Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à Radio France Internationale le 5 février 2007, sur l'entrée en vigueur de la convention internationale contre le dopage.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- J.-F. Lamour, bonjour. Ministre et ancien escrimeur au sabre. On dit comme ça : escrimeur au sabre ?
R- Oui, oui, sabreur.
Q- Deux fois champion olympique, une fois champion du monde, et treize fois champion de France, c'est impressionnant comme palmarès, et donc, vice-président de l'Association mondiale antidopage. Les représentants d'une quarantaine de pays se réunissent à partir d'aujourd'hui à l'Unesco pour une conférence qui va durer trois jours. Ce sont donc les pays qui ont signé la Convention internationale contre le dopage qui est entrée en vigueur jeudi dernier. Alors, qu'est-ce que cette convention, qu'est-ce que ce texte va apporter de plus par rapport aux dispositifs qui
existaient déjà ?
R- Etape vitale pour la lutte antidopage, en particulier parce qu'elle consacre ce qui fait son efficacité, en tout cas qui a renforcé son efficacité : un travail en commun entre d'une part le mouvement sportif international, je veux parler du Comité international olympique, des fédérations internationales, et puis de l'autre côté les gouvernements et les Etats. Souvenez-vous, affaire Festina en 98 ; d'un côté comme de l'autre, mouvement sportif, Etats de l'autre, on voit bien qu'on est assez démunis face à ce phénomène qui prend de l'ampleur. Nous avons décidé, en 99, à Lausanne, de rassembler nos forces. A été créée l'Agence mondiale antidopage, j'en suis le vice-président.
Q- Et peut-être bientôt le président.
R- Dans un an, en tout cas je me porterai candidat. Ensuite, a été écrit le code mondial antidopage, il a été adopté dans son principe en 2003 à Copenhague. Et là, maintenant, nous rentrons dans cette phase opérationnelle qui est maintenant d'appliquer le code partout - dans les fédérations internationales, ils commencent à le faire, et dans les Etats, les gouvernements - au travers de cette convention internationale que nous avons ratifiée. Quarante pays, vous l'avez dit, dont la France, qui maintenant vont appliquer les principes du code sur leur territoire. Avancée fantastique en matière de lutte antidopage, vous l'avez bien compris, ce n'est pas la peine de se regarder le nombril dans un pays...les dopeurs, les produits dopants ne connaissent pas les frontières, nous ne sommes efficaces que quand nous coordonnons nos efforts.
Q- Alors, l'objectif de cette conférence-là qui démarre aujourd'hui, c'est quoi ? C'est de mettre en application, c'est donc de sensibiliser les pays, de les mobiliser ?
R- Là, c'est une nouvelle étape, c'est par exemple aussi de mettre en place un comité de suivi, parce que ce n'est pas le tout de signer, il faut être certain que c'est appliqué dans les pays, d'aider aussi un certain nombre de pays qui vont le ratifier à mettre en place à la fois des procédures de contrôle, des commissions qui permettront de sanctionner les sportifs. Il y a des Etats qui sont totalement démunis ; les Etats industrialisés comme ceux d'Europe de l'Ouest, Amérique du Nord, ça ne pose aucun problème, mais vous imaginez bien que le continent africain a des difficultés à mettre en place un dispositif comme celui-là. Alors, l'Agence mondiale antidopage aide ces pays puisque par exemple il y a un office régional basé en Afrique du Sud, il y en a un autre maintenant basé en Amérique du Sud, mais il faut maintenant le soutien des Etats en matière d'éducation et de prévention, en matière de formation des médecins préleveurs qui permettent de prélever...
Q- ... qui font les tests.
R- ... voilà, de prélever les échantillons d'urine ou de sang. C'est maintenant la partie opérationnelle, et je ne vous cache pas que c'est un très, très gros chantier.
Q- Vous avez parlé, J.-F. Lamour, de pays qui peuvent avoir des difficultés à mettre ça en oeuvre, est-ce qu'il y en aurait qui, éventuellement, feraient preuve de mauvaise volonté ? Au fond, est-ce que, un peu comme en Allemagne de l'Est il y a quelques décennies, il resterait des pays aujourd'hui où le dopage serait encore quasi institutionnel ?
R- Objectivement, je ne le pense pas et je pense qu'il y a eu vraiment un gros gros travail de fait, en particulier ces dix dernières années. Mais qu'il y ait des pays qui soit n'aient pas les moyens, soit fermaient les yeux, je pense effectivement qu'il y en a. Alors, il y a une vraie épée de Damoclès au-dessus de leur tête à ces Etats-là, comme d'ailleurs au niveau des fédérations internationales, elle est la suivante : ceux qui n'appliqueront pas le code ne pourront ni présenter de candidature pour organiser des épreuves internationales, ni inscrire leurs athlètes à ces compétitions internationales. Donc, ils ont intérêt à participer à ce mouvement de lutte contre le dopage, et la convention et le comité de suivi qui va être mis en place aujourd'hui à l'Unesco va avec le mouvement sportif et avec l'Agence mondiale antidopage permettre de suivre pas à pas l'évolution de ces pays.
Q- Oui, quand on pense au dopage, J.-F. Lamour, on pense presque aussitôt au cyclisme, à l'haltérophilie. En fait, il n'y a quasiment plus de sport aujourd'hui qui soit totalement épargné.
R- Aucun sport n'est à l'abri, ça ne veut pas dire que tous les sportifs de ces sports sont concernés, bien évidemment, mais il faut bien le dire, aucun sport n'est à l'abri. Vous savez, il y a toujours la petite molécule, le petit produit, le petit procédé, parce que là vous parlez de produits en particulier, mais regardez ce qui se passe quand on oxygène le sang -c'est l'affaire Puerto - eh bien je crois qu'il faut être très, très vigilant et très clairement, aucun sport n'est à l'abri. C'est un très gros travail et vous imaginez le spectre en matière de détection des produits qu'il est nécessaire. C'est un investissement très, très lourd. C'est d'ailleurs, je pense, pour cela que vous avez maintenant un certain nombre de sportifs et leur entourage qui ont décidé que le dopage serait institutionnalisé dans le sport - un dopage médicalisé, entre guillemets, autorisé. Donc, ils sont en train de tout faire pour limiter la liste de produits, pour remettre en cause les analyses, on le voit dans le cas Landis, tout est possible pour remettre en cause le résultat d'une analyse.
Q- Une sorte de lobbying pro-dopage donc.
R- Mais bien sûr ! Certes, c'est la défense de l'athlète, hein, c'est la défense de l'athlète, c'est tout à fait normal, mais on voit bien aujourd'hui une sorte de ligne de défense qui est en train de se créer qui finalement prône une forme de dopage médicalisé, qui serait réservé bien sûr à une élite parce que tout ça coûte fort cher, et qui serait... La ligne ça serait de dire, " écoutez, on est majeur, si je puis dire vacciné, laissez-nous faire ce qu'on veut puisque tout le monde le fait, donc en gros laissez-nous entre nous, ça ne pose aucun problème ". Je crois que ces gens-là n'imaginent pas les dégâts qu'ils font auprès de la jeunesse, auprès des familles qui veulent que leurs enfants pratiquent une discipline sportive, pas obligatoirement d'ailleurs à un très, très haut niveau, simplement pour bien se sentir. C'est une vraie catastrophe pour le sport et ça partout dans le monde.
Q- Oui, et c'est vrai que du coup on a parfois l'impression que le vainqueur, le meilleur c'est juste le mieux dopé.
R- Oui, on disait "celui qui a le meilleur médecin ou la meilleure
pharmacie". Eh oui, c'est terrible d'en arriver à ça, effectivement.
Q- Mais est-ce qu'il n'y a pas aussi un problème, est-ce qu'on ne demande pas trop aux sportifs, quand on voit par exemple le rythme du Tour de France, monter quatre cols en catégorie, par 38°...
R- Pardonnez-moi, ce n'est pas la question de monter quatre ou cinq cols, ils peuvent les monter à 30 à l'heure ou à 25 à l'heure ou à 20 ?? l'heure. Et je vais vous dire, les spectateurs du Tour qui sont des millions chaque année, ils s'en foutent de savoir s'ils montent à 25 à l'heure ou à 20 à l'heure, ce qu'ils veulent c'est les voir passer. A la rigueur, d'ailleurs j'allais dire avec le sourire...
Q- ... s'ils passent moins vite, ils les voient plus longtemps.
R- ... s'ils passent moins vite, ils les voient plus longtemps, oui, bon, c'est un peu ridicule de dire ça mais on ne peut pas s'empêcher de le penser. Donc, ce n'est pas la question, si vous voulez...
Q- ... mais enfin, il n'y a pas une pression des sponsors qui veut de la performance, qui veut du spectaculaire ?
R- Je ne le pense pas, non. Alors, je suis désolé encore, à chaque fois on revient au cyclisme et je pense qu'il y a dans ce sport-là en particulier une culture qu'il faut petit à petit faire évoluer ; la culture c'était, " il n'y a pas de raison que je n'en prenne pas parce que mon voisin en prend ", voilà. Et ça dure depuis des années et des années. Je pense, sincèrement, que c'est en train d'évoluer, lentement mais sûrement, je ne suis pas naïf, je pense que c'est en train d'évoluer. Vous avez des générations maintenant de coureurs qui font les choses tout à fait correctement, vous avez aussi des managers qui surveillent le sportif. J'ai entendu le nouveau président de l'UCI, l'Union cycliste internationale, P. McQuaid, l'Irlandais, dire " il y a le feu à la maison cyclisme ", je pense que c'est un signe qui ne trompe pas. Maintenant, ils sont devant leurs responsabilités. En tout cas côté Etats, côté gouvernements, côté Agence mondiale antidopage, on est à leur disposition pour les aider à régler ces problèmes.
Q- N'y a-t-il pas aussi, J.-F. Lamour, un problème avec la longueur des procédures ? On voit par exemple que F. Landis détecté positif à la testostérone au cours du dernier Tour de France qu'il a remporté, son affaire n'est toujours pas tranchée.
R- Vous avez entièrement raison et ce n'est pas prêt parce que l'audition organisée par l'organisme antidopage américain qui s'appelle l'USADA va intervenir dans le courant du mois de mars avec peut-être un appel devant le tribunal arbitral du sport qui est basé en Suisse, si ça trouve effectivement le Tour de France 2007 débutera sans qu'on sache vraiment qui est le vainqueur. Moi, j'ai ma propre idée sur le cas Landis, mais je ne vous le révélerai pas aujourd'hui puisque l'affaire est en cours, mais c'est vrai que la longueur des procédures, le décalage entre des procédures judiciaires comme l'affaire Puerto et les procédures disciplinaires sportives fait que c'est encore difficilement compréhensible. Ça, je crois que c'est le gros travail du futur président de l'AMA.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 février 2007