Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, à France 2 le 18 décembre 2006, sur la politique fiscale et la politique des salaires.

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Média : France 2

Texte intégral


ROLAND SICARD
On vous a beaucoup vu ce week-end, vous avez présenté votre plate-forme sociale devant vos amis du Parti radical. Ca ressemble beaucoup à un programme présidentiel. Alors, je sais que vous avez dit que vous ne seriez pas candidat. Est-ce que vous ne regrettez pas d'avoir dit ça dans la mesure où finalement ça serait vous le mieux placé pour défendre ce programme ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Ecoutez, non, parce que je suis quelqu'un de responsable et moi mon problème c'est tout simplement après avoir travaillé vingt ans, longtemps à Valenciennes, pour redresser ce bassin et puis sur le logement, l'emploi récemment, de voir quels sont les blocages de la société française et puis radicalement de changer de braquet pour les régler. Alors, il y en a cinq ou six qui sont absolument vitaux.
ROLAND SICARD
Alors, vous en avez énoncé cinq.
JEAN-LOUIS BORLOO
Oui, il y en a cinq... il y en a six, en fait, qui sont vitaux.
ROLAND SICARD
Un de plus que samedi ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Non, parce qu'il y a un chantier de rattrapage.
ROLAND SICARD
Ah bon !
JEAN-LOUIS BORLOO
Non mais sur l'injustice territoriale, enfin on sait que la crise sociale territoriale, on peut appeler ça la crise des banlieues, mais en réalité c'est une crise sociale territoriale à la fois...
ROLAND SICARD
... entre les villes riches et les villes pauvres.
JEAN-LOUIS BORLOO
... une injustice fiscale invraisemblable, enfin il y a des trucs qui sont incroyables dans ce pays et qu'on laisse parce qu'on a l'habitude des Trente Glorieuses, on faisait comme ça. Exemple, on est le pays d'Europe qui taxe le plus le salaire. Le salarié, il commence à prélever, enfin on commence par lui prélever une part extrêmement importante, et d'autre part nos entreprises prépaient aussi des taxes très élevées. Il faut transférer ça sur des financements alternatifs au moins pour 300 milliards. L'éducation et la qualification, par exemple...
ROLAND SICARD
... alors, on s'arrête un petit peu là-dessus. Vous proposez donc de relever les salaires en transférant les charges, notamment sur l'impôt.
JEAN-LOUIS BORLOO
Salariales sur une palette d'impôts, la consommation, des financements alternatifs, de l'écotaxe, enfin, bon, tout un dispositif.
ROLAND SICARD
Mais relever les impôts...
JEAN-LOUIS BORLOO
Taxer les flux financiers, c'est quand même invraisemblable qu'il y ait autant de flux financiers dans ce pays, et qu'est-ce qu'on taxe ? Le travail. Nous sommes le pays d'Europe qui taxons le plus le travail. On ne peut pas dire « Vive le travail, vive la valeur travail, vive les gens », et puis continuer à être ceux qui faisons l'inverse. En matière éducative et de formation...
ROLAND SICARD
... non mais juste là-dessus, quand même, vous vous dites, il faut relever les salaires mais il y aura des hausses d'impôts, et ça c'est pas du tout ce que souhaite Nicolas SARKOZY, relever les impôts. Vous n'êtes pas d'accord avec lui.
JEAN-LOUIS BORLOO
Non mais ça fait partie des débats qu'on a, clairement. Moi, je vais rédiger cette réforme sociale, un espèce de contrat républicain, je vais proposer pour le 15 janvier, dès la désignation...
ROLAND SICARD
... dès le lendemain de la désignation du candidat UMP.
JEAN-LOUIS BORLOO
... un projet présidentiel à partager, voilà. Un projet présidentiel à partager, comment passer... enfin, faire des propositions pour que 100 % d'une classe d'âge aient une éducation, une qualification. Nous sommes à 70 % aujourd'hui, monsieur SICARD, avec toutes nos merveilleuses grandes écoles, formations professionnelles, chambres consulaires, alternances, nos universités, nos IUT, nos lycées, il y a 195 000 gamins qui sortent sans rien, et sur ceux qui font la première partie universitaire il y en a la moitié qui se sentent déclassés. Alors, on va maintenant partir des besoins et des jeunes et puis chacun va dire ce qu'il apporte. Pourquoi nos grandes écoles ne produisent pas deux ou trois fois plus d'ingénieurs ? Pourquoi est-ce que les Chinois en forment cinq millions par pan et nous on a que 50 000 places dans les grandes écoles ?
ROLAND SICARD
Mais je repose ma question, quand on a un programme très précis comme ça pourquoi on n'est pas candidat ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Parce que la société française d'abord est un tout, parce que j'appartiens à un camp qui a clairement un leadership qui est aujourd'hui assuré par Nicolas SARKOZY, et moi je propose un projet présidentiel...
ROLAND SICARD
... donc, vous le soutiendrez ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Mais on va en débattre dans ce projet présidentiel.
ROLAND SICARD
C'est pas acquis ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Moi, je suis libre, je vais vous dire, mais alors d'une liberté, vous ne pouvez pas imaginer. J'ai été avocat très très heureux, puis j'ai essayé d'être l'avocat du Valenciennois, puis j'ai essayé d'être un peu l'avocat de la justice sociale. Mon enjeu personnel n'a aucune espèce d'importance, j'aime trop mon pays.
ROLAND SICARD
Non mais, pour faire appliquer ses idées...
JEAN-LOUIS BORLOO
... je vous donne des exemples de blocages...
ROLAND SICARD
... voilà, mais pour faire appliquer ses idées, c'est bien d'être aux commandes.
JEAN-LOUIS BORLOO
On a 80 000... en France, on a des personnes, on appelle ça les Chibanis pour l'instant, nos vieux travailleurs migrants qui venaient du Maghreb u d'ailleurs, qui sont venus construire notre pays, qu'ont pas choisi le regroupement familial, ils ont plus de 65 ans, et pour toucher leur allocation vieillesse on les force à rester neuf mois ici. Je veux qu'ils soient libres d'aller où ils veulent, de terminer leur dernière partie de vie où ils le souhaitent, si c'est dans leur village s'ils le souhaitent, voilà, c'est un enjeu de dignité. J'espère qu'on va passer ce texte la semaine prochaine. Pour revenir à la question, je suis pour un projet présidentiel partagé, je le proposerai au président de l'UMP, ensuite je prendrai mes responsabilités.
ROLAND SICARD
C'est-à-dire que vous direz si vous le soutenez ou pas ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Je prendrai mes responsabilités mais en mon âme et conscience. Moi, je n'ai pas de job à défendre.
ROLAND SICARD
Pour l'instant, c'est pas fait, quoi, pour l'instant c'est pas acquis.
JEAN-LOUIS BORLOO
Non, non, mais moi je n'ai pas de job à défendre, franchement. Vous savez, ma vie elle est géniale.
ROLAND SICARD
Est-ce que vous avez déjà parlé de ces propositions avec Nicolas
SARKOZY ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Pas toutes. Vous savez, pour pouvoir... il s'agit pas de faire des propositions pour être original, c'est le fruit d'une maturation très très lente, très longue. On a travaillé avec mes amis du Parti radical, avec des experts extérieurs, c'est un espèce de pacte social qu'on propose au pays, au pays, pas seulement à l'UMP. Elle va être géniale cette présidentielle, parce que ces 5-6 grands sujets vitaux, il va vraiment falloir qu'on les mette sur la table et ils seront pas tous populaires.
ROLAND SICARD
Ah ben, relever les impôts, ça sera pas très populaire ! C'est sûr !
JEAN-LOUIS BORLOO
Si on veut, par exemple...
ROLAND SICARD
... notamment à l'UMP.
JEAN-LOUIS BORLOO
Moi, je pense que quand je vois, bon, les flux financiers qui sont sur notre pays, quasiment pas taxés, je trouve ça absolument hallucinant, voilà, hallucinant. Je trouve hallucinant qu'on ait des salaires directs plus faibles de 10 ou 15 % que nos voisins immédiats, qu'il n'y ait plus de dynamique salariale, de négociations salariales. En fait, c'est bloqué parce qu'il y a une taxe qui est prélevée, qui est absolument énorme. Donc, voilà, il faut débloquer tout ça.
ROLAND SICARD
Vous parliez de pacte social, Nicolas HULOT, lui, il a le pacte
écologique.
JEAN-LOUIS BORLOO
Oui, oui.
ROLAND SICARD
Et il dit une chose très simple, il dit « Si mon pacte, il est appliqué, je ne serai pas candidat, s'il n'est pas appliqué je serai candidat ». Vous, vous en êtes pas là ?
JEAN-LOUIS BORLOO
Non, parce que d'abord moi je suis sur des sujets globaux, mais ça va être très difficile, moi je demande qu'il y ait des référendums, dès que le président de la République... les candidats s'engagent à ce qu'il y ait un référendum sur la proportionnelle. Si on veut oxygéner la vie politique française, il faut 50 % de proportionnelle à l'assemblée nationale ; il faut que Lutte Ouvrière soit représentée, il faut que la LCR soit représentée, il faut que l'extrême droite soit représentée. Il faut qu'un mandat. Je suis pour le mandat unique. Ca, c'est du référendum.
ROLAND SICARD
Tout ça c'est très loin du programme...
JEAN-LOUIS BORLOO
... refaire la justice fiscale. L'incroyable scandale de l'injustice des territoires, des villes très très pauvres ou des bourgeois, et des très très riches. Il nous faut un référendum aussi là-dessus.
ROLAND SICARD
A propos d'impôt, ce matin, Thierry BRETON propose la retenue à la source, c'est-à-dire payer l'impôt dès la feuille de paie. Qu'est-ce que vous en pensez ?
JEAN-LOUIS BORLOO
D'abord, si Thierry BRETON le propose c'est que ça doit être intelligent, parce que c'est un très bon ministre de l'Economie et des Finances. Pour le reste, j'ai pas encore regardé le détail.
ROLAND SICARD
Il s'agit de payer tout de suite, c'est-à-dire on n'attend pas la fin de
l'année pour payer ses impôts, on le paie au départ.
JEAN-LOUIS BORLOO
Beaucoup de pays font la retenue à la source, alors je crois que c'est assez simple quand le revenu est essentiel c'est le salaire, vous voyez, on y revient toujours à mon fameux salaire direct qu'il faut voter ; c'est probablement plus compliqué quand on a des sources de revenus...Mais si Thierry BRETON le propose, c'est que c'est bien.
ROLAND SICARD
Merci Jean-Louis BORLOO. FINSource http://www.partiradical.org, le 19 décembre 2006