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Nombreux sont ceux aujourd'hui qui, telles de bonnes fées, se penchent sur le berceau syndical. Comme souvent, il faut savoir quitter l'apparence des choses pour aller au fond des dossiers. Au préalable, pour que les choses soient claires, Force ouvrière n'est pas partisane du statu quo. Mais encore faut-il savoir par quoi les règles actuelles doivent être remplacées. Le dossier de la représentativité s'apparente aux poupées russes. Il touche, en effet, à la légitimité syndicale, aux modalités de négociation, à la conception démocratique et républicaine et au paysage syndical. Examinons d'abord quelques idées reçues.
Premièrement : "Le taux de syndicalisation est faible, donc les syndicats ne sont pas représentatifs." Sauf à deux périodes brèves de son histoire (1936 et 1945), le syndicalisme français n'a jamais eu un fort taux de syndicalisation. Parmi les raisons, citons l'attachement au modèle républicain visant à assurer un minimum d'égalité de droits, que l'on soit syndiqué ou non. Se syndiquer en France n'offre pas d'avantages particuliers. C'est ce mode républicain qui permet aux salariés français d'être les plus couverts au monde par des conventions collectives. De même, les droits réels des salariés français sont largement comparables à ceux d'autres pays de niveau économique identique, où le taux de syndicalisation est plus élevé. Dès lors, il ne faut pas confondre les débats : une élection, quelle qu'elle soit, ne favorise pas obligatoirement l'adhésion. Renforcer la syndicalisation, ce qui est indispensable, passe par d'autres voies, dont une réelle liberté syndicale dans toutes les PME. De ce point de vue et pour nombre de salariés de PME, la France est un pays de liberté syndicale théorique.
Une hiérarchie des normes bousculée. Deuxièmement: "La démocratie, c'est l'accord majoritaire." Pendant longtemps, la conception républicaine du progrès social, fondée sur le principe de faveur, ne permettait pas à un accord de branche de déroger à un accord interprofessionnel, ni à un accord d'entreprise de déroger à un accord de branche. Cette hiérarchie des normes a été progressivement remise en cause, et plus particulièrement par la loi Fillon de mai 2004. Les accords d'entreprise peuvent désormais constituer des reculs sociaux. II apparaît alors légitime qu'ils ne s'appliquent que si une majorité de salariés y consent, mais cela pose fondamentalement la nécessité de remise en cause de ces dérogations. Cette même question se pose-t-elle dans le cas d'accords porteurs de progrès sociaux ? À l'évidence, non. Rappelons d'ailleurs que, historiquement, l'édifice contractuel s'est souvent construit à partir d'accords que l'on qualifierait aujourd'hui de minoritaire.
La loi Fillon : l'indispensable bilan. Sans être exhaustif, d'autres questions se posent : les "majorités" pouvant changer, devra-t-on faire des accords à durée déterminée? A contrario, le système du droit d'opposition est un système doublement responsabilisant : d'abord, sur la décision de signer ou non ; ensuite, sur celle de s'opposer ou non. Il serait donc sage que soit connu (fin 2007) le bilan de la loi Fillon, avant de modifier les règles de validation des accords. La démocratie sociale n'est pas un copier coller de la démocratie politique. Enfin, nul ne peut évacuer le débat sur le conflit éventuel de "légitimité" entre syndicats et partis politiques, tous deux dépendant pour leur légitimité de processus électoraux.
Troisièmement : "L'élection est le seul modèle de démocratie sociale et la démocratie, le seul objectif du débat sur la représentativité." Outre les problèmes déjà évoqués, il y a tout le non-dit, ce que j'appelle le bal des hypocrites. Derrière ce débat sur la représentativité, se pose la question de quel paysage syndical demain 3, 5, 7 organisations ? À quel niveau situer le seuil de la représentativité ? Les salariés ont-ils intérêt à un émiettement syndical ? Doit-on réformer par la loi le paysage syndical, ou laisser les syndiqués en décider ? En conclusion (provisoire), le débat n'est pas clos. Il ne saurait être bâclé, comme ce fut le cas au Conseil économique et social. Pour Force ouvrière, ce qu'il faut mesurer, c'est l'audience des confédérations, c'est-à-dire des structures interprofessionnelles en permettant aux salariés du privé et du public, aux chômeurs et aux retraités de s'exprimer. Ce scrutin, c'est celui d'un rétablissement des élections à la Sécurité sociale. Négliger les uns ou les autres serait socialement et syndicalement irresponsable.Source http://www.force-ouvriere.fr, le 27 décembre 2006