous
n'avez pas le sentiment qu'à travers tout ce qui s'est passé ces
dernières années, il y a le sentiment d'un pays qui cherche un
équilibre je dirais juste, c'est-à-dire une économie prospère mais une
certaine égalité sociale sans parler d'égalitarisme qui est un mot qui
vous fait peur et je trouve, moi, que ça mériterait d'être un peu au-
dessus que simplement diaboliser les socialistes sur les 35 heures,
c'est ça qui me surprend, c'est qu'on a le sentiment que vous n'avez
pas cette vision.
Nicolas SARKOZY - Malek BOUTIH, d'abord je ne diabolise personne. Enfin
il n'est pas anormal de demander des comptes aussi à ceux qui ont
exercé le pouvoir depuis 1981 quinze ans. On ne peut pas considérer non
plus que vous ne portez aucune responsabilité dans l'évolution de la
société française, dire ça, ce n'est porter atteinte à personne...
Malek BOUTIH - D'ailleurs nous-mêmes on a fait notre auto-critique...
Nicolas SARKOZY - Non mais tout à fait. Alors quelle est ma vision des
choses ? Je n'hésite pas à vous le dire. L'égalitarisme ne me fait pas
peur ; je ne suis pas d'accord avec le nivellement et l'égalitarisme ;
je voudrais en prendre deux exemples...
Serge MOATI - Les socialistes sont pour le nivellement et
l'égalitarisme ?
Gérard FILOCHE - Bien sûr que non ! Par contre nous avons fait reculer
les inégalités entre 1998 et 2000.
Nicolas SARKOZY - Très bien. On se demande pourquoi vous avez été
battus alors ! Si c'était si bien !
Gérard FILOCHE - Bonne question. La gauche avait plus de voix que la
droite à l'époque, même quand on a perdu.
Nicolas SARKOZY - Tournez-vous vers les Français. Mais ce qui est
important, quelles sont mes valeurs, Monsieur BOUTIH ? Moi je considère
que quand on travaille plus que les autres, il est normal de gagner
davantage que les autres, que quand on prend plus de risques que les
autres, il est normal d'en avoir la juste récompense et ça ne me gêne
pas de le dire...
Serge MOATI - C'est rare d'être contre...
Nicolas SARKOZY - Si je peux prendre un deuxième exemple...
Serge MOATI - Oui, vous pouvez mais c'est rare d'être contre.
Nicolas SARKOZY - Je pense que la démocratisation de l'Education
nationale qui s'est produite toutes ces dernières années par
l'affaissement du niveau des diplômes pour donner le sentiment à tout
le monde que tout le monde pouvait avoir un diplôme, c'est le contraire
de l'école républicaine qui doit être une école de l'excellence. Vous
m'interrogez sur mes valeurs, voilà mes valeurs. En revanche...
Malek BOUTIH - Non, je ne vous interroge pas sur vos valeurs...
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Sur le tabou de la sélection...
Malek BOUTIH - Non mais si je peux me permettre Monsieur le Ministre,
je ne vous interroge pas sur vos valeurs, quelle est votre analyse pour
permettre aux Français d'avoir une économie prospère et en même temps
une justice sociale, pas les valeurs... les valeurs, c'est autre chose,
on a tous des valeurs. Et on partage souvent dans une République les
mêmes valeurs.
Nicolas SARKOZY - ... A l'inverse, j'ai été très choqué de ce qu'on a
appelé les parachutes dorés ou les stock-options pour certains. Un
président d'une entreprise qui réussit, qui crée de la richesse, il est
normal qu'il soit bien payé. Un président d'une entreprise qui échoue,
qui s'est trompé, il est parfaitement anormal qu'il parte avec un gros
chèque.
Serge MOATI - Alors que les autres partent au chômage tout bêtement...
Nicolas SARKOZY - C'est scandaleux... J'ai même proposé Monsieur MOATI,
que désormais les plans de stock-options ne puissent être votés que si
la totalité des salariés d'une entreprise peuvent en bénéficier. Alors
reste une question que pose Malek BOUTIH qui est très importante, il
existe un certain nombre de grandes économies, de démocraties dans le
monde qui sont au plein emploi. Au plein emploi depuis des années.
C'est vrai dans le nord de l'Europe, c'est vrai en Angleterre, c'est
vrai en Australie, c'est vrai au Canada, c'est vrai aux Etats-Unis.
Question : est-ce que ce qui se passe chez les autres, ça peut se
passer chez nous ? Deuxième question : nous avons grosso modo un point
de croissance en moins qu'un certain nombre d'autres grandes économies.
Pourquoi ? Parce que nous nous évertuons me semble-t-il, à décourager
ceux qui créent des richesses, ceux qui créent du travail, de le faire
en France. La France doit redevenir le pays où on peut innover, où on
peut entreprendre. Moi j'en ai assez Monsieur BOUTIH, qu'on fasse la
fortune de la Belgique, de l'Angleterre, de Monaco, de la Suisse en
décourageant tous ceux qui pourraient investir en France de le faire
dans notre pays ! C'est quand même un problème qui se pose. Nous avons
un million et demi de jeunes qui partent chaque année, qui se disent
"la réussite, c'est à l'extérieur". Pourquoi la France devrait-elle se
priver de ses créateurs...
Serge MOATI - Il y en plein qui viennent en France aussi...
Nicolas SARKOZY - Monsieur MONTAGNIER qui est le médecin qui a isolé le
virus du sida... qu'on l'ait fait partir parce que le statut de la
fonction publique le faisait considérer comme trop vieux, pour moi ce
n'est pas MONTAGNIER qui est vieux, c'est le statut qui est vieux.
Serge MOATI - Je vous ai mal entendu sur l'ISF... l'ISF, vous avez
entendu monsieur SARKOZY sur l'ISF ?
Malek BOUTIH - Je ne demande pas moi... J'ai posé une question...
Nicolas SARKOZY - Ne choisissez pas Monsieur MOATI entre vos invités,
la courtoisie, mettez-les tous à égalité...
Serge MOATI - C'est ce que je fais !
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Sur l'ISF... je vous rends la parole tout
de suite Malek...
Serge MOATI - Attendez, il faut que l'un de vous deux craque...
Malek BOUTIH - J'ai posé une question et j'aimerais bien avoir une
réponse... la question, ce n'est pas sur les golden parachutes, sur tel
ou tel exemple, il y a plein d'exemples avec lesquels on est d'accord,
par exemple si moi je vous dis oui, si quelqu'un ne vient jamais au
travail, qu'il est toujours en retard, qu'il n'est pas rasé et qu'il
est mal habillé, on ne peut pas l'employer, bon d'accord, il y a plein
de tautologies comme ça ; la question que je vous posais, c'est quelle
vision vous avez d'une économie qui ne soit pas s'adapter à la vision
libérale internationale, c'est-à-dire au modèle de la concurrence entre
les pays et qui crée quand même beaucoup de problèmes et on voit que
les Français veulent un modèle qui soit juste et équilibré, prospère
mais en même temps protecteur, c'est cette vision... Pas les exemples
précis...
Serge MOATI - Mais il n'y a pas de question là... Je me dois maintenant
sinon je vais me faire écharper, donner la parole à Sylvie PIERRE-
BROSSOLETTE...
Nicolas SARKOZY - Non mais est-ce que je peux répondre à la question de
monsieur BOUTIH ?
Serge MOATI - Si vous voulez...
Nicolas SARKOZY - Ce n'est pas si je veux parce que ce n'est pas
courtois pour moi de ne pas répondre aux questions de vos invités,
Monsieur MOATI.
Serge MOATI - Alors on va être très courtois, on va écouter et puis
après on va passer la parole à Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE, d'accord.
Nicolas SARKOZY - Monsieur BOUTIH a posé une question de fond, il se
pose la question de savoir quel modèle social je souhaite...
Serge MOATI - C'est un peu ça.
Nicolas SARKOZY - Et c'est une question extrêmement importante. Le
modèle social, le vrai modèle social français qui consiste à dire qu'il
y a un droit à la santé garanti et qui consiste à dire que quand on
perd son emploi, on a un droit à l'indemnisation, ce modèle-là, je le
soutiens et je me battrai de toutes mes forces pour le sauver, de
toutes mes forces Monsieur BOUTIH.
Gérard FILOCHE - Et aussi...
Nicolas SARKOZY - Monsieur FILOCHE, je m'occuperai de vous après ; pour
l'instant c'est monsieur BOUTIH.
Gérard FILOCHE - J'attends mon tour avec plaisir.
Nicolas SARKOZY - Mais vous avez un tel dynamisme... si tous les
militants du Parti socialiste sont aussi dynamiques, c'est formidable !
Serge MOATI - La campagne va être formidable. Allez !
Nicolas SARKOZY - Malek BOUTIH, chacun voit bien que les allocations
sociales sont financées en France par le produit de la France qui
travaille et qui se lève tôt le matin et notre devoir à tous de gauche
comme de droite, c'est de garantir à celui qui se lève tôt le matin
pour financer ces allocations sociales, que ces allocations seront
affectées et utilisées sans fraude, sans mensonge et sans malhonnêteté.
Donc je prends deux exemples : je pense que toute personne qui
bénéficie d'un minima social doit être obligée d'exercer une activité ;
je dis Monsieur HIRSCH une activité, pas un travail parce que certains
de nos compatriotes...
Martin HIRSCH - Moi je pense qu'ils peuvent travailler...
Nicolas SARKOZY - ... la vie a été si dure avec eux qu'il faut prévoir
des passages. Deuxième élément Monsieur BOUTIH : je suis même pour le
renforcement des indemnités pour les petits salaires de chômage mais je
dis une chose : ça ne peut pas être une banque comme cela sans
condition ; lorsqu'on refuse à trois reprises un emploi que l'on vous
propose, la question de la pérennisation de ces indemnités est
clairement posée. Je crois Monsieur BOUTIH vous avoir bien répondu.
Pour sauver notre modèle social, il faut que la gauche comme la droite,
nous ayons le courage de dénoncer les abus et les faiblesses de notre
système car sinon Monsieur BOUTIH, c'est toute la France du travail qui
se trouvera découragée.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Vous avez dit deux choses importantes, que
les diplômés ne trouvaient pas de boulot et que les créations de
richesses se faisaient à l'extérieur parce qu'on n'encourageait pas les
gens riches ou qui étaient entreprenants à exercer leurs talents en
France. Donc point un, c'est donc deux tabous, à la fois de la
sélection... de la formation appelez ça comme vous voulez, est-ce qu'il
faut dire la vérité sur l'éducation et est-ce qu'il faut dire aussi la
vérité sur l'argent en disant que les gens qui ont énormément d'argent,
ça existe, mais est-ce qu'il faut les taxer pour autant et les faire
fuir. Le programme de l'UMP ne présente rien sur ce point... sauf une
vague perspective de peut-être exonérer la résidence principale. On
connaît au fond votre credo ; est-ce que comme candidat, vous serez
plus audacieux que comme président de parti sur l'ISF en tout cas ?
Serge MOATI - Laissez répondre... pourquoi? Ca a un rapport avec l'ISF
?
Gérard FILOCHE - Non les abus dont on parlait juste avant...
Serge MOATI - Attendez, on va y revenir, attendez Monsieur FILOCHE.
Nicolas SARKOZY - On m'a posé des questions très précises, je me dois
d'y répondre.
Serge MOATI - Il vaut mieux.
Nicolas SARKOZY - D'abord sur la sélection, il n'y a pas de système
d'orientation en France, c'est un drame. On n'est pas orienté lorsqu'on
a le bac et qu'on va en université, les inscriptions se font au hasard
d'une programmation informatique. Le premier inscrit a une place. Je
dénonce ce système. Je veux la création d'un véritable service
d'orientation qui passe par l'évaluation des filières pour que chaque
famille qui inscrive un jeune dans une filière, se dise au bout de la
filière voilà les perspectives d'emploi. L'exemple caricatural étant
l'exemple des professeurs d'éducation physique, les STAPS, où il y a un
emploi pour cent étudiants. Encourager les jeunes à aller dans cette
formation, c'est les encourager à s'inscrire au chômage. Personne n'a
le courage de leur dire. Deuxièmement, le bac reste le passeport pour
entrer en fac, le mot sélection ne me fait pas peur parce que je pense
que si on ne fait pas à un moment donné la sélection par le diplôme et
par le mérite, on subit alors la pire des sélections, celle par
l'argent et par les relations. Deuxième question : je pense que quand
on a travaillé toute sa vie, dur, et qu'on a créé un patrimoine, il est
normal pour 90% des Français - je viendrai sur les 10 qui restent - de
le transmettre en franchise d'impôt sur les successions à ses
enfants...
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Ca, c'est les successions, ce n'est pas
l'ISF...
Nicolas SARKOZY - ... J'y viens... mais c'est la même chose parce que
l'essentiel des successions, c'est l'immobilier et l'ISF est un impôt
sur l'immobilier pour l'essentiel comme vous le savez parfaitement.
Donc je considère que quand on a payé l'impôt toute sa vie, qu'on a
travaillé toute sa vie, qu'est-ce qui donne du sens à la vie ? C'est de
faire que ses enfants commencent d'un peu plus haut et donc je demande
la franchise d'impôt sur les successions. J'ajoute que l'égalité des
chances, ce n'est pas de retirer à l'enfant qui naît dans une famille
qui a travaillé toute sa vie le peu qu'on lui laisse, c'est de garantir
à l'enfant qui naît dans une famille où on ne lui a rien laissé, qu'il
aura les mêmes chances que l'autre. Troisième question : sur l'ISF, je
suis contre sa suppression.
Serge MOATI - Contre. Pourquoi ? Pourquoi vous êtes contre ?
Nicolas SARKOZY - Pour une raison très simple, c'est que je considère
que quand on a gagné beaucoup d'argent, il est normal de payer plus
d'impôt que les autres...
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Mais on est le seul pays en Europe où il
est aussi haut !
Serge MOATI - De ce côté-là, vous n'êtes pas derrière les libéraux qui
disent : comment, ça fait fuir tout le monde etc ?!
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Non mais c'est une question de taux et
d'assiette !
Nicolas SARKOZY - Puis-je me permettre d'aller un peu plus loin dans la
réponse ?
Serge MOATI - Si on arrive à suivre, oui, allez-y...
Nicolas SARKOZY - On arrive à suivre quoi ? Si je ne suis pas assez
clair, rappelez-moi à la clarté Monsieur MOATI...
Serge MOATI - Je vous taquine, mais on a tellement de questions...
Nicolas SARKOZY - Je ne m'en étais pas aperçu... Alors sur l'ISF et sur
son principe, voilà, je ne le supprimerai pas. Pour le reste, je
considère qu'on pourrait beaucoup mieux utiliser l'argent de l'ISF. Et
je considère qu'on devrait autoriser un certain nombre de gens qui
paient l'ISF à le déduire de leurs impôts à partir du moment où cet
argent servirait à financer le développement de petites et moyennes
entreprises. Madame Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE, je vais être clair, ce
n'est pas les SICAV monétaires. A partir du moment où cet argent serait
investi dans des petites entreprises du département concerné, il
pourrait être déduit et ainsi cet argent qu'on retire à l'économie, on
le remettrait dans l'économie parce que le problème de la France, c'est
qu'il n'y a pas assez de travail, il n'y a pas assez de pouvoir
d'achat, il n'y a pas assez d'entreprises, qu'il faut remettre du
carburant dans l'économie française.
Serge MOATI - Monsieur SARKOZY, vous dites être contre tous les
archaïsmes, les tabous etc, totems et tabous comme dirait l'autre, mais
on vous entend peu sur les disparités salariales entre hommes et
femmes, pourquoi ?
Nicolas SARKOZY - Vous avez parfaitement raison, c'est un véritable
scandale et la première décision que je prendrai, c'est de créer les
conditions d'une conférence sociale entre partenaires sociaux
représentant les salariés et chefs d'entreprise sur la question de la
parité des salaires, de l'égalité des salaires entre hommes et femmes.
Les hommes et les femmes ont fait les mêmes études, il n'y a aucune
raison qu'il y ait une différence salariale. J'estime que c'est un
problème à régler entre syndicats d'employeurs et syndicats de
salariés, entre les deux ; si ceux-ci n'arrivent pas à trouver les
voies et les moyens, c'est au législateur d'intervenir. Mais pour moi,
c'est le premier thème de la première conférence sociale au mois de
mai.
Gérard FILOCHE - Est-ce qu'il y aura un devoir : à travail égal salaire
égal... Il n'y a même pas de pénalités en face, c'est-à-dire qu'il n'y
a pas de sanction pour les employeurs qui ne respectent pas ça et vous
savez comme moi que c'est ça l'origine du problème. La loi ROUDY a été
votée il y a vingt ans mais depuis vingt ans, on ne s'est pas donné les
moyens d'empêcher que les femmes gagnent en moyenne à qualification
égale, 27% de moins que les hommes. Alors il n'est pas trop tôt de le
dire, ça je suis d'accord avec vous mais alors faisons-le... pourquoi
pas tout de suite, ça fait déjà cinq ans que vous gouvernez !
Nicolas SARKOZY - Monsieur FILOCHE, tout à votre volonté de démontrer
que je suis responsable de tout, je vais vous faire une confidence...
Serge MOATI - C'est flatteur...
Nicolas SARKOZY - Oui c'est flatteur, en tout cas je le prends bien et
puis c'est dit de manière si sympathique en plus... et puis au moins il
est franc, ce n'est pas dissimulé...
Serge MOATI - On n'est pas dans l'ambiguïté totale...
Nicolas SARKOZY - On n'est pas dans l'ambiguïté totale. Monsieur
FILOCHE, il y a eu des débats dans la majorité et je n'étais pas
d'accord avec tous mes amis et tous mes amis n'étaient pas d'accord
avec moi et si j'ai décidé d'être candidat à la présidence de la
République, c'est justement pour changer de braquet parce que je
n'étais pas d'accord avec ça. Je suis ministre de l'Intérieur, j'assume
mes responsabilités sur la sécurité des Français et sur la politique de
l'immigration. Pour le reste, je ne peux pas les assumer puisque je
n'étais pas en situation d'imposer une autre politique. Si j'ai parlé
de la rupture tranquille, c'est justement pour cela et je vous
remercie, Monsieur FILOCHE, d'avoir si bien compris quel était mon
objectif.
Gérard FILOCHE - Et vous voulez rompre aussi avec le code du travail?
Parce que si je peux dire deux mots pour que vous me répondiez pour
qu'on aille un peu sur le fond, vous proposez maintenant un contrat
unique si j'ai bien compris...
Serge MOATI - Les socialistes aussi à peu près...
Gérard FILOCHE - Mais où il n'y a pas la protection du droit du
licenciement, c'est-à-dire que celui-ci serait affaibli. La deuxième
chose, vous envisagez maintenant, on l'a dit tout à l'heure, de
remettre en cause de fait les 35 heures en permettant beaucoup d'heures
supplémentaires et vous encouragez la flexibilité. Je vous ai entendu
au congrès du MEDEF ou plutôt à l'université d'été à Jouy-en-Josas,
vous étiez très lié avec eux, c'était très manifeste que c'était votre
programme...
Serge MOATI - Vous aussi, vous y allez, tout ça, vous y passez des
week-ends ?
Gérard FILOCHE - Moi vous savez, quand je vois les patrons, c'est
généralement qu'il y a une infraction et malheureusement il y a un
million d'infractions au droit du travail chaque année et là ce n'est
pas impunité zéro pour les employeurs, ils ne sont jamais sanctionnés
ou presque jamais. Nous sommes 427 inspecteurs du travail seulement
pour 1,2 million d'entreprises et 16 millions de salariés. Vous
pourriez doubler nos effectifs !
Serge MOATI - Non, non... mais ce n'est pas peut-être la première chose
à faire... Allons-y...
Gérard FILOCHE - Ce n'est pas une question d'effectif, c'est une
question de droit parce qu'après le droit du travail, il est décisif
pour des millions de gens...
Nicolas SARKOZY - Je voudrais dire quelque chose là-dessus. D'abord et
monsieur FILOCHE ne m'en voudra pas de ne pas partager sa conception ;
cette espèce de détestation des entrepreneurs, des chefs
d'entreprise... il me permettra de dire que c'est tout à fait ridicule
et outrancier parce que s'il n'y a pas de chef d'entreprise et
d'entrepreneur, il n'y a pas de travail et plutôt que d'essayer de
monter les salariés contre les chefs d'entreprise - quand vous dites
l'air un petit peu dégoûté comme ça que vous étiez l'invité d'un
congrès de chefs d'entreprise - eh bien heureusement qu'il y a des
chefs d'entreprise, Monsieur FILOCHE...
Gérard FILOCHE - Heureusement qu'il y a des salariés, c'est eux qui
travaillent !
Nicolas SARKOZY - Parce que s'il n'y avait que des inspecteurs du
travail, il n'y aurait pas grand chose à inspecter parce que pour
inspecter, il faut qu'il y ait des gens qui créent des emplois et qui
créent des richesses. Donc respectez aussi les chefs d'entreprise. Je
n'ai pas cette vision manichéenne de la société, les bons d'un côté,
les mauvais de l'autre, c'est vraiment dépassé. MARX, c'est fini
Monsieur FILOCHE.
Serge MOATI - Il y a une annonce, là, MARX, c'est fini, ça va être
repris... MARX, c'est fini.
Nicolas SARKOZY - ... Il serait temps pour monsieur FILOCHE de s'en
rendre compte. Sur le droit du travail, je suis effectivement pour le
contrat de travail unique. Pourquoi ? Parce que jamais les salariés ne
se sont sentis en telle précarité et jamais le droit du travail n'a
pourtant été aussi protecteur. Il y a bien un problème. Le problème,
c'est lequel ? C'est qu'un chef d'entreprise se dit : avec le CDI, si
j'ai une chute dans mon activité, je ne pourrai pas adapter les
effectifs de mon entreprise et donc on multiplie les CDD et les
intérims. Mon idée est la suivante : faisons un contrat de travail
unique dont les droits sociaux du salarié augmenteraient avec la durée,
c'est-à-dire que si on est depuis deux mois dans une entreprise, on n'a
pas le même droit à l'indemnité que si on y est depuis 25 ans, je crois
que cette idée, il n'y a que monsieur FILOCHE qui ne la comprend pas
parce que pour le reste, il me semble que c'est assez compréhensible.
Serge MOATI - Malek BOUTIH, sur le contrat unique ?
Malek BOUTIH - Non mais...
Serge MOATI - Pour la clarté... Alors attendez, je vais me faire mal
voir de tout le monde...
Malek BOUTIH - Monsieur le Ministre de l'Intérieur... on peut quand
même poser des questions et évoluer parce qu'on a posé beaucoup de
questions sur l'économie mais le ministre de l'Intérieur a dit qu'il
était lui, comptable et responsable de son bilan sur la sécurité et
l'immigration. Je vais vous poser une question simple : est-ce que vous
trouvez aujourd'hui que pour plein de Français, partout en France, pas
dans certaines zones, partout en France, votre bilan à la fin fait
qu'il y a moins de violence et qu'on se sent plus en sécurité, c'est
une question simple.
Nicolas SARKOZY - Oui et je vais essayer d'y répondre de la façon la
plus simple et puis surtout Monsieur BOUTIH, au fond la plus honnête.
Bon, comment je peux faire ? Vous connaissez ces questions, il y a un
système statistique qui existe depuis 1945 au ministère de l'Intérieur.
Les ministres socialistes ne l'ont pas changé et je ne l'ai pas changé.
Que dit ce système statistique ? Qu'entre 1998 et 2002, la délinquance
en France a augmenté de 15%. Le même système statistique qui n'a pas
bougé d'une virgule, dit que depuis 2002 la délinquance a diminué de
9%. Franchement Monsieur BOUTIH...
Malek BOUTIH - Mais qu'est-ce que dit le ministre de l'Intérieur ? Les
statistiques, j'ai compris qu'elles disaient quelque chose mais vous,
qu'est-ce que vous dites ? Est-ce que vous pensez que la violence a
reculé dans notre pays ?
Nicolas SARKOZY - Vous savez ce que je dis, c'est qu'il vaut mieux que
la délinquance baisse de 9% plutôt qu'elle augmente de 15.
Maleh BOUTIH - Donc vous pensez que la violence a reculé.
Serge MOATI - Monsieur PORTELLI, vice-président du tribunal de grande
instance de Paris... attendez...
Nicolas SARKOZY - En 2002, on avait 4 millions de crimes et délits. En
2006, il y aura un peu moins de 3,7 millions...
Malek BOUTIH - Mais vous comptez les PV et tout ça dedans...
Nicolas SARKOZY - Non les crimes et les délits.
Serge MOATI - Monsieur PORTELLI ?
Nicolas SARKOZY - Pardon Monsieur le Président.
Serge PORTELLI, vice-président du Tribunal de Grande instance de Paris
- Ne m'appelez pas "monsieur le Président", je trouve ça un peu
flatteur...
Nicolas SARKOZY - Vous ne l'êtes pas ?
Serge PORTELLI - Si, si, mais "juge", ça me suffirait largement. Vous
savez parfaitement qu'il y a un observatoire que vous avez créé vous-
même et c'est une bonne chose d'ailleurs et cet observatoire national
de la délinquance vient de rendre un rapport public que vous avez dû
lire et cet observatoire, je serai très bref, je ne vais pas rentrer
dans les statistiques, fait deux grandes parts dans la délinquance,
contre les biens, contre les personnes ; et contre les personnes, cette
délinquance-là qui intéresse vraiment les Français parce que ce sont
les violences qu'on peut subir chez soi, dans la rue ou ailleurs ; or
là vous le savez, j'en terminerai là, depuis 1996 qui est la date du
début de l'étude, jusqu'en 2005 et ça continue en 2006 vous le savez,
les actes de violence contre les personnes ont continué à augmenter.
Alors à mon avis, c'est peut-être un échec de la gauche mais c'est
certainement un échec aussi de la droite.
Nicolas SARKOZY - Puis-je vous répondre là-dessus Monsieur le Président
puisque président vous êtes et après tout il n'y a pas de honte à être
président... et pour rentrer dans le détail : j'ai créé un observatoire
pour qu'il n'y ait pas de polémique sur les chiffres et je vous
remercie de l'avoir rappelé, qui est présidé par monsieur BAUER qui est
un homme dont l'équité est reconnue par tout le monde. Les violences
aux personnes, Monsieur MOATI, c'est 10% de la délinquance.
Serge PORTELLI - Absolument.
Nicolas SARKOZY - C'est bien ça. Ces violences aux personnes se
divisent en deux, les violences dites crapuleuses, violences quand on
fait un braquage ou un viol et les violences dites intra-familiales. 5%
chacune. Les violences crapuleuses ont diminué depuis 2002, vous le
savez aussi et celles qui ont augmenté, ce sont les violences intra-
familiales. Violences extrêmement préoccupantes. La question que je me
pose, Monsieur le Président et en toute humilité : est-ce que les
violences faites aux femmes ont augmenté ou est-ce que heureusement les
femmes victimes aujourd'hui osent porter plainte alors qu'il y a trente
ans ou quarante ans, elles n'osaient pas porter plainte ? Je veux dire
d'ailleurs une chose, c'est que j'ai changé la législation parce qu'une
femme victime de son bourreau et peu lui importe que le bourreau soit
le mari ou le conjoint, devait quitter le domicile conjugal la nuit
avec les enfants, j'ai fait en sorte que dorénavant c'est le bourreau
qui devra quitter le domicile conjugal. Est-ce que les chiffres sont
vrais de ce que je dis, est-ce que c'est exact ?
Serge PORTELLI - Ecoutez, pour une fois, ils ne sont pas complètement
faux...
Nicolas SARKOZY - Ah ! C'est donc si difficile de dire du bien de moi !
Serge PORTELLI - Dans cette matière-là en tout cas...
Malek BOUTIH - Je m'excuse, j'ai peut-être un raisonnement compliqué
mais si les choses vont mieux, pourquoi vous avez produit des
changements de loi, pourquoi dernièrement encore, vous avez demandé au
Parlement de modifier la loi sur la délinquance d'ailleurs en
expliquant, ce qui me semble être vrai, que le constat que vous tiriez
et que plein de Français tirent, qu'il y a des problèmes de violence,
que la violence sur les personnes augmente ; il y a quelque chose que
je ne comprends pas : vous dites "ça va mieux" mais quand vous êtes
devant le Parlement, vous demandez à modifier les lois. Est-ce que vous
n'auriez pas - c'est la question que je vous pose honnêtement - est-ce
que ce n'est pas là pour le coup, un discours circonstancié, c'est-à-
dire que vous parlez des statistiques dans cette émission mais dans
d'autres endroits, vous allez dire aux gens : il y a de plus en plus de
violence, donnez-moi de plus en plus de moyens, parce que ça c'est
votre bilan. Et ce qui est intéressant, c'est que... j'ai vu quelqu'un
ce matin en promenant mon gosse, qui me parlait des élections, il me
parlait de vous. Je lui ai dit : mais qu'est-ce que vous en pensez ? Il
m'a dit : j'aimerais bien connaître son bilan parce qu'on juge les gens
à leur bilan. Donc c'est votre bilan qui est intéressant. Pourquoi vous
changez la loi si les choses finalement vont mieux.
Serge MOATI - Répondez à ce monsieur qui promenait son gosse comme
ça...
Nicolas SARKOZY - C'est gentil qu'un responsable du Parti socialiste
parle de moi à ceux qu'il rencontre. Je sais que monsieur BOUTIH est un
homme tolérant, ça ne m'étonne pas de lui. Donc pourquoi je demande ces
choses-là, parce qu'il y a deux points où il faut faire évoluer la loi
parce qu'on en a besoin et je vais m'en expliquer très rapidement. Oui
Monsieur le Président : 50% des crimes et délits sont le fait de 5% de
délinquants...
Serge PORTELLI - Monsieur le Ministre, est-ce que je peux...
Serge MOATI - Non, mais...
Nicolas SARKOZY - Je vais répondre à monsieur BOUTIH. Monsieur BOUTIH
me demande pourquoi je veux faire évoluer la loi ; les
multirécidivistes ne sont pas condamnés assez sévèrement...
Serge PORTELLI - Ce n'est pas possible de dire des choses comme ça.
Serge MOATI - Laissez-le terminer...
Nicolas SARKOZY - Donc il y a un problème massif de multirécidivistes.
J'estime pour ma part que quand on vient vingt fois devant le même
tribunal correctionnel, il devrait exister des peines planchers pour
que le multirécidiviste soit certain d'être condamné fortement.
Deuxième problème : sur les dix dernières années, la délinquance des
mineurs a augmenté de 80%. Pourquoi ? Parce que l'ordonnance de 1945
est totalement démodée par rapport aux mineurs de 2006, c'est un
problème considérable. Et je demande une chose précise : qu'un mineur
de 16 à 18 ans qui est un multirécidiviste, l'excuse de minorité lui
soit supprimée pour qu'il soit condamné comme un majeur parce que pour
Mama GALEDOU, cette jeune femme qui a été brûlée dans le bus de
Marseille, être brûlée sur 62% de son corps... par un mineur ou un
majeur, le résultat pour la victime est le même.
Serge MOATI - Donc vous voyez un gamin en prendre pour trente ans.
Nicolas SARKOZY - J'ai dit entre 16 ans et 18 ans. D'ailleurs Monsieur
MOATI, quand on a mis la responsabilité pénale à 18 ans, la
responsabilité civile était à 21. Maintenant la responsabilité civile
est à 18, c'est bien qu'il y ait une évolution, je demande la même
évolution pour les délinquants multirécidivistes.
Sylvie PIERRE-BROSSOLETTE - Est-ce que vous pensez vraiment que la peur
de la sanction et de mettre un jeune homme entre 16 et 18 ans pendant
trente ans en prison, ça résout le problème ?
Nicolas SARKOZY - Non ce n'est pas la question. Je pense Sylvie PIERRE
-BROSSOLETTE que la certitude de la sanction et de la sanction
immédiate, c'est la première étape de la prévention. Qu'il y a un
sentiment d'impunité chez les mineurs multirécidivistes et c'est la
raison pour laquelle un certain nombre de caïds de banlieue utilisent
les mineurs, les poussent en avant parce qu'ils savent que dans le
système pénal français, un mineur est en situation de quasi-impunité.
Serge PORTELLI - Monsieur le Ministre, vous essayez de faire peur aux
Français...
Nicolas SARKOZY - Non pas du tout, j'essaie de répondre à des
questions.
Serge PORTELLI - Non mais la réalité, vous savez, il n'y a pas que vous
qui la connaissez, il y a un certain nombre de praticiens dont je suis
et c'est à ce titre-là que je parle ; vous citez un chiffre qui est
grossièrement faux, je vous prie de m'excuser de vous le dire de cette
façon-là mais il n'y a pas d'autres termes possibles, pour faire peur
aux Français, sur les récidivistes parce que c'est une façon de masquer
un échec patent ; quand vous dites, écoutez, réfléchissez deux secondes
: la moitié de la délinquance en France est le fait de 5% des
récidivistes, on réfléchit ensemble deux secondes. C'est quoi la moitié
de la délinquance, des crimes et délits en France, c'est quoi ? Vous
savez ce que c'est et vous savez combien il y a de crimes et délits en
France, vous le savez bien, c'est quatre millions d'accord...
Nicolas SARKOZY - Non 3,750 millions... excusez-moi, peut-être que
votre compteur s'est arrêté... mais devant un homme aussi compétent, je
m'incline...
Serge PORTELLI - Au vu des rapports qui sont faits par l'Inspection
générale de vos services, les vôtres sont légèrement truqués mais on
laisse ça de côté.
Nicolas SARKOZY - Qu'est-ce qui est truqué, Monsieur le Président ?
Serge PORTELLI - Vos chiffres.
Nicolas SARKOZY - Lesquels ?
Serge PORTELLI - Je pense que vous n'avez pas encore publié un rapport
qui a été fait par vos services d'inspection en décembre 2005 et qui
dort malheureusement dans vos tiroirs et dans lequel on dit que...
Nicolas SARKOZY - Un rapport sur quoi ?
Serge PORTELLI - Sur les statistiques, tout le monde les connaît sauf
vous...
Nicolas SARKOZY - Ecoutez, je vous garantis que si vous voulez ce
rapport, je vous le communiquerai.
Serge PORTELLI - D'accord, bien volontiers. Il y a beaucoup de
journalistes qui l'attendent. Simplement la moitié de 3,7 millions,
d'accord, ça fait quoi ? La moitié de 3,7 millions... de crimes et
délits...
Intervenant - 1,8 million.
Serge PORTELLI - Monsieur le Ministre nous dit que c'est 1,8 million de
crimes et délits sont commis par 5% des délinquants. Mais où est votre
boule de cristal, Monsieur le Ministre ? Parce que moi je croyais à
lire vos chiffres - c'est les vôtres là encore - que le taux
d'élucidation des crimes et délits, c'était en hausse évidemment mais
simplement de 32%, on est d'accord là-dessus, oui ?
Nicolas SARKOZY - Le taux d'élucidation, les Français doivent
comprendre parce qu'il y a une telle volonté de démontrer... je ne sais
pas ce que vous cherchez d'ailleurs...
Serge PORTELLI - Ecoutez...
Nicolas SARKOZY - Je confirme mes chiffres. Quand je suis devenu
ministre de l'Intérieur en 2002, la police et la gendarmerie trouvaient
un coupable sur quatre. Aujourd'hui en 2006, les derniers chiffres sont
de 2005, la police et la gendarmerie trouvent un coupable sur trois. Je
ne pensais que monsieur PORTELLI m'obligerait à montrer à quel point la
police et la gendarmerie sont plus efficaces aujourd'hui qu'hier.
Serge PORTELLI - Est-ce que vous voulez bien répéter ce que vous avez
dit sur la moitié de la délinquance qui est commise...
Nicolas SARKOZY - Mais bien sûr...
Serge PORTELLI - Mais comment pouvez-vous dire ça alors que vous ne
savez même pas qui a fait sept crimes et délits sur dix !
Nicolas SARKOZY - Mais pas du tout !
Serge PORTELLI - Enfin écoutez, même un bambin le comprend !
Nicolas SARKOZY - Qu'est-ce que vous voulez démontrer, Monsieur le
Président, je n'arrive pas à suivre ?
Serge PORTELLI - Ce que je veux démontrer, c'est que si vous regardez
les chiffres, c'est 5%...
Nicolas SARKOZY - Qu'on est assez sévère avec les multirécidivistes ?!
Serge PORTELLI - Ecoutez, vous le savez parfaitement, c'est vos
statistiques, que la justice est de plus en plus sévère avec les
multirécidivistes, vous le savez, et qu'ils vont en prison de façon
majoritaire et en permanence et depuis longtemps.
Nicolas SARKOZY - 'est votre droit de penser ça...
Serge PORTELLI - Je ne le pense pas, c'est les statistiques.
Nicolas SARKOZY - Je pense qu'il n'y a pas un seul Français qui nous
regarde, qui pense qu'on est assez sévère avec les multirécidivistes.
Alors si vous posez la question de la prison, ce qui est un autre
problème, je suis pour une loi pénitentiaire qui revoit profondément
l'organisation de nos prisons qui sont trop souvent l'école du crime.
Je pense notamment qu'il faut sortir de nos prisons les quelque 20 à
25% de détenus qui ont des maladies psychiatriques graves...
Serge MOATI - Et Dieu sait qu'il y en a.
Nicolas SARKOZY - Il faut investir énormément dans nos prisons. Je
pense également qu'il faut multiplier les centres éducatifs fermés pour
des mineurs qui ne doivent pas se retrouver dans les prisons avec les
majeurs, écoles du crime, mais que la définition d'une politique
pénitentiaire, c'est que vont en prison ceux qui le méritent. J'ajoute
un dernier point, c'est que je demande que pour les délinquants
sexuels, ils ne sortent de prison que s'ils s'engagent à accepter
d'être soignés. Quand on connaît le risque de multirécidive en la
matière qui est extrêmement préoccupant.
Serge PORTELLI - Monsieur le Ministre, est-ce que vous vous êtes déjà
entretenu une seule fois avec quelqu'un qui travaille avec les
délinquants sexuels ? Un petit peu pour savoir de quoi il s'agit ?
Qu'est-ce que vous allez demander aux juges, de prescrire quel type de
médicaments, pour combien de temps ?
Nicolas SARKOZY - Non non Monsieur le Président, malheureusement, j'ai
peut-être vu plus de victimes que vous...
Serge PORTELLI - Sûrement pas Monsieur le Ministre, sûrement pas, en
tout cas moi sans caméra...
Nicolas SARKOZY - Et j'ai notamment vu un homme extrêmement remarquable
qui est le président de l'Association des victimes... des parents de
victimes de monsieur Guy GEORGES. Permettez-moi de vous dire que si je
n'avais pas créé le FNEG...
Serge MOATI - C'est quoi le FNEG ?
Nicolas SARKOZY - Le FNEG, c'est le fichier des empreintes
génétiques... Il y avait en 2002, 3.000 empreintes. Il y en a
aujourd'hui près de 400.000. Si le FNEG, Monsieur MOATI, c'est très
important ce que je vais dire, avait existé, Guy GEORGES n'aurait pas
violé douze femmes. Et quand j'ai créé le FNEG, les amis de monsieur
PORTELLI, le syndicat de la magistrature, l'ensemble des magistrats de
gauche se sont mobilisés pour m'empêcher de le faire, c'était une
initiative parfaitement irresponsable. J'ajoute un dernier point...
Serge PORTELLI - Puisque vous nous attaquez, simplement je peux
répondre : il y a peut-être un petit peu trop de fichiers en France et
en plus ils sont mal tenus et ce n'est pas monsieur PORTELLI et ses
amis qui vous le disent, c'est la CNIL...
Serge MOATI - La Commission informatique et liberté...
Nicolas SARKOZY - Je veux faire passer la police de la culture de
l'aveu à la culture de la preuve.
Serge PORTELLI - Ecoutez c'est ce que vous dites mais alors vous ne
devez pas aller souvent dans les commissariats, je suis désolé !
Nicolas SARKOZY - Vous savez, c'est difficile de discuter lorsqu'on ne
veut pas s'entendre et se comprendre ; je ne dis pas que dans tout ce
que vous dites, il n'y a pas de la sincérité, Monsieur PORTELLI, mais
vous êtes vice-président du tribunal de Paris, les Français sont en
droit d'attendre un autre comportement d'un magistrat qui doit juger au
nom du peuple français et non pas d'une idéologie, Monsieur PORTELLI !
Monsieur PORTELLI, pardon de vous le dire, l'excès de votre
argumentation... quand on pense que vous êtes magistrat...
Serge PORTELLI - Mais vous n'avez pas répondu une seule fois aux
chiffres que je vous ai posés... alors vous savez, moi je veux bien que
vous m'attaquiez là-dessus mais...
Nicolas SARKOZY - Monsieur PORTELLI, je demande une autre chose, c'est
que ce ne soit plus le juge d'application des peines qui doive décider
seul de la question de la libération anticipée d'un détenu. J'ai été
bouleversé par ce qui s'est passé avec madame KRELMEL (ph) mais il y en
a tant d'autres, et je demande que la responsabilité professionnelle
d'un magistrat puisse être engagée et que pour le moins, celui-ci doive
s'expliquer quand la décision qu'il a prise avec d'autres conduit au
meurtre d'une jeune femme. Ce sont des décisions très lourdes. Il n'y a
pas une profession de France qui ne soit exonérée d'un devoir de
responsabilité professionnelle. Je ne vois pas au nom de quoi la seule
profession où on n'ait pas à rendre compte des décisions que l'on prend
et des conséquences de ces décisions soit celle de magistrat.
Serge MOATI - Vous avez eu une question sur l'excuse de minorité...
c'est vrai que c'est choquant quand on entend ça, on pense à des gamins
immédiatement...
Malek BOUTIH - L'affaire des mineurs est une affaire importante parce
qu'il y a un problème aujourd'hui, personne ne peut le nier, celui qui
le nie effectivement ne vit pas les réalités de violence et les
réalités de violence, elles sont dans les quartiers populaires. Le
problème qui est posé est le suivant : aujourd'hui, tout le monde le
sait, premier problème, pourquoi attendre que quelqu'un ait fait vingt
délits pour lui dire au 21e : maintenant tu vas payer à fond,
premièrement. Deuxièmement, là il y a une vraie question de société sur
la sécurité et pas qu'une exploitation de la sécurité : quand on est un
mineur, c'est la différence avec un majeur, on est encore en
construction, donc on peut encore reconstruire quelqu'un à une
condition, un, la précocité, c'est-à-dire que dès le premier acte il
faut pouvoir agir ; deux, de l'éducation. Et c'est là où je pense,
c'est mon sentiment, vous avez fait une erreur d'analyse sur la
violence en France. Je finis là-dessus...
Serge MOATI - Monsieur BOUTIH.. il faut que je vous dise quelque
chose... je viens d'apprendre une nouvelle quand même, il faut que je
vous la donne, pardon... mais PINOCHET vient de mourir... Vous avez une
réaction Monsieur SARKOZY?
Nicolas SARKOZY - Aucune.
Serge MOATI - Aucune réaction ?
Gérard FILOCHE - Moi pour le peuple chilien qui a souffert, qui a été
assassiné, qui a été frappé, la démocratie qui a été écrasée, le coup
d'Etat du 11 septembre 1973 et cet homme-là n'a pas été jugé avant de
mourir.
Serge MOATI - Bien. Ecoutez, Monsieur SARKOZY, pardon, vous n'avez pas
eu votre réponse, Monsieur BOUTIH mais on se reverra dans la campagne,
pardonnez-moi. Le débat était vif, très vif et merci d'avoir répondu à
toutes nos questions...
Nicolas SARKOZY - Dans ce qu'a dit monsieur BOUTIH là, il y avait
beaucoup de choses parfaitement justes que je peux prendre.
Serge MOATI - Merci beaucoup. Source http://www.u-m-p.org, le 12 décembre 2006