Texte intégral
Nous sommes heureux d'être là. Je dis nous, car m'ont accompagné ce soir Marielle de Sarnez, qui va diriger la campagne, députée européenne, et Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale. J'aime beaucoup Lyon. Naturellement, un candidat à la présidence de la République aime toutes les villes qu'il traverse, mais j'aime spécialement Lyon. À telle enseigne qu'en vous écoutant et en écoutant vos applaudissements, j'avais un souvenir en mémoire, qui date des dernières élections municipales. Un matin, je me réveille vers six heures moins le quart, je fonce vers la douche chargée de me réveiller, j'allume au passage la radio, et j'entends sur France-info, en premier titre de la journée, une grande nouvelle politique " François Bayrou a décidé de se présenter aux élections municipales à Lyon " ! C'était il y a cinq ans. En réalité, c'était un journaliste qui avait trouvé cette information auprès d'un conseiller complaisant, et qui en a fait un titre. Cela a fait la une de toutes les radios pendant une matinée. Je vous passe le coup de téléphone de ma femme, qui elle aussi avait allumé la radio à ce moment-là et qui me dit " Quand tu prends une décision comme celle-là, tu pourrais me le dire ", les innombrables coups de fil des amis... Bref, je suis un ancien candidat à la mairie de Lyon, candidat esquissé, mais je suis très heureux que cette idylle récente ait donné, ait créé, ou ait fait naître cette amitié profonde que j'ai pour cette ville !
Nous avons fait pendant ces deux jours toutes les étapes que Michel Mercier a évoquées à l'instant.
Première étape, des entreprises, créées par des chercheurs et soutenues par un réseau formidable, qui n'est pas seulement un réseau de chefs d'entreprises habitués aux problèmes financiers et industriels, conseillant des créateurs, mais qui est un réseau de solidarité qui entretient un certain esprit et un certain idéal qui se percevait tout au long de la discussion que nous avons eue avec ceux qui ont créé le réseau " Rhône Entreprendre ". Nous avons passé l'après-midi et hier soir avec plusieurs chercheurs, une trentaine, du premier niveau mondial en biotechnologies, en sciences physiques, en génétiques, quelques-uns aussi dans des matières plus littéraires, juridiques ou politiques, pour la plupart issus de l'Ecole Normale Supérieure. Ce qui me faisait me féliciter d'avoir pris la décision d'installer à Lyon l'Ecole Normale Supérieur en Lettres et Sciences humaines lorsque j'étais ministre de l'Education nationale. Je l'ai fait avec Raymond Barre et j'en ai été très heureux (l'ENS de Sciences ayant été créée en 1987).
Après cela, nous avons rencontré une formidable association qui s'appelle " Notre Dame des sans-abri ", qui est portée par cet esprit que j'évoquais, un esprit de don, de partage et de rigueur, de générosité et qui s'occupe de 500 SDF. Ce qui fait que Lyon est la grande ville de France où il y a le moins de SDF dans la rue, quelques dizaines seulement alors qu'à Paris ils se comptent par milliers. Cinq cents SDF suivis et pris en charge, car cela n'est pas le tout d'offrir un foyer ou un refuge à ceux qui sont délaissés, mais il faut aussi aller les chercher dans leurs blessures, du fait que chacun d'entre eux, familialement, professionnellement, personnellement, a perdu le regard de soi, la confiance en soi, l'estime de soi qui fait qu'un homme se tient debout, et que de rechute en rechute, si l'on n'est pas là pour l'accompagner et lui tenir la main, on ne peut pas le sortir de cette précarité, qui n'est pas que matérielle mais aussi morale. J'avais le coeur étreint d'une immense admiration pour les animateurs de cette association, elle a 50 ans. Car ceci ce n'est pas de l'humanisme dans les mots, mais de l'humanisme dans les actes, c'est quelque chose qui donne de l'humanité, de l'espèce humaine, des êtres humains, une idée plus élevée que la vie ne la donne généralement ces temps-ci. C'était pour moi une très grande leçon de discuter avec ceux qui sont exclus et avec ceux qui les tirent de l'exclusion. Je m'empresse de dire que nous avons naturellement refusé que les caméras et appareils photos puissent assister à cette rencontre, j'ai trouvé que c'était mieux pour une certaine idée que je me fais de la politique.
Ce matin, nous avons visité le hammam de Vaulx-en-Velin, je vous passe les nombreux coups de fils que j'ai reçus de la part des observateurs et journalistes me disant " Est-ce que c'est vraiment sérieux ? ". Cette fois, ma femme ne m'a pas appelé, alors qu'elle aurait pu. Les femmes qui nous ont accueillis ont été formidables d'intelligence, de vitalité, d'optimisme et d'humanité. J'étais fier d'être leur hôte, tout comme mes amis l'étaient, et je promets une chose : ayant entendu ce qu'elles avaient à dire de leurs enfants et des amis de leurs enfants, ayant entendu ce quelles avaient à dire du sentiment de blessure qu'on ressent lorsqu'il y a des gens qui viennent vous dire qu'il faut que vous vous intégriez à une société, à un pays dont vous êtes, depuis votre naissance, membre et citoyenne. Vous n'avez pas à vous intégrer à un pays qui est le vôtre.
J'ai entendu la même chose à Lille dans une visite du même ordre. J'ai un grand espoir en les femmes pour sortir les quartiers de la situation dans lesquels ils se trouvent. Une jeune femme à Lille me disait « Que pouvons-nous faire de plus ? Nous vivons comme vous nous avez demandé de vivre, nous ne portons pas le voile car vous nous avez demandé de ne pas le porter, nous avons fait des études comme vous nous avez demandé, notre mode de vie est le même que le vôtre, vos valeurs nous les partageons, nous croyons aux valeurs de la République, que pouvez-vous nous demander de plus ? Je suis bac plus 5 et quand je décroche le téléphone pour appeler une entreprise qui a un stage ou un emploi à proposer, comme je n'ai pas d'accent, il y a un intérêt pour mon profil, mais à l'instant où je dis mon nom, j'entends une porte qui se ferme et pour moi c'est fini. Alors de quelle intégration me parlez-vous ? » J'ai pris ces propos comme une adresse à l'ensemble de la Nation et de la République française. Je suis honoré d'avoir été votre hôte, et je vous assure qu'une fois élu Président de la République, je reviendrai au hammam de Vaulx-en-Velin.
Enfin, dans le Beaujolais, chez Anne de Beaujeu, nous avons rencontré de nombreux viticulteurs, d'animateurs de syndicats et d'associations viticoles avec, eux aussi, à la fois leurs chances et leurs drames. Et quand je dis « drame » je sais que ces drames peuvent hélas parfois conduire très loin. Vendre sa terre, c'est pour un certain nombre d'entre les nôtres, compatriotes, aussi une manière d'avouer un échec final. J'ai été là aussi très heureux de leur vitalité et de leur force, et de la compréhension qu'ils avaient des défis qui se présentaient à eux, qui exigent d'une profession jusqu'ici très individualiste, très fière de son indépendance, de son vignoble, d'être maître chez soi, qu'elle comprenne qu'elle va devoir s'organiser dans les années à venir pour présenter un front efficace face aux défis que le Beaujolais va rencontrer. Tout cela était une expérience formidable, une expérience humaine qui nourrit forcément la réflexion d'un homme qui va se présenter à la présidence de la République.
Et sans toutes ces rencontres entre un homme qui se présente, et des jeunes qui sont là, des femmes qui nous accueillent, des personnes âgées qui ne sortent plus, des enfants en qui on met de l'espoir, des chercheurs à la pointe du progrès de la planète, les artistes, créateurs, artisans que je mets au même rang que les artistes, toutes ces rencontres sont des rencontres charnelles, les yeux dans les yeux. C'est plus important, plus fort, que le barnum habituel des campagnes, alors je vous suis reconnaissant de ces deux jours de labourage à Lyon, dans l'agglomération et dans le département du Rhône.
J'aime beaucoup Lyon parce que j'aime les Lyonnais et, spécialement, un certain nombre de Lyonnais : je veux saluer les élus de Lyon qui m'accompagnent tous les jours : Michel Mercier, président du Conseil général du Rhône, président du groupe UDF au Sénat, et trésorier de l'UDF et de la campagne électorale. Au groupe sénatorial je salue Muguette Dini, à côté d'André Soulier que je salue aussi, et je salue Anne-Marie Comparini, députée du Rhône, ancienne présidente de la Région Rhône-Alpes. Ce sont des élus en qui je mets beaucoup de confiance et beaucoup d'espoir. C'est donc de l'avenir que je parle puisque j'ai l'intention de les aider dans toutes les entreprises qui seront les leurs dans les années qui viennent et dont je sais qu'elles seront utiles, positives pour Lyon, le département et la région.
Je salue les députés européens Thierry Cornillet, et Claire Gibaud. Je salue aussi un certain nombre d'élus de la région qui n'ont pas pu nous rejoindre mais pour lesquels j'ai beaucoup d'estime : je salue Gilles Artigues et François Rochebloine, députés de la Loire, et je salue Bernard Bosson, député de Haute-Savoie.
Et quand je dis que j'aime les Lyonnais, il y a un Lyonnais que j'aime beaucoup, c'est Raymond Barre. Nous sommes quelques-uns, nombreux, à partager ce sentiment et à s'être battus nuit et jour, et ce n'est pas facile, dans l'espoir que Raymond Barre deviendrait le grand Président de la République qu'il aurait dû être. À cette époque, dans la campagne de Raymond Barre, Marielle de Sarnez était chargée d'organiser tous les déplacements en province, et moi j'étais « plume » de ceux qui étaient chargés de l'aider à rédiger les innombrables, les centaines d'interviews, de contributions écrites demandées aux candidats à l'élection présidentielle. C'est un des rares hommes de sa génération à mériter le nom d'homme d'Etat. C'est un homme qui mettait l'intérêt général au-dessus de tout, c'était un homme inflexible quand on voulait accumuler les pressions sur lui, et c'est un homme qui a donné à toute une génération une certaine idée de la politique, de la République, et de l'Etat dans la République. Je le verrai demain, et je vous promets que je lui transmettrai votre affection que je sais intacte, votre amitié, et votre reconnaissance.
Réformer l'Etat
Cela m'a donné l'idée du thème principal des propos que je veux tenir devant vous ce soir. Je voudrais vous parler de l'Etat. C'est un sujet non abordé dans la campagne présidentielle, je considère pourtant que c'est un thème essentiel car dans beaucoup de pays, la nation a précédé l'Etat. Raison pour laquelle cette idée d'une unité qui s'appelle France, d'un pays dans lequel la liberté, l'égalité et la fraternité constituent notre principale raison de vivre ensemble, cette idée-là s'incarne dans l'Etat qu'hélas nous avons laissé à travers le temps se déliter. Et je voudrais vous dire que ces idées-là doivent être les caractères de l'Etat que nous voulons reconstruire. Ces caractères mériteraient un développement profond et long à soi seul.
Il y a une chose qui me frappe en parlant de l'Etat, c'est de voir à quel point en ce début de XXIième siècle, l'Etat en France est devenu le lieu de l'inégalité. L'Etat en France est omniprésent là où ça va bien, et totalement absent là où ça va mal. Dans les centres villes, autour des préfectures, dans les arrondissements de pouvoir à Paris, rive gauche et rive droite de la Seine, l'Etat est partout avec ses uniformes, ses drapeaux, ses gyrophares, avec tous les signes extérieurs de la majesté et de la puissance. Et dès que vous allez en banlieue ou dans les zones de ruralité, l'Etat est totalement absent, il a déserté de partout où ça va mal. J'ai lu récemment dans un grand journal qui n'est pas soupçonnable d'être hostile au pouvoir, que des ordres avaient été donnés à la police pour que dans un certain nombre de cités, dont la cité des Tarteraies, pour qu'il soit interdit aux forces de sécurité d'entrer dans la cité pour éviter « tout incident », des ordres ont été donnés pour qu'il y ait seulement des patrouilles périphériques à la cité. Je me souviens, cinq ans jour pour jour, des affirmations de la campagne 2002. On disait « tolérance zéro », on disait qu'il n'y aurait plus de zones de non- droit. Vous vous souvenez de ces affirmations, je vous encourage à visiter ces quartiers où la « tolérance zéro » est totalement absente. Je considère que l'Etat a déserté et que notre premier devoir est de le réimplanter là où ça va mal et de l'alléger là où ça va très bien.
Et quand je dis cela, je ne parle pas seulement de l'Etat de sécurité. L'Etat de sécurité est un Etat essentiel, c'est un devoir et c'est même un article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 !
L'Etat ce n'est pas que la sécurité, c'est aussi un certain nombre de choses qui sont de l'ordre de la protection, du service, de l'assistance. Toute chose du Service Public qui est ,pour moi, un visage de l'Etat qu'il est important de réimplanter, pour qu'un certain nombre de nos compatriotes, jeunes en particulier, ne croient pas que l'Etat est " contre eux ", alors que l'Etat est fait pour aider et protéger tous les citoyens français.
Troisièmement, l'Etat c'est l'égalité des chances. J'ai été frappé, en lisant la presse, par la grève déclenchée dans un collège de l'agglomération lyonnaise, le Collège Alain à Saint Fons. Grève déclenchée parce que la violence quotidienne dans cet établissement ne permettait pas les conditions d'équilibre élémentaire pour transmettre les connaissances et laisser faire le travail si difficile des enseignants. Là-bas, les trottoirs et la cour de récréation étaient maculés de crachats. Et le journaliste était frappé de ce que cela voulait dire en matière de rapports humains et sur ce qui se passait entre ces murs.
Accepter, nous tous, depuis le ministre jusqu'au responsable de collectivité locale, que des enseignants de la République chargés de transmettre l'égalité des chances, soient obligés de vivre dans un climat tel que, sous leurs pas, la cour et le trottoir soient maculés de crachats, c'est une désertion pour les valeurs de la République. Nous tous ici nous désertons, et il n'est donc pas étonnant que ce matin des femmes musulmanes de Vaulx-en-Velin m'aient expliqué qu'elles avaient retiré leurs enfants de l'enseignement public de chez elles pour les mettre dans des établissements privés catholiques éloignés de cette zone parce que " là au moins on s'occupe des enfants ". Et bien je considère que nous devons exiger que l'on s'occupe identiquement, avec autant de rigueur, de suivi et d'affection des enfants dans les collèges publics que privés.
Je suis pour la liberté d'enseignement, j'ai même encouru jadis des manifestations atteignant jusqu'au millier de personnes, pour avoir défendu ce principe. Mais il me semble que nous abandonnons les principes fondamentaux quand nous acceptons que l'ordre public soit ainsi bafoué parce que nous sommes incapables d'imposer aux enfants, à nos enfants, de respecter la discipline scolaire et le respect des autres le plus élémentaire.
Et donc j'affirme qu'il y a deux choses que nous sommes obligés de faire s'agissant de l'Etat, de l'Education nationale, spécialement dans ces collèges publics et collèges de banlieues dans ce que nous appelons ZEP, avec ce goût que l'administration a d'utiliser les sigles pour ne pas dire les choses.
L'école, l'excellence et les enseignants
Il y a deux choses qui sont notre obligation si nous voulons que tout cela reprenne la figure républicaine que nous sommes en droit d'exiger comme citoyens dans notre pays.
Le retour à l'école de cette discipline scolaire élémentaire qui veut dire que l'école est engagée et protectrice. J'ai autrefois plaidé pour un mot qu'on m'a beaucoup reproché, « la sanctuarisation » des écoles. Je considère que c'est un devoir de faire que l'école apparaisse comme un lieu protégé de la rue, notamment, comme me l'ont dit des mamans, du racket, de l'insécurité, des coups, de la violence, qui font que les enfants sont aujourd'hui exposés au lieu d'être protégés. Retour de la discipline scolaire, ça veut dire que s'il y a des enfants qui sont si perturbés personnellement qu'à leur tour ils perturbent les autres, il faut leur offrir un autre cheminement scolaire, un autre type de formation, notamment s'il le faut avec des éducateurs qui leur rendent les repères sans lesquels une personnalité ne peut pas se construire et sans lesquels, si nous ne les transmettons pas, nous nous rendons responsables de non assistance à personne en danger. Je suis pour qu'on soit rigoureux dans ces choix et que les quelques dix ou quinze élèves qui rendent l'établissement invivable, on les prenne et on leur offre une autre scolarité pour que les établissements d'où ils viennent redeviennent vivables et que ce ne soit pas seulement le jeu de " chaises musicales " de l'établissement A à l'établissement B, à l'établissement C après le conseil de discipline et si tu as 16 ans, on te laisse sans éducation. Ce n'est pas responsable, or je veux que la République soit responsable.
La deuxième exigence, c'est l'excellence. Nous sommes nombreux ici issus de milieux sociaux qui n'avaient pas la chance d'être économiquement, culturellement favorisés. Mais nous avions une école de la République qui offrait une certitude : c'était que dans le plus lointain des lycées des vallées pyrénéennes, que dans le plus lointain des lycées de banlieue, on pouvait profiter des mêmes options, de la même exigence et la même excellence que dans l'établissement le plus favorisé du quartier le plus favorisé de la plus imminente capitale de notre pays. C'était l'égalité des chances républicaine. Je suis pour qu'on reconstruise cette égalité des chances républicaine. Ce qui veut dire que l'enfant éveillé, courageux, volontaire, quel que soit le milieu social dont il est issu, doit retrouver dans le collège dans lequel il est scolarisé, la chance de trouver une classe exigeante et les mêmes options que celles qu'on offre à son camarade plus favorisé. Cela veut dire un brassage complet de la manière dont on conçoit la carte scolaire dans notre pays, pour que l'égalité soit une réalité de terrain dans les quartiers, les villes, les zones rurales, d'où malheureusement elle est aujourd'hui cruellement absente. Je veux l'excellence offerte à tous, et non garantie à tous, car ce système républicain que j'appelle de mes voeux est un système qui demande de l'effort et qui exige de chacun un effort supplémentaire, des résultats plus musclés que ceux des autres.
Ceci m'amène à parler des enseignants. Nous vivons dans un monde où les enseignants sont pris pour cible de tous les côtés de l'échiquier politique français, spécialement du côté qui leur était le plus habituel, familier et proche. Je veux au moins qu'il y ait un candidat, dans cette élection, qui explique que nous ne prenons pas les enseignants pour cible et que quand nous les prenons comme tels, en réalité nous nuisons à l'école, à l'idée que la société se fait de l'école. Je veux qu'il y ait au moins un candidat qui affirme devant la Nation que le métier d'enseignant est aujourd'hui un des métiers les plus difficiles que l'on puisse assumer, que la fonction d'enseignant est cruciale pour l'avenir de la France, que les enseignants il faut aujourd'hui les aider et non les cibler, car si on les cible, c'est une certaine image de l'Education nationale que l'on ruine.
Quand j'étais ministre de l'Education nationale, j'ai demandé que l'on conduise une enquête pour savoir pourquoi dans certaines familles culturellement et économiquement favorisées, les enfants échouent et pourquoi dans certaines familles défavorisées, les enfants réussissent ? Y avait-il des raisons à cette anomalie sociologique ? Les résultats de cette étude ont été très simples et je vous les livre comme on me les a donnés. Réussissent les enfants dans les familles desquels l'école est valorisée, et échouent les enfants dans les familles desquels l'école est méprisée et non respectée. Ceci est valable non seulement pour la famille mais aussi pour la Nation.
Respecter et soutenir l'école, les enseignants, c'est une condition préalable pour avoir une Education nationale digne de ce nom et une République qui soit faite concrètement de la transmission des connaissances, des valeurs, et d'une certaine manière d'être sans lesquelles nous n'avons aucune chance de figurer parmi les premières nations. Si tout le monde attaque les enseignants, j'ai bien l'intention de les défendre, non pas par opportunité politique mais par conviction profonde, et je suis sûr que vous aussi vous ferez comme moi.
Je suis pour un Etat enraciné et impartial. Je reprends ainsi l'expression dont Raymond Barre avait fait le coeur de sa campagne en 1988. Et dix-huit ans après, l'Etat impartial c'est la même attente, la même exigence et la même déception face à la manière dont, depuis des années l'Etat est au contraire devenu le lieu où le clan au pouvoir occupe tous les postes de la République, où des nominations sont souvent de complaisance. Et comme le clan au pouvoir colonise la République, sous tous les partis au pouvoir, sans exception sur les vingt-cinq dernières années, comme c'est le clan au pouvoir qui occupe toutes les responsabilités et nomme tous les postes, comme cela est une vérité avérée, la cour se déploie, et au lieu de chercher les compétences, on cherche la servilité. Ceci est au coeur du mal dont souffre la République française, car l'Etat se prive de compétences et les citoyens sont ainsi privés de confiance. Les nominations ne devraient pas être le fait des copinages mais des compétences. On devrait avoir la haute fonction publique et la responsabilité qui soient garanties auprès des citoyens dans leur objectivité, pour ne pas dire dans leur neutralité, ou leur impartialité.
La manière dont est regardée la Justice aujourd'hui en France, avec les procès successifs qui lui sont faits, la manière dont les partis au pouvoir n'enorgueillissent d'avoir des amis et des relations à tous les lieux de la République française, cela veut dire pour les citoyens qu'ils ne sont pas assurés que l'Etat soit devant eux un interlocuteur respectable et estimable. Je suis pour qu'on bâtisse l'Etat impartial.
Et pour cela il y a une décision à prendre, c'est que pour toutes les nominations, à tous les corps essentiels de la République -au Conseil Constitutionnel, au CSA ?qui font des règles que tout le monde doit respecter- ces nominations ne soient plus " le fait du Prince ", mais qu'on fasse comme aux Etats-Unis après nomination, un vote qui dépasse largement les frontières de la majorité et de l'opposition, pour que les grands courants soient obligés de s'associer. De cette façon, il sera dit que celui-ci ou celle-là est digne de la confiance, non pas des hommes au pouvoir, mais de la Nation toute entière. Je veux que cette règle d'impartialité devienne la règle de la démocratie française, ce qui demande des modifications constitutionnelles.
L'Etat doit enfin être dirigé, avec à sa tête un chef de l'Etat qui soit l'homme qui assume devant les Français les grandes orientations. J'ai apprécié par exemple que Jacques Chirac lors de la guerre en Irak, donne de la France une haute image. J'ai aimé qu'il conduise notre pays et sa diplomatie à un rôle, un prestige international que sans cela nous n'aurions pas eu. J'ai trouvé qu'il était à ce moment-là, comme Président de la République française, à la hauteur de ce que la France peut attendre de son Président en matière de politique étrangère. Mais j'ai regretté dans le même temps, en matière de politique intérieure, la vision qu'un Président de la République aurait dû communiquer au pays, le sentiment de ses urgences, de ses défis, l'organisation de ses efforts. J'ai regretté que tout cela disparaisse, ne soit pas soutenu devant les Français. J'ai regretté que le Président ne parle aux Français que le 14 juillet et le 31 décembre, c'est-à-dire le jour de l'année où les Français ont tout autre chose à faire que d'écouter le Président de la République française ! Le Président des Etats-Unis parle à son pays deux fois par jour. Avez-vous observé qu'il y a de longues périodes de notre vie nationale où nous voyons plus souvent le Président des Etats-Unis que le Président de la République française ?
Il me semble qu'il faut que nous tournions la page pour avoir un Président qui soit présent à l'esprit et au coeur de ses compatriotes, devant chacun des grands choix que nous devons assumer ensemble. C'est à la fonction présidentielle de dessiner l'avenir, c'est la responsabilité du Président que de s'adresser à l'esprit et l'âme de ses concitoyens, tous partis confondus, toutes opinions confondues, pour éclairer les décisions qui vont être les leurs, pour considérer qu'il a dans ses soixante millions de compatriotes, des partenaires et non des sujets à séduire. Je crois que la fonction présidentielle est une fonction de vision et c'est cette vision-là, capable de diriger l'Etat, que l'on doit construire pour l'avenir.
Enfin, il faut que l'Etat soit légitime. Pour cela, on doit changer la manière dont la démocratie fonctionne dans notre pays. On ne peut pas continuer à avoir une République dans laquelle le Parlement est tenu pour secondaire, de peu d'importance, interdit de contrôle, et mis en marge du vote de la loi. La manière dont le peuple français n'est pas représenté comme il devrait l'être dans le Parlement de la République, fait injure à nos Institutions et aux valeurs que nous prétendons transmettre en Education civique dans les écoles et lycées. Il y a là quelque chose que nous ne pouvons plus accepter et qui pénalise profondément la manière dont vit notre pays.
Je rappelle un combat que j'ai mené seul et dont je suis fier. On a laissé privatiser les autoroutes sans même que les députés et sénateurs soient consultés sur cette décision. On est allé au contraire de la lettre de la loi en imposant une décision du gouvernement. Je suis allé jusqu'au Conseil d'Etat non pas comme député, je n'en avais pas le droit, mais comme citoyen. Le Conseil d'Etat m'a benoîtement expliqué que contrairement à ce que les Français croyaient, les autoroutes n'étaient pas réellement de la propriété de l'Etat. J'entends bien que toutes les habiletés juridiques sont possibles, mais il y a une chose que vous pouvez vérifier dans tous les ouvrages économiques, c'est que les autoroutes sont devenues des pompes à diffuser du liquide, et que cela ne profitera pas aux Français mais aux intérêts privés et aux actionnaires qui sont désormais propriétaires du réseau autoroutier français. S'il y avait eu un Parlement dans la République, il ne se serait pas laissé piétiner.
Je suis pour qu'en France on refasse des principes républicains les piliers du fonctionnement de la République : séparation des pouvoirs, rôle du Parlement, interdiction du gouvernement de passer en force devant le Parlement, et représentation de tous les courants sans exception qui composent le peuple français, même ceux que je n'aime pas. Je préfère une représentation, y compris des extrêmes, à l'Assemblée nationale, et une confrontation directe les yeux dans les yeux, qu'un cheminement souterrain à bas bruit comme on le voit depuis des décennies, d'idéologies qui sont pour moi des idéologies inacceptables et qu'on voit tout à coup surgir au deuxième tour d'une élection présidentielle sans que personne n'ait rien vu venir. Je préfère la confrontation directe, je préfère que la République se défende avec les armes de la République, que la démocratie se défende avec les armes de la démocratie, et je préfère que nous affirmions aux yeux de tous que lorsque nous voulons reconstruire la démocratie, c'est l'affaire des républicains et non des extrêmes. C'est notre affaire et notre exigence à nous, et nous ne manquerons pas à cette exigence.
Dans notre pays, l'Etat devrait être présent, équilibré, impartial, enraciné, dirigé et légitime. Même si ce n'est pas un chapitre abordé par les candidats à l'élection présidentielle, je considère que c'est pour nous un chapitre essentiel de l'action que nous devons proposer au pays.
Soigner les maux de la France en rassemblant les Français
Dans la France qui est la nôtre, il y a de multiples crises dont il nous paraît impossible de sortir tant notre pays a épuisé ses forces dans la succession d'alternances depuis vingt-cinq ans : UMP, PS. Je vous affirme qu'il faut ouvrir une époque nouvelle de la République devant ces crises, chômage, exclusion... Je rappelle qu'il y avait en 2002 un million de personnes au RMI et c'était déjà la signature d'un immense échec, or il y a aujourd'hui 1,3 million de personnes au RMI, femmes et hommes, qui s'enfoncent dans le quotidien de l'exclusion. Et vous savez ce que c'est le quotidien de l'exclusion ? D'abord, on n'ose plus sortir parce qu'il faut répondre à la question " Que faites-vous en ce moment ? ", puis on ne parle plus, puis on vit avec la honte au coeur, puis on ne se lève plus, puis on évite de rencontrer des gens et c'est la solitude : honte, solitude et perte d'estime de soi. Je considère que ce défi de l'exclusion est une des plus immenses montagnes que nous ayons à gravir, nous comme société française, nous tous ensemble. Ce 1,3 million de personnes, moi je ne me résigne pas à les voir se perdre derrière leur porte fermée.
Je considère qu'il n'y a qu'une stratégie pour faire sortir ces personnes de l'exclusion, je considère que nous ne sommes pas quitte lorsqu'on leur a signé un chèque à la fin du mois, d'un montant d'ailleurs si modeste qu'il permet juste de survivre. Je considère qu'on doit aller plus loin, on doit leur offrir une activité dans la société française dans laquelle elles montreront de nouveau leur utilité sociale, dans laquelle elles se montreront à nouveau debout, dignes de l'estime des autres et de soi. C'est une immense politique à construire qui va engager toutes les collectivités locales, toutes les associations du pays pour trouver chez toutes celles qui le peuvent, la capacité qui est la leur, la force de servir qui est la leur, pour leur proposer de se redresser. C'est à la portée de la France mais c'est une tâche immense.
Et parallèlement, dans ce pays, les déficits et la dette font peser sur les épaules de nos enfants et sur les nôtres, un prélèvement, une soustraction qui est telle que c'est évidemment une des raisons principales de l'affaissement du pouvoir d'achat aujourd'hui. Pour toute personne qui travaille en France, la dette prélève en moyenne 2000 euros par an pour rembourser les intérêts de la dette « himalayaesque » que nous avons laissé se constituer sur les vingt-cinq dernières années. Chacun des partis successifs au pouvoir est associé directement, responsable de l'accumulation de cette dette. Savez-vous que sur les cinq dernières années, la dette s'est davantage accrue que sous les années Jospin ? Naturellement, il y a eu moins de croissance, et ceci explique cela ?
Je pourrais faire ainsi le tour de tous les défis qui sont devant nous. Nous avons un défi devant nous qui est l'immigration dans notre pays, et cette immigration dans notre pays, je vais vous confier ce que j'en pense. Bien sûr il y aura des contrôles, mais je ne crois ni aux murs, ni aux miradors, ni aux surveillances électroniques, ni à tous les moyens que la technique va offrir, ni à tous les policiers, tous les douaniers, tous les juges pour réguler l'immigration. Je ne crois pas à cela. Tant que nous aurons, contigus les uns aux autres, à quelques centaines de kilomètres seulement, les vingt pays les plus pauvres de la planète dans lesquels même la survie est impossible, et d'un autre côté les dix pays les plus riches, les pauvres iront chez les riches pour essayer de trouver -c'est la loi de l'espèce humaine- de quoi survivre et peut-être un jour vivre. Ils iront par bateau, ils iront à la nage, ils iront en rampant, mais ils iront, si nous ne sommes pas capables d'inverser le mouvement et de garantir quelque chose qui devrait être l'objectif de toute l'Europe : il faut garantir aux Africains, car c'est d'eux qu'il s'agit, qu'ils pourront vivre comme agriculteurs pour nourrir l'Afrique, et comme ouvrier ou artisan pour équiper l'Afrique. Et cela devrait être notre loi, puisque nous, Européens, après la guerre de 1939 c'est ce que nous avons fait, nous avons reçu le Plan Marshall et nous avons bâti le marché commun pour que les paysans nourrissent l'Europe et que les industriels et artisans européens équipent l'Europe. Nous devons bâtir une vraie politique de développement de l'Afrique, qui est la seule façon de faire que l'immigration ne soit pas le drame que nous vivons tous ensemble.
Une nouvelle donne pour la France
Tous ces défis-là, sans exception, sont des défis immenses et pour moi ils exigent une nouvelle donne politique. Je ne crois pas que la moitié du pays dressée contre l'autre moitié, cet affrontement perpétuel, cette déchirure, l'opposition systématique des uns contre les autres, l'alternance qui fait que les uns défont ce qu'ont fait les autres, je ne crois pas que cette manière de faire de la politique puisse résoudre les problèmes que j'ai énoncés devant vous : ni l'Etat, ni l'emploi, ni l'endettement, ni le climat, ni l'Europe, ni la politique de développement pour l'Afrique. À aucun de ces sujets, la guerre des partis ne peut apporter une réponse. Nous l'avons vérifié depuis vingt-cinq ans.
C'est pourquoi je crois et je propose à la France une nouvelle donne : qu'on soit capable quand on a un projet solide et précis, de dépasser les vieilles frontières des partis et que pour reconstruire la France on décide, comme cela a toujours été le cas dans son histoire, on décide de la rassembler. Je constituerai un gouvernement qui rassemblera des compétences, des femmes et des hommes compétents, des femmes et des hommes nouveaux, et je ne me laisserai pas arrêter, pour composer ce gouvernement, par les étiquettes qui font que les uns sont d'un côté et les autres d'un autre.
Je veux que dans le gouvernement de la République, dans le gouvernement de redressement de la France, il y ait des femmes et des hommes qui représentent les sensibilités différentes qui tissent le peuple français. Je crois que cela est la nouvelle donne politique dont la France a besoin. C'est le seul moyen, mes chers amis, de faire que pour redresser la France on rassemble toutes ses forces, que pour redresser la France on rassemble toutes nos forces. Cela me rappelle la phrase que Kennedy utilisait autrefois " Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, il est temps de vous demander ce que vous pouvez faire pour votre pays ". C'est la France de toutes nos forces. Je vous remercie.Source http://www.udf.org, le 28 décembre 2006
Nous avons fait pendant ces deux jours toutes les étapes que Michel Mercier a évoquées à l'instant.
Première étape, des entreprises, créées par des chercheurs et soutenues par un réseau formidable, qui n'est pas seulement un réseau de chefs d'entreprises habitués aux problèmes financiers et industriels, conseillant des créateurs, mais qui est un réseau de solidarité qui entretient un certain esprit et un certain idéal qui se percevait tout au long de la discussion que nous avons eue avec ceux qui ont créé le réseau " Rhône Entreprendre ". Nous avons passé l'après-midi et hier soir avec plusieurs chercheurs, une trentaine, du premier niveau mondial en biotechnologies, en sciences physiques, en génétiques, quelques-uns aussi dans des matières plus littéraires, juridiques ou politiques, pour la plupart issus de l'Ecole Normale Supérieure. Ce qui me faisait me féliciter d'avoir pris la décision d'installer à Lyon l'Ecole Normale Supérieur en Lettres et Sciences humaines lorsque j'étais ministre de l'Education nationale. Je l'ai fait avec Raymond Barre et j'en ai été très heureux (l'ENS de Sciences ayant été créée en 1987).
Après cela, nous avons rencontré une formidable association qui s'appelle " Notre Dame des sans-abri ", qui est portée par cet esprit que j'évoquais, un esprit de don, de partage et de rigueur, de générosité et qui s'occupe de 500 SDF. Ce qui fait que Lyon est la grande ville de France où il y a le moins de SDF dans la rue, quelques dizaines seulement alors qu'à Paris ils se comptent par milliers. Cinq cents SDF suivis et pris en charge, car cela n'est pas le tout d'offrir un foyer ou un refuge à ceux qui sont délaissés, mais il faut aussi aller les chercher dans leurs blessures, du fait que chacun d'entre eux, familialement, professionnellement, personnellement, a perdu le regard de soi, la confiance en soi, l'estime de soi qui fait qu'un homme se tient debout, et que de rechute en rechute, si l'on n'est pas là pour l'accompagner et lui tenir la main, on ne peut pas le sortir de cette précarité, qui n'est pas que matérielle mais aussi morale. J'avais le coeur étreint d'une immense admiration pour les animateurs de cette association, elle a 50 ans. Car ceci ce n'est pas de l'humanisme dans les mots, mais de l'humanisme dans les actes, c'est quelque chose qui donne de l'humanité, de l'espèce humaine, des êtres humains, une idée plus élevée que la vie ne la donne généralement ces temps-ci. C'était pour moi une très grande leçon de discuter avec ceux qui sont exclus et avec ceux qui les tirent de l'exclusion. Je m'empresse de dire que nous avons naturellement refusé que les caméras et appareils photos puissent assister à cette rencontre, j'ai trouvé que c'était mieux pour une certaine idée que je me fais de la politique.
Ce matin, nous avons visité le hammam de Vaulx-en-Velin, je vous passe les nombreux coups de fils que j'ai reçus de la part des observateurs et journalistes me disant " Est-ce que c'est vraiment sérieux ? ". Cette fois, ma femme ne m'a pas appelé, alors qu'elle aurait pu. Les femmes qui nous ont accueillis ont été formidables d'intelligence, de vitalité, d'optimisme et d'humanité. J'étais fier d'être leur hôte, tout comme mes amis l'étaient, et je promets une chose : ayant entendu ce qu'elles avaient à dire de leurs enfants et des amis de leurs enfants, ayant entendu ce quelles avaient à dire du sentiment de blessure qu'on ressent lorsqu'il y a des gens qui viennent vous dire qu'il faut que vous vous intégriez à une société, à un pays dont vous êtes, depuis votre naissance, membre et citoyenne. Vous n'avez pas à vous intégrer à un pays qui est le vôtre.
J'ai entendu la même chose à Lille dans une visite du même ordre. J'ai un grand espoir en les femmes pour sortir les quartiers de la situation dans lesquels ils se trouvent. Une jeune femme à Lille me disait « Que pouvons-nous faire de plus ? Nous vivons comme vous nous avez demandé de vivre, nous ne portons pas le voile car vous nous avez demandé de ne pas le porter, nous avons fait des études comme vous nous avez demandé, notre mode de vie est le même que le vôtre, vos valeurs nous les partageons, nous croyons aux valeurs de la République, que pouvez-vous nous demander de plus ? Je suis bac plus 5 et quand je décroche le téléphone pour appeler une entreprise qui a un stage ou un emploi à proposer, comme je n'ai pas d'accent, il y a un intérêt pour mon profil, mais à l'instant où je dis mon nom, j'entends une porte qui se ferme et pour moi c'est fini. Alors de quelle intégration me parlez-vous ? » J'ai pris ces propos comme une adresse à l'ensemble de la Nation et de la République française. Je suis honoré d'avoir été votre hôte, et je vous assure qu'une fois élu Président de la République, je reviendrai au hammam de Vaulx-en-Velin.
Enfin, dans le Beaujolais, chez Anne de Beaujeu, nous avons rencontré de nombreux viticulteurs, d'animateurs de syndicats et d'associations viticoles avec, eux aussi, à la fois leurs chances et leurs drames. Et quand je dis « drame » je sais que ces drames peuvent hélas parfois conduire très loin. Vendre sa terre, c'est pour un certain nombre d'entre les nôtres, compatriotes, aussi une manière d'avouer un échec final. J'ai été là aussi très heureux de leur vitalité et de leur force, et de la compréhension qu'ils avaient des défis qui se présentaient à eux, qui exigent d'une profession jusqu'ici très individualiste, très fière de son indépendance, de son vignoble, d'être maître chez soi, qu'elle comprenne qu'elle va devoir s'organiser dans les années à venir pour présenter un front efficace face aux défis que le Beaujolais va rencontrer. Tout cela était une expérience formidable, une expérience humaine qui nourrit forcément la réflexion d'un homme qui va se présenter à la présidence de la République.
Et sans toutes ces rencontres entre un homme qui se présente, et des jeunes qui sont là, des femmes qui nous accueillent, des personnes âgées qui ne sortent plus, des enfants en qui on met de l'espoir, des chercheurs à la pointe du progrès de la planète, les artistes, créateurs, artisans que je mets au même rang que les artistes, toutes ces rencontres sont des rencontres charnelles, les yeux dans les yeux. C'est plus important, plus fort, que le barnum habituel des campagnes, alors je vous suis reconnaissant de ces deux jours de labourage à Lyon, dans l'agglomération et dans le département du Rhône.
J'aime beaucoup Lyon parce que j'aime les Lyonnais et, spécialement, un certain nombre de Lyonnais : je veux saluer les élus de Lyon qui m'accompagnent tous les jours : Michel Mercier, président du Conseil général du Rhône, président du groupe UDF au Sénat, et trésorier de l'UDF et de la campagne électorale. Au groupe sénatorial je salue Muguette Dini, à côté d'André Soulier que je salue aussi, et je salue Anne-Marie Comparini, députée du Rhône, ancienne présidente de la Région Rhône-Alpes. Ce sont des élus en qui je mets beaucoup de confiance et beaucoup d'espoir. C'est donc de l'avenir que je parle puisque j'ai l'intention de les aider dans toutes les entreprises qui seront les leurs dans les années qui viennent et dont je sais qu'elles seront utiles, positives pour Lyon, le département et la région.
Je salue les députés européens Thierry Cornillet, et Claire Gibaud. Je salue aussi un certain nombre d'élus de la région qui n'ont pas pu nous rejoindre mais pour lesquels j'ai beaucoup d'estime : je salue Gilles Artigues et François Rochebloine, députés de la Loire, et je salue Bernard Bosson, député de Haute-Savoie.
Et quand je dis que j'aime les Lyonnais, il y a un Lyonnais que j'aime beaucoup, c'est Raymond Barre. Nous sommes quelques-uns, nombreux, à partager ce sentiment et à s'être battus nuit et jour, et ce n'est pas facile, dans l'espoir que Raymond Barre deviendrait le grand Président de la République qu'il aurait dû être. À cette époque, dans la campagne de Raymond Barre, Marielle de Sarnez était chargée d'organiser tous les déplacements en province, et moi j'étais « plume » de ceux qui étaient chargés de l'aider à rédiger les innombrables, les centaines d'interviews, de contributions écrites demandées aux candidats à l'élection présidentielle. C'est un des rares hommes de sa génération à mériter le nom d'homme d'Etat. C'est un homme qui mettait l'intérêt général au-dessus de tout, c'était un homme inflexible quand on voulait accumuler les pressions sur lui, et c'est un homme qui a donné à toute une génération une certaine idée de la politique, de la République, et de l'Etat dans la République. Je le verrai demain, et je vous promets que je lui transmettrai votre affection que je sais intacte, votre amitié, et votre reconnaissance.
Réformer l'Etat
Cela m'a donné l'idée du thème principal des propos que je veux tenir devant vous ce soir. Je voudrais vous parler de l'Etat. C'est un sujet non abordé dans la campagne présidentielle, je considère pourtant que c'est un thème essentiel car dans beaucoup de pays, la nation a précédé l'Etat. Raison pour laquelle cette idée d'une unité qui s'appelle France, d'un pays dans lequel la liberté, l'égalité et la fraternité constituent notre principale raison de vivre ensemble, cette idée-là s'incarne dans l'Etat qu'hélas nous avons laissé à travers le temps se déliter. Et je voudrais vous dire que ces idées-là doivent être les caractères de l'Etat que nous voulons reconstruire. Ces caractères mériteraient un développement profond et long à soi seul.
Il y a une chose qui me frappe en parlant de l'Etat, c'est de voir à quel point en ce début de XXIième siècle, l'Etat en France est devenu le lieu de l'inégalité. L'Etat en France est omniprésent là où ça va bien, et totalement absent là où ça va mal. Dans les centres villes, autour des préfectures, dans les arrondissements de pouvoir à Paris, rive gauche et rive droite de la Seine, l'Etat est partout avec ses uniformes, ses drapeaux, ses gyrophares, avec tous les signes extérieurs de la majesté et de la puissance. Et dès que vous allez en banlieue ou dans les zones de ruralité, l'Etat est totalement absent, il a déserté de partout où ça va mal. J'ai lu récemment dans un grand journal qui n'est pas soupçonnable d'être hostile au pouvoir, que des ordres avaient été donnés à la police pour que dans un certain nombre de cités, dont la cité des Tarteraies, pour qu'il soit interdit aux forces de sécurité d'entrer dans la cité pour éviter « tout incident », des ordres ont été donnés pour qu'il y ait seulement des patrouilles périphériques à la cité. Je me souviens, cinq ans jour pour jour, des affirmations de la campagne 2002. On disait « tolérance zéro », on disait qu'il n'y aurait plus de zones de non- droit. Vous vous souvenez de ces affirmations, je vous encourage à visiter ces quartiers où la « tolérance zéro » est totalement absente. Je considère que l'Etat a déserté et que notre premier devoir est de le réimplanter là où ça va mal et de l'alléger là où ça va très bien.
Et quand je dis cela, je ne parle pas seulement de l'Etat de sécurité. L'Etat de sécurité est un Etat essentiel, c'est un devoir et c'est même un article de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 !
L'Etat ce n'est pas que la sécurité, c'est aussi un certain nombre de choses qui sont de l'ordre de la protection, du service, de l'assistance. Toute chose du Service Public qui est ,pour moi, un visage de l'Etat qu'il est important de réimplanter, pour qu'un certain nombre de nos compatriotes, jeunes en particulier, ne croient pas que l'Etat est " contre eux ", alors que l'Etat est fait pour aider et protéger tous les citoyens français.
Troisièmement, l'Etat c'est l'égalité des chances. J'ai été frappé, en lisant la presse, par la grève déclenchée dans un collège de l'agglomération lyonnaise, le Collège Alain à Saint Fons. Grève déclenchée parce que la violence quotidienne dans cet établissement ne permettait pas les conditions d'équilibre élémentaire pour transmettre les connaissances et laisser faire le travail si difficile des enseignants. Là-bas, les trottoirs et la cour de récréation étaient maculés de crachats. Et le journaliste était frappé de ce que cela voulait dire en matière de rapports humains et sur ce qui se passait entre ces murs.
Accepter, nous tous, depuis le ministre jusqu'au responsable de collectivité locale, que des enseignants de la République chargés de transmettre l'égalité des chances, soient obligés de vivre dans un climat tel que, sous leurs pas, la cour et le trottoir soient maculés de crachats, c'est une désertion pour les valeurs de la République. Nous tous ici nous désertons, et il n'est donc pas étonnant que ce matin des femmes musulmanes de Vaulx-en-Velin m'aient expliqué qu'elles avaient retiré leurs enfants de l'enseignement public de chez elles pour les mettre dans des établissements privés catholiques éloignés de cette zone parce que " là au moins on s'occupe des enfants ". Et bien je considère que nous devons exiger que l'on s'occupe identiquement, avec autant de rigueur, de suivi et d'affection des enfants dans les collèges publics que privés.
Je suis pour la liberté d'enseignement, j'ai même encouru jadis des manifestations atteignant jusqu'au millier de personnes, pour avoir défendu ce principe. Mais il me semble que nous abandonnons les principes fondamentaux quand nous acceptons que l'ordre public soit ainsi bafoué parce que nous sommes incapables d'imposer aux enfants, à nos enfants, de respecter la discipline scolaire et le respect des autres le plus élémentaire.
Et donc j'affirme qu'il y a deux choses que nous sommes obligés de faire s'agissant de l'Etat, de l'Education nationale, spécialement dans ces collèges publics et collèges de banlieues dans ce que nous appelons ZEP, avec ce goût que l'administration a d'utiliser les sigles pour ne pas dire les choses.
L'école, l'excellence et les enseignants
Il y a deux choses qui sont notre obligation si nous voulons que tout cela reprenne la figure républicaine que nous sommes en droit d'exiger comme citoyens dans notre pays.
Le retour à l'école de cette discipline scolaire élémentaire qui veut dire que l'école est engagée et protectrice. J'ai autrefois plaidé pour un mot qu'on m'a beaucoup reproché, « la sanctuarisation » des écoles. Je considère que c'est un devoir de faire que l'école apparaisse comme un lieu protégé de la rue, notamment, comme me l'ont dit des mamans, du racket, de l'insécurité, des coups, de la violence, qui font que les enfants sont aujourd'hui exposés au lieu d'être protégés. Retour de la discipline scolaire, ça veut dire que s'il y a des enfants qui sont si perturbés personnellement qu'à leur tour ils perturbent les autres, il faut leur offrir un autre cheminement scolaire, un autre type de formation, notamment s'il le faut avec des éducateurs qui leur rendent les repères sans lesquels une personnalité ne peut pas se construire et sans lesquels, si nous ne les transmettons pas, nous nous rendons responsables de non assistance à personne en danger. Je suis pour qu'on soit rigoureux dans ces choix et que les quelques dix ou quinze élèves qui rendent l'établissement invivable, on les prenne et on leur offre une autre scolarité pour que les établissements d'où ils viennent redeviennent vivables et que ce ne soit pas seulement le jeu de " chaises musicales " de l'établissement A à l'établissement B, à l'établissement C après le conseil de discipline et si tu as 16 ans, on te laisse sans éducation. Ce n'est pas responsable, or je veux que la République soit responsable.
La deuxième exigence, c'est l'excellence. Nous sommes nombreux ici issus de milieux sociaux qui n'avaient pas la chance d'être économiquement, culturellement favorisés. Mais nous avions une école de la République qui offrait une certitude : c'était que dans le plus lointain des lycées des vallées pyrénéennes, que dans le plus lointain des lycées de banlieue, on pouvait profiter des mêmes options, de la même exigence et la même excellence que dans l'établissement le plus favorisé du quartier le plus favorisé de la plus imminente capitale de notre pays. C'était l'égalité des chances républicaine. Je suis pour qu'on reconstruise cette égalité des chances républicaine. Ce qui veut dire que l'enfant éveillé, courageux, volontaire, quel que soit le milieu social dont il est issu, doit retrouver dans le collège dans lequel il est scolarisé, la chance de trouver une classe exigeante et les mêmes options que celles qu'on offre à son camarade plus favorisé. Cela veut dire un brassage complet de la manière dont on conçoit la carte scolaire dans notre pays, pour que l'égalité soit une réalité de terrain dans les quartiers, les villes, les zones rurales, d'où malheureusement elle est aujourd'hui cruellement absente. Je veux l'excellence offerte à tous, et non garantie à tous, car ce système républicain que j'appelle de mes voeux est un système qui demande de l'effort et qui exige de chacun un effort supplémentaire, des résultats plus musclés que ceux des autres.
Ceci m'amène à parler des enseignants. Nous vivons dans un monde où les enseignants sont pris pour cible de tous les côtés de l'échiquier politique français, spécialement du côté qui leur était le plus habituel, familier et proche. Je veux au moins qu'il y ait un candidat, dans cette élection, qui explique que nous ne prenons pas les enseignants pour cible et que quand nous les prenons comme tels, en réalité nous nuisons à l'école, à l'idée que la société se fait de l'école. Je veux qu'il y ait au moins un candidat qui affirme devant la Nation que le métier d'enseignant est aujourd'hui un des métiers les plus difficiles que l'on puisse assumer, que la fonction d'enseignant est cruciale pour l'avenir de la France, que les enseignants il faut aujourd'hui les aider et non les cibler, car si on les cible, c'est une certaine image de l'Education nationale que l'on ruine.
Quand j'étais ministre de l'Education nationale, j'ai demandé que l'on conduise une enquête pour savoir pourquoi dans certaines familles culturellement et économiquement favorisées, les enfants échouent et pourquoi dans certaines familles défavorisées, les enfants réussissent ? Y avait-il des raisons à cette anomalie sociologique ? Les résultats de cette étude ont été très simples et je vous les livre comme on me les a donnés. Réussissent les enfants dans les familles desquels l'école est valorisée, et échouent les enfants dans les familles desquels l'école est méprisée et non respectée. Ceci est valable non seulement pour la famille mais aussi pour la Nation.
Respecter et soutenir l'école, les enseignants, c'est une condition préalable pour avoir une Education nationale digne de ce nom et une République qui soit faite concrètement de la transmission des connaissances, des valeurs, et d'une certaine manière d'être sans lesquelles nous n'avons aucune chance de figurer parmi les premières nations. Si tout le monde attaque les enseignants, j'ai bien l'intention de les défendre, non pas par opportunité politique mais par conviction profonde, et je suis sûr que vous aussi vous ferez comme moi.
Je suis pour un Etat enraciné et impartial. Je reprends ainsi l'expression dont Raymond Barre avait fait le coeur de sa campagne en 1988. Et dix-huit ans après, l'Etat impartial c'est la même attente, la même exigence et la même déception face à la manière dont, depuis des années l'Etat est au contraire devenu le lieu où le clan au pouvoir occupe tous les postes de la République, où des nominations sont souvent de complaisance. Et comme le clan au pouvoir colonise la République, sous tous les partis au pouvoir, sans exception sur les vingt-cinq dernières années, comme c'est le clan au pouvoir qui occupe toutes les responsabilités et nomme tous les postes, comme cela est une vérité avérée, la cour se déploie, et au lieu de chercher les compétences, on cherche la servilité. Ceci est au coeur du mal dont souffre la République française, car l'Etat se prive de compétences et les citoyens sont ainsi privés de confiance. Les nominations ne devraient pas être le fait des copinages mais des compétences. On devrait avoir la haute fonction publique et la responsabilité qui soient garanties auprès des citoyens dans leur objectivité, pour ne pas dire dans leur neutralité, ou leur impartialité.
La manière dont est regardée la Justice aujourd'hui en France, avec les procès successifs qui lui sont faits, la manière dont les partis au pouvoir n'enorgueillissent d'avoir des amis et des relations à tous les lieux de la République française, cela veut dire pour les citoyens qu'ils ne sont pas assurés que l'Etat soit devant eux un interlocuteur respectable et estimable. Je suis pour qu'on bâtisse l'Etat impartial.
Et pour cela il y a une décision à prendre, c'est que pour toutes les nominations, à tous les corps essentiels de la République -au Conseil Constitutionnel, au CSA ?qui font des règles que tout le monde doit respecter- ces nominations ne soient plus " le fait du Prince ", mais qu'on fasse comme aux Etats-Unis après nomination, un vote qui dépasse largement les frontières de la majorité et de l'opposition, pour que les grands courants soient obligés de s'associer. De cette façon, il sera dit que celui-ci ou celle-là est digne de la confiance, non pas des hommes au pouvoir, mais de la Nation toute entière. Je veux que cette règle d'impartialité devienne la règle de la démocratie française, ce qui demande des modifications constitutionnelles.
L'Etat doit enfin être dirigé, avec à sa tête un chef de l'Etat qui soit l'homme qui assume devant les Français les grandes orientations. J'ai apprécié par exemple que Jacques Chirac lors de la guerre en Irak, donne de la France une haute image. J'ai aimé qu'il conduise notre pays et sa diplomatie à un rôle, un prestige international que sans cela nous n'aurions pas eu. J'ai trouvé qu'il était à ce moment-là, comme Président de la République française, à la hauteur de ce que la France peut attendre de son Président en matière de politique étrangère. Mais j'ai regretté dans le même temps, en matière de politique intérieure, la vision qu'un Président de la République aurait dû communiquer au pays, le sentiment de ses urgences, de ses défis, l'organisation de ses efforts. J'ai regretté que tout cela disparaisse, ne soit pas soutenu devant les Français. J'ai regretté que le Président ne parle aux Français que le 14 juillet et le 31 décembre, c'est-à-dire le jour de l'année où les Français ont tout autre chose à faire que d'écouter le Président de la République française ! Le Président des Etats-Unis parle à son pays deux fois par jour. Avez-vous observé qu'il y a de longues périodes de notre vie nationale où nous voyons plus souvent le Président des Etats-Unis que le Président de la République française ?
Il me semble qu'il faut que nous tournions la page pour avoir un Président qui soit présent à l'esprit et au coeur de ses compatriotes, devant chacun des grands choix que nous devons assumer ensemble. C'est à la fonction présidentielle de dessiner l'avenir, c'est la responsabilité du Président que de s'adresser à l'esprit et l'âme de ses concitoyens, tous partis confondus, toutes opinions confondues, pour éclairer les décisions qui vont être les leurs, pour considérer qu'il a dans ses soixante millions de compatriotes, des partenaires et non des sujets à séduire. Je crois que la fonction présidentielle est une fonction de vision et c'est cette vision-là, capable de diriger l'Etat, que l'on doit construire pour l'avenir.
Enfin, il faut que l'Etat soit légitime. Pour cela, on doit changer la manière dont la démocratie fonctionne dans notre pays. On ne peut pas continuer à avoir une République dans laquelle le Parlement est tenu pour secondaire, de peu d'importance, interdit de contrôle, et mis en marge du vote de la loi. La manière dont le peuple français n'est pas représenté comme il devrait l'être dans le Parlement de la République, fait injure à nos Institutions et aux valeurs que nous prétendons transmettre en Education civique dans les écoles et lycées. Il y a là quelque chose que nous ne pouvons plus accepter et qui pénalise profondément la manière dont vit notre pays.
Je rappelle un combat que j'ai mené seul et dont je suis fier. On a laissé privatiser les autoroutes sans même que les députés et sénateurs soient consultés sur cette décision. On est allé au contraire de la lettre de la loi en imposant une décision du gouvernement. Je suis allé jusqu'au Conseil d'Etat non pas comme député, je n'en avais pas le droit, mais comme citoyen. Le Conseil d'Etat m'a benoîtement expliqué que contrairement à ce que les Français croyaient, les autoroutes n'étaient pas réellement de la propriété de l'Etat. J'entends bien que toutes les habiletés juridiques sont possibles, mais il y a une chose que vous pouvez vérifier dans tous les ouvrages économiques, c'est que les autoroutes sont devenues des pompes à diffuser du liquide, et que cela ne profitera pas aux Français mais aux intérêts privés et aux actionnaires qui sont désormais propriétaires du réseau autoroutier français. S'il y avait eu un Parlement dans la République, il ne se serait pas laissé piétiner.
Je suis pour qu'en France on refasse des principes républicains les piliers du fonctionnement de la République : séparation des pouvoirs, rôle du Parlement, interdiction du gouvernement de passer en force devant le Parlement, et représentation de tous les courants sans exception qui composent le peuple français, même ceux que je n'aime pas. Je préfère une représentation, y compris des extrêmes, à l'Assemblée nationale, et une confrontation directe les yeux dans les yeux, qu'un cheminement souterrain à bas bruit comme on le voit depuis des décennies, d'idéologies qui sont pour moi des idéologies inacceptables et qu'on voit tout à coup surgir au deuxième tour d'une élection présidentielle sans que personne n'ait rien vu venir. Je préfère la confrontation directe, je préfère que la République se défende avec les armes de la République, que la démocratie se défende avec les armes de la démocratie, et je préfère que nous affirmions aux yeux de tous que lorsque nous voulons reconstruire la démocratie, c'est l'affaire des républicains et non des extrêmes. C'est notre affaire et notre exigence à nous, et nous ne manquerons pas à cette exigence.
Dans notre pays, l'Etat devrait être présent, équilibré, impartial, enraciné, dirigé et légitime. Même si ce n'est pas un chapitre abordé par les candidats à l'élection présidentielle, je considère que c'est pour nous un chapitre essentiel de l'action que nous devons proposer au pays.
Soigner les maux de la France en rassemblant les Français
Dans la France qui est la nôtre, il y a de multiples crises dont il nous paraît impossible de sortir tant notre pays a épuisé ses forces dans la succession d'alternances depuis vingt-cinq ans : UMP, PS. Je vous affirme qu'il faut ouvrir une époque nouvelle de la République devant ces crises, chômage, exclusion... Je rappelle qu'il y avait en 2002 un million de personnes au RMI et c'était déjà la signature d'un immense échec, or il y a aujourd'hui 1,3 million de personnes au RMI, femmes et hommes, qui s'enfoncent dans le quotidien de l'exclusion. Et vous savez ce que c'est le quotidien de l'exclusion ? D'abord, on n'ose plus sortir parce qu'il faut répondre à la question " Que faites-vous en ce moment ? ", puis on ne parle plus, puis on vit avec la honte au coeur, puis on ne se lève plus, puis on évite de rencontrer des gens et c'est la solitude : honte, solitude et perte d'estime de soi. Je considère que ce défi de l'exclusion est une des plus immenses montagnes que nous ayons à gravir, nous comme société française, nous tous ensemble. Ce 1,3 million de personnes, moi je ne me résigne pas à les voir se perdre derrière leur porte fermée.
Je considère qu'il n'y a qu'une stratégie pour faire sortir ces personnes de l'exclusion, je considère que nous ne sommes pas quitte lorsqu'on leur a signé un chèque à la fin du mois, d'un montant d'ailleurs si modeste qu'il permet juste de survivre. Je considère qu'on doit aller plus loin, on doit leur offrir une activité dans la société française dans laquelle elles montreront de nouveau leur utilité sociale, dans laquelle elles se montreront à nouveau debout, dignes de l'estime des autres et de soi. C'est une immense politique à construire qui va engager toutes les collectivités locales, toutes les associations du pays pour trouver chez toutes celles qui le peuvent, la capacité qui est la leur, la force de servir qui est la leur, pour leur proposer de se redresser. C'est à la portée de la France mais c'est une tâche immense.
Et parallèlement, dans ce pays, les déficits et la dette font peser sur les épaules de nos enfants et sur les nôtres, un prélèvement, une soustraction qui est telle que c'est évidemment une des raisons principales de l'affaissement du pouvoir d'achat aujourd'hui. Pour toute personne qui travaille en France, la dette prélève en moyenne 2000 euros par an pour rembourser les intérêts de la dette « himalayaesque » que nous avons laissé se constituer sur les vingt-cinq dernières années. Chacun des partis successifs au pouvoir est associé directement, responsable de l'accumulation de cette dette. Savez-vous que sur les cinq dernières années, la dette s'est davantage accrue que sous les années Jospin ? Naturellement, il y a eu moins de croissance, et ceci explique cela ?
Je pourrais faire ainsi le tour de tous les défis qui sont devant nous. Nous avons un défi devant nous qui est l'immigration dans notre pays, et cette immigration dans notre pays, je vais vous confier ce que j'en pense. Bien sûr il y aura des contrôles, mais je ne crois ni aux murs, ni aux miradors, ni aux surveillances électroniques, ni à tous les moyens que la technique va offrir, ni à tous les policiers, tous les douaniers, tous les juges pour réguler l'immigration. Je ne crois pas à cela. Tant que nous aurons, contigus les uns aux autres, à quelques centaines de kilomètres seulement, les vingt pays les plus pauvres de la planète dans lesquels même la survie est impossible, et d'un autre côté les dix pays les plus riches, les pauvres iront chez les riches pour essayer de trouver -c'est la loi de l'espèce humaine- de quoi survivre et peut-être un jour vivre. Ils iront par bateau, ils iront à la nage, ils iront en rampant, mais ils iront, si nous ne sommes pas capables d'inverser le mouvement et de garantir quelque chose qui devrait être l'objectif de toute l'Europe : il faut garantir aux Africains, car c'est d'eux qu'il s'agit, qu'ils pourront vivre comme agriculteurs pour nourrir l'Afrique, et comme ouvrier ou artisan pour équiper l'Afrique. Et cela devrait être notre loi, puisque nous, Européens, après la guerre de 1939 c'est ce que nous avons fait, nous avons reçu le Plan Marshall et nous avons bâti le marché commun pour que les paysans nourrissent l'Europe et que les industriels et artisans européens équipent l'Europe. Nous devons bâtir une vraie politique de développement de l'Afrique, qui est la seule façon de faire que l'immigration ne soit pas le drame que nous vivons tous ensemble.
Une nouvelle donne pour la France
Tous ces défis-là, sans exception, sont des défis immenses et pour moi ils exigent une nouvelle donne politique. Je ne crois pas que la moitié du pays dressée contre l'autre moitié, cet affrontement perpétuel, cette déchirure, l'opposition systématique des uns contre les autres, l'alternance qui fait que les uns défont ce qu'ont fait les autres, je ne crois pas que cette manière de faire de la politique puisse résoudre les problèmes que j'ai énoncés devant vous : ni l'Etat, ni l'emploi, ni l'endettement, ni le climat, ni l'Europe, ni la politique de développement pour l'Afrique. À aucun de ces sujets, la guerre des partis ne peut apporter une réponse. Nous l'avons vérifié depuis vingt-cinq ans.
C'est pourquoi je crois et je propose à la France une nouvelle donne : qu'on soit capable quand on a un projet solide et précis, de dépasser les vieilles frontières des partis et que pour reconstruire la France on décide, comme cela a toujours été le cas dans son histoire, on décide de la rassembler. Je constituerai un gouvernement qui rassemblera des compétences, des femmes et des hommes compétents, des femmes et des hommes nouveaux, et je ne me laisserai pas arrêter, pour composer ce gouvernement, par les étiquettes qui font que les uns sont d'un côté et les autres d'un autre.
Je veux que dans le gouvernement de la République, dans le gouvernement de redressement de la France, il y ait des femmes et des hommes qui représentent les sensibilités différentes qui tissent le peuple français. Je crois que cela est la nouvelle donne politique dont la France a besoin. C'est le seul moyen, mes chers amis, de faire que pour redresser la France on rassemble toutes ses forces, que pour redresser la France on rassemble toutes nos forces. Cela me rappelle la phrase que Kennedy utilisait autrefois " Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, il est temps de vous demander ce que vous pouvez faire pour votre pays ". C'est la France de toutes nos forces. Je vous remercie.Source http://www.udf.org, le 28 décembre 2006