Interview de Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable, à Radio France internationale le 1er février 2007, sur la prise de conscience des risques que représente l'effet de serre pour le réchauffement climatique et sur la nécessité de réduire les émissions de carbone au niveau mondial.

Prononcé le 1er février 2007

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- D'un mot, la candidature très vraisemblable de J. Bové pour l'écologie, c'est une bonne
nouvelle ?
R- Pour l'écologie, il peut participer au débat, il l'a déjà fait pendant de nombreuses années. Ceci étant, les attitudes provocatrices de J. Bové n'en font pas forcément je dirais un des meilleurs candidats en matière d'écologie.
Q- Entre le groupe d'experts réunis depuis lundi à Paris, les dix candidats à la présidentielle qui sont allés hier donner des gages à N. Hulot, et puis la conférence internationale sur l'environnement qui va s'ouvrir demain à Paris à l'initiative du président Chirac, c'est quand même la grande semaine de l'écologie. Est-ce qu'on est dans une authentique prise de conscience selon vous, ou est-ce qu'on n'est dans une espèce de fièvre médiatico-électorale ?
R- Le président de la République en tout cas, n'est pas dans une fièvre médiatico-électorale dans la mesure où il a toujours été un écologiste convaincu et quelqu'un de très profond dans ses racines. Et je rappelle que c'est lui qui, en septembre 2003, a lancé à l'Assemblée générale des Nations unies, cet appel à une grande organisation des Nations Unies de l'Environnement. Pourquoi cela ? Parce qu'on s'aperçoit qu'au niveau des Nations unies, qui est le niveau le plus haut, l'environnement n'est pas suffisamment entendu. Et que par conséquent il fallait vraiment cette organisation. Par ailleurs, autour de l'environnement, écologie et développement durable bien évidemment, vous avez aujourd'hui environ 18 organisations dont le PNUE mais vous avez aussi 500 conventions.
Q- Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement...
R- Voilà. Et donc par conséquent, tout cela marche plutôt bien mais sans certainement une bonne gouvernance et cela fait que les messages quelquefois sont assez diffus et pas suffisamment assez compris ou entendus.
Q- Au-delà de cette conférence de demain et des institutions internationales, ce que je vous demandais c'est si vous pensiez qu'il y a aujourd'hui une véritable prise de conscience ou est-ce qu'on est dans un petit phénomène comme un soufflet qui va vite retomber ?
R- Non. Moi je suis convaincue et je le vois depuis que je suis dans ce ministère, qu'il y a vraiment une prise de conscience. Je dirais que les médias ont largement relayé les dangers et les défis qui nous guettent. Et puis les communications, les périodes de sensibilisation, je crois qu'elles ont beaucoup marqué les gens qui ont envie en tout cas de faire des gestes. C'est vrai que nous, notre campagne on l'avait lancée - "Il n'y a pas de petits gestes quand on est 60 millions à les faire" - et ça marche bien, on l'a vu pour l'eau, on a fait une campagne simple. Ce qu'il faut aussi je pense dans ce genre de choses, moi je ne suis pas pour dramatiser les choses parce que si on fait peur aux gens - il faut leur dire que c'est sérieux - mais si on fait peur aux gens, les gens peuvent dire simplement : "Ecoutez si c'est aussi grave que ça, c'est peut-être trop tard, on ne va rien faire". Donc il faut dire les choses avec raison, sans passion, essayer de leur dire qu'ils peuvent largement contribuer. Il ne faut pas aussi qu'on ne le dise qu'à eux, il faut le dire à tout le monde. Le monde industriel doit aussi comprendre qu'il est temps, c'est le cas de toute manière, les industriels qui s'y mettent aussi, qu'il est temps aussi qu'ils participent à l'effort national ou mondial. En tout cas pour le moment, il vaudrait mieux qu'il soit mondial.
Q- Quand vous dites qu'il ne faut pas faire peur, le Groupe Intergouvernemental d'Experts sur l'évolution du Climat qui est donc réuni depuis lundi à Paris, doit rendre ses conclusions demain
- ce sera une sorte de résumé - sur les perspectives de réchauffement climatique. Quelques informations circulent déjà et selon ces travaux, si la pollution au CO2, c'est-à-dire de dioxyde de carbone, se stabilise à son niveau actuel, il faut s'attendre à une hausse des températures d'environ 3 %.
R- De degrés...
Q- Entre 2 et 4,5, disent-ils donc on fait une moyenne à 3 %, c'est tout de même énorme ça avec des conséquences dramatiques.
R- C'est énorme, c'est pour cela qu'aujourd'hui, nous devons absolument tout faire pour réduire nos émissions de carbone. La France se montre exemplaire et je suis assez fière de le dire, parce qu'après tout c'est mon pays et je pense qu'on peut dire ce qui se fait de bien. On est retombé, nous, aux émissions de 1990 et je dirais même en dessous, on est en dessous, c'est-à-dire 1,8 point en moins que 1990. Sur le plan de l'allocation du CO2, qui concerne le monde industriel, en tout cas généralement, on a effectivement fait une allocation drastique, qui va certainement appeler les industriels à faire attention, très attention, ça a beaucoup bougé. Mais d'un autre côté, il est vrai que ce plan, il fallait aussi montrer qu'il n'y a pas que les citoyens, il faut que tout le monde participe à cet effort. Donc ce plan d'allocation qui est plus bas que ce que demandaient toutes associations écologistes, donc on voit que la France est quand même dans une démarche avec tous les plans qui ont été mis en place, les incitations fiscales, les Pacte de l'environnement du Premier ministre avec 10 milliards d'euros de prêts écologiques, ce qui ne s'est jamais vu. On voit que la France en tout cas a bien compris le sens du danger et que les politiques qui sont mises en place, sans démagogie mais avec pragmatisme, fonctionnent et je crois qu'il faut continuer dans ce sens là.
Q- Que la France soit bonne élève c'est une chose mais...
R- Cela ne suffit pas.
Q- C'est vrai que c'est un problème planétaire et que les conséquences de ce réchauffement telles que les envisagent ces experts du GIEC, sont absolument terribles. On nous parle d'entre 200 et 600 millions de personnes supplémentaires qui souffriraient de la famine, entre 1 et 3 milliards d'habitants qui manqueraient d'eau d'ici à 2080, vous en parliez il y a quelques instants...
R- Les réfugiés écologiques aussi...
Q- Est-ce qu'il n'est pas déjà un peu trop tard ?
R- Il n'est jamais trop tard et il ne faut surtout pas penser qu'il est trop tard. Vraiment c'est aujourd'hui que nous devons agir, même si nous avons agi auparavant, nous devons agir beaucoup plus efficacement, beaucoup plus vite, beaucoup plus fort. Mais ne disons pas qu'il est trop tard autrement tout le monde va baisser les bras et alors qu'on a commencé à faire les uns et les autres n'aurait plus de sens. Je crois qu'il ne fait pas désespérer nos citoyens, il faut dire que tous ensemble on y arrivera et puis on a intérêt à le faire de toute manière, à redresser les manches parce que c'est vrai qu'on a nos enfants, nos petits enfants et on doit penser à eux, surtout demain.
Q- Parmi les pays qui ne sont pas exemplaires, il y a les Etats-Unis et comment on fait également pour convaincre des pays en plein développement, comme la Chine, comme l'Inde, qu'ils n'auront pas le droit, eux, de polluer comme l'a fait l'Occident pour se développer ?
R- Ce que je voudrais dire c'est d'abord que, si nous voulons donner des leçons aux pays en voie de développement, il faut que nous-mêmes, on soit assez exemplaires. Il est vrai que les Etats-Unis aujourd'hui ont l'air de changer de politique parce qu'il y a la pression du Sénat et on le sent, et puis il y a eu quand même je dirais la volonté des maires. Puisque je me souviens, il y a un an quand j'étais à Montréal, ils étaient 160 maires à s'être rebellés et à appliquer les principes de Kyoto dans leur ville et les gouverneurs dont certains d'ailleurs qui sont du bord politique de Bush. Et je crois que l'administration américaine, qui a l'air d'être assez campée sur des positions un peu rigides, va être obligée de bouger. Je ne parle même pas des élections à venir, je parle simplement parce que la poussée des gens c'est le meilleur vecteur pour faire avancer les messages.
Q- Il y a tout de même quelques voix dans la communauté scientifique, notamment celle de C. Allègre, pour dire qu'on s'emballe un peu vite et qu'au fond on ne sait pas vraiment ce qui est à l'origine de ce réchauffement, qu'il est impossible de prévoir l'évolution du climat à long terme. C. Allègre parle par exemple lui des "fanatiques de l'effet de serre", qu'est-ce que vous lui répondez ?
R- Moi je sais que la déclaration de C. Allègre a fait beaucoup de vagues et que les scientifiques, dont certains que je connais bien et qui sont des hommes sages et posés, ont été très en colère par des déclarations qu'ils ont considérées comme un petit peu légères.
Q- Il est isolé mais il n'est pas complètement seul ?
R- Il est isolé parce que je pense que quand vous voyez le GIEC aujourd'hui, tous les experts qui travaillent et qui sont quand même - je ne dis pas que C. Allègre ne connaît pas ses sujets, je ne me permettrais pas de dire cela - mais tous les experts qui travaillent autour du GIEC, en tout cas, sont pratiquement tous du même avis. Donc il est quand même très isolé.
Q- Que faut-il attendre, en quelques mots, de la conférence internationale dont je parlais tout à l'heure qui s'ouvre demain à Paris ?
R- Il faut attendre une plus grande mobilisation autour de cette Organisation des Nations Unies de l'Environnement. Je rappelle qu'en 2003, le Président est parti tout seul avec cet appel, qu'aujourd'hui tous les pays de l'Union européenne ont adhéré, tous les pays de la francophonie ont adhéré, un certain nombre de pays du bassin méditerranéen, notamment la Tunisie - et je ne doute pas que le Maroc rejoindra très vite et l'Algérie, probablement - ont adhéré. Donc si vous voulez, nous voulons sortir de cette conférence avec des messages très forts et le plus nombreux possibles. Parce que c'est vrai que lorsque l'environnement sera placé au plus haut des Etats, c'est-à-dire au niveau des Nations unies, eh bien là, effectivement, peut-être que les choses bougeront plus vite.
Q- Un certain nombre d'associations écologistes appellent pour ce soir 5 minutes sans électricité. Vous allez montrer l'exemple ?
R- Je monterai l'exemple parce que même si certains ce matin ont critiqué ce geste, je pense que faire des gestes forts, c'est vraiment faire appel...
Q- Qui est-ce qui a critiqué, EDF ?
R- Non, c'est un scientifique qui a dit que ça ne servait pas à grand-chose parce que ça allait faire redémarrer encore plus fort, dépenser plus ... mais bon. Mais je pense que ça peut être symbolique et ça peut mettre dans la tête des gens autre chose, c'est-à-dire d'éteindre la lumière quand on sort d'une pièce, ne pas laisser ses appareils en veille. Donc je pense que, ce moment fort, moi, j'y participerai avec mon ministère.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 février 2007