Texte intégral
Q - Quel bilan faites-vous des sanctions, dix ans après ?
R - Après l'invasion du Koweït et compte tenu de ce qu'avait fait l'Iraq contre l'Iran, la communauté internationale, à travers le Conseil de sécurité, était fondée à prendre des précautions exceptionnelles. Il était indispensable à l'époque qu'il y ait un système de sanctions. Sous ce terme, il y avait un embargo massif dont le but n'était évidemment pas d'affamer les Iraquiens mais de priver le régime des ressources financières qui lui auraient permis de poursuivre ses guerres d'agression. Ainsi que différents types de contrôle qui supposaient un minimum de coopération de l'Iraq. Ce système a eu sa justification et son utilité. Durant un certain temps, il a endigué les éventuelles velléités du régime iraquien de reprendre une politique offensive.
Après, les dysfonctionnements ont commencé pour des raisons de bureaucratie internationale et d'interprétation abusive des sanctions par certains pays, et à cause de l'attitude du régime. Le mécanisme a asphyxié le peuple iraquien et déstructuré la société, ce qui est humainement inacceptable. Le système est devenu de plus en plus cruel et intolérable, et de moins en moins efficace. L'embargo était détourné, il générait des trafics bénéficiant au régime. Crise après crise, les possibilités de contrôle sur place se sont évanouies. Le bilan est devenu négatif sur tous les plans.
C'est désormais intolérable sur le plan social et humain, même si le régime a une grande part de responsabilité. On n'atteint même plus l'objectif légitime de la communauté internationale, qui est la sécurité régionale. Il faut repenser cette politique.
Q - Et la chute de Saddam Hussein ?
R - Il n'y a jamais eu d'accord, et il n'y aurait jamais eu d'accord des membres permanents du Conseil sur un tel objectif. S'ils avaient voulu renverser Saddam Hussein, il aurait fallu qu'ils prennent d'autres moyens.
Q - Les Américains parlent maintenant de sanctions "intelligentes" ? De quoi s'agit-il ?
R - Depuis deux ou trois ans, nous plaidons pour une révision. Ce n'est plus d'une politique de sanctions que nous avons besoin. Le mot lui-même est devenu inapproprié : cela signifie punition et c'est tourné vers le passé. La politique internationale ne doit pas consister à punir. Nous avons plutôt besoin d'une politique de vigilance internationale passant par des contrôles détaillés, qui doivent être crédibles et dissuasifs. Mais cette politique de contrôle et de stricte vigilance, notamment sur le plan financier, ne doit pas prendre en otages les Iraquiens. Il faut faire en sorte que le régime ne redevienne pas dangereux pour sa population et pour ses voisins, et contrôler ce qui peut lui permettre de reconstituer des armements prohibés. Si l'on arrive à remplacer cette politique d'embargo et de sanctions par une politique de vigilance, les responsables iraquiens perdraient alors tout prétexte - à considérer qu'ils en aient de sérieux - à refuser les contrôles sur le terrain tels que les a conçus la résolution 1284. Mais il ne faut pas faire de l'acceptation de ces contrôles une condition préalable pour la modification du régime de sanctions, sinon on ne bougera jamais.
Q - La France demande donc une suspension des sanctions?
R - S'agissant de l'embargo qui touche la population et empêche l'économie iraquienne de fonctionner dans sa partie non agressive, il faut arriver à une suspension qui serait une étape vers une levée. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut arrêter tout contrôle, bien au contraire.
Q - Cela ne risque-t-il pas d'être perçu comme une victoire de Saddam ?
R - Ce n'est pas ce que demande le pouvoir iraquien. L'embargo actuel ne le gêne pas. Le pouvoir profite de juteux trafics. La situation est excellente pour le régime qui préfère certainement le statu quo.
Q - Après avoir rencontré, lundi, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, vous attendez-vous à un revirement de Washington sur l'Iraq ?
R - Il est un peu tôt pour le dire. Powell a déclaré publiquement que la politique à l'égard de l'Iraq ne marchait pas et qu'il fallait réfléchir à une autre approche. Il en a parlé avec les dirigeants arabes, il est à la recherche d'une politique différente. A Bruxelles, je l'ai trouvé ouvert. Il s'interroge sur les sanctions. Comme nous, il veut un système de vigilance plus efficace. Il se demande comment y parvenir. Il est aussi sensible aux contre-effets de l'embargo. C'est une bonne chose que les discussions aient commencé. Mais on ne peut pas encore savoir quelle sera la politique américaine.
Source http://www.dipmlomatie.gouv.fr. le 1er mars 2001)
R - Après l'invasion du Koweït et compte tenu de ce qu'avait fait l'Iraq contre l'Iran, la communauté internationale, à travers le Conseil de sécurité, était fondée à prendre des précautions exceptionnelles. Il était indispensable à l'époque qu'il y ait un système de sanctions. Sous ce terme, il y avait un embargo massif dont le but n'était évidemment pas d'affamer les Iraquiens mais de priver le régime des ressources financières qui lui auraient permis de poursuivre ses guerres d'agression. Ainsi que différents types de contrôle qui supposaient un minimum de coopération de l'Iraq. Ce système a eu sa justification et son utilité. Durant un certain temps, il a endigué les éventuelles velléités du régime iraquien de reprendre une politique offensive.
Après, les dysfonctionnements ont commencé pour des raisons de bureaucratie internationale et d'interprétation abusive des sanctions par certains pays, et à cause de l'attitude du régime. Le mécanisme a asphyxié le peuple iraquien et déstructuré la société, ce qui est humainement inacceptable. Le système est devenu de plus en plus cruel et intolérable, et de moins en moins efficace. L'embargo était détourné, il générait des trafics bénéficiant au régime. Crise après crise, les possibilités de contrôle sur place se sont évanouies. Le bilan est devenu négatif sur tous les plans.
C'est désormais intolérable sur le plan social et humain, même si le régime a une grande part de responsabilité. On n'atteint même plus l'objectif légitime de la communauté internationale, qui est la sécurité régionale. Il faut repenser cette politique.
Q - Et la chute de Saddam Hussein ?
R - Il n'y a jamais eu d'accord, et il n'y aurait jamais eu d'accord des membres permanents du Conseil sur un tel objectif. S'ils avaient voulu renverser Saddam Hussein, il aurait fallu qu'ils prennent d'autres moyens.
Q - Les Américains parlent maintenant de sanctions "intelligentes" ? De quoi s'agit-il ?
R - Depuis deux ou trois ans, nous plaidons pour une révision. Ce n'est plus d'une politique de sanctions que nous avons besoin. Le mot lui-même est devenu inapproprié : cela signifie punition et c'est tourné vers le passé. La politique internationale ne doit pas consister à punir. Nous avons plutôt besoin d'une politique de vigilance internationale passant par des contrôles détaillés, qui doivent être crédibles et dissuasifs. Mais cette politique de contrôle et de stricte vigilance, notamment sur le plan financier, ne doit pas prendre en otages les Iraquiens. Il faut faire en sorte que le régime ne redevienne pas dangereux pour sa population et pour ses voisins, et contrôler ce qui peut lui permettre de reconstituer des armements prohibés. Si l'on arrive à remplacer cette politique d'embargo et de sanctions par une politique de vigilance, les responsables iraquiens perdraient alors tout prétexte - à considérer qu'ils en aient de sérieux - à refuser les contrôles sur le terrain tels que les a conçus la résolution 1284. Mais il ne faut pas faire de l'acceptation de ces contrôles une condition préalable pour la modification du régime de sanctions, sinon on ne bougera jamais.
Q - La France demande donc une suspension des sanctions?
R - S'agissant de l'embargo qui touche la population et empêche l'économie iraquienne de fonctionner dans sa partie non agressive, il faut arriver à une suspension qui serait une étape vers une levée. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut arrêter tout contrôle, bien au contraire.
Q - Cela ne risque-t-il pas d'être perçu comme une victoire de Saddam ?
R - Ce n'est pas ce que demande le pouvoir iraquien. L'embargo actuel ne le gêne pas. Le pouvoir profite de juteux trafics. La situation est excellente pour le régime qui préfère certainement le statu quo.
Q - Après avoir rencontré, lundi, le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, vous attendez-vous à un revirement de Washington sur l'Iraq ?
R - Il est un peu tôt pour le dire. Powell a déclaré publiquement que la politique à l'égard de l'Iraq ne marchait pas et qu'il fallait réfléchir à une autre approche. Il en a parlé avec les dirigeants arabes, il est à la recherche d'une politique différente. A Bruxelles, je l'ai trouvé ouvert. Il s'interroge sur les sanctions. Comme nous, il veut un système de vigilance plus efficace. Il se demande comment y parvenir. Il est aussi sensible aux contre-effets de l'embargo. C'est une bonne chose que les discussions aient commencé. Mais on ne peut pas encore savoir quelle sera la politique américaine.
Source http://www.dipmlomatie.gouv.fr. le 1er mars 2001)