Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la lutte pour l'égalité entre les hommes et les femmes, l'égalité professionnelle, économique et politique, la place des femmes dans la haute fonction publique et la réactivation du comité interministériel chargé du droit des femmes, Paris le 8 mars 1999.

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Circonstance : Journée internationale des femmes à Paris le 8 mars 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis
Je vous remercie dêtre venus nombreux ce soit célébrer cette journée internationale des Femmes.
Permettez-moi dabord de saluer fraternellement les hommes ici présents, et ne voyez dans ce geste ni provocation, ni malice. Simplement, le fait quil faille les chercher un peu dans ces salons, si heureusement peuplés de femmes aujourdhui, minspire deux remarques préliminaires.
La première est que le souci de légalité, et donc celui de la promotion des femmes, ne doit pas rester leur exclusivité. Cest donc ensemble que nous devons travailler à construire une société réellement mixte, sans hiérarchie ni ségrégation, à laquelle notre époque aspire. Votre présence ici, messieurs, aussi discrète quelle paraît, atteste que la cause des femmes est une cause commune et non une affaire qui nous diviserait.
Ma seconde remarque est la suivante : sil y avait la même proportion de femmes à lAssemblée nationale que dans la compagnie formée par nous ce soir, la chose paraîtrait probablement étrange, et certainement inacceptable.
Vous voyez que jentre immédiatement dans le vif du sujet qui est dactualité, pour réaffirmer mon attachement à une égalité des hommes et des femmes qui ne devrait pas permettre de privilégier à priori les uns ou les autres. Je saisis ainsi loccasion de redire que la parité, comme idéal et comme objectif, ne répond pas à une revendication catégorielle ou particulière, mais relève simplement du souci de corriger un déséquilibre flagrant et anormal entre la présence des femmes et celle des hommes dans la vie politique et lexercice des fonctions électives dans notre pays. Sil est bon que la Constitution reconnaisse à la loi le devoir de favoriser légal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions électives, cest que le principe de légalité des sexes nest pas respecté, si lun des deux est en situation de monopole, ou de quasi-monopole. Et cest pour remédier à cette inégalité, particulièrement tenace en France, que javais indiqué, dans ma déclaration de politique générale devant lAssemblée nationale, que serait proposée une révision de la Constitution afin dy inscrire lobjectif de parité. Aujourdhui, après le nouveau vote intervenu au Sénat et traduisant une évolution significative, jai demandé que lAssemblée nationale soit saisie au plus vite. Ce sera le cas dès après-demain mercredi 10 mars. Au moment où souvre ainsi la voie de la révision constitutionnelle, je crois juste de rendre hommage à celles qui, il y a quelques années, ont commencé à sengager pour cette idée.
Les femmes nont obtenu le vote en France quen 1944, c'est-à-dire bien plus tard que chez la plupart de nos voisins. Aujourdhui, alors quelles constituent la moitié du corps électoral, et même un peu plus, les femmes sont encore, dans notre pays, très rarement des élus. Elles sont ainsi privées de lexercice de la souveraineté, puisque, en démocratie représentative, lexercice de la souveraineté est du ressort des représentants.
Or, comme la rappelé Janine Mossuz-Lavau, " Les femmes nont plus à prouver leurs compétences. Elles ont seulement besoin quon ne les empêche pas de les exercer. "
Or ce nest pas le cas. Doù la nécessité dun volontarisme.
Si le Parlement européen compte dans ses rangs 30 % de femmes parmi les élus français, on le doit notamment à Michel Rocard et à sa volonté détablir en 1994 la parité de candidatures sur la liste socialiste aux élections européennes. Depuis juin 97, le nombre des députés, en particulier grâce aux élus socialistes, a atteint un record de 11 %, chiffre qui laisse tout de même la France en avant-dernière position parmi ses partenaires européens et au 41ème rang des démocraties parlementaires. Lexpérience des législatives françaises de 1997 prouve en tout cas ce que les candidates ont su gagner des circonscriptions que les esprits chagrins avaient parfois qualifiées de " non gagnables " et cet exemple pourrait contribuer, en attendant que la loi joue son rôle, à convaincre les partis les plus timides à sengager dans cette voie.
Jaimerais dailleurs souligner que cest bien luniversalité de cette cause qui explique quelle est aujourdhui défendue, en particulier par des femmes, à gauche comme au sein de la droite républicaine. Et puis, si les débats sur une question aussi nouvelle que la parité ont été nombreux et vifs, il ny a pas à le déplorer. Cest bien là la moindre des choses en démocratie.
En tout cas, désormais, le sens et la portée de la révision constitutionnelle à venir apparaissent clairement à tous. Ce sera au législateur de lui donner son contenu concret.
On sait que la loi, en changeant la donne, transforme aussi les mentalités.
La présence des femmes dans la vie politique modifiera lidée quon se fait delles, et parfois même quelles se font delles-mêmes. Ainsi, je trouve fort significative la question posée par son fils à madame G.H. Brutland, alors quelle était chef du gouvernement norvégien : il lui demanda ingénument si, quand on était un petit garçon, on pouvait aussi devenir premier ministre
La France sest engagée sur une voie quelle nabandonnera pas.
Au contraire, avec le Secrétaire dEtat que dirige Nicole Pery avec enthousiasme et savoir-faire avec lObservatoire de la parité dont Dominique Gillot vient dêtre nommée rapporteuse générale, nous nous sommes dotés des moyens nécessaires pour faire progresser légal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, en tenant compte des différents modes de scrutin. Il nest pas simple, sans doute, de progresser vers la parité aux législatives, et sil nest pas dans mon intention de changer le mode de scrutin de ces élections, alors il faudra que les différentes formations politiques fassent la preuve de leur détermination. Cest pourquoi je souhaite également que lobservatoire réfléchisse à la façon de faire jouer utilement le financement public des partis politiques.
Dans tous les domaines qui concernent les droits des femmes, les moyens de lEtat ne sont pas suffisants, on le sait, mais ils relayent et soutiennent le travail considérable et irremplaçable accompli par les associations, dont beaucoup sont représentées ici. Je suis très heureux de pouvoir les rencontrer aujourdhui et de les féliciter pour leur action.
Laction que vous menez dans les associations concerne des problèmes beaucoup plus douloureux que ceux que je viens dévoquer : je pense dabord à la violence physique, parfois à la torture mentale, dont les femmes sont encore victimes.
Comme le montre un récent rapport du Conseil de lEurope, ni la France ni les pays européens ne sont épargnés par ce fléau : je pense, en particulier, aux agressions sexuelles, aux violences conjugales, aux infractions sexuelles à lencontre des mineurs, que nous préviendrons et sanctionneront plus durement grâce à la loi adoptée en 1998.
Mais si nous avons encore beaucoup à faire en France ? et je vais y revenir, que dire de loppression terrible, invraisemblable à nos yeux, des femmes dans certaines régions du monde ? Les personnalités, les militantes qui nous font lhonneur dêtre ici ce soir peuvent témoigner de lampleur de la tâche pour que soit simplement reconnue partout la dignité des femmes, et pour quelles soient traitées comme des êtres humains et des êtres libres. Madame Taslima Nasreen, Mme Estela Barnes de Corlotto, Mme Diallo Soumare, Mme Saïda Benhabyles, Mme Salima Ghezali, Mme Jody Williams, qui m'ont fait l'honneur d'être présentes aujourd'hui, et d'autres, qui ont été empêchées de venir, illustrent la résistance aux formes multiples de la domination des femmes dans différents pays du monde, et je leur dis ici notre admiration, notre respect pour leur courage et leur détermination.
Dans certains pays, des jeunes files de quatorze ans se suicident parce qu'on leur refuse toute instruction et qu'on les marie contre leur gré. L'illettrisme, les violences domestiques atteignent des chiffres inouïs. Ce sont ces situations révoltantes que la Journée internationale des femmes doit nous aider, voire nous contraindre à regarder en face afin de rechercher comment il serait possible d'y mettre fin. Il y a ici tant à dire et à faire que je reste nécessairement allusif : la plupart d'entre vous connaît l'ampleur du mal et la faculté du combat.
Revenons pourtant à notre pays, pour évoquer une forme d'inégalité, elle aussi tenace, entre les femmes et les hommes, je veux parler de l'inégalité professionnelle.
Deux rapports sont, dans ce domaine, extrêmement éclairants : celui du Conseil d'analyse économique sur l'égalité économique entre les femmes et les hommes, rédigé par Béatrice Majnoni d'Intignano ; celui d'Anne - Marie Colmou sur l'encadrement supérieur de la fonction publique, autrement dit tout le domaine de la haute fonction publique.
Un mot d'abord sur le premier rapport. Il démontre notamment, contre bien des idées reçues, que l'activité économique des femmes est un puissant facteur d'amélioration des performances économiques des pays développés : non seulement parce qu'elle permet la diversification des emplois, mais aussi parce que, lorsque les femmes travaillent, les ménages font appel à des services de proximité dans les domaines culturels et de loisirs notamment, de sorte que le travail des femmes favorise l'emploi en général. Malheureusement, ce diagnostic optimiste s'accompagne du constat d'une persistante inégalité de salaires et d'une indifférence très significative entre la situation des femmes des pays nordiques, qui peuvent concilier leur investissement professionnel de leur vie familiale, et celles qui, dans d'autres pays d'Europe, par manque d'une politique adaptée, vive mal les contradictions entre le travail et la famille, au point, souvent, de renoncer à l'un ou à l'autre. Le rapport indique ainsi qu'une nouvelle conception de la politique familiale favoriserait à la fois l'égalité professionnelle, la croissance et l'emploi ; elle permettrait également d'améliorer la natalité - même si ce n'est pas là son but premier. Définir les traits de cette nouvelle politique familiale constituera l'un des enjeux de la prochaine Conférence de la famille, qui se tiendra au mois de juin prochain. Bien des pistes devront être explorées, notamment le développement des services de garde d'enfant et la meilleure articulation du temps de l'activité professionnelle avec celui de la vie privée.
Ces analyses ne peuvent qu'encourager le gouvernement à développer les conditions d'une véritable égalité professionnelle et à lutter contre les causes de précarité, de l'inégalité dans l'accès à la formation et à l'emploi. C'est pourquoi, j'ai confié à Catherine Genisson, députée du Pas-de-Calais, la mission de dresser un bilan complet des situations et de faire des propositions pour y porter remède.
Le second rapport, quant à lui, confirme la présence, dans les administrations, du fameux "plafond de verre" qui, comme dans d'autres lieux, assure la prédominance des hommes dans l'encadrement supérieur, et propose des moyens pour briser cette invisible barrière. Il va donc falloir que le ministre compétent, celui de la Fonction Publique, et l'ensemble du Gouvernement conduisent une politique volontariste de promotion des femmes dans la fonction publique. A cet égard, la féminisation des jurys de concours semble indispensable. Un groupe de pilotage interministériel, composé à parité, travaillera sur les programmes et les épreuves des concours pour mieux valoriser la diversité des compétences et talents, y compris ceux que diverses enquêtes reconnaissent comme plus spécifiquement féminins.
Qu'il s'agisse des mandats électifs ou des postes de responsabilité, tout indique que les femmes compétentes sont nombreuses et qu'il suffit généralement de ne pas pratiquer de discrimination a priori pour qu'elles soient reconnues. C'est pourquoi j'ai demandé aux membres du Gouvernement, lors du séminaire du 30 janvier dernier, de réfléchir à la nomination plus fréquente de femmes à des postes pourvus en Conseil des ministres. Des plans d'objectifs progressifs seront mis en place au 1er janvier 2000 de façon à établir un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de la hiérarchie. Je sais que certains sourient parfois de mon souci excessif de l'équilibre mais, dans le domaine dont nous parlons aujourd'hui, cette attention me semble pleinement justifiée...
Sur un plan plus large, je souhaite vous informer de la décision prise, sur la proposition de Nicole Pery, à l'occasion du déjeuner que j'ai partagé aujourd'hui avec les ministres femmes du Gouvernement. Il s'agit de faire revivre le Comité interministériel chargé des Droits des femmes. Celui-ci, qui a été crée en 1982, n'a plus été convoqué depuis 1991. Mon intention est de le réunir prochainement afin qu'il puisse veiller à la cohérence des actions conduites par les différents ministères, proposer des initiatives et assurer le suivi régulier des décisions prises. Dès le 8 mars 2000, nous ferons à cet égard un premier bilan.
Je ne voudrais pas terminer cette esquisse des lignes qui inspire notre action sans évoquer la future campagne sur la contraception qui sera lancée en septembre prochain. Cette campagne est nécessaire, en particulier auprès des jeunes femmes, compte tenu de la recrudescence des I.V.G, parfois liée à celles des violences sexuelles évoquées précédemment. C'est mieux mener à bien cette campagne, mais aussi pour mieux aider les associations, que nous avons voulu augmenter de la même manière très sensible le budget du service du droit des femmes. Il avait baissé ces dernières années, et n'avait pas dépassé 72 MF en 98. Nous l'avons fait remonter à 100, 5 MF, et nous devrons maintenir à l'avenir à la fois nos objectifs et nos moyens.
Mesdames et messieurs, permettez-moi de vous remercier, toutes et tous, pour ce que vous avez fait, à des titres divers, en faveur des femmes, dans notre pays ou dans d'autres. Les injustices dont elles sont victimes n'ont pas toutes la même violence ni la même gravité. Mais je crois qu'il faut les combattre partout avec vigueur, au nom même de cet universalisme qui fait la fierté des Français, parce que tout avertissement des femmes est une insulte à l'être humain, à quelque endroit du globe qu'il ait lieu. C'est pourquoi, même si cette journée de femmes est devenue symbolique dans notre pays, il est bien qu'elle soit internationale. Il est juste ainsi qu'elle mobilise les hommes, car, et c'est au fond ce que j'avais voulu souligner pour commencer, l'égalité entre les sexes ne doit pas être seulement un objectif pour les femmes mais un défi à relever par les hommes et les femmes.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mars 1999)