Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le patrimoine historique et culturel public, notamment militaire, à Paris le 20 juin 2006.

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Circonstance : Assemblée générale "Vieilles Maisons Françaises", à Paris le 20 juin 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je souhaite avant tout vous remercier très chaleureusement.
D'abord pour votre action en faveur du patrimoine. Je suis effectivement sensible à vos propos en faveur de l'engagement de chacun, y compris de l'Etat, pour la mise en valeur de notre patrimoine.
Je partage vos préoccupations, parce que le patrimoine c'est aussi l'identité d'un pays.
Finalement qu'est ce que c'est qu'une Nation ? Une Nation, c'est une histoire et une envie de partager un destin commun. Notre patrimoine est la marque de ce destin qu'au cours des siècles les Français ont voulu partager. Il mérite toute notre attention. C'est pourquoi je vous remercie de votre action en faveur du patrimoine.
Oui, notre pays dispose d'une richesse extraordinaire qui mérite toute notre attention et tout nos efforts, non seulement pour des raisons esthétiques, mais aussi pour l'image de notre pays dans le monde. Notre cohésion nationale prend tout son sens par la reconnaissance de ces jalons de notre histoire et par le partage de cette émotion esthétique.
Contribuer à valoriser cette richesse, c'est un devoir, pour chacun d'entre nous, dans l'exercice de nos fonctions, dans la diversité de nos responsabilités.
Je veux vous remercier également d'avoir choisi l'Ecole militaire, un des fleurons de ce patrimoine, pour tenir votre assemblée générale. C'est un symbole fort de l'intérêt que représente le patrimoine militaire. Je sais que le sujet a été abordé au cours de vos débats. Sachez que j'y suis sensible.
Je veux vous remercier enfin de votre invitation, qui me donne l'occasion d'évoquer la richesse du patrimoine militaire et de rappeler certaines actions que j'ai entreprises depuis mon arrivée dans ce ministère, qui rejoignent vos analyses et vont dans le sens de vos préoccupations.
I. La Défense dispose d'un patrimoine exceptionnel
Je veux d'abord rappeler rapidement que la Défense possède effectivement un patrimoine exceptionnel.
C'est un fait souvent méconnu, parce que l'on pense généralement à certains établissements célèbres comme l'Hôtel national des Invalides ou l'Ecole militaire, où nous nous trouvons, qui sont certes des joyaux du patrimoine militaire et national.
Mais je ne suis pas sûre que l'on sache aussi que ce ministère dispose encore de plus d'une centaine de monuments classés ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.
On y trouve des merveilles architecturales comme la citadelle de Montlouis, dans les Pyrénées orientales, ou encore celle de Port-Louis dans le sud de la Bretagne.
Ce patrimoine ne comporte pas simplement des emprises militaires comme on pourrait s'y attendre. Il est aussi composé d'anciens édifices religieux comme le Val-de Grâce à Paris, qui a d'ailleurs été superbement restauré, le couvent des cordeliers à Versailles ou l'église du Prytanée de La Flèche.
Y figurent également un certain nombre de bâtiments industriels qui sont devenus des monuments historiques, comme le bassin des carènes à Balard ou l'aérogare du Bourget qui abrite aujourd'hui le musée de l'Air et de l'Espace.
Les musées constituent précisément un atout majeur de ce patrimoine.
Vous me disiez tout à l'heure, pendant que nous assistions aux remises des prix - dont je tiens à féliciter les lauréats - que ce qui vous intéresse c'est l'activité culturelle qui peut se développer autour des monuments et des maisons. C'est bien dans cet esprit que je m'attache à promouvoir le travail muséographique du ministère de la défense, dont le niveau exceptionnel mérite d'être reconnu.
Nous avons d'abord trois musées classés musées de France : le musée de l'armée, aux Invalides ; le musée national de la marine, qui dispose aussi d'un certain nombre de merveilles ; et le musée de l'air et de l'espace, qui expose des collections uniques au monde.
S'y ajoutent une vingtaine d'autres musées de tradition, répartis sur l'ensemble du territoire.
La Défense a également un privilège ancien, et auquel elle tient, celui de conserver ses propres archives.
Nous disposons aussi de nombreuses bibliothèques patrimoniales dont la plus importante, celle de Vincennes, compte près d'un million d'ouvrages consacrés notamment à la chose militaire.
N'oublions pas enfin le patrimoine immatériel de la Défense, celui de la musique, de la symbolique et des traditions militaires.
II. La Défense s'attache à valoriser au mieux ce patrimoine
C'est donc un ensemble extrêmement important et il me paraît essentiel que la Défense s'attache à valoriser au mieux ce patrimoine. En effet, disposer d'un tel patrimoine, c'est d'abord une responsabilité.
Un ministère n'est pas propriétaire de son patrimoine historique ; il en est le dépositaire, au nom de la nation.
Au cas particulier de la Défense, ce patrimoine fait partie du lien qui l'unit à la Nation ; depuis la suspension du service national, ce lien est encore plus important à développer.
C'est pourquoi, en tant que ministre de la Défense, je m'attache à le valoriser en permanence.
Pour cela, nous avons un cadre : le protocole conclu avec le ministère de la culture depuis de nombreuses années, que j'ai renouvelé le 17 septembre dernier. Il permet une coopération étroite pour la restauration des monuments historiques de la Défense, dont vous imaginez mieux que quiconque le coût, puisque nous partageons dans ce domaine les mêmes préoccupations.
A titre d'illustration, le ministère de la culture et le ministère de la défense vont consacrer cette année 5 millions d'euros chacun à des travaux de restauration de monuments situés en région parisienne et en province.
Dans le cadre de ce protocole, la Défense a également pour responsabilité de faire vivre, voire revivre, le patrimoine dont elle a la charge.
On peut en prendre rapidement quelques exemples :
C'est ainsi que le château de Lunéville, le « Versailles Lorrain », en partie détruit par un incendie en janvier 2003, va voir ses travaux de reconstruction démarrer début 2007, notamment grâce à l'engagement du ministère de la défense .
Et vous aviez raison de souligner que la restauration du patrimoine est un élément positif pour l'économie, car ce chantier, qui va mobiliser de très importants fonds publics, nationaux et locaux, participera au développement économique de cette région en apportant une activité significative, et ce, pendant plusieurs années. Ce point mérite d'être souligné.
Les métiers d'art sont également au coeur de ce dynamisme économique. Je suis convaincue que les métiers d'artisans d'art, dont nous avons besoin pour la restauration du patrimoine, font partie de la richesse du savoir-faire de la France et ne doivent pas se perdre. Nous devons et pouvons les relancer, notamment par l'apprentissage, afin de susciter des vocations en permettant à des jeunes de se former à ces métiers.
Deuxième exemple qui me tient à coeur, celui de l'Hôtel national des Invalides.
Le musée de l'armée, dont j'ai parlé à l'instant, a lancé un vaste programme de modernisation. Il va conduire d'ici à 2007 à une transformation complète des lieux.
J'ai inauguré en décembre dernier le département ancien qui accueille une collection unique d'armes et armures, dont la mise en valeur mérite d'être soulignée. Je vous engage à lui rendre visite.
La semaine prochaine, j'inaugurerai les espaces consacrés aux deux guerres mondiales, sur 3500 m2 entièrement modernisés.
Enfin, début 2007, sera inauguré un musée d'un nouveau genre, un mémorial multimédia construit sous l'une des cours intérieures des Invalides et consacré au Général de Gaulle.
Troisième exemple : l'Hôtel national de la marine, qui borde la rue Royale et fait face à la place de la Concorde. Ancien garde meuble de la Reine, ce bâtiment exceptionnel comprend des salons d'apparat et un péristyle tout à fait superbes, qui devaient être restaurés d'urgence.
J'ai donc signé fin avril avec le président du groupe Bouygues et le ministre de la culture et de la communication un accord pour sa restauration, grâce à une formule novatrice : le mécénat de « compétence ». Cette entreprise s'est engagé à réaliser elle-même les travaux pour plus de 6 millions d'euros.
C'est une première pour l'Etat. Cette formule fait partie des pistes de réflexion que nous devons approfondir. J'espère avoir ainsi donné l'exemple, au service de l'intérêt général, c'est-à-dire dans l'intérêt du patrimoine national.
Quelques mots enfin sur l'Ecole militaire. C'est sans conteste l'un des hauts lieux de la culture militaire, qui fait l'objet de projets de grande ampleur.
Je pense naturellement à l'installation de l'Etat-major de l'armée de terre, qui fait partie d'un projet plus large de mise en cohérence et de regroupement des structures de commandement stratégique, afin de moderniser le fonctionnement de l'administration des armées.
Je pense également à la création d'un centre de documentation interarmées à l'usage des officiers en formation, des étudiants et des chercheurs, que j'ai voulu installer à l'école militaire dans un souci de cohérence d'ensemble.
Ce centre de documentation doit devenir un véritable centre de référence pour l'enseignement et la recherche dans le domaine militaire.
Ces lieux garderont ainsi leur vocation première, celle de l'enseignement militaire.
Cet ambitieux projet de modernisation et de valorisation de l'Ecole militaire suscite parfois, je le sais, quelques inquiétudes. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé qu'il soit mis en oeuvre en étroite concertation avec les acteurs concernés et avec les riverains. Je souhaite valoriser tout à la fois l'architecture et l'utilisation de l'ensemble de ces locaux, car cette utilisation sera un gage supplémentaire de la pérennité et de la préservation de ce patrimoine.
Conclusion
Au delà des actions entreprises dans tel ou tel ministère, nous devons d'urgence réfléchir, en liaison avec des associations comme la vôtre, à de nouveaux outils de gestion du patrimoine public « historique », sur le modèle de ce que l'Etat souhaite entreprendre pour son domaine privé.
Que le patrimoine soit placé sous gestion publique, cela relève du bon sens et des exigences de l'intérêt général. Ce cadre doit être conservé, même si des aménagements sont nécessaires. Certains ont d'ores et déjà été apportés par l'utilisation plus fréquente du statut d'Etablissement public.
Ce statut permet en effet aux entités de bénéficier d'une autonomie de gestion supérieure, notamment par des possibilités de nouvelles sources de recettes.
Mais ces spécificités, limitées aux monuments les plus illustres, ne doivent pas dissimuler un problème majeur, qui est le vôtre, qui est le nôtre, celui du manque de moyens. Car le mécénat ne comble qu'une partie des besoins. Et pour l'Etat, qui assume la responsabilité du patrimoine non seulement pour lui-même, mais aussi pour l'ensemble de la nation, c'est une vraie responsabilité.
Afin de permettre une meilleure gestion du patrimoine historique et culturel public, ainsi que le financement par les acteurs privés des travaux de restauration ou d'accueil du public, il est indispensable de permettre un meilleur accès à certaines formes de financements innovants, notamment par l'assouplissement des conditions de recours aux partenariats publics-privés.
Ces partenariats demeurent aujourd'hui complexes dans leur mise en oeuvre et ne répondent pas autant qu'ils le pourraient aux nécessités de l'entretien et du développement du patrimoine public. Il est donc indispensable de les rendre plus efficaces.
La maintenance, l'entretien et la rénovation du patrimoine « historique » de l'Etat, extrêmement important, extrêmement lourd, sont d'intérêt général. L'adaptation de l'arsenal juridique existant pour nous permettre d'avancer, de trouver les moyens nécessaires, sera une condition nécessaire de la préservation de ce bien commun.
L'enjeu est bien entendu financier - je ne vous dirai pas le contraire - mais il dépasse largement ce cadre financier. Cette initiative serait pour l'Etat le symbole d'une gestion rénovée des finances publiques ; des finances publiques que nous contribuons tous à créer par les impôts que nous payons.
Parmi les missions de l'Etat, celle d'assurer la protection de notre pays et le lien entre les générations est indispensable si nous voulons préserver et promouvoir l'unité de la Nation.
Il est de notre responsabilité, comme vous le faites dans vos familles respectives, de transmettre un patrimoine aux générations futures, un patrimoine qui sera une référence pour ces générations dans l'édification de leur propre situation, de leur histoire et de leur pays.
Nous ne pourrons avoir un pays uni, un pays qui soit fier de ce qu'il a fait dans l'histoire, qui soit fier de porter au delà de ses frontières une certaine image de ses valeurs, une certaine image de ce qu'il est, que si nous nous mobilisons tous pour transmettre ce que nous avons reçu aux générations futures, chacun dans notre domaine et chacun avec nos moyens.
Il s'agit là d'une véritable mission commune.
J'y participe, comme le fait chacun d'entre vous. C'est ainsi, par notre action conjuguée, en étant à l'écoute des besoins des uns et des autres et en marquant toujours une forte détermination, que nous pourrons effectivement transmettre à nos enfants un patrimoine historique et culturel qui fera d'eux des Français fiers d'être français et fiers de la France.
Je vous remercie.Source http://www.vmf.net, le 4 janvier 2007