Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, à "Paris Match" le 15 février 2007, sur les grands axes de son programme électoral.

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Média : Paris Match

Texte intégral

Q - Tout le monde attendait votre discours. Vous aviez le trac ?
R - Pas vraiment. Même si je vivais intensément ce moment. Je voulais être à la hauteur de l'attente.
Q - Villepinte était d'autant plus un enjeu qu'il y avait eu ce qu'on appelle « le trou d'air ».
R - Je ne sais plus qui a employé cette expression (rires). C'était normal que mes propos et mes engagements surprennent puisqu'ils sont nouveaux. C'est une autre façon de faire de la politique. Il ne faut pas s'étonner que l'opinion, les médias aient été d'abord déroutés. Ce qui était important pour moi c'était de tenir le tempo que j'ai choisi. Il ne faut pas se laisser ballotter dans une campagne. On peut rectifier les choses. Je suis d'ailleurs en permanence en éveil, à l'écoute. Mais quand il s'agit d'options de fond, ma responsabilité, c'est de ne pas céder aux pressions et de tenir bon. Sinon, je décrédibiliserais ma démarche.
Q - Durant cette période du trou d'air, avez-vous eu le sentiment d'avoir commis des erreurs de stratégie ou d'avoir prononcé certaines phrases, qu'on vous a reprochées, sur la justice chinoise par exemple ?
R - Ce qui a manqué, ce sont les explications. Avec ma phrase sur la justice en Chine, je ne parlais pas, bien sûr, de la justice en général, mais de la justice en matière commerciale. Je m'aperçois de la nécessité de bien comprendre que chaque fois qu'il y a une polémique, il faut être tout de suite en posture d'explication et de pédagogie.
Q - Vous avez le sentiment d'avoir gagné le pari hier soir ? C'est le quitte ou c'est le double ?
R - C'est le double ! (rires)
Q - Qu'éprouvez vous de vous sentir maintenant complètement à flot dans la campagne ?
R - Un sentiment d'harmonie. Les événements sont maintenant en phase avec le rythme que j'ai voulu. Quelque chose était en train de naître et soudain, hier soir, il y a eu ce sentiment de délivrance que la salle a ressenti. La politique, c'est toujours une histoire qui s'écrit quand on est en train de la faire. Il y a des aléas. On ne sait pas ce qui va se passer. S'ils sont venus si nombreux à Villepinte, c'est parce qu'ils ont senti que j'avais besoin d'eux. C'était extraordinaire.
Q - Vous aviez ressenti leurs doutes ?
R - Bien sûr. J'étais consciente de leurs interrogations. Je savais qu'ils se demandaient comment j'allais m'en sortir, pourquoi je prenais autant de coups.
Q - Au milieu de ce succès, dimanche soir, il y avait une ombre. Jospin n'était pas là. Vous l'avez regretté ?
R - Je pense que cela aurait été bien qu'il soit là mais en même temps je comprends aussi ses motivations. Je respecte tout à fait sa position.
Q - Le journal « La tribune » a titré : « un programme socialiste réaliste ». Vous avez le sentiment d'être réaliste ?
R - J'ai le sentiment d'être réaliste. J'ai mis en avant les problèmes de réconciliation avec l'entreprise, la dette. Tout ce sur quoi je me suis engagée se fera parce que je réussirai à relancer la croissance. Par le coup de fouet que cette élection va donner. Ma conviction profonde, c'est que cela se fera grâce à la réforme de l'Etat et à la pulsion des régions qui vont conduire à des économies, comme cela s'est fait en Italie et en Espagne. Il faut aussi pousser les entreprises en avant et les protéger. Je suis convaincue qu'il y a une mutation du dialogue social. Les pays qui ont fait de la qualité du dialogue la clé de leur compétitivité, et sont sortis des postures d'affrontement et de conflit, en ont tiré de grands avantages. Une partie du syndicalisme y est prêt et une grande partie du patronat aussi. Il faut que s'accélère. Je pense que je suis la mieux placée pour tenir ce discours aux syndicats. Si on pense que, dans l'avenir, un salarié sur trois va devoir changer d'activité et d'emploi dans l'année, comme c'est le cas maintenant au Danemark, il faut absolument qu'un système de sécurisation professionnelle se mette en place. C'est bon pour les entreprises qui, du coup, ont plus de flexibilité, c'est bon pour le salarié qui ne tombe pas dans le trou du chômage.
Q - La principale critique qui vous a été faite, c'est que votre programme n'est pas chiffré.
R - Il va l'être. Je l'ai dit : on fera les choses quand ce sera possible. Je pense que ce sera rapidement possible. Il n'y a aucune raison que la France soit un des rares pays dans lequel la croissance économique ne redémarre pas. Il y a eu un problème de pilotage et de gouvernance. Les gens ont peur. Ils se replient sur eux-mêmes. Si demain on réhabilite l'entreprise qui crée de l'emploi, la P.m.e innovante, si on lui donne des avantages, y compris fiscaux, et si on établit une sécurisation du travail, les entreprises n'auront plus peur d'embaucher. Paradoxalement, c'est quelqu'un de gauche comme moi qui peut rétablir cette confiance parce que la droite tient le discours de l'affrontement. C'est très archaïque comme vision.
Q - Votre principale différence avec Sarkozy : vous insistez sur la solidarité, il insiste sur le mérite.
R - Ce n'est pas faux. Le problème du mérite, c'est qu'il y a une grande inégalité au départ. Le mérite n'a de sens que si un effort est fait pour que chacun puisse devenir méritant. Il faut réparer cette inégalité en amont. Mon projet politique, c'est de faire en quelque sorte que chacun ait les mêmes conditions au départ pour réussir dans la vie.
Q - On a discerné dans votre discours un peu de blairisme. Ça ne vous choque pas qu'on vous compare à Tony Blair ?
R - Non, ça ne me choque pas. Tout dépend de ce qu'on peut entendre par là.
Q - Plus de réalisme, moins d'idéologie.
R - Je ne tourne pas le dos aux idéologies. Dans « idéologie », il y a idéal. Le réalisme, c'est ce sur quoi je m'engage pour pouvoir le réaliser. Je veux que les Français soient conscients que la situation économique est difficile. Je veux récupérer des marges de manoeuvre pour que la situation économique s'améliore, et faire en sorte que les nouveaux droits sociaux soient aussi des outils de l'amélioration et de la compétitivité du pays. La sécurité sociale professionnelle, c'est un droit mais aussi un devoir. J'ai voulu rééquilibrer chaque avancée sociale par un droit et un devoir.
Q - Vous avez abordé la question de la dette. C'est courageux. Mais en même temps vous avez évoqué plus de dépenses que de recettes. C'est paradoxal.
R - La première des priorités, c'est de réconcilier la France avec l'entreprise. C'est par la création de richesses par les entreprises que la dette diminuera. Deuxièmement, j'ai parlé de faire des économies sur le train de vie de l'Etat, en particulier sur les superpositions de compétences. Ma conviction, c'est que la compétitivité économique s'appuie sur la valeur ajoutée économique, la valeur ajoutée sociale. Une entreprise va mieux fonctionner si il ya un dialogue social performant et elle fera des gains de productivité. Troisième pilier, l'environnement. La France, dans ce domaine, est en retard et elle peut gagner des parts de marché.
Q - Sur les 35 heures, vous avez été plutôt vague...
R - Je renvoie cette question aux discussions entre les partenaires sociaux.
Q - Vous pensez qu'il faut aller vers plus d'heures supplémentaires ?
R - Il y a déjà beaucoup d'heures supplémentaires. Je pense qu'il faut d'abord donner du travail à ceux qui n'en ont pas. On est le pays où l'on a le plus fort taux de chômage chez les jeunes et chez les plus de 50 ans. Je donnerai plutôt des exonérations aux entreprises qui créent des emplois pour les jeunes.
Q - Vous n'avez pas évoqué la régularisation des sans papiers. Combien comptez-vous en régulariser ? Autant que Zapatero ?
R - On n'est pas dans la même situation. C'est un sujet délicat qui sera traité là aussi avec le sens des responsabilités et avec humanité. Le plus important, c'est de mettre fin au travail au noir.
Q - Comment définiriez-vous fiscalement un riche ? Pensez vous qu'on est riche avec 4000 euros par mois ?
R - Je ne veux pas relancer la polémique. La fiscalité est un outil au service d'un projet. Elle doit être juste. Le critère de revenus ne suffit pas. Entre celui qui est sans enfants et propriétaire de son logement et ceux qui ont des enfants et ne sont pas propriétaires de leur logement, le niveau de vie est totalement différent.
Q - Etes-vous favorable à la proposition que vous a remise Strauss-Kahn sur les Français expatriés, l' « impôt Johnny » ?
R - L'idée est intéressante. Les gens sont très choqués par les expatriations fiscales. Cela dit, je ne veux pas déstabiliser tous les salariés qui sont à l'étranger. Cela mérite d'être affiné. Il faudrait pouvoir cibler uniquement les expatriations fiscales volontaires.
Q - Cela risque d'avoir le même effet que la révocation de l'Edit de Nantes...
R - C'est le système américain. Tous les américains expatriés paient l'impôt aux Etats-Unis.
Q - Et les oeuvres d'art continueront-elles à être exonérées ? Pouvez-vous rassurer les collectionneurs ?
R - La question n'est pas de rassurer ou d'inquiéter, c'est d'avoir la fiscalité la plus juste possible et la plus intelligente économiquement. Je ne veux pas faire du clientélisme fiscal.
Q - Vous avez mis l'éducation au centre de vos préoccupations. Pourquoi la gauche n'a-t-elle pas mis en oeuvre ce chantier avec plus d'efficacité ?
R - La gauche a fait beaucoup. Il n'a jamais été donné autant de moyens à l'éducation que sous la gauche. Le problème, c'est que ces moyens supplémentaires n'ont pas toujours été accompagnés d'une vraie amélioration du système éducatif qui a du mal à faire face à l'hétérogénéité des élèves. Le niveau du bac a monté quoi qu'on en dise, mais des écarts se sont creusés. Le système n'arrive plus à intégrer les élèves les plus défavorisés. Quand il y a un gouffre entre le modèle culturel de l'école et le régime familial, alors le système n'est pas adapté. C'est pourquoi je veux créer du soutien individuel gratuit et des internats de proximité.
Q - Vous avez proclamé haut et fort la fierté que les Français doivent avoir pour la France. C'est une pierre dans le jardin de la droite ou l'influence de Chevènement ?
R - Et si c'étaient mes convictions tout simplement ? J'ai souvent parlé comme ça. Mais on m'écoutait moins qu'aujourd'hui.
Q - Comment voyez-vous le candidat Sarkozy ?
R - Je n'ai pas de sentiment à avoir. Ce qui m'importe c'est son projet, qui est le contraire du mien. On n'a pas du tout la même vision de l'avenir. Il est dans une logique de confrontation. Il y a une forme de brutalité dans son projet. Les problèmes qui se posent dans les banlieues sont extrêmement dangereux. Je ne vois pas comment, avec son idéologie, il va pouvoir les résoudre. C'est toute la société qui va être déstabilisée s'il y a une explosion. La prochaine fois, les émeutes risquent de toucher les banlieues tranquilles. La situation est explosive. Rien n'est réglé. Les choses empirent. Mais je me sens capable de résoudre ce problème par les propositions que j'ai faites notamment sur les emplois des jeunes, la police des quartiers et l'éducation.
Q - Vous avez dit qu'il n'y aura pas d'indulgence pour les dictateurs, quelle que soit leur couleur politique. Est-ce une allusion à Castro ?
R - Oui, bien sûr. Mais, au-delà, c'est l'affirmation d'un principe.
Q - Etre la compagne du premier secrétaire du PS, c'est une chance ou une difficulté ?
R - Une chance. Pas seulement d'être la compagne du premier secrétaire, mais de François Hollande.