Déclaration de Mme Marie-George Buffet, députée PCF et candidate à l'élection présidentielle 2007, sur la lutte contre les délocalisations et pour une politique industrielle et de services orientée vers la création d'emplois, à Paris le 23 janvier 2007.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi tendant à lutter contre les délocalisations et favoriser l'emploi déposée par M. Jacques Desallangre, Groupe des députés communistes et républicains, Paris le 23 janvier 2007

Texte intégral


Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Chers collègues,
Dim, en Saône-et-Loire, Well, dans le Gard, Aubade, dans la Vienne, Metzeler, dans l'Eure, Dalphimétal en Alsace, Nestlé, dans le Finistère, Thomé Génot dans les Ardennes. La semaine dernière, ECCE dans le Nord, l'imprimerie JDC en Seine-et-Marne... Le simple énoncé de toutes les entreprises victimes, ces derniers mois, de délocalisations ou de ruptures abusives des contrats qui les tenaient à leurs donneurs d'ordre, pourrait tenir de discours à lui tout seul. Ce sont des dizaines de milliers d'ouvriers et d'employés que les marchés financiers promettent au chômage. Ce sont des vallées ou des bourgs, dans un coin de France, que fait vivre la même usine depuis maintenant des générations, et qui sont aujourd'hui promis à une morte lente. Jamais, vous le savez très bien, la croissance des services ne pourra remplacer ce que représente aujourd'hui une usine où travaillent des centaines de salariés. Les plus jeunes partiront. Et le pire, dans cette hécatombe industrielle, aujourd'hui tellement banale, c'est que vous ne faites rien. Je connais vos excuses. Vous les affinez depuis tellement de temps ! C'est la mondialisation, qui, telle une tempête, emporterait ces vies et ces histoires. C'est la mutation naturelle de l'économie, l'avenir, aujourd'hui, ce seraient les services. Ce serait le partage des tâches avec la Chine, ou l'Inde, à nous les emplois à haute valeur ajoutée, à eux les ateliers. Ce serait le coût du travail en France. Sauf que la mondialisation n'est pas tombée du ciel. Elle fut décidée par les gouvernements d'Europe et des Etats-Unis. Vous avez fait le choix de libéraliser la circulation des capitaux. Vous avez donc voulu organiser l'économie mondiale autour d'une seule valeur, la rentabilité financière. Et ce sont tous ces ouvriers et ouvrières qui paient les pots cassés. C'est le coût du travail en Chine qui fait les délocalisations ? 40% du commerce international de la France s'effectue entre une multinationale et sa filiale à l'étranger : ce chiffre, méconnu, montre bien que ce ne sont pas les entreprises chinoises qui menacent nos emplois. Ce sont les multinationales françaises qui, pour accroître leur rentabilité financière, font le choix de délocaliser et ainsi d'organiser la concurrence entre les ouvriers français et chinois.
L'avenir serait aux services ? Mais les services aussi délocalisent ! Regardez ces centres d'appel, regardez Axa ! Quant au partage des tâches avec la Chine ou l'Inde, vous savez bien que ces pays ne souhaitent pas rester de simples ateliers. Ces pays aspirent légitimement à maîtriser leur développement ! Et pour cela, ils font ce que la France ne fait plus. Ils soutiennent l'innovation ; ils investissent dans la recherche. Et votre dernière excuse, le coût du travail, ne tient évidemment pas. Aucun salarié français ne peut être compétitif si l'on ne compare que les montants des salaires. Alors pourquoi s'entêter, comme vous le faites, à faire baisser le coût du travail, plutôt que de miser sur les autres atouts, immenses, qui existent en France ? Devant votre indifférence à ce problème, il faut bien agir. Il faut bien réagir. Les salariés le font, énergiquement, courageusement. Avec eux, les habitants et les élus locaux cherchent à bloquer ou infléchir les décisions. Parfois, ils gagnent. Je pense notamment aux Nestlé de Marseille. Souvent, ils se heurtent au refus de négocier des entreprises, voire même aux compagnies de CRS que votre gouvernement envoie, comme pour les Thomé Génot. Comme si rien ne devait entraver la liberté des financiers, des banques, des LBO ou des fonds de pension à détruire, briser, ravager la vie des hommes et des femmes de ce pays. Ce que demandent les députés communistes et républicains, aujourd'hui, avec cette proposition de loi, c'est que l'Etat relaye les luttes de ces hommes et ces femmes. C'est qu'il prenne enfin conscience de la gravité de ces licenciements boursiers, de ces délocalisations. C'est que le gouvernement comprenne enfin le caractère stratégique du développement de l'industrie en France.
Il faut autoriser la participation des salariés à la définition des stratégies et des investissements
La proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Desallangre, pour les députés communistes et républicains, ouvre de réelles pistes de travail. A vous de les faire vôtre, si vous souhaitez enfin commencer à agir pour arrêter cette hémorragie d'emploi. On ne luttera pas contre ce fléau sans donner, dans la gestion des entreprises, davantage de pouvoirs à celles et ceux qui ont la volonté de développer l'outil de travail et l'emploi. Je pense aux salariés et aux élus locaux, notamment. Pourquoi se cacher cette réalité ? A partir du moment où les nouveaux actionnaires, ces financiers, montrent chaque jour leur refus d'investir dans le développement de la production, et démontrent que seule les intéresse la rentabilité financière de l'entreprise, qu'espérer à leur laisser le pouvoir sinon de nouveaux drames et de nouveaux licenciements boursiers ? Si l'on veut développer l'industrie et les services, si l'on veut donner corps à l'idée de responsabilité sociale des entreprises, il faut autoriser la participation des salariés à la définition des stratégies et des investissements, par l'intermédiaire notamment de leurs comités d'entreprise. Les propositions formulées notamment par les organisations syndicales devraient systématiquement pouvoir être discutées et expertisées dans les conseils d'administration. Cette responsabilité sociale, il faudra aussi l'instituer pour les donneurs d'ordre ou la grande distribution à l'égard des entreprises sous-traitantes et de leurs salariés. Vous savez, très bien, mes chers collègues, vous le vivez chaque jour en circonscription, à quel point ces entreprises sous-traitantes sont littéralement asphyxiées et pressurées par leurs donneurs d'ordre ! Il faut donc donner à ces entreprises et à leurs salariés les moyens de se protéger et donc la capacité à intervenir dans les choix de leurs donneurs d'ordre ! Cette responsabilité sociale, elle est aussi territoriale : c'est la vie de régions entières qui se joue quand une poignée d'hommes, au sein d'un conseil d'administration, fait le choix d'augmenter encore la rémunération de ses actionnaires. Ce qu'il faut discuter, ce sont des pouvoirs d'intervention de l'Etat et des collectivités locales. La bonne utilisation des aides publiques aux entreprises devrait notamment être contrôlée, afin de s'assurer qu'elles servent bien l'emploi, la formation, la recherche et l'investissement. Mais plus largement, ces collectivités devraient aussi soutenir les investissements socialement utiles. C'est le sens de notre proposition de création d'un fonds national régionalisé pour l'emploi.
Par ces propositions, et d'autres, nous touchons là à la nécessité, pour l'Etat, de définir une véritable politique industrielle et de services, de préciser ses objectifs et les moyens dont elle dispose pour développer l'emploi. Ce point dépasse notre compétence de législateur et donc le contenu de notre proposition de loi. Mais il est absolument essentiel. En effet, en France et dans l'Union européenne, la concurrence est un dogme, le soutien à la rentabilité financière des entreprises un tabou. Le terrible bilan de cette politique, qui a même réussi à fragiliser un joyau industriel comme Airbus, impose un complet changement de politique industrielle. Au sein des institutions européennes, il est temps d'en finir avec cette religion de la concurrence et donc de permettre aux pouvoirs publics de soutenir et d'orienter des projets industriels stratégiques. Et il est tout autant urgent de contester ce primat à la rentabilité financière, en luttant contre les politiques de dumping fiscal et en réorientant, les missions et la politique de la Banque centrale européenne. Ce n'est que sous contrôle démocratique que la BCE pourra inventer une politique du crédit favorable à la recherche, à l'emploi, aux salaires et à la formation.
Un pôle financier public, autour de la Caisse des dépôts, de la Poste et des Caisse d'Epargne, pourrait ainsi être créé
De même, c'est à l'Europe qu'il incombe de remettre en cause, au sein des institutions internationales comme l'OMC, ce modèle d'une concurrence libre et non faussée à l'échelle mondiale : cette mondialisation ne profite en effet qu'aux multinationales. Partout, de la Chine à la France, de la Turquie aux Etats-Unis, cette mondialisation capitaliste fait des ravages. Elle détruit l'emploi industriel au nord, mais aussi maintenant dans les pays intermédiaires, tout en favorisant la surexploitation des salariés des pays du sud ou de l'est. Combien de Germinal doivent aujourd'hui subir les ouvriers chinois ? En France, le gouvernement a la responsabilité de soutenir le développement de l'industrie et des services. Un pôle financier public, autour de la Caisse des dépôts, de la Poste et des Caisse d'Epargne, pourrait ainsi être créé. Cela donnerait à l'Etat les moyens d'orienter les investissements et de favoriser le développement de l'industrie et des services, par le biais d'une politique de crédit sélective, favorable aux projets socialement et économiquement utiles, mais aussi respectueuse de l'environnement. L'Etat a aussi la responsabilité d'imposer d'autres critères de gestion que la rentabilité. Prenons l'exemple des pôles de compétitivité. Tous sont aujourd'hui contrôlés par de grandes multinationales, régies par la seule poursuite de la rentabilité financière. Que pouvons-nous donc attendre d'eux ? Si l'on veut s'assurer du développement en France de filières industrielles de pointe, liées aux plus récentes avancées de la recherche, il faudrait transformer ces pôles en pôles de coopération, qui seraient sous le contrôle conjoint des chercheurs, des enseignants, des comités d'entreprise, des syndicats, des associations et des élus. Ce sont ces coopérations, construites dans le temps, et pas sur le court terme, qui peuvent favoriser l'essor de nouvelles activités, riches en emplois, utiles aux territoires.
Monsieur le président, chers collègues, il y a urgence à agir contre ces délocalisations et licenciements boursiers. Le gouvernement ne peut plus se permettre de faire la sourde oreille devant un phénomène d'une aussi grande ampleur. Les députés communistes et républicains vous soumettent, par cette proposition de loi, des mesures sérieuses pour concrètement avancer sur cette question. Attendre serait accepter que d'autres entreprises fassent l'actualité, ces prochaines semaines, ces prochains mois. Refuser le débat serait le signe d'un mépris terrible de la majorité pour la vie de toutes ces hommes et ces femmes. J'espère donc, pour une fois, que vous saurez entendre l'appel de ceux et celles qui agissent pour défendre leur emploi, et l'industrie de notre pays.
Je vous remercie.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 24 janvier 2007