Texte intégral
Monsieur le Premier Président,
Messieurs les sénateurs, messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux que ce colloque international sur les réformes comptables des États ait lieu aujourd'hui à Bercy. Je voudrais tout d'abord remercier Dominique Lamiot et ses collaborateurs d'avoir ainsi réuni des acteurs venant d'horizons divers qui ont accepté de venir partager leur expérience et leur expertise permettant ainsi un progrès collectif sur une matière encore nouvelle pour l'État français, la certification des comptes, qui après la mise en oeuvre de la LOLF en 2006, sera le grand sujet de 2007.
Je voudrais également remercier chacun d'entre vous d'être présent aujourd'hui et de venir enrichir les débats. Je pense en particulier à tous nos amis étrangers, venus parfois de très loin pour nous faire part de leur expérience.
Enfin, je voudrais saluer tout particulièrement le Premier Président de la Cour des Comptes, Philippe Séguin, qui a accepté de venir nous faire part de sa vision, celle du futur certificateur.
Vous avez déjà eu l'occasion, lors des deux premières tables rondes, d'échanger sur ces sujets importants. Je tenais à vous rejoindre pour avoir l'opportunité de :
- vous expliquer pourquoi ce colloque international est pour moi un rendez-vous crucial, qui va nous aider à progresser sur le chemin de la certification des comptes ;
- faire un rapide bilan des travaux déjà engagés en France et ceux qu'il nous reste à conduire pour mener à bien ce processus ;
- vous montrer que cette réforme en cours est faite au service de la modernisation de l'action publique au même titre que tous les chantiers de réforme que le gouvernement conduit depuis 2002.
I. La réforme comptable est emblématique de la méthode que nous développons : avoir les yeux rivés sur ce que font les entreprises et les autres États pour s'inspirer des meilleures pratiques.
1. L'organisation de ce colloque international me tenait particulièrement à coeur pour deux raisons :
D'abord, pour l'intérêt du sujet, la réforme de notre comptabilité, car il s'agit d'un des quatre volets de la mise en oeuvre de la LOLF. Dès le départ en effet, la LOLF a été conçue comme une réforme d'ensemble, couvrant à la fois :
- la réforme budgétaire qui a conduit à changer la structure du budget de l'État, à enrichir l'information du Parlement, à modifier les concepts budgétaires et les procédures de son élaboration ;
- la réforme du fonctionnement des administrations avec l'introduction de la performance, plus de libertés pour les gestionnaires, l'identification de responsables de programmes ;
- une réforme des systèmes d'information : c'est le très lourd chantier du Palier 2006 et de Chorus ;
- et enfin, la réforme comptable, qui repose sur l'introduction, en complément de la traditionnelle comptabilité budgétaire que nous connaissons tous, et qui continue de servir de base à l'autorisation parlementaire, d'une comptabilité générale en droits constatés inspirée des règles applicables à la comptabilité des entreprises.
Cette réforme peut être ressentie comme une charge pour les administrations, puisque tout change en même temps. C'est en réalité avant tout une opportunité historique pour assurer la cohérence de cet ensemble et, ainsi, mettre la réforme budgétaire et comptable au service de la modernisation.
Ensuite, parce que la réforme comptable, et la certification qui lui est généralement associée, est un sujet redoutablement difficile. Avec la certification, nous faisons un saut dans l'inconnu. Il était donc essentiel :
- de réunir l'ensemble des acteurs concernés - gouvernement, Parlement, et organisme certificateur - autour d'une même table pour se mettre d'accord sur des règles claires et partagées par tous. De ce point de vue, je ne peux que me réjouir de la présence aujourd'hui de membres éminents du Parlement et de la Cour ;
- de tirer parti de l'expérience des pays qui nous ont précédé dans cette démarche. Je souhaite ainsi que ce colloque soit l'occasion de créer un réseau d'observation privilégiée pour aller systématiquement chercher les bonnes pratiques à l'étranger, et à l'inverse faire connaître les chantiers exemplaires conduits en France.
Vous comprenez ainsi l'importance toute particulière que j'attache à ce colloque, qui n'a rien d'un rendez-vous mondain ou d'un débat entre experts, mais constitue une des pierres angulaires de notre démarche.
2. Ce point rejoint une de mes convictions en matière de méthode de gouvernement : l'exigence d'avoir les yeux rivés vers l'étranger en permanence.
Si parfois les commentateurs doutent chez nous, je constate que la vision de la France à l'étranger a changé :
- Standard & Poor's a relié, dans sa note du mois d'octobre dernier, l'assainissement de nos finances publiques et « l'accélération des actions de modernisation de la gestion des administrations »,
- le classement du « Center on Budget and Policy Priorities » de Washington sur la transparence budgétaire place la France première, parmi une cinquantaine de pays (dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande ou la Suède), saluant ainsi la qualité et l'exhaustivité des informations contenues dans nos documents budgétaires,
- la France est désormais le cinquième pays de l'Union européenne en matière d'administration électronique.
Tous ces progrès et changements aujourd'hui salués au niveau international ne sont pas allés de soi, comme toujours d'ailleurs quand on fait bouger les lignes ! Mais je crois qu'avec les actions de modernisation que le gouvernement a engagées depuis 2002, nous avons réintroduit le virus de la réforme en France qui va nous permettre de parler sereinement d'avenir aux Français dans les prochains mois.
Et l'avenir, j'en suis convaincu, passe par notre capacité à nous remettre en cause, à répondre aux évolutions de plus en plus rapides du monde, à adapter à notre pays, ce qui se fait de mieux ailleurs.
Les Français adorent la politique et l'histoire. C'est dans la grande tradition française, et c'est très bien. Moi, je voudrais qu'on ajoute deux dimensions : l'économie et la géographie. Il suffit de prendre un billet d'avion pour voir ailleurs des gens positifs, qui aiment leur pays, qui se bougent et qui posent sur la réussite ou sur l'avenir un autre regard que le nôtre.
C'est la raison pour laquelle, depuis que je suis au gouvernement et en particulier depuis que je suis en charge du Budget et de la réforme de l'État, j'ai voulu m'inspirer systématiquement de certaines bonnes pratiques constatées à l'étranger :
- les audits en prenant exemple sur nos amis canadiens ;
- l'optimisation des achats de l'État en regardant ce que les Anglais, les Italiens et les Danois avaient déjà fait ;
- la modernisation de la gestion immobilière de l'État à partir de l'expérience des Allemands ;
- l'évaluation du coût des mesures administratives en vue de leur simplification à l'image de ce que font beaucoup de pays de l'OCDE et en particulier les Néerlandais ;
- le développement de l'administration en ligne, qui est, pour moi, emblématique, du mouvement profond de réforme et de modernisation des relations entre l'État et les citoyens actuellement en cours. J'ai pu constater de mes yeux des initiatives spectaculaires dans ce domaine à Singapour.
C'est un des objectifs prioritaires de ce colloque : tirer les enseignements de ce qui ce fait de mieux dans d'autres pays plus en avance que nous pour nous faire progresser.
3. Que nous enseignent justement les expériences étrangères en matière de réforme comptable ?
Nous avons donc examiné avec soin ce qu'ont fait nos voisins : le Canada, bien sûr, mais aussi les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suède et le Royaume-Uni. Et nous avons constaté que :
1. de manière générale dans les pays de l'OCDE, la perspective de certification des comptes entraînait une convergence des comptabilités publiques vers la comptabilité des entreprises ;
2. dans tous ces pays, la modernisation de la comptabilité s'inscrit dans le cadre d'une réforme plus globale de l'État et en constitue parfois, comme au Canada et aux États-Unis, un levier essentiel. Cet exemple nous montre qu'il faut bien expliquer que les travaux ne se font pas pour la beauté technique et au nom de je ne sais quel idéal théorique, mais bien pour fournir des outils nouveaux au Parlement et aux gestionnaires ;
3. la certification est un processus d'amélioration continue, qui s'inscrit nécessairement dans le temps. La nouveauté des sujets, leur complexité, le nombre d'acteurs, les changements de systèmes d'information. Tout ne se fait pas en un jour. Chaque année, il faut veiller à améliorer le système et à lever progressivement les inévitables réserves, en fiabilisant les processus et le système d'information, grâce notamment à l'aide cruciale de l'organe certificateur. Dans tous les pays, les réformes comptables s'intègrent dans des trajectoires pluriannuelles : ainsi, il a fallu 10 ans pour changer de comptabilité au Royaume-Uni, et rares sont les pays engagés dans la voie de la certification qui ont obtenu dès la première année une certification sans réserve ;
4. la certification est un processus partenarial au cours duquel, une organisation dialogue avec un organisme extérieur qui l'assiste pour améliorer la qualité de ses procédures et des ses informations comptables. Dans tous les pays, la mise en place d'un dialogue continu et transparent entre les États et les institutions de certification sont un facteur clé de succès ;
- la certification est donc en définitive toute en nuances. Comme le disent Alain Lambert et Didier Migaud, "le fait que la certification ne soit pas un exercice en noir et blanc mais en nuances de gris reflète l'existence d'une relation spéciale entre le teneur des comptes et le certificateur : une démarche de certification bien conduite est un processus partagé, fondé sur une collaboration confiante et régulière tout au long de l'année".
II. La réforme comptable française tient compte des enseignements tirés de l'expérience internationale
1. Comment avons-nous procédé ?
Nous avons dû nous mettre en ordre de marche pour produire dans les temps voulus une information nouvelle et fiabililisée.
Pour y parvenir, nous avons procédé en plusieurs étapes :
- élaboration en 2004 des nouvelles normes comptables, inspirées des règles de la comptabilité d'entreprise, par un comité des normes composé d'experts reconnus et présidé par Michel Prada ;
- mise en oeuvre d'un chantier destiné, avec les ministères, à chiffrer les différents postes du bilan afin de reconstituer le bilan d'ouverture, en privilégiant le recensement et l'évaluation des éléments les plus significatifs ;
- développement, en prenant appui sur les bonnes pratiques constatées à l'étranger comme dans les entreprises, de procédures destinées à fiabiliser les données comptables dans la perspective de la certification : mise en place de contrôle interne, cartographie des risques, définition de plans d'action ministériels pour faire face à ces risques, développement de l'audit interne.
Avec ces actions, une vraie dynamique a été enclenchée dans tous les ministères, qui y ont vu aussi leur intérêt.
2. Quels sont les premiers résultats ?
- Nous avons bien avancé dans la préparation du bilan d'ouverture de l'État, qui donnera la vision du patrimoine de l'État au 1er janvier 2006. C'est en quelque sorte la photographie de départ, par rapport à laquelle on examinera les évolutions des différents postes d'actif et de passif, évalués à ce stade respectivement à 550 milliards d'euros et à 1 100 milliards d'euros. Il s'agit bien sûr encore d'estimations ;
- Nous avons engagé un dialogue constructif avec notre certificateur, la Cour des comptes, qui nous a permis de lever progressivement la grande majorité de nos points de divergence. On a bien fait de se parler, de se dire les choses de manière directe, sans langue de bois. Cela nous a permis de progresser conjointement sur un sujet nouveau pour l'ensemble des acteurs concernés, le gouvernement, le parlement et la cour des comptes, complexe et pour lequel il n'existe pas de vérité acquise en l'état actuel ;
- Nous avons ainsi trouvé des accords sur des points importants sur lesquels il y avait débat. Je pense par exemple au non provisionnement des risques naturels ou au traitement des établissements contrôlés par l'État en déficit ;
- Sur d'autres sujets, comme le traitement des engagements de retraite des régimes spéciaux, je crois pouvoir dire que nous sommes en train de progresser avec la Cour vers des solutions convergentes.
3. Quels travaux nous reste-t-il à conduire ?
Il reste bien sûr encore un important travail complémentaire pour fiabiliser l'ensemble des postes comptables d'ici la clôture définitive des comptes.
On peut en particulier citer le cas des actifs militaires, qui posent dans tous les pays des difficultés spécifiques. C'est d'ailleurs un motif de non-certification aux États-Unis.
Généralement, l'inventaire physique de ces actifs est assez bon. Le point le plus délicat concerne leur valorisation puisqu'il faut reconstituer les coûts sur plusieurs années depuis le lancement de l'opération. Or chacun sait que les programmes d'armement s'étalent sur des durées très longues (10/15 ans), et donnent lieu à de très nombreux marchés (15 000 actuellement en cours à la DGA).
Ne nous trompons pas : il faudra plusieurs années pour fiabiliser complètement ce poste très spécifique. Mais nous sommes engagés avec le ministère de la Défense dans un processus d'amélioration continue.
III. La réforme comptable est au service de la transparence et de l'efficacité de l'action publique
1. Elle est d'abord au service de la transparence.
- Le mythe de l'État infaillible et omniscient, c'est fini ! Ce qu'attendent les Français de leur État, c'est essentiellement deux choses : être accessible à tout moment et être efficace.
- Pour cela, les pays étrangers ont crée un concept, qui résume parfaitement les caractéristiques de l'État moderne : non pas un État mobile ou immobile, ou un État léger ou lourd : mais tout simplement un État « ouvert » !
- Avec la LOLF, l'État est une maison de verre. La transparence n'est pas un slogan, mais une exigence politique : nouveaux documents budgétaires plus clairs et plus lisibles, Forum de la performance, tous les rapports d'audits en ligne. La réforme comptable, au travers de comptes sincères, va améliorer la transparence de l'action publique et donner aux Français une vision plus complète de la situation financière et patrimoniale de l'État.
- À partir des comptes 2006 de l'État, que je rendrai publics au printemps prochain, chacun pourra ainsi mesurer les nouveaux apports de la comptabilité comme outil d'information privilégié :
Le compte général de l'État montrera ainsi la valorisation des immobilisations, des principaux stocks ou encore des passifs ...
Tous ces éléments permettront à la représentation nationale et au gouvernement de mieux apprécier la soutenabilité des finances publiques.
2. La nouvelle comptabilité s'inscrit aussi dans une démarche plus générale d'amélioration de la performance de la dépense publique.
La finalité de nos actions de modernisation est d'élever le niveau de performance pour proposer aux Français le meilleur service public au meilleur coût. L'objectif est que chacun doit trouver son compte aux actions de modernisation :
- en tant qu'usager avec une qualité du service public garantie et améliorée ;
- en tant que contribuable, à travers une utilisation optimale des deniers publics ;
- en tant qu'agent public, par le soutien et la reconnaissance des actions conduites. Chaque projet de modernisation doit comprendre un volet relatif à l'amélioration de la qualité de service, et des mesures d'accompagnement à destination des agents (information ; formation ; rémunération à la performance individuelle et collective).
2006 a ainsi été l'année du travail en profondeur sur l'efficacité et la maîtrise de la dépense publique.
- Les audits de modernisation sont le principal élément du dispositif. D'octobre 2005 à octobre 2006, 127 audits portant sur plus de 120 milliards d'euros de dépenses ont été lancés. Ce chantier, d'ampleur inédite, a été un instrument décisif pour la préparation du budget pour 2007 qui repose sur 4 engagements majeurs que nous avions pris à l'égard des Français : baisser la dépense, baisser les impôts, baisser le déficit, baisser la dette. Le résultat des premières vagues d'audits est l'identification d'environ 3 milliards d'euros de gains de productivité sur 3 ans. Il n'y a pas de miracle : la seule voie pour maîtriser durablement la dépense, c'est d'asseoir les gains de productivité sur des actions de modernisation.
- C'est également dans ce but que j'ai ouvert des chantiers transversaux de modernisation :
*l'immobilier, désormais géré par France Domaine. Nous avons ainsi vendu pour près de 800 M euros d'immeubles de l'État en 2006 pour un objectif fixé à 480M euros ;
*les achats pour lesquels j'ai fixé un objectif de gains de productivité de 1,3 à 1,5 Md euros sur trois ans et de professionnalisation de la fonction achats.
Dans ce contexte de marges de manoeuvre budgétaires restreintes, la comptabilité générale est un outil d'aide à la décision et d'appréciation des marges de manoeuvre réelles.
- Elle apporte des informations nouvelles aux gestionnaires, par exemple les charges à payer l'année suivante, les provisions pour litiges, les engagements de hors bilan, le niveau des stocks, etc. ;
- Dès lors, par exemple, un responsable de programme pourra mieux apprécier ses marges de manoeuvre réelles et réaliser à son niveau les arbitrages nécessaires dans le cadre de ses enveloppes.
L'exemple de la modernisation de la politique immobilière illustre parfaitement le lien entre comptabilité moderne et bonne gestion :
- rien n'aurait été possible si la LOLF ne nous avait pas obligé à recenser et à valoriser les actifs immobiliers de l'État.
C'est sur la valeur comptable que sont assis les loyers budgétaires, instrument de mesure du coût et d'incitation à la bonne gestion pour les responsables immobiliers.
Le plus important, dans la modernisation de l'État, ce n'est pas de concevoir, mais de faire. Lors des prochaines échéances électorales, nous ne pourrons faire l'économie d'un débat sur le sujet. Comme le montrent les études de cette année, il y a là une attente des Français. Ils ont bien compris que, dans un contexte budgétaire durablement contraint, et alors que les États n'échappent pas à la forte concurrence internationale, nous devons revoir nos habitudes, changer notre regard sur l'État et son rôle, accélérer la transformation de l'action publique.
Nous n'avons pas le choix : il faudra investir dans de nouveaux domaines et cela ne pourra pas se faire par plus de dette, plus de déficit ou plus d'impôt. Pour satisfaire les attentes des Français, il faudra donc bien dégager des marges de manoeuvre par la productivité, ce qui passe par une démarche de modernisation.
Après l'optimisation de la gestion publique et la généralisation des nouvelles technologies, je suis convaincu que la prochaine étape sera d'étendre la démarche de performance à tous les leviers de l'action publique : la gestion des ressources humaines pour faire des agents les porteurs du changement ; la production de lois et de règlements qui doit obéir à des règles strictes d'évaluation préalable et de bonne mise en oeuvre, comme c'est le cas chez tous nos voisins.
Ceci conduira nécessairement à se poser la question du champ de l'intervention publique : il faut s'assurer en permanence que l'État est légitime et efficace dans chacune de ses actions. À travers les revues de programme, nos voisins, là aussi, ont su adapter la stratégie de l'État aux attentes de leurs citoyens et à l'évolution de leur environnement. Avec le rapprochement du Budget et de la Réforme de l'État, et les outils mis en place depuis 2002, la France peut désormais ouvrir ce chantier majeur.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 11 janvier 2007
Messieurs les sénateurs, messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux que ce colloque international sur les réformes comptables des États ait lieu aujourd'hui à Bercy. Je voudrais tout d'abord remercier Dominique Lamiot et ses collaborateurs d'avoir ainsi réuni des acteurs venant d'horizons divers qui ont accepté de venir partager leur expérience et leur expertise permettant ainsi un progrès collectif sur une matière encore nouvelle pour l'État français, la certification des comptes, qui après la mise en oeuvre de la LOLF en 2006, sera le grand sujet de 2007.
Je voudrais également remercier chacun d'entre vous d'être présent aujourd'hui et de venir enrichir les débats. Je pense en particulier à tous nos amis étrangers, venus parfois de très loin pour nous faire part de leur expérience.
Enfin, je voudrais saluer tout particulièrement le Premier Président de la Cour des Comptes, Philippe Séguin, qui a accepté de venir nous faire part de sa vision, celle du futur certificateur.
Vous avez déjà eu l'occasion, lors des deux premières tables rondes, d'échanger sur ces sujets importants. Je tenais à vous rejoindre pour avoir l'opportunité de :
- vous expliquer pourquoi ce colloque international est pour moi un rendez-vous crucial, qui va nous aider à progresser sur le chemin de la certification des comptes ;
- faire un rapide bilan des travaux déjà engagés en France et ceux qu'il nous reste à conduire pour mener à bien ce processus ;
- vous montrer que cette réforme en cours est faite au service de la modernisation de l'action publique au même titre que tous les chantiers de réforme que le gouvernement conduit depuis 2002.
I. La réforme comptable est emblématique de la méthode que nous développons : avoir les yeux rivés sur ce que font les entreprises et les autres États pour s'inspirer des meilleures pratiques.
1. L'organisation de ce colloque international me tenait particulièrement à coeur pour deux raisons :
D'abord, pour l'intérêt du sujet, la réforme de notre comptabilité, car il s'agit d'un des quatre volets de la mise en oeuvre de la LOLF. Dès le départ en effet, la LOLF a été conçue comme une réforme d'ensemble, couvrant à la fois :
- la réforme budgétaire qui a conduit à changer la structure du budget de l'État, à enrichir l'information du Parlement, à modifier les concepts budgétaires et les procédures de son élaboration ;
- la réforme du fonctionnement des administrations avec l'introduction de la performance, plus de libertés pour les gestionnaires, l'identification de responsables de programmes ;
- une réforme des systèmes d'information : c'est le très lourd chantier du Palier 2006 et de Chorus ;
- et enfin, la réforme comptable, qui repose sur l'introduction, en complément de la traditionnelle comptabilité budgétaire que nous connaissons tous, et qui continue de servir de base à l'autorisation parlementaire, d'une comptabilité générale en droits constatés inspirée des règles applicables à la comptabilité des entreprises.
Cette réforme peut être ressentie comme une charge pour les administrations, puisque tout change en même temps. C'est en réalité avant tout une opportunité historique pour assurer la cohérence de cet ensemble et, ainsi, mettre la réforme budgétaire et comptable au service de la modernisation.
Ensuite, parce que la réforme comptable, et la certification qui lui est généralement associée, est un sujet redoutablement difficile. Avec la certification, nous faisons un saut dans l'inconnu. Il était donc essentiel :
- de réunir l'ensemble des acteurs concernés - gouvernement, Parlement, et organisme certificateur - autour d'une même table pour se mettre d'accord sur des règles claires et partagées par tous. De ce point de vue, je ne peux que me réjouir de la présence aujourd'hui de membres éminents du Parlement et de la Cour ;
- de tirer parti de l'expérience des pays qui nous ont précédé dans cette démarche. Je souhaite ainsi que ce colloque soit l'occasion de créer un réseau d'observation privilégiée pour aller systématiquement chercher les bonnes pratiques à l'étranger, et à l'inverse faire connaître les chantiers exemplaires conduits en France.
Vous comprenez ainsi l'importance toute particulière que j'attache à ce colloque, qui n'a rien d'un rendez-vous mondain ou d'un débat entre experts, mais constitue une des pierres angulaires de notre démarche.
2. Ce point rejoint une de mes convictions en matière de méthode de gouvernement : l'exigence d'avoir les yeux rivés vers l'étranger en permanence.
Si parfois les commentateurs doutent chez nous, je constate que la vision de la France à l'étranger a changé :
- Standard & Poor's a relié, dans sa note du mois d'octobre dernier, l'assainissement de nos finances publiques et « l'accélération des actions de modernisation de la gestion des administrations »,
- le classement du « Center on Budget and Policy Priorities » de Washington sur la transparence budgétaire place la France première, parmi une cinquantaine de pays (dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande ou la Suède), saluant ainsi la qualité et l'exhaustivité des informations contenues dans nos documents budgétaires,
- la France est désormais le cinquième pays de l'Union européenne en matière d'administration électronique.
Tous ces progrès et changements aujourd'hui salués au niveau international ne sont pas allés de soi, comme toujours d'ailleurs quand on fait bouger les lignes ! Mais je crois qu'avec les actions de modernisation que le gouvernement a engagées depuis 2002, nous avons réintroduit le virus de la réforme en France qui va nous permettre de parler sereinement d'avenir aux Français dans les prochains mois.
Et l'avenir, j'en suis convaincu, passe par notre capacité à nous remettre en cause, à répondre aux évolutions de plus en plus rapides du monde, à adapter à notre pays, ce qui se fait de mieux ailleurs.
Les Français adorent la politique et l'histoire. C'est dans la grande tradition française, et c'est très bien. Moi, je voudrais qu'on ajoute deux dimensions : l'économie et la géographie. Il suffit de prendre un billet d'avion pour voir ailleurs des gens positifs, qui aiment leur pays, qui se bougent et qui posent sur la réussite ou sur l'avenir un autre regard que le nôtre.
C'est la raison pour laquelle, depuis que je suis au gouvernement et en particulier depuis que je suis en charge du Budget et de la réforme de l'État, j'ai voulu m'inspirer systématiquement de certaines bonnes pratiques constatées à l'étranger :
- les audits en prenant exemple sur nos amis canadiens ;
- l'optimisation des achats de l'État en regardant ce que les Anglais, les Italiens et les Danois avaient déjà fait ;
- la modernisation de la gestion immobilière de l'État à partir de l'expérience des Allemands ;
- l'évaluation du coût des mesures administratives en vue de leur simplification à l'image de ce que font beaucoup de pays de l'OCDE et en particulier les Néerlandais ;
- le développement de l'administration en ligne, qui est, pour moi, emblématique, du mouvement profond de réforme et de modernisation des relations entre l'État et les citoyens actuellement en cours. J'ai pu constater de mes yeux des initiatives spectaculaires dans ce domaine à Singapour.
C'est un des objectifs prioritaires de ce colloque : tirer les enseignements de ce qui ce fait de mieux dans d'autres pays plus en avance que nous pour nous faire progresser.
3. Que nous enseignent justement les expériences étrangères en matière de réforme comptable ?
Nous avons donc examiné avec soin ce qu'ont fait nos voisins : le Canada, bien sûr, mais aussi les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suède et le Royaume-Uni. Et nous avons constaté que :
1. de manière générale dans les pays de l'OCDE, la perspective de certification des comptes entraînait une convergence des comptabilités publiques vers la comptabilité des entreprises ;
2. dans tous ces pays, la modernisation de la comptabilité s'inscrit dans le cadre d'une réforme plus globale de l'État et en constitue parfois, comme au Canada et aux États-Unis, un levier essentiel. Cet exemple nous montre qu'il faut bien expliquer que les travaux ne se font pas pour la beauté technique et au nom de je ne sais quel idéal théorique, mais bien pour fournir des outils nouveaux au Parlement et aux gestionnaires ;
3. la certification est un processus d'amélioration continue, qui s'inscrit nécessairement dans le temps. La nouveauté des sujets, leur complexité, le nombre d'acteurs, les changements de systèmes d'information. Tout ne se fait pas en un jour. Chaque année, il faut veiller à améliorer le système et à lever progressivement les inévitables réserves, en fiabilisant les processus et le système d'information, grâce notamment à l'aide cruciale de l'organe certificateur. Dans tous les pays, les réformes comptables s'intègrent dans des trajectoires pluriannuelles : ainsi, il a fallu 10 ans pour changer de comptabilité au Royaume-Uni, et rares sont les pays engagés dans la voie de la certification qui ont obtenu dès la première année une certification sans réserve ;
4. la certification est un processus partenarial au cours duquel, une organisation dialogue avec un organisme extérieur qui l'assiste pour améliorer la qualité de ses procédures et des ses informations comptables. Dans tous les pays, la mise en place d'un dialogue continu et transparent entre les États et les institutions de certification sont un facteur clé de succès ;
- la certification est donc en définitive toute en nuances. Comme le disent Alain Lambert et Didier Migaud, "le fait que la certification ne soit pas un exercice en noir et blanc mais en nuances de gris reflète l'existence d'une relation spéciale entre le teneur des comptes et le certificateur : une démarche de certification bien conduite est un processus partagé, fondé sur une collaboration confiante et régulière tout au long de l'année".
II. La réforme comptable française tient compte des enseignements tirés de l'expérience internationale
1. Comment avons-nous procédé ?
Nous avons dû nous mettre en ordre de marche pour produire dans les temps voulus une information nouvelle et fiabililisée.
Pour y parvenir, nous avons procédé en plusieurs étapes :
- élaboration en 2004 des nouvelles normes comptables, inspirées des règles de la comptabilité d'entreprise, par un comité des normes composé d'experts reconnus et présidé par Michel Prada ;
- mise en oeuvre d'un chantier destiné, avec les ministères, à chiffrer les différents postes du bilan afin de reconstituer le bilan d'ouverture, en privilégiant le recensement et l'évaluation des éléments les plus significatifs ;
- développement, en prenant appui sur les bonnes pratiques constatées à l'étranger comme dans les entreprises, de procédures destinées à fiabiliser les données comptables dans la perspective de la certification : mise en place de contrôle interne, cartographie des risques, définition de plans d'action ministériels pour faire face à ces risques, développement de l'audit interne.
Avec ces actions, une vraie dynamique a été enclenchée dans tous les ministères, qui y ont vu aussi leur intérêt.
2. Quels sont les premiers résultats ?
- Nous avons bien avancé dans la préparation du bilan d'ouverture de l'État, qui donnera la vision du patrimoine de l'État au 1er janvier 2006. C'est en quelque sorte la photographie de départ, par rapport à laquelle on examinera les évolutions des différents postes d'actif et de passif, évalués à ce stade respectivement à 550 milliards d'euros et à 1 100 milliards d'euros. Il s'agit bien sûr encore d'estimations ;
- Nous avons engagé un dialogue constructif avec notre certificateur, la Cour des comptes, qui nous a permis de lever progressivement la grande majorité de nos points de divergence. On a bien fait de se parler, de se dire les choses de manière directe, sans langue de bois. Cela nous a permis de progresser conjointement sur un sujet nouveau pour l'ensemble des acteurs concernés, le gouvernement, le parlement et la cour des comptes, complexe et pour lequel il n'existe pas de vérité acquise en l'état actuel ;
- Nous avons ainsi trouvé des accords sur des points importants sur lesquels il y avait débat. Je pense par exemple au non provisionnement des risques naturels ou au traitement des établissements contrôlés par l'État en déficit ;
- Sur d'autres sujets, comme le traitement des engagements de retraite des régimes spéciaux, je crois pouvoir dire que nous sommes en train de progresser avec la Cour vers des solutions convergentes.
3. Quels travaux nous reste-t-il à conduire ?
Il reste bien sûr encore un important travail complémentaire pour fiabiliser l'ensemble des postes comptables d'ici la clôture définitive des comptes.
On peut en particulier citer le cas des actifs militaires, qui posent dans tous les pays des difficultés spécifiques. C'est d'ailleurs un motif de non-certification aux États-Unis.
Généralement, l'inventaire physique de ces actifs est assez bon. Le point le plus délicat concerne leur valorisation puisqu'il faut reconstituer les coûts sur plusieurs années depuis le lancement de l'opération. Or chacun sait que les programmes d'armement s'étalent sur des durées très longues (10/15 ans), et donnent lieu à de très nombreux marchés (15 000 actuellement en cours à la DGA).
Ne nous trompons pas : il faudra plusieurs années pour fiabiliser complètement ce poste très spécifique. Mais nous sommes engagés avec le ministère de la Défense dans un processus d'amélioration continue.
III. La réforme comptable est au service de la transparence et de l'efficacité de l'action publique
1. Elle est d'abord au service de la transparence.
- Le mythe de l'État infaillible et omniscient, c'est fini ! Ce qu'attendent les Français de leur État, c'est essentiellement deux choses : être accessible à tout moment et être efficace.
- Pour cela, les pays étrangers ont crée un concept, qui résume parfaitement les caractéristiques de l'État moderne : non pas un État mobile ou immobile, ou un État léger ou lourd : mais tout simplement un État « ouvert » !
- Avec la LOLF, l'État est une maison de verre. La transparence n'est pas un slogan, mais une exigence politique : nouveaux documents budgétaires plus clairs et plus lisibles, Forum de la performance, tous les rapports d'audits en ligne. La réforme comptable, au travers de comptes sincères, va améliorer la transparence de l'action publique et donner aux Français une vision plus complète de la situation financière et patrimoniale de l'État.
- À partir des comptes 2006 de l'État, que je rendrai publics au printemps prochain, chacun pourra ainsi mesurer les nouveaux apports de la comptabilité comme outil d'information privilégié :
Le compte général de l'État montrera ainsi la valorisation des immobilisations, des principaux stocks ou encore des passifs ...
Tous ces éléments permettront à la représentation nationale et au gouvernement de mieux apprécier la soutenabilité des finances publiques.
2. La nouvelle comptabilité s'inscrit aussi dans une démarche plus générale d'amélioration de la performance de la dépense publique.
La finalité de nos actions de modernisation est d'élever le niveau de performance pour proposer aux Français le meilleur service public au meilleur coût. L'objectif est que chacun doit trouver son compte aux actions de modernisation :
- en tant qu'usager avec une qualité du service public garantie et améliorée ;
- en tant que contribuable, à travers une utilisation optimale des deniers publics ;
- en tant qu'agent public, par le soutien et la reconnaissance des actions conduites. Chaque projet de modernisation doit comprendre un volet relatif à l'amélioration de la qualité de service, et des mesures d'accompagnement à destination des agents (information ; formation ; rémunération à la performance individuelle et collective).
2006 a ainsi été l'année du travail en profondeur sur l'efficacité et la maîtrise de la dépense publique.
- Les audits de modernisation sont le principal élément du dispositif. D'octobre 2005 à octobre 2006, 127 audits portant sur plus de 120 milliards d'euros de dépenses ont été lancés. Ce chantier, d'ampleur inédite, a été un instrument décisif pour la préparation du budget pour 2007 qui repose sur 4 engagements majeurs que nous avions pris à l'égard des Français : baisser la dépense, baisser les impôts, baisser le déficit, baisser la dette. Le résultat des premières vagues d'audits est l'identification d'environ 3 milliards d'euros de gains de productivité sur 3 ans. Il n'y a pas de miracle : la seule voie pour maîtriser durablement la dépense, c'est d'asseoir les gains de productivité sur des actions de modernisation.
- C'est également dans ce but que j'ai ouvert des chantiers transversaux de modernisation :
*l'immobilier, désormais géré par France Domaine. Nous avons ainsi vendu pour près de 800 M euros d'immeubles de l'État en 2006 pour un objectif fixé à 480M euros ;
*les achats pour lesquels j'ai fixé un objectif de gains de productivité de 1,3 à 1,5 Md euros sur trois ans et de professionnalisation de la fonction achats.
Dans ce contexte de marges de manoeuvre budgétaires restreintes, la comptabilité générale est un outil d'aide à la décision et d'appréciation des marges de manoeuvre réelles.
- Elle apporte des informations nouvelles aux gestionnaires, par exemple les charges à payer l'année suivante, les provisions pour litiges, les engagements de hors bilan, le niveau des stocks, etc. ;
- Dès lors, par exemple, un responsable de programme pourra mieux apprécier ses marges de manoeuvre réelles et réaliser à son niveau les arbitrages nécessaires dans le cadre de ses enveloppes.
L'exemple de la modernisation de la politique immobilière illustre parfaitement le lien entre comptabilité moderne et bonne gestion :
- rien n'aurait été possible si la LOLF ne nous avait pas obligé à recenser et à valoriser les actifs immobiliers de l'État.
C'est sur la valeur comptable que sont assis les loyers budgétaires, instrument de mesure du coût et d'incitation à la bonne gestion pour les responsables immobiliers.
Le plus important, dans la modernisation de l'État, ce n'est pas de concevoir, mais de faire. Lors des prochaines échéances électorales, nous ne pourrons faire l'économie d'un débat sur le sujet. Comme le montrent les études de cette année, il y a là une attente des Français. Ils ont bien compris que, dans un contexte budgétaire durablement contraint, et alors que les États n'échappent pas à la forte concurrence internationale, nous devons revoir nos habitudes, changer notre regard sur l'État et son rôle, accélérer la transformation de l'action publique.
Nous n'avons pas le choix : il faudra investir dans de nouveaux domaines et cela ne pourra pas se faire par plus de dette, plus de déficit ou plus d'impôt. Pour satisfaire les attentes des Français, il faudra donc bien dégager des marges de manoeuvre par la productivité, ce qui passe par une démarche de modernisation.
Après l'optimisation de la gestion publique et la généralisation des nouvelles technologies, je suis convaincu que la prochaine étape sera d'étendre la démarche de performance à tous les leviers de l'action publique : la gestion des ressources humaines pour faire des agents les porteurs du changement ; la production de lois et de règlements qui doit obéir à des règles strictes d'évaluation préalable et de bonne mise en oeuvre, comme c'est le cas chez tous nos voisins.
Ceci conduira nécessairement à se poser la question du champ de l'intervention publique : il faut s'assurer en permanence que l'État est légitime et efficace dans chacune de ses actions. À travers les revues de programme, nos voisins, là aussi, ont su adapter la stratégie de l'État aux attentes de leurs citoyens et à l'évolution de leur environnement. Avec le rapprochement du Budget et de la Réforme de l'État, et les outils mis en place depuis 2002, la France peut désormais ouvrir ce chantier majeur.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 11 janvier 2007